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^Ottawa
ai.0.
QUESTIONS NEUROLOGIQUES
D'ACTUALITÉ
I QUESTIONS
NEUROLOGIQUES
D'ACTUALITÉ
VINGT CONFERENCES
FAITES A LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE PARIS
- 1921 -
MM. s. a. k. yvilson (de londres), ch. chatelix,
H. CLAUDE, G.ROUSSY, GUILLAIN, LHERMITTE, SOUQUES,
BABOXNEIX, ANDRÉ LÉRI, P. SAIXTOX, A. SICARD, CROUZOX,
POULARD, CH. FOIX, LAIGNEL— LAVASTINE, VURPAS,
BOURGUIGNON, BÉIIAGUE, BOUTTIER, PIERRE MARIE.
INTRODUCTION
PAR M. LE PROFESSEUR PIERRE MARIE
Sav\v$z
>•
M \SS<)\ ET Cie, EDITE! KS
LIBRAIRES DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE
I 2 O , BOULEVARD SAINT-GERMAIN, I 2 O , PARIS
Tous droits de reproduction
de traduction et d'adaptation
- réservés pour tous pays. -
COPYRIGHT IQ2 3, BT
= MASSON & O
:
INTRODUCTION
11 ne sera pas, je pense, sans intérêt, de taire connaître dans
quelles conditions et par suite de quelles circonstances le présent
volume a vu le jour.
Au mois de mars ou d'avril de cette année, notre éminent Doyen,
le professeur Roger, me faisait l'amitié de m'entretenir de ses pro-
jets et de ses efforts pour maintenir h leur niveau élevé les divers
Enseignements de la Faculté de Médecine de Paris. Il me disait
notamment combien il comptait pour cela non seulement sur les
titulaires des chaires de Médecine et de Chirurgie générale, et sur
ceux des chaires spéciales, mais aussi sur le concours de nos col-
lègues des Hôpitaux. Il me faisait part de son désir d'ouvrir lar-
gement les amphithéâtres de la Faculté à toutes les idées, à toutes
les opinions, sous la condition qu'elles fussent soutenues par des
hommes de talent.
C'est ainsi que je fus amené à lui proposerd'organiser un grou-
pement de neurologistes présentant les conditions requises. Il fut
entendu qu'on demanderait à chacun d'eux de venir donner, dans le
Grand Amphithéâtre de la Faculté, une Conférence sur une ques-
tion librement choisie par le conférencier parmi celles qui avaient
fait l'objet de ses études et de ses travaux. On ne pouvait trouver
un plus sûr gage de compétence et d'originalité.
Qu'il me soit permis de remercier ici personnellement les dis-
tingués collègues qui m'ont fait l'honneur et le grand plaisir de
répondre à cet appel. J'ajouterai que tous nous avons été parti-
culièrement touchés de voir le D< S. A. K. Wilson, de Londres,
venir se joindre à nous et prendre cordialement sa part de notre
œuvre.
iXTh'oi>r<ri<>\
Les Conférences eurent lieu en juin et juillet, le succès en fut
très grand, et 1 enthousiasme des auditeurs ne se démentit pas un
instant.
11 eût été regrettable qu'aucun souvenir durable ne fût conservé
de cette belle manifestation neurologique. — Aussi devons-nous
nous féliciter qu'au premier mot sur ce sujet, M. Pierre Masson
nous ait exprimé le désir d'éditer en volume cette série de Confé-
rences : — nous étions ainsi assurés que rien ne serait négligé pour
qu'elles fussent présentées au Public médical dans les meilleures
conditions.
Mon ami et collègue. M. le DrO. Crouzon, a été l'« animateur »
incomparable de cette manifestation neurologique qui, sans lui,
n'eût certainement pas eu lieu. Je le remercie en outre de toute la
peine qu'il a prise pour assurer, sans à-coups, en temps utile, la
publication du présent volume. Recueillir, la veille des vacances,
les manuscrits de vingt auteurs différents et tous fort occupés,
quel record, que de dévouement à notre Science !
Professeur Pierre Marie.
TABLE DES CONFÉRENCES
Pages
S. A. Kinnier Wilson. — Sur quelques questions de pathogénie, de dia-
gnostic et de physiologie pathologique à propos de la dégéné-
ration lenticulaire progressive. •
Ch. Chatelin — Les tumeurs cérébrales • • • •
H. Claude. — L'hypertension intracranienne et les méningites sé-
reuses
G. Roussy. — Les troubles sensitifs d'origine cérébrale 89
Georges Gbiixain. — Les lésions traumatiques de la moelle épinière. . 125
J. Lhermitte. — L'encéphalite léthargique 16°
A. Souques. - Lésions et causes de la paralysie agitante ; ses rapports
avec le syndrome parkinsonien post-encéphalo-léthargique. . ^Ui)
L. Rabonneix. — Les encéphalopathies infantiles
André Léri. — Les atrophies musculaires syphilitiques 259
291
Paul Sainton. — Le goitre exophtalmique • • • •
Oïl
J.-A. Sicaro. - Les algies et leur traitement
O. Ciiouzon. - Les maladies familiales atypiques du système nerveux. 343
Poulard. — Les modifications de la pupille
389
Ch. Foix. — L'automatisme médullaire
Laignel-Lavastine. — Les psychoses thyroïdiennes 403
Ch. Vuri>as. - Petits syndromes mentaux. L'état mental des obsédés. . 419
439
Georges Rourguignon. — La chronaxie
P. Réhague. - Caractéristiques et traitement de l'épilepsie traumatique. 475
487
Henri Routtier. - L'état de mal épileptique
P,EBHB Marie. - Kxiste-t-il, chez l'homme, des centres préformés ou ^
innés du langage ? . . . .
PREMIÈRE CONFÉRENCE
S. A. KINNIER WILSON (de Londres),
Médecin du Queen Square Hospital
SUR QUELQUES QUESTIONS DE PATHOGÉNIE, DE
DIAGNOSTIC ET DE PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE A
PROPOS DE LA DÉGÉNÉRATION LENTICULAIRE PRO-
GRESSIVE
Messieurs,
Depuis mes premiers travaux de 1911-1912 sur la dégénération lenti-
culaire progressive, une quantité toujours croissante de cas de cette
maladie nerveuse a été rapportée, parmi lescpiels doivent être énumérés
ceux de^Pollock, Pfeiffer, Howard-Royce, de Lisi, Stocker, Hamilton-
Jones, von Economo, Cassirer, Higier, Henrici, Soderberg-Sjovall, et
beaucoup d'autres ; sous le titre de pseudo-sclérose, d'ailleurs, ont paru
depuis lors plusieurs cas dont l'intérêt pour le sujet qui nous occupe est
considérable. En effet, l'impulsion donnée à l'étude des maladies du
corps strié, du syndrome du corps strié, de la notion des symptômes mo-
teurs extra-pyramidaux, et de la pathogénie des mouvements involon-
taires, loin d'être épuisée, est devenue de plus en plus stimulante. Mais,
malgré les belles contributions cliniques et anatomo-pathologiques qui
ont agrandi nos connaissances jusqu'à un certain point, il me semble
que les problèmes fondamentaux de la maladie n'ont pas progressé de
cette façon autant qu'on aurait pu s'y attendre. Ainsi lapalhogénie exacte
de l'affection, et quelques questions difficiles de son anatomie patho-
logique et surtout de sa physiologie pathologique, restent à discuter,
tandis que ses rapports avec la pseudo-sclérose et la nouvelle maladie
dite torsion-spasmus ou dystonie lenticulaire ont été compliqués plutôt
que simplifiés par des communications récentes. On a même remarqué,
surtout peut-être en Allemagne, une tendance à identifier la dégénéra-
tion lenticulaire progressive et la pseudo-sclérose, et on m'a même cité,
CONFÉR. NEUROL. 1
S. .1. /y. \YII.S<>\
quoique bien à tort, comme admettant que les deux affections ne font
qu'une. Par conséquent, je suis heureux de profiter de cette occasion
d'aborder quelques-uns des problèmes soulevés par la maladie appelée
généreusement « maladie de Wilson».
I. — CONSIDÉRATIONS CLINIQUES
En étudiant les cas publiés depuis 1912 on apprend que Ton doit
étendre quelque peu les limites de la durée de cette affection ; et je relate
ici, très brièvement, deux nouveaux cas personnels chez lesquels la durée
de la maladie a dépassé dix ans.
Cas 1. — J. P. E., jeune homme âgé de 24 ans, toujours bien portant,
en 1904 (alors âgé de 14 ans) commençait à articuler ses mots assez mal
et d'une façon barbouillante, et cette dysarthrie a continué toujours en
s'accentuant. Deux ans plus tard on remarqua qu'il marchait assez mala-
droitement; il se tenait un peu avec raideur, surtout du dos et des
jambes, et en même temps, on observait un tremblement fin des doigts
et des mains. La mère du malade nota que la salive commençait à s'écou-
ler des lèvres et elle avait souvent l'occasion de lui dire : « P..., essuie ta
bouche. » Il avait aussi une tendance à tenir la bouche ouverte, de
sorte qu'elle lui disait : « Pourquoi ne respires-tu pas par le nez ? ». Les
symptômes s'aggravèrent ensuite, et, lors de mon premier examen, son
articulation était à peu près inintelligible et le tremblement des bras,
des mains et des doigts était incessant et quelquefois très violent, gar-
dant toujours le caractère rythmique du tremblement de la paralysie
agitante. (Fig 1.) En outre, lorsque le malade essayait de parler, ou d'a-
valer, les muscles intéressés de la face devenaient le siège de contractions
spasmodiques, le palais s'élevait d'une façon anormale, presque comme
si le malade allait vomir, et il en résultait une phonation et une arti-
culation explosives des plus laborieuses. Du côté des nerfs crâniens,
rien d'anormal : du côté des yeux, aucune trace de pigmentation olive-
verte de la cornée.
Au lit, les muscles du tronc et des jambes, aussi bien les Qéchisseurs
que les extenseurs, étaient assez rigides, bien moins toutefois que ceux
des bras; mais lorsque le malade essayait de se tenir debout et île mar-
cher, ils devenaient, comme ceux de la face, de la gorge, le siège de mou-
vements involontaires spasmodiques et irréguliers, de sorte qu'il s'avan-
çait d une façon extrêmement maladroite et laide; il élevait awse/. bien
les pieds, mais les jambes s'ébranlaient à cause du tremblement quand
il les avançait tour à tour.
LA MALADIE DE WILSON
Il faut dire en outre que le tremblement s'augmentait toujours avec
les mouvements volontaires ; ainsi, en essayant de se toucher le nez avec
le doigt, il lui arrivait très souvent de frapper fortement son visage ;
l'écriture était accompagnée d'un tremblement vraiment tumultueux.
&{*■; • JtinKef
Fig. 1. — L'écriture du malade .1. P E, qui montre d'une façon assez nette le tremblement plus ou
moins régulier et constant.
Du côté des réflexes, pas de signe de maladie pyramidale ; réac-
tion de Wassermann (sérum et liquide céphalo-rachidien) toujours
négative.
Après une durée de 15 ans, l'affection s'est terminée par la mort, mais
malheureusement je n'ai pu recevoir l'autorisation de faire l'autopsie.
Pendant la vie il n'y avait aucun des signes ordinaires d'insuffisance
hépatique.
A mon avis, il s'agit ici d'un cas à peu près typique de dégénération
S. \ K. H il so\
lenticulaire progressive, quoique seulement à la fin on ait vu apparaître,
à un degré insignifiant, de la faiblesse mentale et de la contracture mus-
culaire des extrémités, La longue durée de l'affection est digne de
remarque, ainsi que l'absence de tout signe de lésion viscérale OU intes-
tinale. Au point de vue de la inutilité, il faut remarquer le tremblement
\
Fig. 2. — Le faciès souriant île la malade \Y. M. \\.
rythmique de ce cas comme le premier et le plus important des mouve-
ments involontaires, tels qu'on les rencontre dans la maladie; mais les
contractions toniques variables cpii se manifestaient pendant la marche,
etc., sont également importantes, quoique bien moins fréquentes. On les a
observées jusqu'à présent surtout dansles cas aigus (Gowers Ormerod,
Howard-Royce), d'où l'expression « tétanoïde » imaginée par Gowers
pour les caractériser ; elles n'ont pas, autant qu'il m'a semblé, l'allure
toutes pécia le de l'a thé tose vraie, mais elles sont d'un ordre bien différent
du tremblement, et la constatation des deux types de mouvements invo-
lontaires chez le même malade est très signifiante, comme nous le ver-
rons plus tard.
LA MALADIE DE WILSOJS
Cas 2. — W. M. R., femme de 45 ans, non mariée, passa une saison
dans l'île de la Jamaïque à l'âge de 27 ans, et à cette époque fut
atteinte d'ictère très grave, qui dura un mois environ, mais se rétablit
d'une façon satisfaisante. Quatre ans plus tard, elle remarqua un trem-
blement fin et régulier de la main gauche pendant les mouvements
volontaires, c'est-à-dire en écrivant, en brodant, en prenant une tasse de
Fig. 3.
Les mains contracturées de \Y. M. R.
thé, etc. En même temps sa sœur constata que la malade tenait le bras
gauche avec un peu de raideur. Au bout de deux ans le tremblement
s'étendit à la jambe gauche, et après une période mal définie il gagna le
bras et la jambe droits. Depuis lors, la maladie progressa lentement
mais sans cesse, et les extrémités devinrent contracturées, surtout à
gauche.
En examinant la malade, on a pu constater une raideur généralisée de
tout le corps analogue à celle de la maladie de Parkinson, un tremble-
ment rythmique des membres déjà mentionné plus haut, un rire spasmo-
dique presque incessant (lig. 2), une dysarthrie et une dysphagie peu
prononcées, sans aucun signe de lésion pyramidale. Les réflexes tendi-
neux et cutanés n'étaient pas modifiés. L'état de contracture des
S. l. K. WILSOX
mains et des pieds est indiqué sur les photographies (fig. 3, 4, •>)•
Il n'y avait aucune paralysie au sens précis du mot, puisque la malade
Fig. 4. — La main gauche contracturée de la même malade.
pouvait défaire, pour ainsi dire, les contractures, quoique lentement, et
mobiliser toutes les articulations. Elle ne pouvait guère marcher ; quand
Fig. 5. — Les pieds contractures de la nu'nie malade.
elle essayait, elle se tenait sur les orteils et avançait les jambes eoinnie
une paraplégique spasmodique, et pas du tout comme une Parkinso*
nienne. L'examen du sang et du liquide céphalo-rachidien a toujours
été négatif.
LA MALADIE DE WILSON
Dans ce cas la maladie a duré 13 ans environ, et la malade se trouve
maintenante l'état grabataire. Le diagnostic estpeut-être unpeu malaisé,
en raison de la ressemblance générale avec la paralysie agitante ; néan-
moins, les attitudes contracturées des mains et des pieds, la démarche,
le rire spasmodique et l'histoire d'un ictère grave suffisent, à mon avis,
à différencier ce cas de la maladie de Parkinson.
D'autre part, on doit ajouter aux cas aigus ceux de Howard-Royce
(durée cinq semaines seulement) et de de Lisi(neuf mois). Celui-là est
d'un intérêt tout particulier, puisque c'est le plus court dans les annales
de l'affection et puisque, comme nous l'avons déjà dit, les mouvements
involontaires étaient plutôt toniques et variables que tremblants et régu-
liers ou rythmiques.
Un des grands problèmes de la neurologie est de trouver une formule
précise, si cela est possible, pour décrire les différents types de mouve-
ments involontaires ; des expressions telles que « mouvements spasmodi-
ques» ou« spasmes toniques » sontà vrai dire un peu vagues. J'aurai l'oc-
casion démontrer plus tard qu'on peut établir deux catégories principales
de mouvements involontaires : 1° le tremblement et 2° les mouvements
choréo-athétoïdes. Or, à propos de la maladie qui nous intéresse, je
suis tout à fait d'avis que le mouvement involontaire de beaucoup le
plus fréquent, c'est le tremblement, et que les mouvements choréo-athé-
toïdes y sont exceptionnels. Il me semble que ceux-ci sont peut-être plus
communs chez les malades dont les cas sont aigus (Howard-Royce,
Gowers, de Lisi, Ormerod). Ainsi, Gowers parle de « slowly changing
tonic or clonic spasms » d ; le malade de Henrici montra quelquefois
« irregular purposeless movements ofthehands »-; à juger par les pho-
tographies du malade de Hamilton-Jones, sa main droite prit des atti-
tudes rappelant l'athétose, et chez le malade de de Lisi on peut remar-
quer aussi une attitude" athétoïde du bras droit. Même dans des cas
beaucoup plus chroniques, comme dans mon premier cas et dans le cas
de Sawyer, des attitudes ou des mouvements athétoïdes peuvent se ren-
contrer. Mais, en général, un tremblement rappelant celui delà para-
lysie agitante quant à ses caractères objectifs, et souvent celui de la
sclérose en plaques quant à son exacerbation pendant les mouvements
1. « De lents mouvements toniques ou spasmes cloniques. »
2. « Mouvements des mains irréguliers et sans but. »
S. .1. h. \\ II su \
volontaires caractérise la maladie, et les mouvements choréo-athé-
toîdes y sont toujours rares.
Il faut attirer l'attention, en outre, sur une épreuve de la fonction
hépatique non sans intérêt pour notre sujet. On a remarqué générale-
ment que les signes cliniques de l'insuffisance du foie font défaut, excepté
un ictère initial, et j'ai observé une fois une hémorrhagie stomacale comme
phénomène terminal.
Dans le cas qui vient d'être publié par Sjovall et Soderbergh l'ascite
a été observée, mais pas du tout pour la première fois, comme pensent
ces auteurs, puisque le malade du cas 5 de ma monographie a eu de
l'ictère, puis de l'ascite. Il ne faut pas s'étonner si, en raison de la sévé-
rité de l'affection hépatique, lascite se rencontre de temps en temps.
Dans tous les cas nouveaux il y aura lieu de faire l'épreuve de la lévu-
losurie alimentaire, comme l'ont employée Rausch et Schilder, et d'au-
tres depuis lors. On donne de la lévulose par la bouche jusqu'à cent
grammes, et si l'on peut découvrir de la lévuline dans l'urine de deux
à six heures après, il est très probable, sinon absolument certain, que
l'insuffisance hépatique existe. Ainsi, dans le cas de Sjovall-Soderbergh,
où se trouva ultérieurement une cirrhose hépatique des plus typiques,
on donna cent grammes de lévulose à huit heures du matin; à neuf
heures on a obtenu 90 ce. d'urine sans sucre; aune heure de l'après-
midi le cathétérisme de la vessie retira 230 ce. d'urine renfermant
1,76 0/0 d'une matière lévo-rotatoire fermentant à la levure ; à trois
heures de l'après-midi, il n'y avait plus de sucre.
II.— ANATOMIE PATHOLOGIQUE
1. Système nerveux.— Les examens ultérieurs n'ont fait que con-
firmer les premières descriptions des lésions nerveuses de la maladie.
Dans les cas typiques, il s'agit d'une désintégration plus ou moins
symétrique et bilatérale du noyau lenticulaire qui intéresse le puta-
men -noyau caudé plus tôt et plus fortement que le globus pallidus et
qui s'étend depuis la simple décoloration ou l'état criblé léger, avec
un peu de rétrécissement en volume, avec perte du contour extérieur
convexe normal, jusqu'à une cavitation complète du noyau avec nécrose.
Quelquefois on voit de petites cavités percées au milieu du no\.ui;
quelquefois ces cavités ne sont pas limitées rigoureusement au ooyau
LA MALADIE DE WILSON
lui-même, mais s'étendent au delà de ses limites. Ainsi, dans un cas
personnel, il y en avait une petite au genou de la capsule interne et une
autre dans la couche optique, tandis que dans le cas aigu de Howard-
Royce, elles étaient plus nombreuses encore, bien que leur siège tût
surtout sur le corps strié. D'une façon générale la désintégration du puta-
men -noyau caudé fait un contraste frappant avec la conservation relative
de la capsule interne et de la couche optique, etc.
Au point de vue microscopique, il est bien évident que le processus
pathologique consiste en une lésion progressive du parenchyme ner-
veux du noyau et son remplacement par une prolifération névrogli-
que. Il est très important de se rappeler que cette prolifération ne
remplace jamais complètement le parenchyme en état de désinté-
gration ; bien au contraire, la névroglie fait défaut avec le temps, de
sorte que Ton ne peut pas regarder cette prolifération comme l'équiva-
lent d'une gliomatose ougliose. Elle n'est qu'une réaction provisoire et
incomplète succédant à une dégénération parenchymateuse : cette
manière de voir a été récemment confirmée par les recherches histolo-
giques de Bielschowsky et Freund. Quant à moi, je n'ai jamais pu trou-
ver les cellules névrogliques géantes ou multinucléées, ou la formation
en blastomatose des cellules de névroglie telles qu'on lésa décrites quel-
quefois dans des cas de la pseudo-sclérose. Seulement Stocker et de
Lisi les ont remarquées dans la dégénération lenticulaire progressive
et, comme nous le verrons, ces altérations spéciales ne sont palhogno-
moniques ni de l'un ni de l'autre.
On a décrit, d'ailleurs, des altérations inconstantes des cellules gan-
glionnaires de la corticalité et, plus généralement, des cellules du cer-
velet, de la protubérance, du bulbe, etc., et je les ai constatées moi-
même, mais à ce sujet, il est nécessaire de faire quelques réserves. En
interprétant les altérations pathologiques, on doit se rappeler que les
cellules nerveuses réagissent à toutes espèces de processus toxiques, et
que les modifications cellulaires corticales, par exemple, doivent être
considérées à la lumière de l'histoire clinique. Ainsi, Pollock, chez son
malade, a constaté une chromatolyse légère des cellules de la corticalité,
mais la mort a été précédée par un état septicémique grave ; et le malade
de Pfeiffer est mort d'une pneumonie double, ce qu'il ne faut pas oublier
en interprétant les modifications cellulaires corticales de son cas. En
outre, on sait bien que dans une affection nerveuse prolongée quel-
conque, avec détérioration métabolique, on peut rencontrer de telles
altérations diffuses.
Je me contenterai de mentionner ici l'absence de tout signe de
10 >. .1. K. H II.S().\
lésion inflammatoire ou vasculaire, de telle sorte qu'on peut considérer
la dégénération comme primaire au point de vue de L'étiologie.
2. Lésions viscérales. — Selon l'opinion de la plupart des auteurs,
la cirrhose du foie, sans laquelle on ne peut admettre aucun cas dans le
cadre de la dégénération lenticulaire progressive, résulte d'un proces-
sus inflammatoire, avec unv hyperplasie subaiguë ou chronique du tissu
conjonctifde l'organe, accompagné d'atrophie et de dégénération paren-
chymateuse, de phénomènes de régénération, et d'hypertrophie des
conduits biliaires. Elle n'est pas toujours accompagnée, à ce qu'il sem-
ble, de nécrose véritable. On ne peut donc pas confirmer la manière
de voir de Rumpel qui admet un défaut de développement, ni celle de
Heinrichsdorf qui croit à une cirrhose pigmentaire consécutive à un
empoisonnement métallique, ni celle de Kubitz-Stâmmler, qui pensent
à une affection syphilitique. Sjôvall-Sôderbergh nous ont donné une
belle étude et ont conclu que, malgré les différences des cas individuels,
il s'agit toujours d'un processus inflammatoire, mais à un degré très-
variable, qui intéresse le parenchyme plus que le tissu conjonctif ou
interstitiel.
Dans ma monographie, j'ai insisté sur l'hypertrophie de la rate que
l'on avait observée quelquefoisau cours de l'affection (Wilson, Homen,
Ormerod) et depuis on l'a constatée plusieurs fois (Kubitz-Stâmmler,
Rausch-Schilder, Pollock, von Economo, etc.). Du reste, on doit dire
qu'on ne l'a pas toujours constatée même daqs des cas typiques (Pfeiffer).
La signification des altérations de la rate sera discutée dans le chapitre
suivant.
III. — PATHOGÉNIE
On a envisagé la pathogénie de la maladie de deux différentes manières
jusqu'à présent ; d'après l'une, il s'agit d'un défaut congénital du système
nerveux; d'après l'autre, il s'agit d'une affection acquise et très proba-
blement d'origine toxique.
Stocker, Pfeiffer et d'autres auteurs pensent que les lésions hépa-
tique et cérébrale sont indépendantes l'une de l'autre, et que chacune
est le résultat d'un « Anlagefehler » '. Pfeiffer admet qu'on n'a pu trouver
aucun fait probant à l'appui de cette hypothèse; Stocker, de son côté,
ayant trouvé chez son malade des lésions analogues, à son avis, à celles
qu'ont décries récemment Hôsslin et Alzheimerdansla pseudo-sclérose,
les considère comme caractéristiques de leur nature congénitale sem-
blable à celle de la sclérose tubéreuse.
1. « Vice du germe. »
LA MALADIE DE WILSON 11
Par opposition à ces faits, j'attache la plus grande importance aux cas
aigus de Gowers, Ormerod, von Economo et Howard-Royce. Dans
six cas au moins la sévérité et le cours rapide de l'affection, les pertur-
bations profondes du métabolisme, la fièvre et l'amaigrissement, tout
nous oblige à rejeter l'hypothèse d'une lésion congénitale et à l'attribuer
seulement à un processus toxicpie ou toxi-infectieux.
Laissant de côté l'appui important fourni par ces cas aigus à la théorie
toxique, on peut signaler encore la variabilité remarquable des symp-
tômes (Gowers, Homen, Ormerod, Wilson, von Economo, Hamilton-
Jones), ce qui plaide encore en faveur d'une origine toxique pour l'affec-
tion. Cette variabilité a été tellement prononcée que l'on a même pensé
par erreur à une affection hystérique (Ormerod, von Economo, Hamil-
ton-Jones). La vraie analogie, c'est la variabilité de la sclérose en pla-
ques, qui est une maladie d'ordre toxique. Les symptômes, d'ailleurs, de
l'empoisonnement chronique par le manganèse offrent des analogies
avec le syndrome delà dégénération lenticulaire (Seelert).
Au point de vue anatomo-pathologique, tandis que tous les auteurs
sont d'accord sur l'absence définitive des lésions inflammatoires (une
infection microbienne fortuite agonique exceptée), le trait saillant estime
dégénération parenchymateuse en masse, soit aiguë ou subaiguë, soit
chronique, de tous les éléments constituants du putamen-noyau caudé.
Les fragments de la désintégration neurale sont enlevés par des Korn-
chenzellen et par des cellules névrogliques amiboïdes, et le remplace-
ment névroglique lui-même est interrompu par une cavitation. Ainsi le
processus morbide est bien analogue à celui de certaines affections ner-
veuses toxiques telles que la dégénération subaiguë combinée de la
moelle épinière, la pellagre, etc., et il est tout à fait différent de la gliose
ou gliomatose primaire telle qu'on l'a observée dans quelques cas récents
de la pseudo-sclérose.
On peut maintenant se demander quelles sont la nature et l'origine
de la toxine incriminée dont la présence comme agent morbide est
attestée par des faits cliniques et pathologiques.
La syphilis est définitivement hors de cause en raison des réactions
de Wassermann négatives dans le sang et le liquide céphalo-rachidien,
et cette affirmation ne peut pas être invalidée par une ou deux excep-
tions (Kubitz-Stâmmler) ; on doit les regarder comme étiologique-
ment accidentelles.
Or, en raison de l'hépatite constante même dans les cas aigus où les
noyaux lenticulaires sont à peine touchés, en raison des lésions fré-
quentes de la rate, étant donné l'absence d'aucune altération semblable
12 S. A. K, u il so\
dans les autres viscères, étant donné, enfin, les cas où l'ictère a été le
premier symptôme (comme chez une de mes malades dont l'histoire est
rapportée ici), il est permis de conclure que la toxine est d'origine ali-
mentaire ou intestinale.
Ainsi chez le malade de von Eeonomo des symptômes gastro-
intestinaux (un peu vagues, il est vrai) ont précédé l'appari-
tion des symptômes nerveux ; un des malades de Bostrôm était
atteint d'un catarrhe intestinal chronique ; chez le malade de Sjôvall-
Sôderbergh on trouva à l'autopsie une lésion tuberculeuse et fibreuse
du côlon ascendant très prononcée, surtout delà sous-muqueuse etaussi
les signes d'une inflammation chronique intestinale et d'une réaction
inflammatoire rétro-péritonéale. Comme dans la cirrhose de Laënnec,
les lésions concomitantes du foie et de la rate plaident en faveur d'une
entérotoxine, dont la nature encore nous échappe. D'autre part, vu les
cas nombreux de cirrhose sans symptômes nerveux, et les cas égale-
ment nombreux de toxémie intestinale sans cirrhose, l'entérotoxine
hypothétique doit être « sui generis ». En partageant largement mon
avis, Sjôvall-Sôderbergh ont bien résumé les débats ainsi qu'il suit :
« It is conceivable that intestinal affections of différent ctiology may pro-
duce a quite definitebut at présent unknown poison, whieheither causes
cérébral lésions by way ofthe liver and spleen, or else from the begin-
nirig bas an afïinity to ail thèse organs... It seems dilïicult to get away
from an endogenous factor, consisting in a certain chemical disposi-
tion in liver (and brain) to the hypothetical intestinal poison '. »
Reste à discuter une dernière question, celle de la limitation très
particulière de la nécrose ou du ramollissement au noyau lenticulaire,
en opposition avec la conservation relative des autres noyaux gris cen-
traux. Comment expliquer cette action élective de la toxine ? Puisque
le corps strié est irrigué par trois sources vasculaires différentes, on ne
peut pas expliquer la limitation particulière à ce noyau par la distribu-
tion vasculaire, à moins (pie l'on ne puisse démontrer une disposition
anatomique spéciale des vaisseaux lenticulo-striés et lenticulo-optiqucs.
1. " On peut concevoir que les affections intestinales de causes diverses peuvent pro-
duire un poison parfaiteme.nl défini mais encore inconnu qui détermine des lésions
cérébrales par l'intermédiaire du foie et de la raie ou bien qui a, clés le début, une
affinité pour tous ces organes II parait difficile de s'écarter d un l'acteur endogène
consi tant dans une certaine disposition chimique dans le foie (et le cerveau pour le
poison intestinal bypothélique. »
LA MALADIE DE WILSON
13
Fitf 6. - Coupe du cerveau d'un cas de 1 empoisonnement par l'oxyde de «aibone (CO). pour montrer
le r.imolli&senicnt à peu prrs symétrique des deu* globus 'pallidus. Je dois cette préparation à la
bienveillance de mon regretté maître Horsley.
On peut, à ce propos, se reporter aux travaux de Ayer et de Aitken,
d'après lesquels une artère (l'artère de Heubnerj se détache de l'artère
cérébrale antérieure et se dirige en arrière et en haut pour ga-
gner le noyau caudé et la partie antérieure du putamen. En raison
1 i S. A. K. WILSON
de sa longueur et de sa distribution spéciale le sang court un peu contre
K- courant normal, d'où une tendance à la stase et à la thrombose dans
ses branches terminales. Mais on peut affirmer d'une façon définitive
qu'aucune hypothèse vasculaire ne peut expliquer l'action élective sui-
tes noyaux gris centraux, tout en admettant que c'est par la voie vascu-
laire que la toxine y est portée. La dégénération hyaline des vaisseaux
du noyau n'est que secondaire, à mon avis, et je ne peux pas partager
l'opinion de Bostrom que des altérations vasculaires primaires et une
formation vasculaire réparatoire l'ont partie du processus morbide.
A ce sujet, je désire attirer l'attention sur les faits très particuliers
de l'empoisonnement aigu par l'oxyde de carbone (CO) (Dana,
Stewart). On connaît depuis longtemps déjà l'affinité de ce gaz pour les
noyaux lenticulaires, et une belle étude pathologique de Stewart en a
mis en lumière le processus pathogénique. Cet auteur a trouvé, dans
un cas typique, d'abord une zone de ramollissement cortical rigoureu-
sement limitée aux couches profondes où se trouve précisément le réseau
capillaireleplusconqilique.il ne l'attribue pas à l'anoxhémie, mais à
l'affinité des toxines exogènes pour les parties les plus vasculaires du
système nerveux, et à l'action de thrombus hyalins dans les capil-
laires. Il ne peut pas ainsi expliquer, d'autre part, l'action très élec-
tive de l'oxyde de carbone sur les noyaux lenticulaires, puisque les
autres masses grises centrales, qui ont à peu près la même disposition
vasculaire, ne sont pas touchées, ou à peine, et il est forcé de conclure
que l'oxyde de carbone montre une affinité pour la matière grise des
noyaux lenticulaires. Ainsi il n'a pu trouver aucun ramollissement ni du
noyau caudé de ni la couche optique, tandis qu'il y avait des ramollis-
sements bien visibles à l'œil nu dans le globus pallidus des deux
côtés. (Fig. 6.)
Il ne faut pas oublier non plus l'analogie également suggestive cpie
fournit l'ictère grave familial des nouveau-nés, dont j'ai parlé en détail
dans ma monographie. Il est bien évident, à mon avis, (pie l'hypothèse
d'une action élective de l'entérotoxine encore inconnue delà maladie n'a
rien d'invraisemblable, et qu'il va d'autres états morbides où on ne
peut expliquer les phénomènes pathologiques que par l'hypothèse, d'un
rapport spécial chimique ou biochimique entre la toxine et les tissus du
corps strié.
IV. - DIAGNOSTIC
Il n'y a que deux affections nerveuses dont j'aie à parler au point île
vue du diagnostic ; ce sont la pseudo-sclérose et le torsion-spozmus.
LA MALADIE DE WILSON
Dans un travail sur les maladies des noyaux gris centraux que je
viens de publier dans le American Oxford System ofMedicine j ai donné
un résumé assez complet de l'histoire de la pseudo-sclérose, ce qui est
d'autant plus nécessaire qu'on a supposé que la pseudo-sclérose, et la
dégénération lenticulaire progressive ne sont que deux manifestations
morbides de la même affection nerveuse. Ainsi il n'est pas nécessaire
d'insister encore, mais seulement de rappeler que parmi les cas
décrits par Westphal et plus tard par Strùmpell sont englobés les états
morbides des plus divers, qui n'avaient presque aucune .valeur pour la
description d'un tableau clinique distinct, et que cette affection était
définitivement orientée vers la sclérose cérébrale diffuse, c'est-à-dire
vers un état morbide caractérisé par un durcissement et une fermeté
des tissus nerveux. Ainsi, par exemple, Potts et Spiller ont dit
en 1805 que « sharp distinction between the findings of pseudo-sclero-
sisand those of diffuse sclerosis cannot be made, and that the diffé-
rences are probably chiefly in the degree of the altération and not in
its character ' ». De plus, ce qui est de la plus grande importance, on
n'avait jamais noté ni décrit la cirrhose hépatique dans cette mala-
die ; Strùmpell, par exemple, dit à propos d'un de ses cas de pseudo-
sclérose que les viscères ont montré « nichts bemerkenswerthes 2 ».
Ainsi la cirrhose comme une partie intégrante de la maladie n'était
même pas soupçonnée. En juillet 1911, j'ai soutenu ma thèse à l'Univer-
sité d'Edimbourg et j'ai donné la première description de la dégénéra-
tion lenticulaire à la Société de Neurologie, à Londres, un peu de temps
avant. En 1911 et 1912, Vôlsch et Fleischer ont publié des cas qu'ils ne
pouvaient pas bien classer, mais qu ils supposaient être analogues, mais
pas identiques, à la pseudo-sclérose, et dans ces cas on a remarqué
pour la première fois une cirrhose hépatique. Dès lors, on a observé
une tendance curieuse à changer entièrement la première conception de
la pseudo-sclérose, à en ignorer les cas nombreux sans aucune cirrhose,
et à prétendre que cette altération viscérale fait partie de la pseudo-sclé-
rose telle que l'ont décrite Westphal et Strùmpell. Pour établir l'exac-
titude historique, il était nécessaire de faire ce petit résumé d'après
lequel on peut juger que la pseudo-sclérose de ceux qui pensent que
la dégénération lenticulaire progressive ne peut en être 'distinguée est
bien différente de celle de Westphal et Strùmpell, dans laquelle la cir-
1. « Une distinction précise entre les constatations de la pseudo-sclérose et et lies de
la sclérose diffuse ne peut être faite, et que les différences sont probablement sur-
tout dans le degré des altérations et non dans leur caractère. »
2. « Kien de remarquable. »
18 S. A. A. \\ ll.s<>.\
rhose hépatique manqua (un des cas de Strùrapell était bien syphilitique
avec une cirrhose syphilitique) ; Fleischer, même, a publié son cas
(1912) sous le titre tl' « einebisher unbekarnte Knankheit ' ».
Quant à moi, depuis ma première communication sur le sujet, j'ai
toujours soutenu que seulement les cas de la pseudo-sclérose avec
des altérations hépatiques cirrhotiquessont à rapprocher de la dégénéra-
tion lenticulaire, de laquelle, néanmoins, ils peuvent à mon avis être
différenciés. Le tableau clinique de celle-ci est bien net, mais les cas
mis par les auteurs dans la catégorie de la pseudo-sclérose sont assez
souvent bien différents de la conception « classique ».
Ainsi, par exemple, Oppenheim a publié en 1914, sous le titre de
pseudo-sclérose, l'observation d'un jeune homme de 29 ans, qui était
atteint de tremblement, dysartbrie, pigmentation verte de la cornée,
sans aucune rigidité des muscles, aucune épilepsie, aucunes crises
apoplectiques et aucuns troubles mentaux. Par contre, on peut citer le
cas de Rauscb et Schilder, où les principaux symptômes étaient du
tremblement, de l'ataxie, de la diadococinésie, une démanche titu-
bante, des troubles des mouvements oculaires, de l'hyperestbésie cu-
tanée, et un tonus musculaire normal. Un tel cas diffère in loto non
seulement de la dégénération lenticulaire, mais même des descriptions
premières, de Westphal et Strùmpell. De même, les cas décrits par
Spiller sous le titre de pseudo-sclérose familiale ne présentant ni épi-
lepsie ni crises apoplectiques, n'avaient aucuns troubles mentaux et,
en effet, avaient la plus grande ressemblance avec la maladie de Par-
kinson. D'autre part, les cas dits typiques, comme celui de Hôsslin et
Alzheimer, doivent présenter uneparésie spasmodique des membres,
de la dysartbrie, du tremblement, des attaques épileptiques fréquentes
et fortes, des crises apoplectiformes, des troubles psychiques défini-
tifs.
Ainsi il faut admettre que l'on ne peut pas préciser avec exactitude
le tableau clinique delà pseudo-sclérose, à ce qu'il ressort des descrip-
tions des auteurs eux-mêmes.
La pigmentation en vert du bord de la cornée est d'un intérêt consi-
dérable : on l'a remarquée dans plusieurs cas de la pseudo-sclérose,
mais autant que je sache, dans deux cas seulement de la dégénération
lenticulaire progressive (PollocU, Sjôvall-Sôderbergh). Elle a manqué
plus souvent dans toutes les deux affections, de sorte qu'on ne peut pas
la considérer comme pathognomonique ni de l'une ni de l'autre.
1. « Une maladie jusqu'ici inconnue, »
LA MALADIE DE WILSON 17
Nous venons de voir, en outre, que les attaques épileptiques, les
crises apoplectiformes, les perturbations d'origine mentale, l'hyper-
tonicité musculaire même, peuvent faire défaut dans des cas de
pseudo-sclérose ; seuls les mouvements involontaires restent comme
symptôme cardinal. Une telle conception nosologique est très peu sa-
tisfaisante, et a besoin d'être revisée.
Au point de vue anatomo-pathologique on a peut-être raison de né-
gliger les cas déjà anciens, vu les inconvénients des recherches histo-
logiques d'autrefois. En utilisant les méthodes modernes, Hosslin et
Alzheimer ont trouvé, dans la corticalité, la couche optique, le corps
strié, la protubérance, le cervelet, le bulbe, des cellules névrogliques
géantes et multinucléées, de grands corps plasmoïdessans fibrilles, qui
sont quelquefois reliés l'un à l'autre par des « ponts » plasmiques, et
des « restes » de plasma au voisinage des cellules névrogliques, avec de
petits points basophiles. Dans le nouveau cas de Westphal les altéra-
tions n'étaient pas tellement marquées, puisque les cellules géantes
et les corps plasmiques faisaient défaut. Or, tout en acceptant une
telle anatomie pathologique pour la pseudo-sclérose telle qu'on veut
l'imaginer aujourd'hui, il est bien évident qu'il s'agit ici d'un pro-
cessus morbide qui montre une différence fondamentale avec celui de
la dégénération lenticulaire progressive, comme l'ont très bien démon-
tré Bielschowsky et Freund. Les altérations anatomiques de la
pseudo-sclérose participent de la nature d'une formation générale
gliomateuse, ou d'une blastomatose probablement d'ordre congénital,
et si le parenchyme nerveux est pris, c'est d'une façon secondaire,
tandis que dans la dégénération lenticulaire, comme montrent
tous les examens histologiques. il s'agit d'une désintégration paren-
chymateuse primaire, limitée d'abord au moins au putamen, avec
une prolifération névroglique simplement secondaire et toujours in-
complète. Il serait erronné alors, de supposer, comme le font plu-
sieurs auteurs, que les deux affections diffèrent l'une de l'autre, seule-
ment parce que dans la maladie lenticulaire les altérations sont con-
finées au corps strié, tandis que dans la pseudo-sclérose elles sont
répandues dans le névraxe. Les modifications névrogliques de la
pseudo-sclérose ressemblent à celles de la sclérose tubéreuse et à
celles de la sclérose cérébrale diffuse, beaucoup plus étroitement que
celles de la maladie dite de Wilson.
D'ailleurs, les anomalies névrogliques de la pseudo-sclérose n'ont
rien de spécifique, puisque Jakob a trouvé des altérations semblables
dans quelques cas d'épiïepsie idiopathique et, comme je viens de le
COKFÉH NKIJIOL. 2
IS S.A.K.W il SO \
dire, elles sont analogues à celles de la sclérose tubéreuse et de la
sclérose diffuse. Dans un des cas de pseudo-sclérose de Strûmpell les
lobes occipitaux étaient « durs comme cuir », ce qui est tout à fait étran-
ger à l'anatomie pathologique de la dégénération lenticulaire.
S'il est difficile de comprendre les rapports entre les lésions hépa-
tiques et la dégénération du corps strié, il est encore plus difficile
d'exprimer d'une façon satisfaisante les relations de celles-là avec la
prolifération névrotique primaire de la pseudo-sclérose, du moins jus-
qu'à ce que nous soyons plus instruits sur les agents morbides qui
donnent naissance à ce processus.
Quant au lorsion-spasmus, maladie nouvelle encore assez mal diffé-
renciée, tout ce que j'ai à en dire, c'est qu'on n'a fait l'examen anato-
mique que d'un seul cas jusqu'à présent, celui de Thomalla. Dans ce
cas, on a trouvé une lésion bilatérale du putamen bien comparable à
celles de la dégénération lenticulaire, et aussi une cirrhose du foie. J'ai
lu avec grand soin et les descriptions de Thomalla et celle de l'examen
anatomo-pathologique du cas que vient de publier M. Vogt, de Berlin, et
je dois dire que je partage l'avis de Mendel, selon lequel il s'agit tout
simplement d'un cas subaigu soit de la maladie que j'ai décrite, soit de
pseudo-sclérose. C'est l'occasion pour moi de constater que l'allure
clinique du cas de Thomalla est bien semblable à celle de quelques-
uns des cas déjà anciens de la dégénération lenticulaire et que les sym-
ptômes cliniques, la dysarthrie allant jusqu'à une anarthrie presque
complète, la sialorrhée. la bouche demi-ouverte, etc., sont bien analo-
gues à ceux des cas aigus de cette affection. Le type même de mouve-
ment involontaire, à ce qu'il parait, n'est pas très différent des « tonic
and clonic spasms of the cohole body * » des cas de Gowers.
V. - PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE
Les questions difficiles et compliquées de la physiologie patholo-
gique des symptômes moteurs tels que la rigidité musculaire et les mou-
vements involontaires auraient besoin d'une investigation beaucoup
plus minutieuse (pie celle que je peux esquisser ici dans cette confé-
rence, et qu'il faut réserver pour une autre occasion, ,1e me borne au-
jourd'hui à quelques considérations générales sur les mouvements
1. « Spasmes ioniques et classiques de tout le corps ".
LA MALADIE DE WILSON \9
involontaires tels qu'on les constate dans le syndrome du corps strié.
1. Comme je l'ai soutenu il y a longtemps déjà, on peut diviser les
mouvements involontaires qui nous intéressent en deux principales
catégories : a) le tremblement et b) la choréo-athétose. Celui-là est un
mouvement d'un ordre différent de celui-ci et doit avoir aussi une
pathogénie différente. Sans répéter ici les considérations que j'ai déjà
avancées ailleurs, je veux dire simplement que le tremblement est un
« release-phenomenon » 1 et ne peut pas être considéré comme un mou-
vement d'excitation. On ne peut point expliquer le tremblement de la
maladie de Parkinson, qui dure des années, par une excitation perpétuelle
quelconque. Or, la lésion de la dégénération lenticulaire est une lésion
destructive et par conséquent elle n'est pas du tout la cause directe du
tremblement ; elle permet au tremblement de se développer, en suppri-
mant, à ce qu'on peut supposer, une influence inhibitoiresur des centres
situés plus bas. Mais, tandis que le tremblement est le mouvement invo-
lontaire commun qui résulte des lésionsdela dégénération lenticulaire,
il faut insister sur ce fait qu'il peut apparaître comme conséquence des
lésions éloignées des noyaux gris centraux, des lésions mésencépha-
liques (Holmes, Marburg), cérébelleuses (Klien, Pfeifer), etc. Evidem-
ment le corps strié n'est pas le seul siège des lésions qui déterminent
cliniquement le tremblement.
Ainsi on est amené à chercher une explication qui pourra comprendre
le tremblement d'origine extra-striée.
Pour l'athétose et la chorée, les mêmes considérations sont valables,
puisque, le corps strié mis à part, on les a trouvées dans des cas de
lésion de la couche optique, du cervelet, du pédonculecérébelleux supé-
rieur (Bindearmchorea) - du noyau rouge, etc.
2. Il semble, alors, que le problème de la pathogénie des mouve-
ments involontaires est bien loin d'être simple, et il me semble que
l'attribution de l'hyperkinésie aux seules lésions du corps strié n'en
fournit aucune explication suffisante. Dans le syndrome du corps strié
tel que je l'ai énoncé moi-même, les mouvements involontaires prennent
une place prépondérante, et M. et Mme Vogt aussi, dans leur dernière
et très intéressante communication, ont une fois de plus souligné le rôle
essentiel de ces mouvements dans le syndrome. Mais je ne peux pas
1. « Phénomène de relâchement. »
2. « Chorée de pédoncule cérébelleux supérieur. »
2 > S. l. K. WILSO \
admettre que le tremblement ou la choréo-athétose soient la propriété
spéciale du corps strié, et je ne peux pas partager l'avis de ces auteurs
lorsqu'ils parlent d'un « syndrome du corps strié d'origine thala-
mique », etc., pour expliquer, par exemple, des cas d'à thétose associée à
une lésion de la couche optique. Cela me semble mettre un peu de con-
fusion dans la question. Est-il vraiment légitime de parler d'un syn-
drome du corps strié d'origine cérébelleuse, mésencéphalique, pédon-
culaire ? J'en doute beaucoup. Il faut chercher une explication plus
compréhensive, pour l'athétose, comme je l'ai déjà essayé dans ma
monographie.
3. Une des plus grandes dillicultés de la question est de trouver un
éclaircissement de ce l'ait curieux et paradoxal, à ce qu'il me semble,
que des lésions de même siège provoquent quelquefois un tremblement
et quelquefois une choréo-athétose ; tout au moins il semble en être ainsi.
Ainsi j ai déjà constaté qu'un tremblement analogue à celui de la ma-
ladie de Parkinson est le mouvement involontaire le plus commun
dans la dégénération lenticulaire progressive, mais en même temps,
chez les malades dont les cas sont aigus, on a noté plusieurs fois des
mouvements rappelant davantage ceux de l'athétose, comme je l'ai dit
plus haut.
M. et Mme Vogt ont compris dans leur syndrome du corps strié
« Spasmus mobilis, choreatische und athetotische Bewegungen,
Zittern... ' » sans aucun essai de les différencierai! point de vue patho-
génique Ces auteurs disent seulement que toutes les hvperkinésies
qui résultent des lésions du corps strié, « substriàrer Natursind » 2, et
qu'ils ignorent « welche Momente dabei den speziellen Charakter der
Hyperkinese im einzelnen Fallbestimmen... Nureine Tatsache scheint
aus den bisherigen Beobachtungen hervorzugehen ; dass angeborene
oder in den ersten Lebensjahren àuftretende Schâdigungen des Slria-
tum die Tendenz haben, unter den Hyperkinesen athetotische Bewe-
gungen /u zeitigen » 3, une conclusion qui ne nous aide point à com-
prendre les mouvements athétoïdesde quelques cas aigus d'une maladie
certainement toxique et acquise '■ la dégénération lenticulaire progressive.
1. «Spasme mobile, mouvements ehoréiqueset athélosiques tremblements... »
2. « Sont de nature sons striée ».
3. « Quels facteurs déterminent tes caractères spéciaux de l'byperkinésie dans un cas
donné . l'n seul l'ait parait ressortir des observations laites jusqu'ici, c'est que les
légions congénitales du striatum eu se produisant dans les première! années de la vie
oui tendance, parmi les hvperkinésies, à produire les mouvements athétoldes. i
LA MALADIE DE WILSON 21
A mon avis, il est inconcevable qu'une lésion d'un mécanisme spéci-
fique anatomo-physiologique puisse produire parfois un tremblement,
parfois une athétose ou une cborée, et la seule hypothèse qui m'attire,
c'est qu'il y a deux mécanismes différents pour le tremblement et pour la
ehoréo-athétose ; et si, comme on doit l'admettre, une lésion du corps
strié se traduit parfois par un tremblement et parfois par une athétose,
cela peut s'expliquer par une action dynamique variable sur des méca-
nismes différents associés physiologiquement aux systèmes neuraux de
cet organe. J'ai déjà exposé ailleurs des arguments plaidant en faveur
de cette hypothèse.
Dans une récente communication à la Société de Neurologie, j'ai
essayé de jeter une lumière sur le problème de la pathogénie des mouve-
ments involontaires en étudiant les phénomènes de la décérébration
physiologique chez l'homme, et j'ai montré les rapports étroits entre
les attitudes athétoïdes et celles de la rigidité décérébrée. Or, dans la
décérébration par transsection mésencéphalique physiologique, les
corps striés n'existent plus, pour ainsi dire, de sorte que les attitudes
athétoïdes ne peuvent être produites que par d'autres centres qui per-
sistent. Le problème des rapports entre le corps strié et les centres més-
encéphaliques et cérébello-mésencéphalo-protubérantiels est encore à
résoudre. Aussi dois-je laisser de côté aujourd'hui beaucoup de ce que
je pourrais dire sur ce sujet d'un si grand intérêt neurologique qui est
la pathogénie des mouvements involontaires et leurs rapports avec le
tonus musculaire '.
1. Depuis la date de celle leçon (juin 1921) a paru la belle monographie de
H -C. Hu.l (de Copenhague) sur la dégénérescence hépato-lenticulaire, ou on peut
trouver tout ce qu'il y a de nouveau sur la question. Je me borne actuellement a
attirer l'atlention sur ce travail.
DEUXIEME CONFÉRENCE
M. le D' Ch. CHATELIN,
Chef de clinique des maladies nerveuses à la Faculté de médecine.
LES TUMEURS CÉRÉBRALES
Messieurs,
Il ne saurait s'agir en une seule leçon d'aborder d'une manière
détaillée l'étude des tumeurs cérébrales qui constituent un des plus
importants chapitres de la Neurologie.
Je me placerai donc surtout à un point de vue pratique, clinique, en
vous énumérant les éléments séméiologiques les plus certains qui per-
mettent le diagnostic d'une tumeur cérébrale.
Vous verrez, vous-mêmes, au cours de l'examen clinique des mala-
des, l'opposition malheureusement fréquente entre deux ordres de
symptômes, également nécessaires à l'exactitude et à la précision du
diagnostic : les signes généraux, d'une part, les signes de localisation,
d'autre part.
Parmi les signes, dits généraux, des tumeurs de l'encéphale, il en est
deux qui, tôt ou tard, apparaissent au cours de l'évolution de l'affection
et sans lesquels le diagnostic reste toujours réservé: ce sont la céphalée
et la stase papillaire.
Ces symptômes sont dus à l'élévation de la pression intracranienne
par le développement de la tumeur, et peut-être, dans une certaine
mesure, au passage dans le liquide céphalo-rachidien de principes toxi-
ques issus de la tumeur. Nous signalons cette dernière conception, de
date récente, et qui n'a pas encore subi de vérification assez précise pour
être admise avec certitude.
L'intensité, la précocité de ces manifestations sont variables avec le
siège de la tumeur ; par exemple, dans les tumeurs de la fosse céré-
brale postérieure ces symptômes sont souvent très précoces, ou au
contraire n'apparaissent qu'au stade ultime de l'affection.
Cil. CHATEL1N
Toutes les épithètes ont été épuisées pour caractériser l'intensité la
violence de la céphalée des tumeurs cérébrales, se, caractère inexorable.
(.uni. mie, ou survenant par crises ; souvent périodique, aggravée par
toutes les causes d'hypertension cérébrale : effort musculaire, toux
éternuement, changement déposition ; tantôt généralisée, tantôt, et lé
plus souvent, localisée à une zone plus ou moins étendue du crâne
région occipitale, région frontale, région pariétale!, elle s'accompagne
parfois d'une sensibilité douloureuse à la percussion, dans la région
où la céphalée est à sou maximum ; c'est là, lorsqu'on peut le
constater, un symptôme souvent précieux de localisation de la tumeur
C'est d'ailleurs seulement dans le cas où ce symptôme objectif existe
que le siège de la céphalée prend une valeur de localisation.
Bien souvent, en effet, le siège maximum de la céphalée est à
l'oppose du siège de la tumeur : par exemple, céphalée frontale pour les
tumeurs de la losse cérébelleuse.
Chose curieuse, il n'est pas exceptionnel de voir la céphalée, très
violente au début, de l'évolution du mal, s'atténuer progressive-
ment et ne survenir que par crises espacées, bien qu'il ne s'agisse pas
d un arrêt dans l'évolution de la tumeur, comme le montre d'ailleurs
1 aggravation des autres symptômes.
Nous n'insisterons pas sur les sensations vertigineuses, les vomisse-
ments de type cérébral, le ralentissement parfois impressionnant du
pouls et de la respiration, tous symptômes qui évoluent quelquefois
avec la céphalée, chaque crise plus violente de céphalée s'accompa-
gnant presque toujours de ce cortège de symptômes.
La stase papillaire qui se manifeste d'ordinaire pende temps après
1 apparition de la céphalée est sans doute le signe le plus essentiel à
constater.
C'est un fait objectif que tout médecin appelé à examiner un malade
suspect de néoplasme intraeranien doit être capable de rechercher lui-
même et de reconnaître le plus précocement possible. Il ne faut pas en
eflet attendre que le malade attire l'attention surles troubles visuels qu'il
peut présenter Bien souvent il n'existe aucun parallélisme entre l'état
objectif du fond de 1 œil et la diminution de l'acuité visuelle. Il importe
d interroger le malade avec précision : un symptôme d'une très ,,-ande
fréquence, par exemple, est l'existence de brouillards passagers oui
durent à peine quelques minutes ou se prolongent quelques heures
Obscurcissant plus ou moins la vision, e. auxquels le malade n'attaché
souvent pas grande importance.
LES TUMEURS CÉRÉBRALES
2&
Bien entendu, lorsque la diminution de l'acuité visuelle est considé-
rable le diagnostic est facile, mais il est alors trop tard pour sauver la
vue du malade; il ne faut
jamais oublier, en présence
d'un malade atteint de tu-
meur cérébrale, que l'acuité
visuelle restera définitive-
ment, ou presque, ce qu'elle
était au moment de l'inter-
vention chirurgicale pallia-
tive ou définitive ; c'est-à-
dire, que si le malade était
aveugle par les progrès de la
stase à ce moment, il restera
malgré toute intervention
un aveugle. Il faut donc, de
toute nécessité, se rendre un
compte exact de la valeur
fonctionnelle du nerf opti-
que : mesure de l'acuité
visuelle après correction de
la réfraction s'il y a lieu, me-
sure du cbamp visuel au pé-
rimètre pour la couleurblan-
cbe, et pour les autres cou-
leurs, examen du fond d'œil.
On peut voir, en effet, les
dissociations les plus Va- Fig. 1. — A. Coupe normale du nerf optique suivant son
axe, avec la pupille et li portion de rétine a voisinante,
nées : Stase très marquée On voit que la gaine arachnoïdienne est à peine visible,
. , on aperçoit dans l'axe du nerf I artère et la veine réti-
aveC aCUlte normale Stase nienne. La papille, à peine saillante, présente une légère
,, 1-f' , ■• '* A dépression en son centre. R, rétine ; C. choroïde ; S. sclé-
treS légère avec grOS retre- rotique : NO. nerf optique ; A et V, artère et veines
fisspmpnt plnb.nl du rliamn du N °-; P> PaPille J L.C, laine criblée Ar, arachnoïde ;
tlSSemeni giooai Ull Clldllip r S.A, e>pac- sus-arachnoïdien ; P.M., pie mère.
visuel rétrécissement du R La même coupe dans un cas de stase papillaire. Dans
son ensemble le nert est diminue de volume, la papille est
C'bamp de la VISlOIl des COU- fortement saillante, les veines sont dilatées et les artères
rétrécies. L'espace sous-arachnoïdien n'est plus viituel,
leurs Seulement — dlSpai'l- mais fortement agrandi.
tion de la vision des couleurs.
Tous ces symptômes doivent être exactement recherchés et suivis
dans leur évolution.
Lorsque la stase existe, ce symptôme objectif ne permet plus le
doute. Les veines de la papille apparaissent d'abord dilatées et légère-
£.5.A.
RM
26 <:n. CHA i il i \
ment Qexueuses, puis le bord de la papille s'estompe légèrement, sou-
vent sur une partie seulement de son contour. Un degré de plus, la
papille devient saillante et s'étale, ses bords s'elïacent complètement ;
les veines plus grosses, plus tlexueuses, disparaissent dans l'œdème au
moment où elles atteignent la papille, tandis que les artères s'effacent
presque complètement. La papille elle-même se distingue à peine de la
rétine, et c'est en suivant la convergence des vaisseaux à l 'ophtalmos-
cope qu'on peut la retrouver. Souvent de petites taches hémorragiques
parsèment la papille et la région de la rétine la plus voisine.
L'aspect ophtalmoscopique de chaque œil n'est souvent pas identi-
que, du moins au début, et l'on peut ainsi parfois constater l'existence
pendant plusieurs semaines d'une stase papillaire unilatérale. Cette
prédominance unilatérale de la stase n'est d'ailleurs pas, comme on
pourrait le croire, un élément important dans le diagnostic de la loca-
lisation, car elle peut très bien se voir du côté opposé au siège delà
tumeur. Avec les progrès de la compression cérébrale la stase atteint
d'une façon symétrique les deux nerfs optiques, et si le chirurgien
n'intervient pas, on voit peu à peu blanchir la région papillaire, l'œdème
jaunâtre de la papille fait place à une blancheur progressive qui annonce
l'atrophie du nerf. Les veines, moins turgescentes, restent tlexueuses,
les contours de la papille réapparaissent, mais le disque, d'un blanc
éclatant, au lieu d'être net, comme dans l'atrophie optique tabétique par
exemple, reste irrégulier et comme etïiloché sur ses bords.
A ce moment l'acuité visuelle est à peu près nulle : c'est à peine si le
malade peut distinguer la lumière de l'obscurité. Cette stase papillaire
est au premier chef une manifestation de l'augmentation de pression
intracranienne, et comme une vision directe de l'hypertension. Cette
compression détermine dans la gaine du nerf optique, une stase lym-
phatique qui déborde jusqu'à la papille et la recouvre. Cette stase
lymphatique peut également se produire au niveau du nerf acoustique,'
entraînant une surdité progressive du type central par atrophie de la
huitième paire. Même au niveau des culs-de-sac arachnoïdiens, des
nerfs rachidiens, par le même mécanisme se produira quelquefois une
dégénération et une atrophie des racines rachidiennes postérieures.
Cette dégénération se manifeste par une abolition des réflexes tendi-
neux, rotuliens, achilléens ; ce fait n'est pas exceptionnel au cours de
révolution de certaines tumeurs cérébrales.
Il est enfin deux ordres de symptômes qui témoignent eux aussi île
l'hypertension intracranienne, mais sont d'une observation moins
LES TUMEURS CÉRÉBRALES 27
constante que la céphalée et la stase : ce sont les troubles psychiques et
les crises comitiales. Il est habituel de constater, chez les malades qui
présentent une céphalée particulièrement tenace, une sorte de torpeur,
de demi-sommeil, d'engourdissement psychique qui apporte avec lui
un soulagement relatif. Mais comme nous le verrons, ce ralentissement
de tous les processus psychiques s'observe avec une particulière fré-
quence et assez précocement lorsque la tumeur siège dans certaines
régions du cerveau. Dans quelques cas, cet état mental très particulier
éclaire le diagnostic en l'absence d'autres symptômes caractéristiques.
Beaucoup plus rarement observe- t-on des phénomènes d'excitation
psychique et des troubles mentaux de caractère démentiel.
Les crises comitiales ne sont pas une manifestation banale ; elles
peuvent s'observer très précocement au cours de l'évolution d'une
tumeur cérébrale, avant tout autre symptôme, des mois, nous dirions
presque des années avant toute céphalée, avant la moindre modifica-
tion du fond de l'œil. Malheureusement ces crises comitiales, du type
le plus classique d'ordinaire, ne constituent pas un élément séméiolo-
gique qui permette de localiser le point de départ de la crise, ni même
de présumer qu'une tumeur cérébrale est en cause.
Nous en dirions autant des crises jacksoniennes qui, si elles ne s'ac-
compagnent pas d'autres symptômes que nous étudierons plus loin,
n'ont pas de valeur localisatrice davantage, comme on pourrait le croire.
Un bon nombre de tumeurs cérébrales évoluent ainsi avec un cortège
de symptômes généraux, qui témoignent de l'hypertension intracra-
nienne, sans qu'aucun autre signe clinique permette de préciser le siège
de la tumeur. Tout "au plus l'étude de la réflectivité ostéo-tendineuse, la
présence delégers troubles cérébelleux plus ou moins dimidiés, permet-
tent-ils de localiser la compression cérébrale dans la moitié droite ou
gauche de l'encéphale.
Une localisation précise est d autant plus difficile que les signes géné-
raux d'hypertension sont plus marqués et que « les actions à distance »
se font d'autant mieux sentir, ce qui complique singulièrement la tâche
du clinicien.
SIGNES DE LOCALISATION
Etudier en détail les signes de localisation cérébrale serait passer en
revue tous les syndromes de lésion en foyer du cerveau. Malheureu-
sement, ces signes de localisation ne sont jamais, dans les tumeurs
cérébrales, aussi précis, aussi constants, aussi définitifs que dans les
lésions en foyer du cerveau, par ramollisemcnt par exemple. Aussi la
I //. III \ I II I \
séméiologie des tumeurs cérébrales est-elle loin de fournir, comme on
pourrait le noire, des données incontestables par l'étude de localisation
cérébrale.
Nous passerons doncen revue les groupes des symptômes qui per-
mettent de considérer comme très probable la localisation d'une tumeur
eu unv région déterminée du cerveau.
1° Tumeurs du lobe frontal. — Les tumeurs du lobe frontal se
manifestent par des troubles psychiques et des troubles moteurs d'allure
particulière.
Les troubles psychiques réalisent de la façon la plus complète le
syndrome mental propre aux tumeurs cérébrales, c'est-à-dire le
ralentissement extrême de tous les processus psychiques. On
interroge le malade, on lui demande son nom, on lui donne un ordre
simple à exécuter, on lui pose un problème de calcul insignifiant : le
malade répond ou agit correctement, mais il s'écoule un temps fort
long : vingt secondes, quarante secondes, une minute, entre Tordre
et l'exécution ; ou bien la réponse vient à une epuestion lorsqu'une
autre est déjà posée, et pendant ce temps le visage reste immobile, sans
expression, ou garde un air de vague béatitude. Souvent la parole est
lente, traînante, quelquefois scandée. Quelquefois on est tout surpris
d'entendre le malade répondre par une plaisanterie, faire un jeu de
mots: ce puérilisme, cette euphorie ont depuis longtemps attiré l'atten-
tion des auteurs.
Les troubles moteurs sont très particuliers ; il ne s'agit pas de phé-
nomènes parétiques, bien qu'on puisse voir dans certains cas apparaître
une hémiparésie lentement progressive par action à distance sur les
circonvolutions rolandiques ; on constate bien plus souvent une rigidité
qui porte surtout sur les muscles du cou et du tronc, quelquefois symé-
triquement, ce qui donne au malade un aspect figé, une attitude qui
rappelle celle des parkinsoniens. Cette hypertonie peut être dimidiée et
le malade se tient plus ou moins incliné d'un côté, comme s'il présentait
une scoliose. L'apparition de cette rigidité si particulière tient peut-être
aux connexions anatomiqi tes importa n tes qu i existeraient, d'après certains
auteurs, entre le lobe frontal et l'appareil strié. lTne autre manifestation
d'ordre moteur, et d'ailleurs rarement observée, est l'ataxie : « ataxie
frontale » dont le mécanisme nous est fort mal connu et qui, pour cer-
tains auteurs, serait simplement une asynergie par action à distance sur
le cervelet.
Enfin il est un signe qui appartient presque exclusivement aux
LES TUMEURS CÉRÉBRALES
29
tumeurs de la face inférieure du lobe frontal ; c'est Y atrophie progres-
sive du nerf optique, sans stase, par compression directe du tronc ;
il n'est pas rare, par l'examen périmétrique, de déceler dans ce cas un
déficit unilatéral du
champ visuel, un déficit
en secteur plus ou moins
.irrégulier, constatation
qui pourrait tromper un
observateur inattentif et
faire croire à une hé-
mianopsie.
Par le même proces-
sus de compression di-
recte le nerf olfactif
peut être atteint, et le
llialnde Orésentei* de l'a- ^'8- -■ — Coupe tran»versale et verticale passant par les deux
* lobes frontaux à leur panie moyenne et montrant la lompies-
nOSmie ' la recherche de s'on directe du nerf olfactif et du nerf optique par les tumeurs
de la partie inférieure du lobe frontal. 'Seule la base du crâne
l'anOSmie est tOUJOUrS a été représentée scbématiquement sur ce dessin).
assez délicate ; aussi le
sens de l'odorat doit être soigneusement interrogé lorsqu'on se trouve
en présence d'une tumeur cérébrale sans localisation précise.
Bien souvent d'ailleurs, malgré ces symptômes très particuliers, mais
souvent très peu accentués, la tumeur frontale passe inaperçue et se
découvre à l'autopsie.
Il n'en est pas de même des tumeurs de la région rolandique, qui
sont de celles que l'on peut localiser avec le plus de précision.
2° Les tumeurs rolandiques. — A 1 inverse des tumeurs frontales,
les tumeurs rolandiques, c'est -à dire les tumeurs qui atteignent la
circonvolution ascendante frontale, etla pariétale ascendante sont rare-
ment latentes ; elles semanifestent par des symptômes d'irritation, puis
de déficit, qui précèdent souvent de longtemps, des mois et même
des années, — les signes d'hypertension intracranienne.
Bien que les travaux récents montrent que la circonvolution frontale
ascendante est exclusivement motrice, et la pariétale ascendante
exclusivement sensitive, il existe rarement une sémiologie purement
motrice ou purement sensitive, pour les tumeurs rolandiques, mais
on peut dire que, suivant les cas, les symptômes moteurs sont les
premiers en date ou restent au tout premier plan ou au contraire les
troubles sensitifs.
30
Cil. cil VTEL1 v
Les troubles moteurs, qui appartiennent donc avant tout aux tumeurs
(/<• lu frontale ascendante, consistent le plus souvent au début et même
d'une Façon exclusive pendant fort longtemps, en crises jacksoniennes.
Ces crises jacksoniennes, que nous ne décrirons pas, débutent par un
segment de membre (pied, main, épaule) ou par la Face et toujours par ce
même segment chez un même malade ; elles peuvent pendant des mois
rister localisées au pied ouà la main, sans présenter le caractère extensif
habituel ; bien plus, la crise peut se limiter à un ou deux doigts, et
Rolando
Sylvius
Fig 3. — Topographie des centres moteurs dans l'écorce cérébrale d'après
Horsley. Les centres moteurs siègent uniquement dans la frontale
ascendante. Les centres moteurs des muscles du tronc et de la nuque
sont, par contre, les plus antérieurs i Pied de FI et F2 . ce qui explique-
rait l'atteinte précoce de la musculature du tronc et de la nuque dans les
tumeurs du lobe frontal. (PC. : pli courbe ; GS. Cyrus supramarqualis.)
même au gros orteil, comme nous l'avons vu pendant des mois chez un
de nos malades. Le plus souvent, et surtout lorsque la tumeur atteint
un certain volume, les secousses cloniques débutent toujours par le
même segment, gagnent progressivement le membre entier, puis la
moitié du corps suivant la règle classique, c'est-à-dire du membre supé
rieur à la lace, ou du membre inférieur au membre supérieur, puis à la
lace, crise qui peut se terminer par la perte de connaissance du malade.
Mais si la valeur localisatrice de crises jacksoniennes très limitées et
de répétition régulière, est grande, elle l'est infiniment plus lorsqu'elle
s'accompagne d'un déficit moteur persistant, même très limité dans le
membre OU segment de membre par lequel débute la crise ; par exemple,
dans le cas auquel nous Taisions allusion plus haut, après de nombreuses
crises jacksoniennes limitées au gros orteil du pied droit, se manifesta
une parésie de la Qexion dorsale des orteils, puis du mouvement de
LES TUMEURS CÉRÉBRALES 31
relèvement du pied. L'intervention chirurgicale permit de découvrir
une tumeur bien limitée exactement localisée à la partie supérieure de
la frontale ascendante gauche. Dans ces cas de tumeur de la région
rolandique, il n'est donc pas rare de voir succéder à la crise jackso-
nienne une monoplégie brachiale ou crurale plus ou moins complète et
finalement une hémiplégie si l'intervention chirurgicale ne fait pas
cesser la compression progressive de la frontale ascendante et de la
substance blanche sous jacente. Hémiplégie lentement progressive qui
s'accompagne des modifications habituelles de la réflectivité et souvent
de troubles dysarthriques ou même d'anarthrie lorsqu'il s'agit d'une
compression de la région rolandique gauche.
Il est deux symptômes intéressants sur lesquels nous voulons attirer
l'attention, et que l'on n'observe guère que dans les tumeurs cérébrales,
tumeurs superficielles corticales de la frontale ascendante
Ce sont d'abord des phénomènes d'automatisme constitués par l'abo-
lition de la motilité volontaire avec conservation des mouvements auto-
matiques. Par exemple chez le malade cité plus haut le relèvement
volontaire des orteils était impossible, mais quand le malade marchait,
les orteils du côté paralysé se relevaient aussi correctement que les
orteils du côté sain ;-autre phénomène : même lorsqu'on faisait plier le
genou fortement du côté malade, il se produisait un mouvement automa-
tique de relèvement des orteils. L'autre symptôme qui, comme le précé-
dent, aune valeur de localisation corticale, est le réflexe d'adduction du
pied, l'excitation du bord interne du pied dans toute sa longueur amène
un mouvement réflexe d'adduction du pied (Pierre Marie et H. Meige),
alors que la recherche du réflexe cutané plantaire suivant la technique
de Babinski ne donne pas de réponse ou une flexion de l'orteil.
Ces deux symptômes, que nous avons observés chez plusieurs malades
atteints de tumeur rolandique, ont donc une très grande valeur poin-
ta localisation corticale d'une tumeur rolandique. Ils avaient été obser-
vés, étudiés et décrits par le professeur Pierre Marie et ses élèves chez
les blessés de guerre, atteints de blessures superficielles de la région
rolandique.
Les tumeurs qui atteignent plus particulièrement la pariétale
ascendante peuvent donner lieu, au début, à des symptômes décrits sous
le nom cYépilepsie sensitiue (Pitres). Cette épilepsie jacksonienne
sensitive a les mêmes caractères que l'épilepsie motrice : début par un
segment de membre, même par un ou deux doigts, avec extension pro-
gressiveà toutle membre avec ou sans perte de connaissance terminale :
le malade accuse une sensation de fourmillement, (l'engourdisse-
cil. CHATEL1N
ment dans le pouce et l'index par exemple, sensation qui gagne pro-
gressivement l'avant-bras, le bras, la Face et cesse au moment où le
malade perd conscience. Dans ce-cas encore l'étude des troubles objec-
tifs delà sensibilité, persistants et lixes entre les crises, a la plus haute
importance pour le diagnostic certain de la localisation. Les modalités
les plus variées de troubles sensitifs peuvent être observées ; avec les
dissociations les plus diverses, suivant chaque cas, mais il est une dis-
position assez particulière des troubles sensitifs qu'il faut connaître.
parce qu'elle permet de reconnaître précocement la localisation corti-
Rolando
Fig. 4 — Centre moteur et sensitif en quadrillé pour le bord cubital de la
main Fa Pa et partie potérieure de Fl) Centre moteur et sensitif pour
le bord radial de la main ien hachures serrées obliques! pied des circonvo-
lutions Fl et F2, tt partie inférieure de Fa et Pa. (D'après M" Benisti.)
cale de la tumeur, c'est la disposition pseudo- radiculairc , dont la réali-
sation est particulièrement nette au membre supérieur dans son segment
distal ; le déficit sensitif peut ainsi occuper les deux derniers doigts
de la main et le bord cubital de l'avant-bras ou les trois premiers doigts
et le bord radial. La perte du sens stéréognostique, comme nous avons
pu le constater dans plusieurs cas, peut être également limitée aux pre-
miers doigts de la main ou aux derniers ; cette topographie particulière
du déficit sensitif est due à une localisation différente de la lésion corti-
cale : versant antérieur delà pariétale ascendante pour la topographie
radiale, versant postérieur pour la topographie cubitale ; ces faits ont
été particulièrement mis en évidence par M Benisti dans son tra-
vail sur les blessures de la région rolandique.
Avec l'évolution de la compression, on peut voir ainsi s'établir une
hémi-anesthésie de toute une moitié du corps, présentant, comme nous
LES TUMEURS CÉRÉBRALES
33
l'avons dit plus haut, les dissociations les plus variées, mais il est
important cependant de noter que les troubles sensitifs sont toujours
beaucoup plus marqués à l'extrémité des membres qu'à leur racine.
Sur le tronc, les troublesde la sensibilité sont en général peu marqués
et la limite du déficit sensitif n'atteint pas d'ordinaire la ligne médiane,
mais s'arrête à plusieurs centimètres de cette ligne.
On voit donc combien l'apparition si rapide des symptômes moteurs
ou sensitifs, alors que la compression est simplement corticale, permet
de faire précocement le diagnostic de tumeur de la région rolandique
Rolando
Fig. 5. — Topographie corticale de la sensibilité- Hachures horizontales
interrompues : sensibilité superficielle ; hachures verticales continues :
sensibilité profonde. On voit que l'aire de la sensibilité profonde s étend
à la 1" et 2" pariétale, et assez loin en arrière.
et d intervenir utilement. Dans le cas que nous citions plus haut, le
malade ne fut opéré que cinq ans après le début des crises jacksonien-
nes, car c'est seulement cinq ans après le début des troubles moteurs
qu'apparurent la stase et la céphalée.
3° Tumeurs du lobe pariétal. — Les tumeurs du lobe pariétal
(P, et P.,) proprement dit, lorsqu'elles ne sont pas latentes, se mani-
festent elles aussi et avant tout par des troubles sensitifs ; troubles
sensitifs d'un type particulier : perte de la notion de position, de
déplacement des membres, en somme, perte de la sensibilité dite
profonde. On sait en effet que si la représentation corticale de la
' sensibilité superficielle siège surtout dans la pariétale ascendante, la
représentation des sensibilités profondes s'étend à la première et
deuxième pariétale dans presque toute leur étendue.
CONHKIi. NKl'HOI. . - 3
; I ( //. Cil Mil I \
C.v déficit de la sensibilité profonde peut se manifestera la suite de
véritables crises jacksoniennes sensitives. Dans un cas fort curieux
que nous avons pu observer, la malade, au moment de la crise,
éprouvait la sensation d'une gesticulation extrêmement violente de
s. mi bras droit, alors que ce bras restail parfaitement immobile sur
le lit.
L'opération montra ultérieurement l'existence d'une grosse tumeur
pariétale au voisinage de la taux du cerveau.
l'n autre symptôme plus rarement observé, mais qui n'est que la con-
séquence de cette perle de la notion de position et du sens des attitudes,
est l'ataxie, qui peut être limitée à un membre et rappelle de fort près
l'ataxie tabétique, avec cette différence cependant que l'occlusion des
yeux n'accentue pas beaucoup les phénomènes ataxiques.
4° Tumeurs du lobe temporal. — La sémiologie des tumeurs du
lobe temporal, du moins du lobe temporal droit, nous est actuellement
tout à fait inconnue. Tous les symptômes observés sont des symptômes
d'action à distance : compression de la voie pyramidale, de la voie sen-
sitive, des voies optiques, des paires crâniennes qui traversent la
fosse cérébrale moyenne. A ce moment la tumeur a déjà atteint un
volume considérable.
Etud ier les tumeurs du lobe temporal gauche, ce serait reprendre
l'étude de l'aphasie. Nous rappelerons donc seulement que les tumeurs
de la région postérieure des trois premières temporales se traduisent par
l'apparition progressive d'une aphasie de Wernicke, caractérisée par
la conservation plus ou moins complète du langage extérieur avec
perte du langage intérieur, c'est-à-dire perte de la dénomination des
objets, perte de la lecture, de l'écriture, et surtout perte de la com-
préhension du langage, ce déficit intellectuel spécialisé étant l'élément
fondamental de l'aphasie.
11 est assez rare d'observer en clinique I évolution d'une aphasie par
tumeur cérébrale ; dans les quelques cas que nous avons pu suivre, ce
qui permit de faire le diagnostic de compression cérébrale lut la
variabilité îles symptômes ou plutôt leur aggravation progressive —
car on sait combien d'un jour à l'autre, l'état d'un aphasique est
variable, même lorsqu il S agit d'une lésion définitive comme le ramol-
lissement et nullement susceptible d'extension. Dans un cas que nous
avons étudié, le malade, qui était au début nn aphasique sensoriel
typique, un aphasique bavard, devint insensiblement un aphasique
île Braco avec une anarlhrie presque complète.
LES TUMEURS CÉRÉBRALES
35
5° Tumeur du lobe occipital. — Les tumeurs du lobe occipital
sont assez rares, et le diagnostic précis est rarement posé. Ce fait
tient à ce que la sémiologie propre de ces tumeurs est d'ordre visuel.
On sait en effet combien l'apparition brusque d'une hémianopsie par
ramollissement cérébral chez un malade est fréquemment méconnue
et par le malade et par le médecin ;
aussi, lorsque cette hémianopsie
apparaît progressivement par la com-
pression des voies optiques, le malade
n'en a généralement pas conscience.
Surtout cette compression des voies
optiques, lorsqu'elle n'est pas très
accentuée, se traduit non par une hé-
mianopsie, mais par une hémiachro-
matopsie, qu'on néglige le plus sou-
vent de rechercher. Lorsque la com-
pression est assez forte pour qu'il y
ait réellement hémianopsie, les phé-
nomènes d'hypertension sont eux
aussi assez accusés pour qu'une stase
plus ou moins rapide apparaisse. On
sait en effet avec quelle précocité
apparaît la stase papillaire au cours
de l'évolution des tumeurs de la
f^„„„ „■ -U 1„ _ x' • \ F'£ -u — Coupe horizontale de l'hémisphère
losse cérébrale postérieure. A ce gaucne, pas^nt immédiatement au-dessous
moment, il est trop tard pour faire d" bourrelet et du genou du corps calleux
I I L ne tumeur siégeant dans le lobe occipital
Une étude Valable du Champ visuel. comprimera d'abord les voies optiques (hé-
1 miachromatopsie, puis hémianopsie), puis la
C est donc SOUVent par des actions zone de Wernicke et même la capsule interne
.. (aphasie de Wernicke et hémiparésie) CO,
(l distance que Se reconnaîtra Une couche optique, CI. capsule interne: XL.
• .,i > • i itt noyau lenticulaire. VL, ventricule latérale ;
tumeur occipitale : aphasie de \\ er- xc, noyau caudé.
nicke souvent associée à des troubles
de l'orientation pour les tumeurs de l'hémisphère gauche, phénomènes
de compression cérébelleuse
, ~2>_~ Voies
optiques
Ca/carine
Nous n'insisterons pas sur les tumeurs des ganglions centraux ou du
centre ovale. Ces tumeurs ne se traduisent d'ordinaire que par
les signes généraux d'hypertension qui évoluent presque isoles,
sans qu'un autre symptôme permette une localisation précise ; ou
bien lorsque ces symptômes pourraient être observés, ils sont masqués
par l'intensité des signes d'hypertension, et les actions à distance. On
(II. Cil \ I I I I \
piui alors commettre 1rs plus graves erreurs de localisation ; tout au
plus, comme nous le disions plus haut, peut-OD reconnaître, et bien
souvent d'une façon hésitante, dans quelle moitié droite ou gauche de
la huile crânienne siège la tumeur.
Il en est tout autrement des tumeurs du cervelet, qui sont une des
variétés les plus Fréquemment observées des tumeurs de l'encéphale.
TUMEURS DU CERVELET
Cliniquement, on peut distinguer deux grands types de tumeurs du
cervelet: les tumeurs intracérébelleuses et les tumeurs cxlracérébel-
leuses, ce dernier type étant presque toujours avec quelques variantes
la tumeur de l'angle ponto-cérébellenx.
Les tumeurs proprement dites du cervelet, tumeurs intracérébel-
leuses, se caractérisent par l'intensité, la précocité des signes d'hyper-
tension intracranienne : céphalée très intense qui oblige quelquefois
le malade à prendre des positions bizarres pour obtenir un léger
soulagement : attitude en chien de fusil, en opistothonos, en position
génu-pectorale — vertiges et vomissements persistants — stase d'évolu-
tion rapide, puis très rapidement apparaissent les troubles de la sta-
tique :1e malade ne tient debout que lesjambes écartées ; s'il rapproche
les pieds, il perd l'équilibre tout d'un bloc et presque toujours dans le
même sens, souvent en arrière avec entraînement latéral associé.
Cette chute en arrière si constante serait due à la compression du ver-
mis, qui survient rapidement dans les tumeurs intracérébelleuses. La
marche du malade est typique : c'est la démarche titubante et feston-
nante avec élargissement de la hase de sustentation. Il est important
de remarquer combien, si la tumeur siège en plein cervelet, les troubles
de la statique, la perte de l'équilibre au repos et pendant la marche,
l'emportent sur les troubles de la synergie des membres. C'est à peine
si chez ces malades on note du tremblement intentionnel, ou de l'hvper-
métrie dans les mouvements segmentaires, alors que ces symptômes
sont au contraire au premier plan, lorsqu'on est en présence de lésions
des faisceaux cérébelleux médullaires ou des pédoncules cérébelleux.
Avec les progrès de la compression apparaissent bientôt des signes
protubérantiels, troubles de la déglutition, troubles delà phonation, qui
s'ajoutent à la dysarthrie cérébelleuse, hyperréflectivité tendineuse et
phénomène de l'orteil, qui indiquent la compression progressive des
voies pyramidales.
LES TUMEURS CÉRÉBRALES 37
Autant l'évolution de ces tumeurs intracérébelleuses est rapide et
grave, autant les tumeurs extracérébelleuses, les tumeurs de V angle
ponto- cérébelleux manifestent de bonne heure leur présence par une
atteinte précoce des paires crâniennes. Aussi la tumeur de l'angle
ponto-cérébelleux réalise-t-elle un tableau clinique tout à fait caracté-
ristique.
Dans sa forme typique, la séméiologie de la tumeur de l'angle ponto-
cérébelleux se caractérise par l'atteinte de deux paires crâniennes au
moins : le facial et l' auditif, une hémiplégie cérébelleuse homolatérale,
une hémiplégie ou hémiparésie pyramidale croisée.
L'atteinte du facial peut se révéler par une séméiologie très variée ;
ce sera par exemple un hémispasme facial essentiel absolument typi-
que, sans aucun phénomène paralytique, mais il s'agira d'un individu
d'un certain âge qui accusera un léger trouble de l'équilibre, et chez le-
quel l'examen révélera une diminution de l'audition du même côté. Cet
hémispasme pourra exister, isolé pendant des mois ou des années.
Dans un autre cas, toujours chez un individu ayant atteint la cinquan-
taine, on se trouvera en présence d'une paralysie faciale massive flasque
la plus totale qu'on puisse voir, de tj'pe périphérique, survenue pro-
gressivement : presque toujours elle s'accompagnera d'une surdité
plus ou moins complète de l'oreille du môme côté, et l'examen spécial
de l'audition montre alors qu'il s'agit d'une surdité de type central par
lésion du labyrinthe ou du nerf acoustique. Enfin clans un troisième
cas, la paralysie faciale sera d'un type plus spécial : dans le territoire du
facial supérieur ce sera la paralysie flasque avec effacement des rides
du front, impossibilité de relever le sourcil, impossibilité de fermer
la paupière, signe de Charles Bell; dans le facial inférieur, au con-
traire, il y aura du spasme, le pli nasogénien sera plus accusé que
du côté sain, la commissure des lèvres se relèvera quand le malade
parlera ou essaiera de fermer les yeux, les muscles de la houppe du
menton creuseront une fossette et l'on verra de petites secousses fas-
ciculaires dans les muscles du menton, des lèvres, de l'aile du nez; cette
curieuse forme de paralysie faciale : flasque dans la moitié supérieure
delà face, spasmodique dans la moitié inférieure, a été décrite par
Oppenheim ; elle est presque caractéristique des tumeurs de l'angle
ponto- cérébelleux.
La 8e paire peut également être atteinte isolément pendant fort long-
temps : surdité progressive de type central, c'est-à-dire par compres-
sion de la 8e paire, comme le montrent les épreuves acoustiques, et dis-
parition desréllexes vestibulaires par compression du nerf vestibulaire :
cil. CHATELIh
Entrecroisement F. pyramida/
pyramidal dégénéré
suppression de toutes les réactions labyrinthiques normales provoquées
parla rotation, le courant voltaïque, l'injection d'eau froide OU chaude
Protubérance dans le conduit auditif
(Barany), c'est-à-dire ab-
sence de nystagmus pro-
voqué, et de chute du
corps.
Avec ces deux paires
crâniennes, les plus fré-
quemment, les plus cons-
tamment paralysées, en
peut observer plus rare-
ment une paralysie de la
sixième paire se tradui-
sant par un strabisme
interne de l'œil, une para-
lysie plus ou moins com-
plète du trijumeau moteur
ou sensitif dont l'atteinte
se manifeste très préco-
cement avant tout autre
signe, par l'abolition du
réflexe cornéen.
Toutes ces paralysies
des paires crâniennes
F g 7- — Tumeur de 1 angle ponto-cérébelleux. — A. La donnent le siège CXOCt de
tumeur est en place ; elle comprime fortement la Vil et la ■ 1.
VIII paire qu'on aperçoit sous le rebord inférieur de la 'a lUmCUl' Kl OU CCS paU'CS
tumeur, refoule la V' et la VI' paire et déprime fortement la Q01.»ont Aa la nmhil»/,
moitié gauche de la protubérance et le pédoncule oérébel- M,llt-Ul u* "> ptUllIDL-
leux moyen et inférieur gauche. Il se produit une dégénéra- rflnPP nrès (lu hnlh<> T -i
t.on pyramidale croisée, c'est-à-dire du côté opposé à la ltU1Ce P,tS "UDUIDl. I -.1
tumeur. On voit cette dégénération sur la coupe de la moelle tnillCUr sièiiC dll CÔté tll's
siégeant sur la figure au-dessous de l'entrecroisement des . ,
pyramides. paires crâniennes para-
lysées.
Avec l'évolution de la tumeur, souvent d'accroissement très lent, au
bout de quelques mois, même quelques années, la compression du cer-
velet se traduit par les signes d'une hémiplégie cérébelleuse homola-
lérale : c'est-à-dire hypermétrie dans les mouvements commandés du
membre supérieur et inférieur du même coté — Adiadoeocinésie
unilatérale — réflexe tendineux pendulaire — latéropulsion le plus
souvent du côté de la compression — nystagmus latéral variable. No-
tons, dès maintenant, l'inclinaison permanente inconsciente fréquent-
LES TUMEURS CÉRÉBRALES 39
ment observée de la tête vers l'épaule du coté où siège la tumeur, c'est
un bon signe localisateur également.
Quant aux signes pyramidaux, ils apparaissent généralement en der-
nier lieu; il ne s'agit pas à proprement parler d'hémiplégie, mais
d'une légère spasmodicité pyramidale se traduisant par de l'exaltation
du réflexe tendineux des membres du côté opposé à la tumeur; le
réflexe plantaire est souvent en extension.
Si l'un n'intervient pas et que la compression s'accentue, on voit pro-
gressivement des troubles pseudobulbaires apparaître par compression
protubérantielle : trouble de la déglutition et de la phonation — exten-
sion bilatérale du gros orteil — hyperréflectivité ostéo-tendineuse gé-
néralisée. Les troubles cérébelleux ne restent plus strictement dimi-
diés, mais gagnent les membres du côté opposé. A ce moment les signes
généraux d'hypertension intracranienne sont tout à fait caractérisés.
TUMEURS DE L'ISTHME DE L'ENCÉPHALE
Nous n'étudierons pas les tumeurs des pédoncules de la protubérance
du bulbe, — d'ailleurs très rares, — du 4e ventricule; elles sont essentiel-
lement caractérisées par l'intensité et l'extrême rapidité d'apparition
des phénomènes d'hypertension due au blocage des ventricules, — les
phénomènes pseudo-bulbaires d'évolution rapide et la quadriplégie.
LES TUMEURS CÉRÉBRALES AUX DIFFÉRENTS AGES
Comme dans la plupart des affections du système nerveux, il est fort
intéressant de constater qu'aux différents âges se développent des
tumeurs différentes quant à leurs particularités cliniques, leur siège,
leur rapidité d'évolution et le pronostic qu'elles permettent après l'in-
tervention chirurgicale.
Dans les premiers mois de la vie, les tumeurs cérébrales sont fort
rares; il s'agit desimpies curiosités anatomiques, de tératomes, d'in-
clusions fœtales, qui ne permettent d'ordinaire qu'une survie très
limitée.
Par contre, entre 5 et 12 ans, on voit se développer chez l'enfant avec
une très grande fréquence et d'une façon presque exclusive, les tumeurs
inlracérébelleuses. L'évolution rapide de ces tumeurs s'accompagne de
céphalée intense avec vomissements, de perle rapide de la vision et de
troubles généraux delà statique et de la marche, il n'est pas rare à cet
âge de voir apparaître un certain degré d'hydrocéphalie et un symptôme
vraiment particulier aux tumeurs de l'enfant, la déhiscence 1res légère
1" (II. (Il \ I II I \
des os du crâne sous l'influence de l'hypertension. Cette déhiscence des
sutures se manifeste cliniquement à la percussion du crâne par un
bruit de pot fêlé tout à fait caractéristique lorsqu'on percute avec le
doigt la région moyenne de l'os pariétal. On a même signalé-ehez ren-
iant, lorsque l'évolution de l'affection est assez lente, un amincissement
considérable et même une trépanation spontanée des os du crâne.
Chez la jeune femme et particulièrement au cours de la grossesse ou
dans les mois qui suivent, s'observent parfois des tumeurs cérébrales,
d'évolution extrêmement rapide, avec forte hypertension et d'un pro-
nostic extrêmement grave, menant la malade à la cécité et au coma en
quelques mois, sans cpie les signes de localisation puissent se préciser.
11 s'agit le plus souvent de gliome infiltrant de la substance blanche d'un
hémisphère ou des ganglions centraux.
Che: l'adulte on rencontre soit les gliômes infiltrants, soit, avec une
fréquence malheureusement moins grande, les tumeurs à point de départ
méningé dont le pronostic est si différent grâce à la possibilité d'une
intervention chirurgicale définitive.
Enfin après cinquante ans, la tumeur cérébrale la plus fréquemment
constatée est la tumeur à point de départ méningé, en particulier la
tumeur de l'angle ponto-cérébelleux ou les fibromes de la dure-mère qui
restent souvent complètement latents, ou donnent les types cliniques
les plus purs de tumeur rolandique.
DIAGNOSTIC DE LA NATURE DE LA TUMEUR
Il est intéressant de chercher, parles seuls moyens cliniques, à pré-
ciser la nature de la tumeur cérébrale cpii est en cause, ce qui est de la
plus haute importance pour prévoir la durée de la maladie, sa gravite et
les résultats qu'il y aura lieu d'espérer de l'intervention chirurgicale.
Dans plus delà moitié des cas de tumeur cérébrale il s'agit de gliome,
c'est-à-dire d'une tumeur qui se développe aux dépens de la névro-
glie; l'évolution est assez lente, mais il s'agit le plus souvent d'une
tumeur infiltrante qui à la coupe se distingue du tissu sain par une
coloration gris rosé, une consistance plus molle et qui peut même au
centre devenir kystique. Qu'il s'agisse de gliome cellullaire, c'est-à-
dire formé aux dépens des cellules rondes de la névroglie, ou de
gliome fibrillaire dans lequel les fibrilles névrogliques sont très abon-
dantes et les cellules peu nombreuses, la rapidité d'évolution est sen-
siblementla même, car il s'agit dans presque tous les cas de tumeurs
intracérébrales diffuses non énucléables, sauf cependant certains bons
cas de gliome fibrillaire. Chose curieuse, un nombre «le tumeurs île
LES TUMEURS CÉRÉBRALES 41
l'angle ponto-cérébelleux, franchement extracérébelleuses, sont sou-
vent constituées par ungliôme fibrillaire formé aux dépens de la trame
névroglique qui accompagne les nerfs (acoustique, facial) en dehors de
leur émergence (Lhermite).
Les sarcomes ou fibrosarcomes sont au contraire le type de la tumeur
d'évolution lente, formée aux dépens du tissu conjonctif, ayant par con-
séquent leur point de départ dans les gaines vasculaires et les méninges.
Ce sont, dans l'immense majorité des cas, des tumeurs bien limitées,
énucléables, essentiellement opérables; dans cette variété de tumeurs, il
y a lieu de signaler le sarcome angiolithique ou psammome, tumeur con-
jonctive contenant des sphérules calcaires et qui peut, à l'examen radio-
graphique, donner une ombre très nette ; ils siègent le plus souvent à la
face interne de la dure-mère, assez souvent près de la faux du cerveau.
Enfin une variété assez curieuse de tumeur peut s'observer, surtout au
niveau du cervelet : le cholestéatome, masse blanchâtre, nacrée « comme
delà bougie », contenue dans une membrane d'enveloppe épidermique
malpighienne et plus extérieurement d'une membrane conjonctive en
rapport avec la pie-mère. Ce sont donc des tumeurs extracérébrales;
elles se développent, semble-t-il, aux dépens d'un produit d'inclusion
embryonnaire épidermique.
Nous ne citerons que pour mémoire les tumeurs parasitaires : échinoco-
ques, cysticerques, dont le diagnostic ne peut être fait que par des notions
étiologiques précises ou parla constatation clinique de tumeurs sous-
cutanées, comme nous avons pu le faire chez une jeune malade qui pré-
sentait de nombreux cysticerques sous-cutanés et chez qui se manifes-
tèrent des crises répétées d'épilepsie jacksonienne du membre supé-
rieur droit.
Quant aux tumeurs métastatiques, néoplasme intestinal ou bronchique,
tumeurs du sein sont les variétés de néoplasme qui donnent le plus
souvent des métastases cérébrales ; elles se caractérisent d'une part par
la multiplicité des signes de localisation et généralement par le peu
d'intensité des signes d'hypertension. Nous avons pu, dans deux cas,
faire le diagnostic exact par la constatation de cellules néoplasiques
volumineuses dans le liquide céphalo-rachidien.
ÉVOLUTION DES TUMEURS CÉRÉBRALES
L'évolution clinique d'une tumeur cérébrale est fort variable, elle dé-
pend à la fois du siège de la tumeur et de sa nature.
Les tumeurs de la fosse cérébrale postérieure (cervelet-protubérance)
s'accompagnent très rapidement de phénomènes graves d'hypertension
42 '.'//• CH \ l i I l \
cérébrale et aboutissent en quelques mois au coma. Par contre, les
tumeurs qui siègent dans les zones « muettes », en particulier les
tumeurs pariéto-occipitales, peuvent rester parfaitement latentes pen-
dant toute la vie du malade qui meurt d'une affection quelconque. La
tumeur est découverte à l'autopsie.
Les gliômes, et surtout legliôme infiltrant, évoluent beaucoup plus
rapidementque les fibromes ou fibrosarcomes à point de départ méningé.
En particulier, connue nous l'avons signalé plus haut, les gliômes cpii
évoluent chez des femmes jeunes au cours ou à la suite de la grossesse
sont d'une particulière gravité.
Lorsque les signes généraux d'hypertension apparaissent, si l'on
n'intervient pas, chirurgicalement, le malade s'achemine plus ou moins
rapidement, comme nous venons de le voir, vers le coma.
Si la trépanation décompressive est pratiquée, — et nous parlons
de la trépanation décompressive simple, — on observe dans la
majorité des cas une amélioration presque immédiate (dans les
jours qui suivent l'intervention), c'est-à-dire disparition complète
ou presque complète de la céphalée, relèvement quelquefois sur-
prenant, mais passager de l'acuité visuelle. L'amélioration est d'une
durée Tort variable, toujours suivant la nature et le siège de la tumeur,
en moyenne un an à dix-huit mois, mais nous avons observé des cas
dans lesquels l'amélioration persista 4 et 5 ans, c'est-à-dire la dispari-
tion de la céphalée, l'arrêt de l'évolution vers la cécité.
D'ailleurs, si les phénomènes d'hypertension réapparaissent, une
nouvelle décompression peut être faite du côté opposé; elle donne les
-mêmes résultats favorables, mais d'une durée beaucoup moins longue,
en général quelques mois seulement.
Il en est tout autrement si l'intervention n'est plus simplement pallia-
tive, mais permet l'ablation de la tumeur. Ces cas, malheureusement
trop rares, sont tout à fait remarquables comme résultats définitifs : les
malades que nous avons observés six et huit ans après l'intervention
non seulement ne présentaient aucun symptôme tir récidive, mais la
restitution des fonctions motrices ou sensitives, la disparition des trou-
bles cérébelleux étaient à peu près complète, surtout lorsqu'il s'agissait
d'un malade jeune.
DIAGNOSTIC POSITIF
Etude du liquide céphalo rachidien. — Nous ne reviendrons pas sur
les caractères cliniques essentiels qui permettent de poser le diagnostic
ferme de tumeur cérébrale ; ce sont, comme nous l'avons dit, avant tout
LES TUMEURS CÉRÉBRALES 43
les signes généraux, et parmi ceux-ci la stase papillaire, signe objectif
et qui renseigne, jour par jour, sur les progrès du mal. Et cependant il
faut le reconnaître, dans quelques cas, exceptionnels il est vrai, la stase
peut manquer jusqu'au dernier jour.
Il est à l'heure actuelle des méthodes complémentaires d'examen,
méthodes de laboratoire qui dans les cas douteux viennent apporter
leurs précisions à un diagnostic hésitant : ce sont les données de l'ana-
lyse de liquide céphalo-rachidien et la radiographie.
La ponction lombaire a été considérée pendant longtemps et à juste
titre comme fort dangereuse chez un malade atteint de tumeur céré-
brale; on a signalé de nombreux cas de mort subite au cours de la ponc-
tion ou dans les heures qui suivent la ponction. La gravité de la ponc-
tion lombaire clans bien des cas de tumeur cérébrale ne saurait être
discutée, mais nous devons ajouter qu'en prenant certaines précautions
on réduit au minimum les dangers de cette intervention, et notre expé-
rience est basée sur plusieurs centaines de ponctions lombaires faites
dans ces conditions.
On aura soin de mettre le malade dans le décubitus horizontal plu-
sieur heures avant la ponction. La ponction sera faite dans le décubitus
latéral, avec une aiguille aussi fine que possible dans laquelle on lais-
sera le mandrin, ce qui évite l'écoulement trop rapide du liquide. On ne
retirera pas plus de 6 centimètre cubes de liquide, quantité suffisante
pour les examens.
Les renseignements fournis par la ponction sont de premier ordre :
la pression du liquide, mesurée à l'aide du manomètre de Claude, est
dans l'immense majorité des cas fortement augmentée, sauf dans cer-
tains cas de tumeur du cervelet ou du 4° ventricule où il se produit
vraisemblablement une sorte de blocage du trou occipital. C'est sans
doute dans de tels cas que la ponction faite sans les précautions que
nous avons indiquées peut donner des accidents mortels par engagement
des amygdales cérébelleuses dans le trou occipital et véritable écrase-
ment du bulbe (on peut se rendre compte de la réalité de cette action
mécanique à l'autopsie des tumeurs de la fosse cérébrale postérieure).
L'analyse chimique et cytologique montre d'une façon à peu près
constante une dissociation albumino-cytologique, c'est-à-dire une
augmentation considérable du taux de l'albumine et une lymphocytose
nulle ou très minime. Le taux de l'albumine oscille entre 0,50 centi-
grammes et 1 gramme et plus par litre; assez souvent on observe une
légère xanthochromie du liquide,
D'une manière générale, on peut dire que l'hyperalbuminose évolue
i; eu. en 1 11: il \
parallèlement à la stase, mais que souvent elle la précède. C'est donc,
dans les cas observés au début, une recherche du plus haut intérêt (1)
La radiographie telle qu'elle est pratiquée couramment donne géné-
ralement fort peu de renseignements, saut' dans les cas fort rares de
tumeurs calcifiées, de psammomes ; dans les cas de tumeurs, de la
base OU de la convexité avec destruction de l'os au voisinage de la
tumeur, ce qui est d'ailleurs exceptionnel, le cliché radiographique
peut fournir des indications de première valeur sur le siège du
néoplasme.
Par contre, grâce à un procédé personnel de radiographie stéréosco-
pique, le D' Chabry a pu, dans un très grand nombre de cas de tumeurs
cérébrales du service du professeur Pierre Marie à la Salpêtrière, rendre
visible sur le cliché stéréoscopique la tumeur elle-même, en particulier
dans les cas de tumeurs de l'angle ponto-cérébelleux, et dans de nom-
breux cas l'intervention chirurgicale vérifia l'exactitude du diagnostic
clinique et radiographique. Cette méthode encore inédite fera l'objet
dune communication ultérieure, elle est appelée à rendre les plus
grands services au moment de l'intervention chirurgicale.
DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL
Chose curieuse, ce sont plutôt les états méningés que les lésions en
foyer du cerveau qui peuvent donner lieu à une erreur de diagnostic :
méningite chronique syphilitique, épendymite avec hydrocéphalie
interne, méningite séreuse, pachyméningite hémorrhagique chez le
vieillard.
Les épendymites, la méningite séreuse feront l'objet d'une leçon
spéciale, nous n'y insistons pas. La méningite chronique syphilitique,
lorsqu'elle évolue lentement et cpie par surcroît les réactions du liquide
montrent seulement de l'hyperalhuminose avec une légère lymphocytose,
peut être d'un diagnostic différentiel extrêmement délicat, d'autant
qu'on peut observerai! cours de telles méningites chroniques un certain
degré de névrite optique. Cependant, les signes généraux d'hypertension
sont beaucoup moins accusés (pic dans les tumeurs cérébrales, les signes
locaux, s'ils existent, moins précis, sauf Cependant dans quelques cas
de méningite chronique de la hase qui réalise souvent de la façon la
1 1 Nous ne parlerons pas des résultais de la réaction de Wassermann classique <|ui
dans hiendes cas de tumeur cérébrale vérifiés donne un résultai positif dans la liquide
céphalo-rachidien. On sait le peu de valeur de celte réaction el l'on voil le danger de
ce faux résultat positif dans les cas que nous étudions ; on perd un temps précieux
par de vains traitements spécifiques.
LES TUMEURS CÉRÉBRALES . 45
plus précise des syndrome des tumeurs de l'angle ponto-cérébelleux. En
un mot, l'évolution des symptômes est d'ordinaire moins pressante que
dans les tumeurs cérébrales, et dans de tels cas c'est encore l'examen du
fond de l'œil, l'existence d'une stase vraie et son évolution qui per-
mettent de trancher le diagnostic.
La pachyméningite hémorrhagique qui s'observe presque exclusi-
vement chez le vieillard, s'accompagne assez souvent de signes de com-
pression cérébrale, mais très lentement progressive, avec périodes
successives de subcoma et généralement sans signes de localisation.
Il est juste de dire que le diagnostic exact est rarement fait et que la
pachyméningite hémorrhagique est le plus souvent une trouvaille
d'autopsie. D'ailleurs de tels cas, ^'ils étaient sûrement diagnostiqués-
seraient justiciables eux aussi de l'intervention chirurgicale.
Les lésions cérébrales proprement dites donnent plus rarement lieu
aune erreur de diagnostic.
Dans des cas exceptionnels le ramollissement cérébral progressif
par thrombose vasculaire extensive. le ramollissement hémorrhagique
par thrombose du sinus, qui ne se voit guère que chez l'enfant, l'encé-
phalite aiguë, très rare, également spéciale à l'âge infantile, la méningo-
encéphalite diffuse syphilitique, offriront quelquefois à un moment de
leur évolution une possibilité d'erreur.
Ces affections sont les unes trop exceptionnelles, la dernière trop
facile à reconnaître parles procédés de laboratoire, pour être pendant
longtemps confondues avec une tumeur cérébrale.
Seul Yabcès du cerveau peut dans bien des cas être confondu jusqu'au
dernier moment avec une tumeur cérébrale : cependant l'abcès céré-
bral s'accompagne rarement de phénomènes généraux intenses d'hy-
pertension. Ce sont les données étiologiques qui dans la plupart des
cas fournissent l'élément différentiel. D'ailleurs au point de vue
pratique le diagnostic différentiel n'est pas à poser, puisque dans un
cas comme dans l'autre l'intervention chirurgicale est aussi urgente.
Restent enfin le tubercule et la gomme cérébrale, qui doivent être
maintenant séparés du domaine des tumeurs cérébrales et qui relèvent
d'un traitement tout autre que le traitement chirurgical.
Le tubercule cérébral peut être unique (ce qui est relativement
rare) et s'observe surtout chez l'enfant. L'évolution du tubercule céré-
bral s'accompagne souvent d'épisodes méningés qu'il faut bien con-
naître, parce qu'ils mettent sur la voie du diagnostic exact : il s'agit
d'un enfant qui présente les signes classiques d'une méningite tuber-
culeuse au début de son évolution ; la ponction lombaire montre même
16 CH. CH i ni i \
le plus souvent une réaction lymphocytique notable, avec hypêralbumi-
nose, puis, après quelques jours le tableau clinique change rapidement,
tout rentre dans l'ordre. De tels épisodes méningés peuvent ainsi se
répéter à plusieurs mois d'intervalle ; finalement L'ensemencement
méningé se termine par une méningite tuberculeuse généralisée mor-
telle, et l'autopsie révèle l'existence d'un ou de plusieurs tubercules
cérébraux affleurant les méninges. Dans d'autres cas, en particulier
lorsqu'il s'agit de tubercule isolé du cervelet, le diagnostic différen-
tiel entre le gliôme et le tubercule est pratiquement impossible.
Il n'arrive guère, avec les progrès des méthodes de laboratoire et de
la sérologie spécifique, de confondre une gomme cérébrale avec une
tumeur. La très grande rareté de la gomme cérébrale solitaire rend
d'ailleurs l'erreur peu fréquente. Quoi qu'il en soit, l'examen clinique
simple ne fournit souvent pas d'élément différentiel décisif, en l'absence
île notions étiologiques précises et de renseignements fournis par l'étude
du liquide céphalo-rachidien et du sang.
II existe enfin une catégorie défaits cliniques avec ou sans vérification
aiïatomique qui ont été étudiés particulièrement par les auteurs étran-
gers et groupés sous l'étiquette générale de « pseudo-tumeurs cérébra-
les ». Nous n'avons jamais eu jusqu'ici l'occasion d'observer de tels cas.
Quoiqu'il en soit, l'histoire clinique est d'ordinaire celle-ci : on voit appa-
raître d'une manière assez aiguë chez un individu jeune tous les symp-
tômes d'une hypertension cérébrale grave mais fort peu de signes de
localisation céphalée, stase papillaire ou névrite optique, attaques
épileptiques, quelquefois hémiparésie. Ces symptômes évoluent pen-
dant un temps variable et avec des alternatives d'aggravation et de
régression, et le plus souvent se produit une guérison complète ou
presque complète avec, par exemple, un léger degré d'atrophie optique
résiduelle. Le même syndrome peut réapparaître chez le malade après
plusieurs années de guérison complète apparente.
Dans les cas d'évolution particulièrement rapide et terminés par la
mort, l'autopsie n'a révélé aucune tumeur, pas même de gliôme infiltré'.
Les données histopathologiques que nous possédons sont encore très
imprécises. Albeimer aurait trouvé dans deux cas des modifications
importantes et diffuses de la névroglie.
Ces cas de pseudo-tumeur cérébrale, d'ailleurs très rares semble-
t-il, sont d'un diagnostic exact à peu près impossible ; seule clinique-
ment l'évolution particulièrement rapide des symptômes autorisera
peut-êtreà poser ce diagnostic
LES TUMEURS CÉRÉBRALES 4 7
TRAITEMENT
Les signes généraux d'hypertension dictent l'intervention d'urgence,
d'ordinaire simplement palliative. Les signes locaux permettent de
tenter une opération définitive, une exérèse de la tumeur.
La conduite à tenir sera donc différente, suivant que les signes géné-
raux d'hypertension seront au premier plan — c'est de beaucoup le cas
le plus fréquent — ou au contraire, la localisation étant précisée et les
signes généraux tout au début de leur apparition, le chirurgien pourra
tenter l'ablation de la tumeur.
En pratique, on se trouve d'ordinaire le plus souvent en présence
d'un malade qui souffre atrocement et qui perd la vue ; il faut, sans
perdre de temps, pratiquer la trépanation décompressive : elle soulage
presque immédiatement le malade ; elle l'empêche de devenir définiti-
vement aveugle, elle lui permet de garder pour plusieurs mois en
général intacte l'acuité visuelle qu'il possédait au moment de l'interven-
tion; il n'y a donc pas de temps à perdre, c'est une véritable intervention
d urgence.
Cette trépanation décompressive peut n'être que le premier temps
d'une intervention plus complète, parce que souvent, en supprimant
pour un temps les phénomènes d'hypertension, elle permet de mieux:
analyser les signes délocalisation.
Il n'y a pas lieu de donner ici le détail technique de l'interventi'on,
mais il est quelques notions que tout médecin doit retenir.
La trépanation, pour être utile, doit être large, très large, en moyenne
six centimètres sur huit centimètres comme dimension de la brèche
osseuse. Le siège d'élection de la trépanation décompressive simple
sera la région temporo-pariétale droite, le bord antérieur de la perte
de substance osseuse répondant au bord postérieur de la pariétale
ascendante et son bord inférieur à un ou deux centimètres du bord
supérieur du rocher dans les zones muettes du cerveau.
Dans la trépanation décompressive simple pour syndrome d'hyper-
tension, il faut autant que possible ne pas ouvrir la dure-mère. Le pro-
nostic est en effet dans ce cas tout différent : la trépanation simple sans
ouverture de la dure-mère est presque toujours une intervention qui
présente un minimum de gravité, et réalisée sous anesthésie locale
avec la technique et l'instrumentation de de Martel, elle présente un
minimum de risque ; il n'est pas rare de voir les malades quitter le
service chirurgical 6 à 8 jours après l'intervention. Le résultat favo-
rable se lait presque immédiatement sentir.
i** CH CHA FELIN
Au contraire, l'incision de la dure-mère, sans soulager beaucoup plus,
expose le malade aux plus sérieuses complications, hernie cérébrale,
fistule du liquide céphalo-rachidien et infection méningée consécutive.
Lorsque au contraire la localisation précoce delà tumeur a pu être
faite, que l'intervention n'est plus seulement palliative, mais vise à
être définitive et que le chirurgien découvre la tumeur, l'incision de la
dure-mère est, bien entendu, indispensable, mais avant l'ablation de la
tumeur, une ligature minutieuse de tous les vaisseaux, artères et veines
doit être pratiquée avant l'enlèvement de la tumeur, et celle-ci enlevée,
la suture de la dure-mère doit être tentée et la fermeture des plus su-
perficielle réalisée sans drainage, ou avec un drainage de 24 heures.
Toutes ces données de thérapeutique chirurgicale sont le résultat de
plusieurs années de collaboration avec le docteur Th. de Martel.
Nous ne parlerons pas du traitement médical des tumeurs céré-
brales. Il n'existe pas ; mais nous tenons à attirer l'attention sur les
conséquences funestes du traitement dit d'épreuve, lorsqu'on se
trouve en présence d'une tumeur cérébrale dûment diagnostiquée.
Sous le prétexte que la spécificité peut être en cause, on intlige au
malade un traitement arsenical ou mercuriel ou ioduré ; cela est désas-
treux, et cette manière de faire doit être absolument abandonnée. Non
seulement on prolonge inutilement les souffrances du malade et même
on les aggrave quelquefois (iodure), mais surtout on laisse les lésions
évoluer, en particulier la stase et l'atrophie optique, et lorsqu'on s'adresse
enfin au chirurgien, car il faut malgré tout arriver à l'intervention, le
malade est épuisé, il a perdu plusieurs semaines, bien souvent il est
aveugle, ou bien l'acuité visuelle a encore baissé et l'intervention chi-
rurgicale, comme nous l'avons vu, laisse tout au plus au malheureux
patient le degré d'acuité visuelle qui existait au moment de l'opération.
Peut-être dans quelques années la radiothérapie et surtout la
radiumthérapie, qui donne de si grands espoirs, permettra-t-elle d'éviter
l'intervention chirurgicale et d'obtenir des résultats non seulement
provisoires, comme c'est malheureusement le cas le plus souvent, mais
des résultats définitifs. Nous connaissons à l'heure actuelle plusieurs
cas dont l'évolution est arrêtée depuis plusieurs années, après une
simple trépanation décoinpressi ve, par l'application de la radiothé-
rapie profonde et intensive.
TROISIÈME CONFÉRENCE
M. le D> H. CLAUDE
Professeur agrégé à la Faculté de médecine,
Médecin de l'Hôpital Saint-Antoine.
L'HYPERTENSION INTRA-CRANIENNE ET LES
MÉNINGITES SÉREUSES
Messieurs,
Le problème diagnostique de l'hypertension intracranienne, de ses
causes et surtout des traitements à lui opposer est souvent un des
plus angoissants qui puissent se présenter à un médecin. Le syndrome
est-il la manifestation d'une tumeur cérébrale, ne traduit-il qu'un état
méningé bénin en soi-même, mais dont les conséquences peuvent pren-
dre une importance très grande du fait de la compression de certains
organes contenus dans le crâne? Convient-il de proposer une opération
radicale sur les centres nerveux, doit-on se contenter d'un traitement
général, ou mieux, vse hâter de combattre l'hypertension parles moyens,
de décompression le plus tôt possible? Autant de questions que vous
devez résoudre dans le plus bref délai, si vous voulez que votre action
thérapeutique soit efficace, et avec toute l'énergie dont vous serez ca-
pable, car bien souvent l'intervention proposée contrastera par son
importance avec le caractère banal des symptômes.
Une partie de la question ayant été déjà abordée dans la leçon sur les
tumeurs cérébrales, je me bornerai à vous exposer les conditions du
développement de l'hypertension intracranienne dans ses formes en
apparence primitives, et notamment dans ses rapports avec les ménin-
gites séreuses.
Quelques mots tout d'abord, Messieurs, pour vous rappeler l'origine
de ce liquide qui baigne les centres nerveux et comment il circule. Le
liquide céphalo-rachidien est contenu dans les ventricules et dans les
COXFÉR. NEUROL. 4
50 H. CLAl DE
espaces sous-arachnoïdiens. [1 passe des ventricules latéraux dans le
troisième ventricule par les trous de Monro, du troisième ventricule
dans le quatrième par l'aqueduc de Sylvius. Le quatrième ventricule
communique d'une part avec l'épendyme médullaire, d'autre part avec
les espaces sous-arachnoïdiens parles trous de Luschka.
Les espaces sous-arachnoïdiens sont constitués par un rétieulum
conjonctivo-vasculaire rempli par le liquide céphalo-rachidien formant
entre l'arachnoïde et la pie-mère à la surface de la masse cérébro-
spinale une sorte de matelas d'eau qui protège le tissu nerveux. Ces
espaces se continuent dans les scissures ; ils prennent un développe-
ment surtout considérable au niveau de la base du cerveau, de l'isthme
de l'encéphale, où ils forment de véritables réservoirs, les lacs cérébel
leux. Ils se prolongent aussi le long des vaisseaux, des racines et des
nerfs.
Ce liquide céphalo-rachidien dont vous n'ignorez pas les caractères
physiques et chimiques est sécrété par les plexus choroïdes des divers
ventricules dont le rôle, sans remonter jusqu'à Galien, est connu de
longue date, mais a été surtout affirmé par les travaux de Faivre (1854).
Luschka apporta ensuite des arguments histo-physiologiques qui mirent
hors de doute la structure glandulaire de leurs éléments constituants.
Le mémoire de Pettit et Gérard (1902) compléta nos connaissances, qui
s'enrichirent encore des travaux contemporains de Mestrezat, de Mott,
de Weed (1915), de Frazier (1915), de Dixon et Halliburton (1910), de
Grynfeldt et Eu/.ière.
Pour vous donner une idée de l'importance des villosités choroï-
diennes dont je ne puis vous indiquer les caractères .histologiques, je
vous dirai seulement qu'on a estimé leur surlace sécrétante à un mètre
carré. Il n'y a pas lieu de s'étonner dans ces conditions que le liquide
puisse donc, dans certaines conditions, être sécrété en abondance. Nor-
malement chez l'adulte il semble que la quantité de liquide céphalo-
rachidien varie entre 80 et 150 crac. Mais cette quantité paraît se renou-
veler avec facilité, sept ou huit fois dans les vingt-quatre heures, puis-
que dans des cas d'écoulement par les fosses nasales à la suite des
traumatismes (Verneuil, Vigouroux), on a pu recueillir plus d'un litre
de liquide cérébro-spinal.
Il est d'ailleurs admis par quelques auteurs que les cellules du revê-
tement épendymaire qui tapisse les cavités ventriculaires peuvent dans
certaines conditions participera la sécrétion du liquide.
A la fonction secrétaire s'ajoute une [onction de résorption et une
fonction de sécrétion interne qui n'est pas négligeable pour qui étudie la
L'HY'PERTENSION INTRACRANIENNE 51
pathologie choroïdienne. Lœper, Pellizzi, admettent que des produits
de désintégration des centres nerveux, notamment des graisses, des
lipoïdes divers sont résorbés au niveau de l'épithélium des plexus.
Fleischmann tout récemment a soutenu l'opinion que ces organes ont
un rôle antitoxique à l'égard de certains produits nuisibles qui seraient
filtrés et absorbés par le revêtement plexulaire. '
D'autre part, Pettit et Girard avaient avancé que les cellules des
plexus choroïdes qui avaient les apparences d'une glande à sécré-
tion interne déversaient en réalité certains produits élaborés dans une
cavité intermédiaire, mais dans le but qu'ils soient résorbés parce qu'ils
avaient une destination interne. Récemment von Monokow et ses élèves
ont repris cette idée et attribué aux plexus choroïdes, en commun avec
d'autres organes à sécrétion interne, un rôle biochimique de première
importance pour le développement et l'intégrité, ainsi que le fonction-
nement régulier du système nerveux. Kitabayashi a exposé dernière-
ment cette conception et tenté de démontrer l'action protectrice et épu-
ratrice des plexus choroïdes, notamment en cas de traumatismes psychi-
ques ou passionnels, troublant la vie instinctive et déterminant des
troubles des sécrétions internes. Il s'agit là d'une hypothèse intéres-
sante que je me contente de vous indiquer.
Ce liquide céphalo-rachidien circule. Nous avons vu en effet qu'il est-
sécrété en abondance, que certains corps sont résorbés ; mais comment
se fait la résorption de cette masse liquide ? Il était vraisemblable
d'admettre un courant se produisant des ventricules vers les espaces
sous-a'rachnoïdiens et au delà. Pour Mott cette résorption se fait à l'in-
térieur des ganes périvasculaires et périneurales. Dans deux cas de
néoplasmes cérébro-méningés que nous avons étudiés avec MUe Loyez
(1913), nous avons pu constater la présence de cellules cancéreuses for-
mant un manchon dans la gaine périvasculaire : il s'agissait d'éléments
qui, des méninges, avaient essaimé par l'intermédiaire du liquide
céphalo-rachidien. Pour quelques auteurs la résorption pourrait se faire
aussi au niveau des granulations de Pacchioni communiquant avec
les sinus cérébraux
Cathelin a décrit, sous la dénomination imagée de quatrième circula-
lion, le circuit du liquide céphalo-rachidien qui des ventricules passe dans
le réservoir sous-arachnoïdien, et de là dans les gaines périvasculaires,
puis dans ce qu'il appelle les capillaires frontières à disposition spon-
gieuse où il est résorbé par la circulation lymphatique pour être linale-
mentdéversédansla citerne dePecquet,puisdansla circulation veineuse.
Il existerait aussi une communication avec les lymphatiques des nerfs.
IL CI. M DE
In autre argument mérite d'être produit en faveur du mode de
cette circulation; il est tiré, Messieurs, des conditions différentes
de pression dans le liquide céphalo-rachidien, le système artériel
et le système veineux. La pression du liquide céphalo-rachidien à
l'état normal est de 15 à 20 centimètres d'eau : elle est donc au
moins quinze à vingt fois inférieure à la pression artérielle moyenne
qui serait de 2 mètres d'eau, et six fois inférieure à la pression capil-
laire. Mais la pression veineuse que j'ai étudiée en 1913 à l'état normal
et pathologique, et qui est de 10 à 12 cm. d'eau, lui est inférieure. Il est
donc naturel (pie, des artères, le liquide céphalo-rachidien déversé
dans les cavités ventriculaires, tende à gagner les capillaires lympha-
tiques et veineux dont la pression lui est inférieure.
D'autre part, la pression du L. C R. varie avec la tension sanguine.
Chez un artérioscléreux atteint d'accidents d'urémie nerveuse je trouve
successivement les chiffres respectifs suivants, en rapport avec l'évolu-
tion de la maladie vers l'asvstolie terminale.
P. Art
1°
28-14
2°
23-12
3°
10-12
. Vein.
P. L. C.
R
12
70
13
4;>
13
En résumé, Messieurs, le liquide céphalo-rachidien, véritable matelas
d'eau interposé entre les diverses parties des centres nerveux et entre
celles-ci et la paroi osseuse eranio-vertébrale, protège la masse en-
céphalo-médullaire; mais si le liquide est sécrété en trop grande quan-
tité, ou si des néoformations des centres nerveux augmentent la masse
du contenu par rapport au contenant, le liquide deviendra une cause de
compression des tissus nerveux : l'hypertension intracranienne sera
créée. Examinons maintenant en détail les conditions qui peuvent faire
varier cette tension du liquide céphalo-rachidien qui est sécrété, qui
circule et doit clic résorbé.
Trois causes peuvent être invoquées : une exagération delà sécrétion,
une gène circulatoire, un obstacle à la résorption.
L' exagération de la sécrétion peut être sous la dépendance soit d'une
élévation de la pression artérielle (artériosclérose, urémie, etc.), soit
d'une excitation des cellules choroïdiennes par certaines substances
toxiques, soit d'une irritation purement inflammatoire (méningites, épen-
dymites). La gêne de la circulation du liquide céphalo-rachidien Mtréa-
L'HYPERTENSION INTRACRANIENNE 53
Usée par la compression ou l'oblitération d'origine inflammatoire, par
exemple, des orifices de communication des ventricules ou des espaces
arachnoïdiens, les cloisonnements de ces cavités, les néoformations
intracraniennes (tumeurs, abcès, pachyméningites, etc.). H existe des
hypertensions localisées à un ou plusieurs ventricules, en raison du
siège variable de la compression.
L'obstacle à la résorption peut être représenté par l'irruption de sang
dans le liquide céphalo-rachidien, la présence de caillots, ou bien peut
être constitué par les troubles de la circulation veineuse ou lympha-
tique : compression des veines cérébrales, veines de Galien surtout, phlé-
bite des veines cérébrales, thrombose des sinus, etc.
Expérimentalement j'ai pu reproduire avec Thaon, en 1905, des hydro-
céphalies ventriculaires chez le lapin, par l'injection dans le ventri-
cule latéral des poisons tuberculeux sclérosants d'Auclair. Les orifices
de communication avec l'aqueduc de Sylvius étaient oblitérés par la
réaction inflammatoire scléreuse. En 1908, Verger etCruchet ont obtenu
des lésions expérimentales analogues.
Les conditions pathogéniques que nous venons de mentionner se
trouvent réalisées par un certain nombre d'affections parmi lesquelles
il faut citer tout d'abord les tumeurs cérébrales, les abcès et les kystes,
puis les hémorrhagies cérébrales et surtout méningées, les pachymé-
ningites et les hématomes de la dure-mère, les méningites aiguës et
chroniques, syphilitiques et tuberculeuses, les troubles circulatoires en
rapport avec les affections cardiaques, artérielles, rénales, les commo-
tions cérébrales, enfin les méningites séreuses. C'est de cette dernière
catégorie que je m'occuperai seulement.
Que faut-il entendre par ce terme de méningite séreuse ? L'expres-
sion est discutable, car elle semble indiquer qu'on désigne sous ce nom
des inflammations des méninges qui n'arriveraient pas à la suppuration,
mais auxquelles la présence d'albumine, d'éléments figurés (leucocytes),
garde souvent le caractère histologique essentiel des méningites. Or il
s'agit dans les diverses variétés que nous aurons à distinguer, d'une
augmentation générale, ou d'une accumulation du liquide céphalo-rachi-
dien localisée, se produisant sous l'influence de réactions inflamma-
toires subaiguës du cerveau, de l'épendyme ventriculaire ou des
méninges.
Les méningites séreuses sont en général l'expression d'infections ou
d'intoxications atténuées qui, en raison de la nature bénigne des réactions
M //. Cl \i Dl
inflammatoires, ou des séquelles de celles-ci, constituent des lésions
d'un ordre particulier.
Parmi les causes les plus importantes, il faut citer les traumatismes
crâniens : fracture du crâne avec plaies du cuir chevelu, fractures
ouvertes, plaies contuses infectées du Iront, du cuir chevelu — et sur-
tout les lésions oculaires, auriculaires ou nasopharyngées.
Les lésions oculaires telles qu'ophtalmies, plaies infectées, infec-
tions par suite d'énucléations sont à retenir. Heine, sur dix-huit cas de
blessures de l'œil, a trouvé 13 fois de l'hypertension intracranienne. Il
a l'ait des constatations analogues clans des cas de kératites ou d'ulcères
de la cornée. Cette notion peut avoir un certain intérêt au point de vue
médico-légal, pour expliquer des phénomènes nerveux ou psychiques
persistants;! la suite de blessures de l'œil.
C'est surtout à la suite de lésions auriculaires que l'attention fut attirée
sur les phénomènes d'hypertension intracranienne ; les premières
observations de méningite séreuse ont en effet été rapportées par les
otologistes qui, croyant opérer des abcès cérébraux consécutifs à des
otites ou à des sinusites, rencontrèrent des exsudats méningés circons-
crits ou diffus. L'observation de Lecène (1902) est un bel exemple de
méningite séreuse diffuse de la corticalité cérébrale et des ventricules
consécutive à une otite. L'observation d'Herzfeld(1905) concerne un cas
de méningite séreuse corticale consécutive à une sinusite frontale. Les
cas se sont, par la suite, multipliés.
Une autre catégorie de faits est relative à des séquelles de méningites
aiguës ou chroniques datant de l'enfance, ou à des encéphalopathies
infantiles avec hydrocéphalie secondaire ayant laissé des altérations
épendymaires. A l'occasion d'une infection générale, ou locale (otite),
d'une infection nasopharyngée, ou d'un traumatisme crânien, les acci-
dents d'hypertension se manifestent.
Parfois, sur un terrain prédisposé par des lésions cérébro-méningées
antérieures bénignes, ce sont des intoxications (alcoolisme, satur-
nisme) qui deviendront la cause de poussées d'hypertension; il est pos-
sible cpie l'intoxication arsenicale doive être mise en cause parfois.
La syphilis est encore, soit sous la forme d'encéphalopathies infan-
tiles, soit sous la forme de méningopathies avec OU sans lésions vaseu-
laires, une des maladies qui peut-être à l'origine des méningites
séreuses. Mais son rôle est certainement moins important que celui de
la tuberculose.
Les expériences de Renaud ont démontre qu'une grande quantité de
bacilles tuberculeux introduite dans le cerveau en est vite éliminée:
L'HYPERTENSION INTRACRANIENNE 55
S .
celles de J. Flatau et MIle Taraponi qui introduisant du pus de gan-
glions bronchiques tuberculeux dans le canal rachidien des chiens par
ponction lombaire ou des cultures fraîches de bacilles, constatent la dis-
parition de ces bacilles au bout de quelques jours, prouvent la tolérance
des méninges pour certaines espèces de bacilles tuberculeux. Dans ces
conditions, on peut admettre que chez des individus atteints de tubercu-
lose pulmonaire ou ganglionnaire latente, l'infection des méninges, sur-
venant sous une influence quelconque, puisse provoquer une hyperémie
méningée, une méningite séreuse curable : les bacilles tuberculeux
disparaissent et les méninges reviennent à leur état normal ou conser-
vent des altérations qui pourront être la cause de nouvelles poussées de
méningite séreuse.
On sait, en effet, que Biedert a trouvé, d'après 886 autopsies d'enfants
tuberculeux, des lésions méningées dans 26 0/0 des cas, et sur 864 adultes
dans 8 0/0 des cas.
Tinel et Gastinel (1912) ont insisté aussi sur ces états méningés chez
les tuberculeux dans lesquels, malgré la présence des bacilles, les réac-
tions sont discrètes, passagères. Ils ont pu examiner, plusieurs années
après ces accidents méningés, des individus qui succombèrent à une
réinfection méningée tuberculeuse ou à la tuberculose pulmonaire. Les
autopsies ont démontré qu'il y avait des lésions méningées anciennes
sous forme d'hypertrophie, de kystes sous-dure-mériens, de méningites
séreuses enkystées, de tubercules calcifiés, auxquelles s'ajoutaient
parfois des lésions aiguës récentes. Enfin Brindzuki (1916) admet
même que, chez des enfants tuberculeux, les méninges réagissent contre
l'infection par une irritation ne se traduisant que par une augmentation
delà pression du liquide céphalo-rachidien.
Au point de vue anatomique comme au point de vue clinique, les mé-
ninges séreuses rentrent dans les diverses catégories suivantes :
1° Hydrocéphalie interne ou Ependymite ventriculaire ;
2° Hydrocéphalie externe ou méningite séreuse diffuse;
3' Forme mixte : constituée par l'hydrocéphalie externe et interne ;
4° Formes localisées, corticales ou basilaires.
Je ne puis vous exposer en détail la constitution anatomique de ces
méningites séreuses internes ou ventriculaires, ou épendumites, dont nous
devons surtout la description à Quincke (1893) et à Pierre Merle (1910).
Ces auteurs ont complété les observations autérieures de Rob. Whytt,
de Rilliet et Barthez, de Billroth, d'Oppenheim, de Hutinel, qui ont
montré le rôle des infections et de la tuberculose dans certaines ménin-
gites atténuées, comme Bârensprung, Fournier, Sandoz indiquaient le
//. Cl \l DE
rapporl avec la syphilis héréditaire tirs lésions méningées subaiguës et
chroniques.
La caractéristique de ces méningites séreuses internes, c'est la
distension venlrieulairc. Fig. 1. Les ventricules latéraux, comme le
ventricule moyen, acquièrent un volume qui est le double, Ie
triple de l'état normal; il est rare que l'hydrocéphalie chez l'adulte
atteigne les proportions
qu'on observe à la suite
de certaines tumeurs cé-
rébrales chez l'enfant ou
dans l'hydrocéphalie con-
génitale. La distension
des sutures et des fonta-
nelles chez le fœtus et le
nouveau- né permettent à
l'hydrocéphalie d'attein-
dre des proportions
inouïes. Les trous de
Monror sont dilatés, et la
cavité de l'infundibulum
et la tige pituitaire au
niveau du troisième ven-
tricule sont distendues.
Sur une coupe des ven-
tricules on constate que
les plexus choroïdes sont
épaissis, congestionnés, la surface épendymaire est dépolie, lavée, elle
a l'aspect dit langue de chat, en raison de l'état papillomateux du revête-
ment épithélial. Des brides cicatricielles ou des rétrécissements, des
recessus lacunaires s'observent dans les cornes des ventricules, ainsi
que des symphyses partielles. Sur une coupe l'épendynie ventriculaire
apparaît épaissi, et il est le siège de lésions chroniques, comme on en
observe d'ailleurs communément chez les vieillards (épendymites gra-
nuleuses, réticulées, états cryptiques, varioliformes, pachy-péri-épen-
dymites). Dans certains cas, des altérations plus caractéristiques de la
syphilis ou de la tuberculose ont pu être retrouvées.
Enfin s'il existe dans certains cas une dilatation de l'aqueduc de
Sylvius et de l'épendynie médullaire (hvdroinyélie), ainsi que j'en ai
observé un fort bel exemple avec Cl. Vincent et Lew-Yalensi, il y a
parfois de l'atrésie ou une oblitération des orifices de communication.
Fig 1.
Hydrocéphalie interne. Distension des ventricules
latéraux.
EU YPERTENSION ESTRACRAN IENNE
57
Vous imaginez aisément que le tableau clinique est alors extrême-
ment complexe, comme nous le verrons tout à l'heure.
Les méningites séreuses diffuses delà corlicalité cérébrale qui coexistent
souvent avec les épendymites sont constituées par la distension des
espaces sous-arachnoïdiens sur une plus ou moins grande étendue.
Elles sont la conséquence de l'accumulation du liquide céphalo-rachi-
Fig. 2 — Photographie représentant la distension des espaces sous-
arachnoïdiens, avec épaississement des travées sur une coupe histo-
logique.
dien qui, après s'être infiltré et collecté dans les espaces, y séjourne soi
par suite de la distension même qui fait obstacle à la circulation, soit
par suite de cloisonnements dus à des processus inflammatoires anté-
rieurs. Macroscopiquement c'est sur le vivant, lors d'interventions
chirurgicales, qu'on se rend mieux compte de l'aspect de l'hydrocéphalie
externe : à la surface du cerveau après ouverture de la dure-mère,
l'arachnoïde est épaissie, sa surface est surélevée et a parfois un aspect
bosselé, gélatineux par suite d'une série de petites formations pseudo-
kystiques qui sont dues aux travées des espaces arachnoïdiens épaissies,
et circonscrivent des alvéoles distendues par le liquide cérébro-spinal.
— Quelquefois la surface est plane et lorsqu'on incise la méninge elle
s'aplatit après issue du liquide qu'elle contenait. C'est pourquoi cette
//. CI. Al ni:
distension des espaces arachnoïdiens apparaît si rarement auxautopsies,
à moins qu'on ne procède très délicatement à l'enlèvement du cerveau.
A. la base il est presque toujours impossible de ne pas ouvrir les lacs
arachnoïdiens distendus. Lorsque le processus méningé est déjà de date
ancienne, l'arachnoïde et les travées des espaces sclérosés prennent
une certaine consistance et l'on peut obtenir des coupes histologiques.
cpii, comme celles que je vous présente (fig. 2), permettent de bien se
rendre compte du processus de distension des espaces arachnoïdiens.
On conçoit que le liquide en pénétrant entre les scissures et les écar-
tant, puisse comprimer les circonvolutious et modifier l'activité fonc-
tionnelle des centres sous-jacents.
La méningite séreuse peut enfin rester circonscrite à des régions très
limitées de la corticalité ou de la base de l'encéphale ou même de la
région ponto-cérébelleuse. C'est la forme cpii a été particulièrement
décrite clans ces dernières années sous le nom de méningite séreuse
circonscrite, arachnitis circumscripta, kystes séreux méningés — à la
lumière des faits de même ordre indiqués au niveau de la méninge
spinale.
Je vous citerai particulièrement les faits d'Emerson (1906), de Frazier
(1906), qui ayant posé le diagnostic de tumeurs de l'angle ponto-eéré-
belleux se trouva en présence d'un kyste séreux dont l'ouverture assura
la guérison du malade. — Krause et Placzeck (1907) décrivirent de
même des kystes de la fosse cérébrale postérieure. Finkelstein, en
1908, apporte l'observation d'un kyste de même nature à la base du
cerveau. Unger (1908), ayant diagnostiqué une tumeur du cervelet,
eut la surprise de n'ouvrir qu'un kyste de l'angle ponto-céré-
belleux.
Au niveau de la corticalité cérébrale les formes circonscrites sont
plus rares qu'à la base du cerveau. Axhausen publie néanmoins en
1909 une observation très démonstrative. La même année nous rappor-
tons avec M. Raymond une observation a natomo* clinique qui peut
être considérée comme intermédiaire entre la forme diffuse et la forme
circonscrite. Ce cas était d'autant plus intéressant que nous avons
décrit des lésions d'encéphalite sous-jacente à la méningite séreuse- et
des symptômes qui ont permis de se demander rétrospectivement s'il ne
s'agissait pas d'un cas d'encéphalite léthargique du type myoclonique
sporadique. Tout récemment un cas d'encéphalite épidémique avec
méningite séreuse circonscrite vient d'être publie. D'ailleurs j'ai pu
retrouver deux l'ois des formations pseudo-kystiques très développées
à la surface de la corticalité Cérébrale chez des tuberculeux : voici l'un
VH YPERTE.XSIOX IN TRACRANIENNE
59
r
r
'"
_2~-_
de ces cas déjà figuré dans un article de Paris médical (fig. 3 et 4).
Je pourrais vous citer d'autres faits publiés depuis par Muskens, Strôbe
et cette année encore par Uréchia (kystes comprimant les lobules para-
centraux).
Quel que soit son siège, la collection kystique se développe dans
les espaces arachnoïdiens où, à la faveur de poussées inflammatoires
antérieures, ou d'un
processus irritât if
créé directement lors
de la réaction ménin-
gée, se constituent
des cavités limitées
par des adhérences,
une symphysç mé-
ningée localisée.
Strôbe a étudié la
formation de ces
adhérences qui s'ex-
pliquent bien, comme
les adhérences pleu-
rales, chez des tuber-
culeux par ces pro-
cessus inflammatoi-
res bénins dont nous
avons indiqué plus
haut la fréquence re-
lative.
Il est possible tou-
tefois que certaines
réactions méningées circonscrites, consécutives à des traumatismes
crâniens, des lésions oculaires ou auriculaires, facilitent la formation
d'adhérences d'abord partielles, disposées de telle sorte que plus le
liquide pénètre sous pression dans les espaces sous-arachnoïdiens qu'il
distend et déforme, plus sa circulation est gênée, les orifices de
communication s'étranglant et s'oblitérant, ce qui favorise de nou-
velles adhérences et limite d'une façon définitive la néoformation
kystique.
L'arachnitis œdémateuse produit alors un double effet : elle refoule
les parties sous-jacentes du cerveau, les comprime, les irrite, et d'autre
part elle tend à faire saillie vers la dure-mère comme une tumeur,
^£tf*4aCJ9FV
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Fig. 3 et 4. — Dépression de la corticalité cérébrale causée
par une formation pseudo kystique méningée.
//. Cl \' DE
ajoutant encore une cause d'hypertension intracranienne à celles qui
pourraient exister déjà antérieurement.
Lorsqu'on ouvre à l'autopsie une de ces cavités comme celle qui est
figurée ( 6g. 3), il est difficile de se rendre compte du volume qu'elle pou-
vait avoir pendant la vie. Parfois elle est nettement circonscrite par une
sorti- de bourrelet épaissi, comme dans mon cas, parfois elle se conti-
nue insensiblement ;i\ ec 1rs parties voisines. A l'intérieur, en examinant
la poche sous l'eau on voit des tractus conjonctifs constituant des cloi-
sons incomplètes. Le liquide contenu dans ces kystes est parfois clair,
limpide, eau de roche, pauvreen albuminé et en éléments cytologiques.
Parfois il a une coloration rouge ou citrine, et est riche en albumine,
car il contient ou a contenu du sang. La tension de ce liquide n'a pas
été mesurée.
Tel est, Messieurs, rapidement esquissé l'aspect général des lésions
dans ces cas de méningite séreuse. Si l'hydrocéphalie interne par excès
de sécrétion du liquide céphalo-rachidien ou par insuffisance de résorp-
tion est acceptée depuis longtemps comme entité morbide, on a discuté
beaucoup l'origine et même l'existence de ces méningites séreuses de
la cortical i té et de la hase surtout dans les formes circonscrites. On a
pensé qu'il ne s'agissait peut-être que d'une sorte d'œdème hanal des
espaces arachnoïdiens qui finirait par distendre ceux-ci surtout lors-
qu il existe des lésions encéphalitiques. 11 n'est pas douteux qu'à la
suite d'encéphalopathies infantiles avec atrophie des circonvolutions ou
à la suite de ramollissement de la corticalité ou puisse voir souvent des
pseudo-kystes méningés. De même comme conséquence de la période
agonique de bien des états cardio-rénaux ou dans certaines cachexies, on
trouveà l'autopsie un œdème diffus des méninges arachnoïdiennes. Mais
il ne s'agit pas là de faits analogues à ceux que je viens de mettre sous
vos yeux. Strôbe et plus récemment Christiansen, à la Société de Neuro-
logie (1919), ont émis l'opinion que ces kystes arachnoïdiens bien cir-
conscrits ne constituaient pas des lésions primitives, qu'ils étaient con-
sécutifs à un processus méningé antérieur (Strohe), ce qui est une expli-
cation très plausible, ou qu'ils étaient symptomatiques d'un processus
néo-plasique du voisinage. Christiansen a rapporte, en effet, une série
de cas dans lesquels, après avoir ouvert un kyste de la région de
1 angle ponto-céréhelleux, on découvrit, grâce à une recherche soigneuse,
une néoplasie sous-jacente. .le ne conteste- pas la réalite de certains
de ces faits, mais les observations (pu- je VOUS rapporterai tout
à l'heure prouvent bien que certaines formations pseudo-kystiques
sont indépendantes des tumeurs. Dans h- cas d'Axhausen et dans
L'HYPERTENSION INTRACRANIENNE 61
celui d'Urechia l'opération ne fit découvrir également aucune
tumeur.
Il convient maintenant de vous montrer les effets de cette hyperten-
sion intracranienne. Comme je vous l'indiquais il y a quelque temps, le
liquide céphalo-rachidien hypertendu dans les cavités ventriculaires,
tend à refouler la substance céréhrale de dedans' en dehors contre la
boite crânienne, et dans le cas de méningite séreuse de la corticalité,
de la base ou de l'isthme de l'encéphale à refouler au contraire vers
1 intérieur les parties voisines, les déprimer ou les repousser contre la
paroi osseuse du côté opposé.
Vous concevez aisément que tous les organes délicats situés à la
Fig ô. — Coupe histologique de 1 hypophyse clans un cas de compression moyenne
base du cerveau et surtout les nerfs qui émanent de l'isthme de l'encé-
phale pourront être ainsi comprimés et tiraillés. Parmi ceux-ci, l'un de
ceux qui donnent lieu à des signes de paralysie delà façon la plus nette
et le plus tôt, c'est le nerf de la VIe paire, le moteur oculaire externe,
de telle sorte que cette paralysie ne peut être considérée comme un
signe de localisation. La cinquième paire, la septième et la troisième
sont aussi assez fréquemment lésées. Enfin une importance particu-
lière doit être accordée au nerf optique et à un degré moindre aux
nerfs de la huitième paire (auditif et vestibulaire). Ces compressions
sont aussi fréquentes dans les cas de tumeurs que dans les cas de
méningites séreuses et sont fonction du degré de l'hypertension ou de
la localisation du processus méningé. L augmentation de pression fait
aussi sentir son action sur les racines spinales, et l'on peut observer des
lésions de celles-ci, comme l'ont montré Raymond et Lejonne. Enfin
toute la statique cérébrale, surtout au niveau de la région délicate de
62
//. Cl \i DE
I isthme de l'encéphale, peut être troublée par la dilatation ventriculaire
et les formations pseudo-kystiques, de sorte que les rapports anatomiques
normaux sont modifiés, et certains signes, tels que ceux, qui indiquent
une irritation delà voie pyramidale ou des connexions cérébelleuses,
sont l'expression des troubles apportés dans la configuration de
régions déterminées, notamment de la région pédonculo-cérébelleuse,
Mais en dehors des compressions des nerfs, des vaisseaux, et des
diverses parties de la masse encéphalo-médullaire, il convient de nous
arrêter aux désordres engendrés par la compression de l'hypophyse
dont j'ai cité de nombreux exemples analogues à celui que vous avez
sous les yeux et sur lesquels, j'attire particulièrement votre attention.
Je veux parler de la compression de l'hypophyse (fig. 5).
Je vous ai déjà indiqué que sous l'influence de la distension du
3- Ve.nl- ei tsifluzcUbuhtsn,
ln.Jua.cL cUhzfc e/z- La.llonn.cC
l'i.lf pU Jj
Fig. 6. — Schéma représentant la compression de l'hypophyse par I infuinliluiliini distendu.
troisième ventricule la région infundibulaire et la tige pituitaire sont
refoulées vers la selle linéique ; en se dilatant progressivement, à la
façon d un ballonnet, cette partie déprime de plus en plus l'hypophyse,
de sorte que cette glande finit par être aplatie dans le fond de la cavité,
à tel point que des recherches minutieuses sont parfois nécessaires pour
la découvrir et qu'on pourrait croireàsa disparition (fig. 6, schéma) Dans
certains cas ce n'est (pie par l'examen histologique que j'ai pu recon-
naître sa présence, n'ayant eu à l'autopsie sous les yeux qu'une mince
lame d'apparence fibreuse. Vous comprenez aisément (piécette compres-
sion ne va pas sans entraîner des désordres non seulement dans le fonc
lionnement de la glande pituitaire, mais aussi, surtout chei les sujets
jeunes, sur le fonctionnement des autres -landes en voie de développe-
L'HYPEBTENSION INTBACIiANIENNE 63
ment, en raison des synergies endocriniennes dont nous apprenons
chaque jour davantage à connaître l'importance. Il en résulte que parmi
les éléments du syndrome d hypertension intracranienne dont nous
allons aborder l'étude, nous aurons à faire une place au syndrome endo-
crinien secondaire.
Le syndrome d'hypertension intracranienne se manifeste dans sa
forme commune par des phénomènes subjectifs et des signes objectifs ;
ces derniers ont une valeur telle qu'ils nous arrêteront surtout, les
premiers n'ayant qu'une valeur d'orientation générale.
Les symptômes subjectifs sont avant tout la céphalée et les vomisse-
ments. La céphalée peut être localisée ou diffuse, constante ou passagère,
.généralement tenace, réveillée par les efforts, les changements de position,
les mouvements. Les vomissements ont le caractère du vomissement dit
céphalique, se produisant sans nausée, sans efforts, en fusée, à l'oc-
casion des mouvements ou après les repas. Ajoutez à ces symptômes,
sur lesquels je ne puis insister davantage, les étourdissements, les
vertiges qui peuvent traduire une irritation de l'appareil vestibulaire
ou de l'appareil cérébelleux, des douleurs dans la face ou dans les
membres en rapport avec des compressions nerveuses ou radiculaires.
Les troubles oculaires, éblouissements, mouches volantes, diminution
delà vue sont des symptômes tardifs. Il faut bien savoir que des alté-
rations du fond de l'œil peuvent exister sans que le sujet.se plaigne
d'aucune diminution de l'acuité visuelle.
Celle-ci doit être recherchée, et je ne saurais trop vous recommander,
quand vous aurez quelque raison de soupçonner l'existence d un syn-
drome d'hypertension intracranienne, de ne pas méconnaître les deux
signes capitaux de celui-ci, à savoir les modifications du fond de l'œil
et les modifications du liquide céphalo-rachidien.
Les modifications du fond de l'œil, qu'il n'est pas de ma compétence
de vous décrire en détail, consistent tout d'abord en un trouble dans la
circulation de la papille et de la rétine, caractérisée par la dilatation
des veines, le rétrécissement des artères, des hémorrhagies,
de l'œdème qui donne une coloration blanchâtre à la papille, laquelle
fait saillie, enfin la névrite optique qui représente une altération à peu
près irréductible, stade ultime d'un processus caractérisé à la fois par
le trouble circulatoire, l'œdème et l'irritation du nerf optique avec
sclérose consécutive. Ces lésions, qui sont le reflet de la gène de la
circulation dans la gaine du nerf optique distendue par le lait de
(,i //. Cl \i DE
l'hypertension, s'accompagnent d'une diminution de l'acuité visuelle',
puis d'amblyopie et d'amaurose. La diminution de l'acuité visuelle
même très accusée peut, lorsqu'elle n'est conditionnée que par la
stase et l'œdème, rétrocéder. Mais il est d'une importance capitale de
combattre la stase le plus tôt passible, afin d'éviter la constitution de la
névrite optique. Combien de cécités survenues sans causes bien déter-
minées miraient pu être évitées si l'on avait pris la précaution de dépis-
ter l'origine de certaines céphalées par l'examen du fond de l'œil et par
la ponction lombaire.
La ponction lombaire s'impose, en effet, chez tout sujet qui présente
une céphalée, quelques vertiges et des vomissements qui ne cèdent
pas aux moyens thérapeutiques .ordinaires mis en œuvre. Quel rensei-
gnement donnera la ponction lombaire ? Elle permettra d'apprécier la
constitution chimique et cytologique du L. C.-R., et surtout de recon-
naître l'excès de pression de celui-ci.
L'bypertension est encore trop souvent caractérisée pour les méde-
cins par la force du jet de liquide qui s'échappe par l'aiguille ou par
le nombre de gouttes qui tombent à la minute. Ces procédés d'appré-
ciation sont grossiers et trompeurs. Grossiers, car si nous n'appré-
cions plus la lièvre parla rapidité du pouls, il n'y a pas de raison de
reconnaître l'bypertension par la rapidité d'écoulement du liquide ;
trompeurs, car j'ai noté des pressions très fortes alors que le liquide
s'écoulait goutte à goutte.
Il faut donc mesurer la pression du L. C.-R., et c'est une précaution
qu'on est en droit de réclamer d'un médecin qui sur la constatation
d'une hypertension soupçonnée va décider d'ouvrir le crâne à son malade.
Depuis longtemps les auteurs qui ont étudié l'hypertension, et notam-
ment les méningites séreuses, ont construit des manomètres et indiqué
Us résultats de leur constatation : Quincke employait le manomètre à
air libre ; le liquide céphalo-rachidien, en montant dans le tube de
verre vertical adapté à l'aiguille, indiquait la pression en centimètres
d'eau. Krônig, Kauscb ont apporté des modifications de détail a cet
appareil, à qui l'on peut reprocher de donner des indications inexac-
tes, car à mesure que le liquide s'écoule et monte dans le tube, la
pression diminue. Wilms construisit un manomètre à mercure pour
éviter la déperdition du liquide, mais cet appareil est peu sensible.
Neisser, J. Parisot, ont employé, pour éviter aussi la déperdition du
liquide, des manomètres en U contenant de l'eau. Ces appareils sont
d'un maniement peu commode au lit du malade.
J'emploie depuis 1912 un manomètre aueroule qui est peu, encom-
UH YPER TENSION IN TRA CE A NIENN E
65
brant et qui a l'avantage de donner la pression « au départ », dès que le
liquide pénètre dans l'aiguille, tout en laissant échapper très peu de
liquide (figure 7). Le ro-
binet à trois voies qui
met en communication la
cavité arachnoïdienne du
ventriculaire tantôt avec
le manomètre, tantôt avec
l'extérieur, permet de
mesurer de nouveau la
pression après une éva-
cuation des quelques cen-
timètres cubes de liquide,
et de ne procéder qu'à une
décompression très lente,
suivant le degré d'ouver-
ture, les décompressions
trop brusques n'étant pas
sans danger dans les hy-
pertensions, surtout lors-
qu'elles sont dues aux
tumeurs.
La pression normale
du liquide céphalo-rachi-
dien, comme je vous 1 ai
déjà indiqué, est de 15 à
20 centimètres d'eau, le
sujet étant ponctionné au
niveau de la région lom- Fig. 7. - Manomètre avec laiguileà ponction lombaire
î • î î I ] contenant le mandrin et moniée sur le robinet.
baire, dans le cul-de-sac
durai et dans la position
horizontale. Si le sujet est ponctionné dans la position verticale,
cette pression est supérieure de 8 à 10 centimètres. Les secousses
de toux, les mouvements, les efforts augmentent la pression On peut
estimer qu'il y a un certain degré d'hypertension quand le mano-
mètre indique 25 centimètres d'eau dans les conditions de calme du
sujet. Dans les hypertensions moyennes on note des pressions de 35 à
50 cm. d'eau avec un abaissement assez, rapide après prélève-
ment de .'} à 4 cm. Dans certains cas j'ai observé une pression de
80 à 100 cm. d'eau : le liquide garde encore une pression de 30 à
COKFÉR. NEUROL. 5
//. CLAUDE
10 cm. cubes d'eau, et plus après écoulement de 10 cm. cubes de
liquide.
Quant aux caractères chimiques et cytologiques du liquide, ils
varient suivant la cause de l'hypertension. Je vous en reparlerai quand
nous discuterons le diagnostic. Voyons d'abord comment se présentent
à nous en clinique les diverses variétés des méningites séreuses, par une
série d'exemples.
C'est à Quincke (180.'}] qu'on doit la première description des
diverses formes cliniques d'hydrocéphalie interne, de méningite séreuse
acquise ; je ne m'occuperai d'ailleurs ici que de ces affections.
[1 s'agit de sujets ayant le plus souvent un passé méningé qui s'est
traduit par de la céphalée, des convulsions, des réactions diverses qui
ont été qualifiées de méningées, survenues sans cause ou à l'occasion
d'un état toxi-infectieux mal déterminé ; parfois la tuberculose peut être
suspectée, ou bien enfin c'est à l'occasion d'une otite ou d'un trauma-
tisme crânien que les accidents surviennent.
Quand la méningite séreuse se manifeste elle peut revêtir une forme
aiguë, subaiguë ou rémittente à poussées successives. De toutes façons
elle se révèle par les éléments du syndrome que j'ai déjà indiqués et
dont les exemples suivants fixeront suffisamment les types cliniques
dans votre esprit.
Une femme de 43 ans dont j'ai publié l'observation autrefois avec
A. Baudouin est prise brusquement sans raison, sans état fébrile, à
l'atelier, de céphalée, de nausées, puis de vomissements les jours sui-
vants. Parla suite apparaissent successivement des paralysies de la
VIe et de la VII0 paire droite. Elle vient à la Salpêtrière, où nous
constatons qu'elle présente de plus certains symptômes d'ordre céré-
belleux. Un examen oculaire montre une stase papillaire très pro-
noncée avec acuité visuelle réduite à 1/3. la tension du liquide céphalo-
rachidien est de2ô centimètres d'eau. Traitée par la ponction lombaire,
cette femme sort très améliorée, ses paralysies ont disparu ; mais trois
semaines plus tard elle nous revient, accusant une recrudescence de la
céphalée, elle est soumise de nouveau aune série de ponctions lom-
baires et guérit définitivement. Revue sept mois plus tard, l'acuité
visuelle de cette femme était redevenue normale. Voilà nn exemple
d'une forme aiguë à rechute.
En voici un autre exemple que j'aurais pu vous présenter si la
malade ne s'était refusée à se rendre devant nous. C'est une jeune
L'HYPERTENSION INTRACRANIENNE 67
femme de 25 ans qui n'a pas d'antécédents héréditaires ou personnels
importants. Elle paraissait et paraît encore d'une bonne santé. Elle a
une petite fille très normale. Elle n'a jamais souffert des yeux, du nez
ou des oreilles. En janvier ou février 1920 elle se plaint de légers étour-
dissements, puis de nausées et de vomissements, de quelques maux de
tête, ses règles étaient peu abondantes, elles se sont supprimées. Mais
l'on reconnaît le début d'une grossesse et tous les phénomènes parais-
sent s'expliquer. Au troisième mois, fausse couche provoquée. A la
suite, céphalée de plus en plus vive, vomissements, enfin apparition
d'une diplopie par parésie du droit externe droit. C'est dans ces
conditions qu'elle entre dans mon service de l'hôpital Saint-Antoine le
15 mai 1920. L'examen nous montre, en dehors de la céphalée intense,
des vomissements et d'une douleur de la région cervicale avec raideur
de la nuque, sensation de raideur et de fourmillement dans l'épaule et le
membre supérieur gauche, une diplopie avec strabisme interne de
l'œil droit, une parésie faciale droite. L'examen oculaire fait par le
D' Dupuy Dutemps indique une stase papillaire considérable avec fort
œdème, dilatation veineuse, taches blanches, quelques hémorrhagies de
voisinage, légère obnubilation de la vue. La ponction lombaire nous
montre une pression de 100 centimètres ; après écoulement de 5 centi-
mètres, elle reste encore à 55. Pas de lymphocytose, pas d'hyperalbu-
minose, la réaction de Bordet-Wassermann est négative dans le sang et
dans le liquide céphalo-rachidien. Néanmoins, on institue un traitement
mercuriel et arsenical en même temps qu'on pratique une série de
ponctions lombaires.
Pendant un mois on ne constate pas de modifications, ia parésie
oculaire paraît s'accentuer, les réflexes rotuliens sont très diminués, les
réflexes des membres supérieurs ont disparu. La stase papillaire reste
toujours aussi accusée avec hémorrhagies et taches blanches. Mais les
ponctions lombaires avaient montré une diminution de la pression qui
fut successivement de 100, 100, 88, 70, 55. 48. La réaction de Wasser-
mann restait toujours négative dans le sang et le liquide céphalo-
rachidien ; on ne trouvait pas de lymphocytes, mais une légère albumi-
nose.
Vers le 20 juin, au moment où, en raison de la progression des
symptômes, nous allions faire pratiquer une craniectomie décompres-
sive. une amélioration notable se produit en quelques jours : la cépha-
lée diminue, ainsi que la parésie faciale et la paralysie du droit externe.
Les réflexes tendineux des membres réapparaissent et le cinquième
examen oculaire, pratiqué le 30 juin, indique une diminution delà stase
//. il. M DE
papillaire. Nous faisons encore deux ponctions lombaires, et la
malade se douve si améliorée qu'elle réclame sa sortie le 13 juillet.
Par la suite, nous n'avons pu continuer ni le traitement spécifique, ni les
ponctions lombaires, en raison de l'indocilité de la malade qui, se trou-
vant en parfaite santé, néglige de suivre les indications qu'on lui donne.
Nous l'avons revue toutefois à la lin d'août 1920. La diplopie, qui n'a
clé améliorée que lentement, a disparu ; la malade accuse encore quel-
ques brouillards devant les veux En octobre 1920, l'examen oculaire in-
diquait des papilles floues en raison de l'ancienne stase papillaire, des
vaisseaux grêles, mais si l'œdème a disparu, on voit encore à droite quel-
ques hémorragies voisines de la papille, et -l'acuité visuelle est de 1/3 des
deux côtés. Enfin tout récemment (juin 1921) j'ai pu faire examiner de
nouveau cette malade, qui ne se plaint plus d'aucun trouble général ou
fonctionnel, son acuité visuelle reste diminuée^! 3 et 1 2). Il s'agit là de
lésions résiduelles, mais il n'y a plus de symptômes d'hypertension.
Faut-il attribuer la plus large part des succès thérapeutiques au traite-
ment spécifique, même en l'absence d'antécédents spécifiques, de toute
réaction méningée et du Wassermann négatif, ou à la ponction lom-
baire? Je crois que les deux interventions ont eu une action favorable, et
c'est là un fait sur lequel j'attire votre attention car, même si l'origine des
accidents a été dans le cas présent la syphilis, l'hypertension devait
être combattue par le seul moyen approprié, la décompression. Le
traitement antisyphilitique, en supposant qu'il eût été légitimement
indiqué, n'eût pas eu une action suffisante.
Mais il est un autre ordre de faits que je dois mentionner. Si
celte jeune femme paraît être guérie des accidents de méningite
séreuse qui ont provoqué tous les troubles qui nous ont assez, juste-
ment alarmés et qui, encore aujourd'hui, nous incitaient à lui recom-
mander de se soumettre au traitement de nouveau, elle nous est reve-
nue parce qu'elle remarque qu'elle engraisse considérablement depuis
quelques mois et (pie ses régies sont à peu près nulles, (".'est là surtout
ce qui l'inquiète. Ces troubles sont, à mon avis, la conséquence de la
compression de l'hypophyse provoquée par la distension ventriculaire,
ils indiquent l'existence d'un syndrome endocrinien sur lequel je re-
viendrai.
En tout cas cette observation nous montre combien il faut être pru-
dent avant de porter le diagnostic d hypertension par tumeur céré-
brale.
La malade que je vais vous présenter est un exemple d'une l'orna
subaiguë rémittente d'origine auriculaire. Il j a1,) ans elle lut opéré*
L'HYPERTENSION INTRACRANJENNE 69
pour mastoïdite. En août 1919 elle se plaint à nous de céphalée, nausée,
vomissements, troubles de la vue et bourdonnements de l'oreille gauche.
Le DrDupuy Dutemps, qui examine ses yeux, signale un œdème papil-
laire. J'engage cette personne à entrer dans le service, mais je ne la
revois plus (m'en février 1920, époque où j'obtiens qu'elle me laisse pra-
tiquer une ponction lombaire. La pression du L. C.-R. est de 42 centi-
mètres, pas de lymphocytose, Wassermann négatif dans le liquide cé-
phalo-rachidien. Quelques ponctions lombaires font baisser la pression
et l'œdème papillaire disparaît. La malade se considère comme guérie,
quand en août 1920 les phénomènes généraux et les troubles de la vue
reparaissent ; la malade souffre de l'oreille et est opérée pour une
récidive de mastoïdite. Elle me revient en novembre 1920, elle a alors
de la stase papillaire, avec œdème ; elle souffre de vives douleurs de
tète. La ponction lombaire montre une pression de 45 centimètres qui
s'abaisse à 32 cm. seulement après évacuation de 10 cm. On note
une légère lymphocytose et 0,60 centigr. d'albumine. Malgré les ponc-
tions lombaires répétées trop rarement, car la malade ne nous revient
(pie de loin en loin, la pression reste élevée entre 35 et 40 cm. ; la stase
papillaire a cependant régressé, mais il existe une atrophie partielle de
la papille avec vision à 1/3 et 1/6.
Cette malade, comme beaucoup d'autres, ne souffrant plus des phé-
nomènes généraux d'hypertension, s'apercevant peu de la diminution
de son acuité visuelle, se prête difficilement à une thérapeutique active.
Elle aussi nous signale que ses règles, très irrégulières, tendent à dis-
paraître, qu'elle grossit et qu'elle présente des poussées congestives
vers les seins.
Ce cas rentre donc bien dans la variété de méningite séreuse à évolution
subaiguë ou chronique avec rémitlences ; souvenez-vous de la fréquence
de ces méningites chez les sujets qui ont un passé otitique. Comme le
précédent, ce cas pourrait être rangé dans la catégorie de ceux qui ont
été décrits sous le nom de Pseudo-tumeur cérébrale. J'aurai l'occasion
de vous en montrer encore d'autres exemples.
Les formes cliniques de ces variétés non localisées sont d'ailleurs
très nombreuses. Chez les enfants on peut observer plusieurs épisodes
subaigus répondant à des poussées de méningites bacillaires curables
que je vous ai déjà signalées. Ces processus méningés se manilestent
par la céphalée, l'abattement, la raideur de la nuque, les convulsions,
parfois simplement la céphalée, l'augmentation, de volume de la tête,
par disjonction des sutures se traduisant à la percussion par le bruit de
pot fêlé, des troubles du caractère, de l'intelligence, et ultérieurement il
70 //. CI. M DE
n'est i > ; i s rare d 'observer l'épilepsie. Ces cas se distinguent de la ménin-
gite tuberculeuse aiguë par l'absence ou le petit nombre de lymphocytes,
l'absence d'albumine et de bacilles dans le L. C.-H. Il est possible de
voir se produire des reprises du processus à longue échéance.
Une jeune fille dont j'ai publié l'observation anatomo-clinique avec
Cl. Vincent et Levy-Valensi, fut atteinte à l'âge de 12 ans (1902) d'une
épendymite aiguë caractérisée par la céphalée, les vomissements, des
crises nerveuses, une douleur dans la jambe et le bras droit ; cette
affection dura six mois, avec des alternatives diverses ; la malade guérit
et resta guérie quatre ans. Elle put travailler et passer des examens. En
mais 1908, à 17 ans, elle fait une rechute caractérisée par les mêmes
accidents : céphalée, raideur de la nuque, agitation, crises nerveuses
d'apparence névropalhique. En mai 1908, elle est amenée à la Salpè-
trière parce qu'elle présente une paraplégie spasmodique. Une ponc-
tion lombaire montre que le liquide céphalo-rachidien est clair, sans
albumine, sans éléments figurés, hypertendu. Cette troisième phase dure
quelques semaines, quand survient une quatrième phase d'épendymite
avec céphalée intense, la stase papillaire bilatérale apparaît alors,
ainsi qu'une paralysie de la sixième paire ; nous faisons pratiquer une
craniectomie, mais la malade succombe bientôt. A l'autopsie, hydrocé-
phalie avec énorme dilatation ventriculaire, cavités médullaires et
hydromyélie, avec réactions pachyméningitiques. Cette histoire permet
bien de suivre les différentes étapes de Y épendymite cérébrale avec des
réduites à longs intervalles et la complication secondaire d* hydromyélie
ayant donné lieu à un tableau de myélite transverse.
D'autres cas d'épendymites cérébrale sont d'une interprétation très
délicate, par exemple ceux qui se traduisent surtout par des troubles
intellectuels.
Un homme de 53 ans, architecte, ayant eu des convulsions clans
l'enfance et des accès de céphalée violente dans sa jeunesse ainsi que
quelques crises comitiales frustes, présente, à l'âge de 27 ans, une cé-
cité progressive survenue à la suite de céphalées persistantes. Pen-
dant 20 ans, son état reste stationnaire, sauf quelques crises de céphalée.
En 1908, à 49 ans, ilest atteint de bourdonnement d'oreilles, de vertiges,
de troubles de l'équilibration et devient complètement sourd. En 1912, je
suis appelé à l'examiner pour des manifestations d'hallucinose (halluci-
nations auditives conscientes sans étal délirant avec crises d'excitation
provoquées par la fatigue sensorielle). A l'examen, je trouve une aboli-
tion des réflexes tendineux ; le malade signale quelques douleurs dans
les membres. Pensante Un tabès, je fais une ponction lombaire, je
L'HYPERTENSION INTRACRANIENNE 71
retire un liquide clair, ne contenant que quelques rares lymphocytes et
une légère quantité d'albumine, mais hypertendu (42 cm.) Wassermann
négatif dans îe sang et le liquide céphalo-rachidien. Il ne s'agissait
donc pas d'un tabès mais d'une méningite séreuse, d'une hydrocépha-
lie interne à poussées successives, ayant causé la cécité et la surdité et
qui provoquait les crises d'hallucinose. Les ponctions lombaires répé-
tées pendant plus de deux ans firent tomber la pression à 20-24 cm.,
en même temps que les crises de céphalées et d'hallucinations s'espa-
çaient. Dans ce cas, le syndrome d'hypertension n'avait même pas été
soupçonné, c'est la ponction lombaire qui le révéla.
Je ne saurais trop multiplier les exemples, car ils vous montreront
mieux qu'une description pathologique sèche les différentes formes que
peut revêtir l'hydrocéphalie acquise, laquelle apporte, même à un
observateur averti, des surprises que les investigations plus complètes
auraient pu éviter.
Un homme de 42 ans, tailleur, m'est adressé en 1911 à la Salpètrière.
Depuis 1907, il présente de la céphalée, des troubles du caractère à
teinte mélancolique et surtout une amnésie de fixation des plus cu-
rieuses— sans état démentiel. J'ai rapporté son observation à la société
de Psjxhiatrie avec Lévy-Valensi et Quercy. Quand nous l'examinons,
nous apprenons qu'il a eu quelques petites crises comitiales, il a souf-
fert de douleurs à type radiculaire, ses réflexes tendineux sont abolis.
Il existe de la névrite optique avec altération de la papille. La ponction
lombaire montra l'existence d'une légère lymphocytose avec Wasser-
mann positif. Malgré l'absence de tout antécédent, nous pensâmes à
une syphilis cérébrale à forme méningée. — A cette époque nous
n'avions pas encore l'habitude de mesurer systématiquement la tension
du liquide céphalo-rachidien : l'idée d'une épendymite avec hydro-
céphalie conditionnée peut-être par la syphilis possible ne prévalut
donc pas. Et pourtant, on nous indiquait que cet homme avait des
accès de céphalée fréquents avec vertiges, on nous signalait des sym-
ptômes en faveur d'un trouble de V équilibre endocrinien, il avait en-
graissé de 25 livres, il avait perdu tonte capacité génitale en 1908, et au
contraire, en 1911 , on s'inquiétait d'une hyperaclivité génitale qui s'ac-
compagnait de phénomènes d excitation délirante où dominaient les idées
de persécution.
Cet homme dut être hospitalisé plusieurs fois pour cette raison dans
mon service à Saint-Antoine où il succomba en 1914 après avoir pré-
senté des crises d'épilepsie très graves. Je m'étais contenté de lui
appliquer un traitement calmant et antisyphilitique, pensant avec les
72 //• CLAUDE
oculistes que sa névrite optique était uniquement d'origine spécifique.
Quelle ne fut p;is ma surprise à l'autopsie dé trouver une dilatation des
ventricules latéraux et moyens considérable, et sur les pièces que je
nous présente vous pouvez constater cette distension en ballonnet de
l'infundibulum ayant provoqué ['aplatissement de l'hypophyse. Celle-ci,
sur les lames préparées pour l'examen histologique, apparaît comme
une mince lunule. De plus le trouble de l'équilibre endocrinien appa-
raît dans les constatations suivantes : les surrénales sont énormes et
sont le siège d hémorrhagies, les testicules sont extrèmementaugmentés
de volume, la thyroïde, au contraire, est atrophiée et sclérosée, bien
que par endroits on trouve au microscope des régions où les vésicules
sont en pleine activité fonctionnelle. Voilà donc des indications dune
perturbation pluriglandulaire. Quelle en fut la cause ? La compression
de l'hypophyse par la distension ventriculaire. Celle-ci fut sans doute
la conséquence d'une épendymite chronique avec choroïdite, car le
revêtement ventriculaire est constitué par un épendyme épaissi, ayant
l'aspect de la langue de chat ; à l'examen histologique, l'épithélium est
proliféré, une sclérose sous-épendymaire est manifeste. Il n'y a pas de
lésions en foyer, niais les méninges présentent des signes d'inflamma-
tion chronique avec des lésions artérielles très accusées.
Vous voyez donc que l'hydrocéphalie interne avec hypertension a
été méconnue parce que nous ne l'avons pas recherchée ; notre atten-
tion s'est concentrée seulement sur la notion de syphilis cérébro-mé-
ningée. Retenez, Messieurs, ces défaillances de notre diagnostic et
qu'elles servent à compléter votre expérience.
Voici un autre fait encore plus démonstratif, car nous n'avons même
pas été conduit à faire une ponction lombaire. Un homme de 'AH ans,
entre en mars 1920 à l'hôpital Saint-Antoine pour une crise d'excitation
délirante qui tombe au bout de quelques jours et qui serait survenue
après trois crises d'apparence comitiale. Ce malade nous apprend qu'en
1914 il a fait une longue maladie : il souffrait beaucoup de la tête, il
accusait des douleurs lombaires, on lui trouva de la pol yurie, de la pol) -
phagie sans glycosurie. Il put être employé pendant la guerre dans le
service auxiliaire, et à sa libération reprit son métier de livreur.
Il n'était pas douteux qu'il s'agissait d'une crise nerveuse provoquée
par l'intoxication alcoolique, bien que le malade niât tout excès.
L'examen nous montra que ce malade était un diabétique émettant
8 à 9 litres d'urine par jour avec 300 à 400 gr. de sucre par 1M heures
Cet homme resta plusieurs mois dans leservice avec un état station-
naire. Il se plaignait de temps en temps de céphalée, d'étourdissement,
L'HYPERTENSION INTRACRANIENNE 73
, j
vertiges, troubles visuels, asthénie, légère somnolence. 11 avait refusé
la ponction lombaire, prétendant qu'on l'avait déjà pratiquée et qu'on
n'avait rien trouvé d'anormal. De temps en temps, il présentait des
crises d'épilepsie, il maigrissait, et avait de l'acétone dans ses urines,
on traita son diabète sans succès. Pendant le dernier mois, la céphalée
tut plus vive ainsi que les vertiges, on constata delà somnolence, enfin
des crises convulsives à caractère jacksonien survenant dans l'hémi-
face gauche et les membres du côté gauche ; les réflexes rotuliens sont
abolis. Tous ces symptômes pouvaient être rapportés au diabète grave
avec intoxication acétonémique, qui entraîna la mort dans le coma. —
Voilà mon excuse !
A l'autopsie, nous constatâmes une énorme dilatation ventriculaire,
avec aplatissement complet de l'hypophyse par l'infundibulum dis-
tendu. Mais il existait aussi une distension considérable des espaces
sous-arachnoïdien de la corticalite cérébrale, surtout du côté droit.
Dans ce cas c'est le diabète qui avait retenu toute notre attention, or
ce diabète était très probablement en rapport avec les altérations hypo-
physaires ou infundibulaires. .
Mais ce cas est aussi intéressant, parce qu'il représente un exemple de
la forme mixte de méningite séreuse ventriculaire et corticale.
Dans tous les faits que nous avons rapportés jusqu'à présent il ne
s'agissait que d'épendymite ventriculaire, nous allons voir maintenant
comment se manifeste la méningite séreuse circonscrite.
Les méningites localisées, corticales ou basilaires, sont considérées
comme plus rares que les hydrocéphalies internes. Leur symptomato-
logie est empruntée à la fois à celles des méningites et à celles des
tumeurs cérébrales. Aussi retrouverons-nous parfois des aspects symp-
tomatiques qui justifieraient le terme de pseudo-tumeurs cérébrales.
Les méningites localisées présentent tout d'abord les symptômes
généraux de l'hypertension intracranienne dont le développement est
plus ou moins rapide : céphalée, vomissements, vertiges, somnolence,
crises d'épilepsie, enfin augmentation dépression du liquide céphalo-
rachidien et lésions du fond de l'œil.
Je ferai remarquer toutefois (pie, d'après mes observations, la pression
du liquide céphalo-rachidien est souvent moins prononcée dans ces
cas, et la stase papillaire peut même faire défaut, parce que les collec-
tions sous-arachnoïdiennes sont souventenkystées, sans communication
avec le liquide céphalo-rachidien circulant. Il faut alors que le kyste
71 //. CLAl DE
ait pris un développement assez considérable et joue le rôle véritable
d'une tumeur pour que la pression mesurée dans le cul-de-sac durai
spinal soit augmentée. Quand la collection de la région corticale ou
basilaire n'est pas enkystée, elle peut distendre sur une assez grande
étendue les espaces sous-arachnoïdiens sans qu'une grosse modification
de pression intraeranienne soit notée. De même la gêne circulatoire
dans la gaine du nerf optique est moins considérable cpie lors de la dis-
tension en masse des ventricules.
Un autre caractère de ces méningites séreuses corticales, c'est
l'existence de secousses myocloniques. Dans lecas d'Axbausen (ménin-
gite séreuse corticale de la région rolandique, opérée), il est spécifié
que l'enfant présentait des secousses cloniques, toutes les secondes,
d'abord dans les muscles de la lace et des membres du côté droit, puis
des deux côtés.
Chez le malade que j'ai observé avec M. Raymond, il existait des
mouvements cloniques rythmiques se répétant cinquante à soixante
fois par minute dans les muscles de la face et du cou d'abord, puis dans
les membres supérieurs droit et gauche.. Ces mouvements étaient très
analogues à ceux décrits depuis dans l'encéphalite épidémique à type
myoclonique. Mais je rappellerai que la méningite séreuse a pu compli-
quer l'encéphalite épidémique.
Enfin dans le cas de kyste arachnoïdien cortical que je vous ai montré
(fig. 3), j'ai noté les mêmes mouvements cloniques. Il s'agissait d'un
homme de 38 ans, plombier, tuberculeux ancien, atteint de lésions ba-
cillaires excavantes en évolution, qui succomba avec des signes de mé-
ningite tuberculeuse terminale (délire, Kernig, lièvre, lymphocy tose).
Or cet homme dont la collection kystique occupait la région temporo-
frontale gauche, avait présenté les symptômes suivants que je transiris
d'après mon mémoire d'octobre 191 1 : « les membres supérieurs sont
atteints de mouvements indépendants de la volonté, qui se répètent
stéréotypés, et qui figurent assez bien, du côté droit surtout, le geste
de porter la main à la bouche et à la gorge. A d'autres moments le ma-
lade exécute de la main droite des mouvements menus des doigts,
comme s'il émiettait du pain ou s'il voulait saisir des objets et les ser-
rer dans sa main. »
Dans les deux observations de Muskens il semble plutôt qu'il s'agisse
de convulsions localisées.
Il y a donc dans les méningites séreuses circonscrites de la cortica-
lité une symptomatologie assez caractéristique : phénomènes généraux
d'hypertension, faible élévation île la pression mesurée au manomètre,
VH YPERTENSION INTRACRANIENNE
pouvant augmenter par la suite, absence ou apparition tardive des
altérations du fond de l'œil, symptômes d'épilepsie localisée et surtout
myoclonies.
Dans les formes bctsilaires ou ponto-cérébelleuses de la méningite sé-
reuse localisée, la symptomatologie est aussi celle des tumeurs céré-
brales, avec cette réserve que les signes objectifs d'hypertension sont
parfois assez tardifs. Vous allez voir qu'il n'en est que plus intéressant
de bien connaître les variétés de méningites séreuses (pseudo-tumeurs)
et de cherchera les distinguer des tumeurs cérébrales.
Ici encore je vous exposerai la symptomatologie par des exemples
« vivants ».
Voici une femme âgée actuellement de 49 ans, dont j'ai publié l'his-
toire en 1912 avec le Professeur Lejars. Elle était venue à l'hôpital Saint-
Antoine le 15 mai 1912, se plaignant depuis le 15 avril d'éprouver un
mal de tète de plus en plus violent survenu après un état grippal avec
coryza contracté en mars. Puis des vomissements étaient apparus, des
sensations pénibles dans la moitié gauche de la face, et des troubles de
l'équilibration avec latéro-pulsion droite.
A l'examen, nous constatons un syndrome protubérantiel alterné,
une hémiparéssie droite des membres avec exagération des réflexes,
signe de Babinski, des troubles de sensibilité de la face du côté
gauche, une paralysie de la VIe paire gauche avec diplopie, sans stase
papillairede l'hypoacousie à droite, avec hyperexcitabilitélabyrinthique
constatée par le Dr Hautant. Les troubles de l'équilibration sont si
accusés qu'ils rendent la marche, la station debout et même assise, im-
possibles.
La ponction lombaire montra une hypertension manifeste (non me-
surée), sans éléments cytologiques, Wassermann négatif.
La malade fut traitée par la ponction lombaire, le mercure et l'iodure
sans résultats. Aussi le 28 juin 1912, fis-je pratiquer une craniectomie
décompressive latérale par le Professeur Lejars. Tous les sj'iuptômes,
même les signes de compression du faisceau pyramidal, disparurent
peu à peu, ainsi que les troubles de l'équilibration ; en septembre, cette
femme reprenait ses occupations de marchande de légumes. Sa guéri-
son s'est maintenue complète comme vous pouvez en juger, sa brèche
crânienne ne la gène pas, et la méninge dure ne bombe pas sous le cuir
chevelu. A noter toutefois que cette femme a cessé d'être réglée peu
après l'opération, à 43 ans, et qu'elle déclare avoir engraissé beaucoup.
De quoi s'agissait-il dans ce cas ? Très vraisemblablement d'une mé-
ningite séreuse localisée de Vanglc ponto- cérébelleuse du côté droit qui a
7,; //. CLAl Dl
provoqué une compression du nerf de la VIIIe paire droite, refoulé et
comprimé la protubérance en causant la paralysie alterne, et com-
primé le pédoncule cérébelleux.
El pourquoi cette collection s'ést-elle développée dans cette région ?
La raison nous fut fournie par la suite par la malade, qui, connue eeJa
arrive souvent, nous avait incomplètement renseignés. Surpris de voir
persister l'hypoacousie avec quelques bourdonnements, nous l'avons
soigneusement interrogée et elle s'est rappelée que vingt ans aupara-
vant elle avait été traitée pour une otite dont elle avait beaucoup souf-
fert, et il y a sept ans elle avait été reprise de douleurs dans l'oreille
avec céphalée violente. Cette femme a donc un passé auriculaire qui
explique quelle ait pu avoir une légère atteinte méningée, et à la suite
dé la grippe avec coryza en mars 1912, elle a fait une poussée de mé-
ningite séreuse irritative, laquelle a revêtu les allures d'une néoplasie
ponlo - ce rèbclleuse .
Vous voyez que la guérison complète s'est maintenue depuis neuf
ans, et que la craniectomie a été suivie d'un heureux effet, puisque cette
femme opérée avant qu'il y ait eu de la stase papillaire, a conservé
l'intégrité absolue de sa vision.
A la même époque, j'observais un jeune homme de lô ans qui se pré-
sentait avec une symptomatologie de tumeur cérébelleuse : céphalée
progressive depuis trois mois, puis apparition de vomissements, étour-
dissements, vertiges, douleurs très vives dans la région occipito-cervi-
cale, raideur de la nuque, signe de Kernig, titubation dans la marche,
adiadococinésie, asynergie, réflexes tendineux très vifs avec double
signe de Babinski, réflexes d'automatisme médullaire très prononcés,
troubles de l'appareil vestibulaire (D1* Hautant). Pas de stase papillaire.
Ponction lombaire: pression 30 cm. d'eau, pas d'éléments cellu-
laires, pas d'hyperalhuminose, Wassermann négatif. Voilà très briève-
ment résumé le tableau clinique.
M'appuyant sur l'intensité des phénomènes de réaction méningée,
sur l'existence des troubles de l'appareil vestibulaire, l'absence de
stase papillaire, la diffusion des signes de compression (compression
bilatérale de la voie motrice et des voies cérébelleuses), je pensai qu'il
s'agissait plutôt d'une méningite séreuse (pie d'une tumeur, d'autant
plus que des renseignements recueillis, il résultait que deux ans aupa-
ravant, le jeune garçon axait présenté des symptômes rapportés à une
méningite.
En raison de la progression rapide des troubles et surtout de l'appa-
rition des phénomènes bulbaires graves (arythmmie, syncopes) au
VH YPERTEXSIOX IXTRACRA.X I ENJN E
moindre mouvement, je fis pratiquer par le Professeur Lejars une tré-
panation décompressive pariétale, le 26 décembre 1912.
Le 20 janvier, le malade quittait l'hôpital complètement guéri. Il a fait
son service militaire dans l'auxiliaire, pendant la guerre, et jouit aujour-
d'hui d'une santé parfaite.
Voilà deux types représentant à mon avis les formes les plus com-
munes de la méningite séreuse basilaire, forme cérébelleuse, forme ponlo-
cérébelleuse. Dans ces deux cas la symptomatologie a été très riche, la
progressivité des symptômes de localisation, leur diffusion, l'absence
de stase papillaire, la faible tension du L. C.-R., constituent les carac
tères les plus importants à retenir.
Il y a des formes plus discrètes dans ces méningites localisées ainsi
que dans les diverses variétés de méningites séreuses.
On pourrait multiplier, en effet, les formes de méningite séreuse sui-
vant le degré, Vacuité du processus ou sa chronicité, suivant la locali-
sation, la prédominance de tel ou tel symptôme.
Quincke a décrit des formes frustes, et avec lui, je ne saurais trop
attirer votre attention sur ces formes discrètes dont les manifestations
pourraient faire prévoir l'apparition ultérieure des accidents graves.
Chez la plupart de nos malades nous avons pu retrouver des épisodes
précurseurs. Ces formes discrètes se traduisent par des accès fréquents
de céphalée durant quelques jours, un état nauséeux, avec constipation
des bourdonnements d'oreille. Vient-on à faire examiner le fond de
l'œil, on apprend que les veines sont légèrement dilatées, il y a une
légère stase. La ponction lombaire soulage les malades.
Quincke a décrit ainsi une forme migraineuse. Il conviendra de s'en-
tourer de toutes sortes de renseignements fournis par la ponction
lombaire, l'examen du sang au point de vue de l'urée, des épreuves
biologiques, au point de vue des crises colloïdo-classiques, avant de
conclure à une forme de migraine par hypertension.
Certains accès de dépression à type mélancolique ou neurasthénique avec
céphalée, douleur musculaire, troubles visuels, vertiges, adynamie,
peuvent être qualifiés de forme aslhénique de l'hypertension, si la ponc-
tion lombaire révèle l'augmentation de pression. J'en dirai autant de
certains étals mentaux, et notamment certains états d'excitation pério-
diques cpie j'ai observés chez des sujets nettement hydrocéphales.
Il faut savoir aussi qu'il existe des formes localisées unilatérales
d'hydrocéphalie que la ponction lombaire ne peut révéler, caria dis-
//. Cl. M DE
tension par le liquide céphalo-rachidien se limite à un ventricule ou à
une partie des espaces arachnoïdiens en raison d'oblitérations des ori-
fices de communication, d'adhérences ou de symphyses de l'aqueduc
de S\ Ivius, par exemple.
Peut-être pourra-t-on distinguer une forme infundibulaire en rapport
avec la distension du troisième ventricule où la somnolence et la
polyurie constitueront les éléments caractéristiques.
L'évolution des méningites séreuses est très variable suivant la cause
qui les a engendrées, rétendue des lésions et surtout suivant les mé-
thodes de thérapeutique mises en oeuvre pour les combattre. Comme
je vous l'indique dans les considérations préliminaires de cette leçon, ce
cpii cause l'embarras du médecin, c'est la bénignité fréquente delà symp-
tomatologie au début. Aussi en présence de phénomènes aussi communs
que la céphalée, des vomissements, un état vertigineux, quelques trou-
bles auriculaires, n'est-on que trop porté à n'attacher que peu d'impor-
tance aux malaises signalés, alors qu'une ponction lombaire faite op-
portunément permettrait d'instituer un traitement nécessaire pour em-
pêcher la progression des lésions, éviter le développement des altéra-
tions du nerf optique ou du nerf auditif, et le passage à la chronicité.
Chez les blessés du crâne, il n'est pas rare d'observer des accès légers
transitoires d'hypertension céphalo-rachidienne, qu'une ponction fait
disparaître, de même chez des sujets suspects de tuberculose ou des
enfants ayant des stigmates hérédo-spéciliqucs. Les individus atteints
antérieurement d'otites, de mastoïdite, de sinusite, devront être particu-
lièrement surveillés lorsqu'ils présenteront quelques-uns des éléments
du syndrome d'hypertension.
De même en cas de troubles de la vision sans cause reconnue on ne
saurait trop recommander aux ophtalmologistes, ainsi que l'ont fait
récemment Abadie, Dor, Jocqs au dernier congrès d'ophtalmologie
(mai 1921) de penser à la possibilité d'une méningite séreuse qu'une
décompression par ponction|lombaire ou craniectomie arrêtera dans son
évolution. Perrin et Leriche, à ce même congrès, ont montré que l'acuité
visuelle pouvait être rendue complète à des aveugles dont on avait
constaté la stase papillaire progressive, en pratiquant rapidement une
craniectomie décompressive. Il s'agit de formes d'hypertension à marche
aiguë par méningite séreuse, dans lesquelles une décision thérapeutique
rapide interrompt brusquement le cours de la maladie, .le ne saurais
trop attirer votre attention sur ces laits. J'en dirai autant de certaines
VH YPERTENSION INTBACRAN IENNE
formes de méningites séreuses se traduisant par des accès périodiques
avec troubles mentaux ou crises convulsives comitiales, que la décom-
pression améliore ou guérit.
Malheureusement ces cas ne sont pas assez connus et les asiles d'incu-
rables ou d'aliénés nous o firent encore trop d'exemples d'infirmes
(aveugles, sourds, sourds-muets, épileptiques, aliénés) à qui une inter-
vention médico-chirurgicale aurait pu éviter facilement un état aussi
misérable.
Le pronostic découle, dans les méningites séreuses, des détails dans
lesquels je suis entré. Contrairement aux autres causes d'hypertension
(tumeurs, méningites infectieuses ou tuberculeuses, abcès), la ménin-
gite séreuse primitive dans ses diverses variétés est essentiellement
curable; il suffit de savoir la dépister de bonne heure pour la traiter éner-
giquement — il suffit d'avoir la ferme volonté de suivre ces malades et
de convaincre ceux-ci de la nécessité pour eux d'être tenus en observa-
tion et en traitement. Dans certaines formes rémittentes, c'est là une
besogne ingrate, sur laquelle j'ai déjà attiré votre attention quand je
vous ai montré quelles difficultés j'avais rencontrées quand je rap-
pelais à mes malades la nécessité de rester sous ma surveillance et de
laisser renouveler des ponctions lombaires quand l'opportunité m'en
apparaissait.
Malgré cette surveillance, et à plus forte raison quand la méningite
séreuse n'a pas été dépistée, des complications d'un autre ordre que
les altérations des nerfs, optique et auditif, doivent être présentes à
l'esprit. Je crois nécessaire de revenir sur cette question peu connue
des complications glandulaires, puisque, ainsi que je vous en ai fourni
des exemples, le sj'ndrome endocrinien peut occuper toute la scène
et masquer le syndrome d'hypertension.
La succession des accidents est généralement la suivante, je le répète
intentionnellement : apparition de phénomènes d'iwpertension nets ou
frustes . secondairement, compression progressive de l'hypophyse,
entraînant des troubles fonctionnels variables de l'équilibre glandulaire,
variables parce que suivant l >'<ge du sujet et 1 état antérieur de ses glandes,
les troubles de l'activité fonctionnelle revêtiront des aspects différents. En
effet, on verra se constituer, suivant des lois qui nous échappent, des
phénomènes d'hyperfonction ou d'hypofonction des diverses glandes
endocrines, et peut-être aussi après une phase d hyperfonction, un stade
ultime d'épuisement fonctionnel Quoiqu'il en soit du mécanisme, ces
syndromes pluriglandulaires complexes se traduiront par l'obésité, les
troubles génitaux (hypo ou hyperactivité génitale, aménorrhée),
80 //. CLAUDE
l'asthénie, la polyurie, le diabète. [1 est possible aussi que dans certains
cas, il s'agisse d'un syndrome pluriglandulaire primitif dont les altéra-
tions des plexus choroïdes ne seraient qu'un des éléments, et que l'hydro-
céphalie, au lieu d'être la cause déchaînante du déséquilibre endocrinien,
n'en soit qu'une des manifestations, c'est là un point de vue très nouveau
de la question sur lequel je n'ai pas d'expérience personnelle. Une obser-
vation récente de Sabrazès et Duperie (1920) nous montre, en effet, dans
un cas d'hydrocéphalie congénitale, la glande pituitaire normale et
plutôt en état d'hyperfonetion, tandis qu'il existe des altérations sclé-
reuses des plexus choroïdes, du corps thyroïde et des ovaires en oppo-
sition avec l'hypertrophie du thymus, des para thyroïdes. Les lésions
des plexus choroïdes, causes de l'hydrocéphalie, étaient considérées
par ces auteurs comme conditionnées par les mêmes éléments pathogé-
niques que les autres lésions glandulaires. Des faits de cet ordre s'ac-
corderaient avec la conception de V. Monakow et de Kitahayashi,
que je vous ai exposée, laquelle établit des connexions étroites entre
les plexus choroïdes et les glandes endocrines.
Je ferai remarquer aussi, dans cet ordre d'idées, qu'il est très pro-
hahle que le syndrome épiphysaire si curieux au point de vue des phé-
nomènes anormaux de croissance et du développement génital précoce*
qui a été établi sur des fails de tumeurs de l épiphyse chez l'enfant où l'hij-
pertension est considérable, n'a probablement qu'une symptomatologie
d'emprunt, d'origine hypophysaire surtout, car les observations récentes
d'atrophie ou d'absence de Pépiphyse ne reproduisent nullement cet
aspect clinique.
De tout ce qui précède il résulte que vous devez vous attacher à
dépister de bonne heure l'hypertension intracranienneetà la rapporter
à sa véritable cause.
Dépister n'est pas œuvre méritoire, il suffît de pensera la grande fré-
quence de l'hypertension intracranienne et de la mettre en évidence par
la mesure de la pression du liquide céphalo-rachidien et l'examen du fond
de l'œil.
Diagnostiquer la cause decette hypertension, voilà qui est plus déli-
cat et souvent impossible.
S'il existe un traumatisme crânien dans le passé, des antécédents
méningitiques, auriculaires ou oculaires, vous n'êtes pas excusable de
méconnaître la méningite séreuse et de n'avoirpas cherchée démontrer
son existence.
VH YPERTEXSIOX INTEA-CRANIENNE
En l'absence de commémoratifs, recherchez les antécédents tuber-
culeux ou syphilitiques, voire même alcooliques, ce sont là les grands
facteurs pathogéniques qui peuvent causer l'épendymite ou l'arachnoï-
dite. Dans la pratique vous vous attacherez surtout à démontrer l'exis-
tence de l'hypertension et vous discuterez ensuite si vous êtes en présence
d'une méningite séreuse, d'une méningite infectieuse, d'une tuberculose
méningée dont les variétés sont assez nombreuses, d'un abcès et surtout
d'une tumeur cérébrale.
La ponction lombaire caractérisera histologiquement et bactériologi-
quement les méningites infectieuses ou tuberculeuses.
L'abcès du cerveau sera d'un diagnostic plus délicat. Les mêmes
causes (infections générales ou locales, traumatisme crânien, suppura-
tions nasale, auriculaire, oculaire) peuvent provoquer le développe-
ment d'abcès.
La ponction lombaire m'a montré dans les cas que j'ai observés un
liquide dont la pression est peu élevée, souvent clair, parfois trouble,
mais habituellement hyperalbumineux et assez riche en leucocytes. Ce
sont là des caractères qui joints à l'existence de la fièvre à oscillations
peuvent vous permettre d'écarter le diagnostic de méningite séreuse.
Enfin bien souvent l'abcès est latent et se traduit simplement tout à coup
par la céphalée, les convulsions, une allure dramatique des symp-
tômes qui n'est guère le fait de la méningite séreuse. Je ne vous
dissimulerai pas toutefois que le diagnostic ne peut bien souvent pas
reposer sur une base solide.
Il en est de même pour les tumeurs cérébrales. En faveur de celles-ci,
on peut faire valoir le développement lent, progressif des symptômes
généraux, les signes de localisation à caractère objectif i hémiplégie,
aphasie, paralysies oculaires, etc.), et lentement aggravés, la stase papil-
laire souvent plus précoce et plus prononcée, les crises d'épilepsie, la
tension en général plus élevée du liquide céphalo-rachidien, la présence
des cellules néoplasiques dans ce liquide si la tumeur est superficielle,
la lymphocytose signalée par Dufour, et que j'ai étudiée avec Verdun;
la teneur en albumine est diversement appréciée par les auteurs :
Quincke croit que l'albumine est en plus forte proportion dans les ménin-
gites séreuses ; Oppenheim est d'un avis opposé et mes constatations
confirment cette opinion.
Dans les méningites séreuses, les symptômes peuvent se développer
beaucoup plus rapidement, ils peuvent se prolonger aussi sans modifi-
cation appréciable de l'état général pendant un temps beaucoup plus
long. Il est fréquent (pie des crises d'hypertension, se traduisant par
CONFÉR. KEUROL. 6
//. ci M DE
une recrudescence des troubles fonctionnels et généraux, soientsignalées
dans le cours de l'affection. Les signes de localisation sont moins
tenaces, moins progressifs.
Enfin, dans quelques cas, on ;i pu établir le diagnostic de tumeur
méningée, du type ostéo-fibro sarcomateux par la radiographie.
Voilà, Messieurs, quelques indications, mais combien fragiles! Je n'en
veux pour preuve que le e;is Recette malade que je vous présente chez
qui le diagnostic de tumeur avait fini par s'imposer à mon esprit et
qu'une thérapeutique opiniâtrea guérie, faisant la preuve de la nature
bénigne de la maladie.
Celte femme, âgée aujourd'hui de 33 ans, avait 25 ans quand elle entra
dans mon service, le 8 janvier 1913. Rien à retenir dans ses antécédents.
Quatre mois auparavant, elle accuse une céphalée constante et progres-
sive, des vomissements et des vertiges. Elle se présente à nous avec les
allures d'une tumeur cérébelleuse : attitude soudée par la douleur
céphalique réveillée au moindre mouvement, lenteur de la parole,
troubles de l'équilibre, adiadococinésië. Réflexes normaux, un peu
pius forts à droite. Rien du côté des yeux, pas de stase papillaire.
Ponction lombaire : tension 33 cm., pas d'hyperalbuminose, pas
de lymphocytose, Wassermann négatif dans le sang et le liquide
céphalo-rachidien. Néanmoins nous instituons un traitement spé-
cifique énergique tout en pratiquant quelques ponctions lombaires,
mais en évacuant peu de liquide, redoutant les accidents de décom-
pression.
Ce traitement resta inefficace : les symptômes s'accentuèrent peu à
peu, céphalée atroce, vomissements, titubation, pas de signes de locali-
sation cérébrale ou bulboprotuhérantielle, mais un signe nouveau appa-
rut, l'œdème de la papille, lequel joint à des troubles des réactions vesti-
bulaires, mit hors de doute la progression de 1 hypertension. Nous fîmes
pratiquer une craniectomie décompressive pariétale le 28 janvier 1913.
Pendant quelques jours la céphalée diminua ainsi que les vomissements;
mais au niveau de la brèche osseuse on constatait que la dure-mère
tendue, bombait, et les battements encéphaliques n'étaient pas perçus,
alors que chez les sujets décompressés et en voie d'amélioration on note
plutôt une dépression du cuir chevelu au niveau de la perte de suhs-
tance. Bientôt les troubles fonctionnels reprirent unv intensité nouvelle,
et les manifestations cérébelleuses s'accentuèrent. En mai, l'examen
oculaire fait par M. Dupuy Dutcmps signalait dans le fond de l'œil tics
papilles saillantes, œdémateuses, des artères grêles, et des veines
saillantes sinueuses. On continua le traitement spécifique, on refit des
L'HYPERTENSION INTBA-CRANIENNE 83
ponctions lombaires. A la fin de mai, je résolus de pratiquer des ponc-
tions intra-ventriculaires par la brèche osseuse. Je fis ainsi trois ponc-
tions de 20 à 40 cmc. chaque fois. La pression intraventriculaire
oscillait entre 30 et 38 cm. d'eau.
Dès lors une amélioration lente et progressive se produisit, la
céphalée disparaît, les vomissements cessent, l'équilibre"se rétablit. En
septembre la malade quitta l'hôpital guérie.
Nous la revîmes en mai 1914 : elle avait repris ses occupations, et
n'éprouvait plus de céphalée, 1 inclinaison de la tète produisait seule-
ment parfois des étourdissements. Les règles, qui s'étaient supprimées
pendant la maladie, étaient revenues. L'examen ophtalmoscopique ne
révélait plus aucune altération de la papille.
Actuellement, comme vous pouvez vous en rendre compte, cette
femme est dans d'excellentes conditions. Elle vous dira toutefois qu'elle
a beaucoup engraissé, mais elle n'éprouve plus aucun malaise. Elle a eu
un enfant et sa grossesse et son accouchement ont été normaux. Au
niveau de la perte de substance, il n'y a plus de saillie de la dure-mère
et les battements encéphaliques sont perçus.
Je crois qu'il n'est pas possible de porter un autre diagnostic que
celui d'hypertension intracranienne par méningite séreuse, de pseudo-
tumeur cérébrale. Mais il faut reconnaître que si nous n'avions pas
poursuivi opiniâtrement la cure de l'hypertension, les accidents dus à
la compression auraient progressé et l'on aurait pucroire à l'existence
d'une néoplasie cérébrale.
Un exemple aussi remarquable montre bien, sans que j'y insiste
davantage, les heureux effets d'une thérapeutique médico-chirurgicale
dans de tels cas.
A côté des tumeurs cérébrales, il faudra songer aussi à ces formes de
méningite tuberculeuse en plaques (pachyméningite ou leptoméningite
circonscrite) dont E. Flatau et Mlle Ziberlast-Zand ont repris récem-
ment l'étude. Des céphalées opiniâtres, avec une certaine raideur de la
nuque, des vomissements, de l'œdème papillaire, et de la névrite optique,
de l'augmentation de pression du liquide céphalo-rachidien, tels sont
les symptômes qui ont été notés par ces auteurs. Ils donnent
comme signes différentiels la fréquence de petites poussées thermi-
ques, la réaction de Pirquet positive, les convulsions cloniques
on les paralysies, signes de localisation, présentant des oscillations, des
variations d'intensité ; dans le liquide céphalo-rachidien, l'albumine
(globuline surtout) peut être abondante, la lymphocylose est fréquente :
Hasselt a trouvé des bacilles tuberculeux.
>i H. il Al DE
Ces formes de méningite sont intermédiaires entre les méningites
séreuses circonscrites des tuberculeux que nous avons mentionnées, et
qui sont abacillaires. toxiniques où infectieuses, reliquats surtout d'in-
fections atténuées, et les méningites tuberculeuses diffuses chroniques
ou plutôt méningo-encéphalomyélites, tuberculeuses à forme scléreuse
du scléro-caséeuse. Pour quelques auteurs, la distinction avec les ménin-
gites séreuses est impossible, car ces dernières seraient l'expression des
tuberculoses guéries.
Je vous signalerai encore, pour mémoire, bien que le diagnostic ne
puisse en être posé, ces Hypertrophies cérébrales décrites par Virchow,
Obersteiner, Brouardel,Variot, et qu'à la suite de Reichardt on a étu-
diéesrécemment en Allemagne sous le nom de Hirnschwellung ; le cer-
veauprésentant un volume supérieur à celui de la boîte crânienne,
des phénomènes de compression se produisent. Il s'agit là de cas
exceptionnels.
Les formes localisées, corticales, de méningite séreuse peuvent être
confondues avec les tubercules cérébraux, les tumeurs de la corticalité,
les hémorrhagies cérébro-méningées. La constatation des mouvements
cloniques, rythmiques, jointe aux signes généraux d'hypertension, la
longue durée des accidents, seront des éléments diagnostiques impor-
tants. Dans l'encéphalite épidémique à forme myoclonique, la notion
d'épidémicité guidera surtout le clinicien, mais l'évolution sera aussi
plus rapide, la ponction lombaire révélera de l'hyperglycorachie, de
l'hyperalbuminose et une lymphocytose, qui font défaut dans la ménin-
gite séreuse.
Il ne conviendrait pas à un médecin de s'attarder d'ailleurs trop
longtemps à ces subtilités de diagnostic. L'hypertension intracranieiine
est un fait : qu'elle soit due à une cause OU à une autre, elle constitue un
danger, et parfois un danger immédiat ; il convient donc d'être résolu à
la traiter, dès qu'elle est dépistée à quelques indices, ou reconnue à des
symptômes avérés. Dans les eas où il existe le moindre doute, je n'hésite
pas à le répéter, faites une ponction lombaire pour mesurer la pression
du liquide et vous serez en droit de conduire alors votre thérapeu-
tique d'une façon rationnelle.
Il y a des cas de guérison spontanée, cela n'est pas douteux. Flatau,
dans son étude sur les réactions des méninges contre la tuberculose,
estime que certaines méningites séreuses dénature bacillaire peuvent
L'HYPERTENSION INTRA-CRANIENNE 85
guérir par la diète, la climatothérapie, l'héliothérapie. Dans le même
ordre d'idées si l'on soupçonne la syphilis, il n'est pas douteux qu'il
faille instituer un traitement spécifique énergique. Vous vous rappelez
que nous avons pris comme ligne de conduite dans nos cas d'imposer
toujours à nos malades l'épreuve de traitement, mais il ne faut pas se
contenter de cette thérapeutique médicale, il est nécessaire de traiter
l'hypertension dès qu'elle est reconnue par les trois moyens de décom-
pression que nous avons à notre disposition. La ponction lombaire
d'abord : elle doit être répétée plusieurs fois, en se renseignant par la
mesure de la pression sur les résultats obtenus. Elle sera toujours prati-
quée dans la position horizontale et même légèrementdéclive,les pieds
étant placés un peu plus haut que le corps. Si la tension est élevée, la
décompression ne devra être faite que lentement, goutte à goutte. Le
malade restera étendu le restant de la journée, la tête basse. Après
ces interventions, si la symptomatologie n'est pas modifiée, et surtout si
la stase papillaire progresse (et il convient de l'étudier presque jour
par jour dans certains cas), il ne faut pas hésiter à faire intervenir le
chirurgien en conseillant une craniectomie décompressive, en enlevant
un large volet osseux et sans ouvrir la dure-mère. Si l'on perçoit les
fluctuations du liquide contenues dans les espaces sous-arachnoïdiens,
ou même si l'on soupçonne la présence d'un kyste méningé, il ne fau-
dra pas hésiter à ponctionner avec une fine aiguille pour soustraire une
certaine quantité de ce liquide. Sinon on rabattra le lambeau cutané et
l'on suturera le cuir chevelu. Je conseille en général de pratiquer
une craniectomie pariétale, car c'est la partie du crâne où cette inter-
vention est le mieux supportée et comporte le moins d'inconvénient pour
l'avenir. De plus l'expérience m'a montré que même dans les cas où l'on
soupçonne une localisation dans la région ponto-cérébelleuse ou cérébel-
leuse les résultats ont été favorables. Il ne serait d'ailleurs pas impos-
sible, si l'on trouvait plus tard des signes de localisation tels qu'une
seconde intervention fût indiquée sur une autre région du cer-
veau, de recourir à une nouvelle craniectomie avec ouverture de la
dure-mère.
Dans les épendymites avec communication libre des espacesarachnoï-
diens et dans les méningites séreuses arachnoïdiennes, cette craniecto-
mie décompressive juge généralement la situation, l'hypertension cède
et les accidents disparaissent; on constate alors que la dure-mère cesse
de bomber sous le cuir chevelu, et une légère dépression se produit
au niveau de la brèche osseuse.
Si l'amélioration ne se produit pas ou est insuffisante, je conseille de
s,; //. Cl il l'I
pratiquer la ponction ventriculaire ou la ponction méningée, sous-dure-
mérienne. La ponction ventriculaire que j'ai répétée bien des fois sans
danger, el qui est une Intervention entrée dans la pratique pour les
hydrocéphalies de l'enfance, peut donner des résultats inespérés, comme
le prouve le cas de ma'dernière malade.
Dans les méningites, on peut dire cpie cette thérapeutique décompres-
sive, si elle est pratiquée à temps, c'est-à-dire d'une façon précoce, doit
amener la guérison complète. Les améliorations simples ou les guérisons
incomplètes sont la conséquence des interventions trop tardives alors
cpie des lésions méningées importantes sont déjà constituées et que les
organes comprimés (nerfs, vaisseaux, hypophyse) ne peuvent retrouver
leur intégrité antérieure.
Dans les tumeurs cérébrales, la décompression par craniectomie ne
sera qu'une opération palliative ou préparatoire si l'on a des raisons
d'intervenir plus tard d'une façon plus radicale. Elle soulagera le plus
souvent le malade de sa céphalée pendant quelque temps et le débarras-
sera des vomissements.
En somme, en présence d'un sujet chez qui l'on a reconnu des signes
d'hypertension intra-cranienne, dans l'incertitude où l'on peut se trou-
ver sur la cause, tumeur, abcès, méningite tuberculeuse en plaques ou
méningite séreuse simple (ventriculaire ou arachnoïdienne), il faut
rechercher ce que donnera la décompression par la ponction lombaire
prudente. Si les résultats de cette ponction sont insuffisants, si des
troubles oculaires menaçants sont constatés, ne vous attardez pas à
discuter le diagnostic, conseille/, la craniectomie décompressive, opéra-
tion bénigne avec la technique moderne que nous devons à de Martel ;
tout en continuant le traitement médical, contrôlez toujours les résul-
tats obtenus par l'examen ophtalmoseopique et la mesure de la pression
duliquide céphalo-rachidien au manomètre.
Les résultats sont-ils incertains, complétez par la ponction ventricu-
laire ou méningée par la brèche crânienne votre œuvre de décompres-
sion.
J'espère vous avoir convaincus pluspar les exemples que j'ai mis sous
vos yeux que par mes paroles de la réalité de ces méningites séreuses
(pie nous apprendrons encore à mieux connaître par la suite. Ce cpie
nous en savons vous montre la nécessité d'un diagnostic précoce s'ap-
puyantsur la ponction lombaire et l'examen oculaire dès que l'explora-
tion clinique vous oriente vers le syndrome d'hypertension intracra-
nienne. Le diagnostic de ce syndrome est-il pose, vous savei mainte-
nant pourquoi il ne faut pas tarder à intervenir, vous connaisse/, les
VH YPERTENSION INTRA-CBANIENNE
87
efïets désastreux d'une thérapeutique hésitante, vous avez pu apprécier
les résultats remarquables d'interventions rationnelles et nettement
curatrices, contrôlés par les moyens d'investigation réellement scienti-
fiques que nous possédons. Cette conclusion justifiera, je pense, à vos
yeux, ces développements un peu longs que j'ai cru devoir donnera
l'étude de cette partie de la clinique neuropathologique.
EHRATUM
âges
50,
ligne
21 :
lire
Girard au
lieu de
Gérard
—
51
—
11
—
Monakofï
—
Monokott
—
51
—
26
—
gaines
—
ganes
55
~
1
Tarapani
Brudzinski
z
Taraponi
Brindzuki
57
~
7
soit
Moure
soi
Mouror
—
58
—
20
—
tumeur
—
tumeurs
—
60
—
2
—
pouvaient
—
pourraient
—
64
—
5
—
possible
—
passible
—
65
—
2
—
écouler
—
échapper
—
65
—
7
—
médullaire
—
du ventriculaire
12
—
de quelques
—
des quelques
~
66
—
1
—
40 cm. d'eau
et plus après
—
40 cm. cubes d'eau
et plus après
—
73
—
26
—
celle des
—
celles des
—
75
—
19
—
alterné
—
alterué
—
75
—
20
—
hémiparësie
—
hémiparessie
—
75
—
23
—
papillaire, de
—
papillaire de
—
76
—
40
—
arythmie
—
arylhmmie
—
78
—
11
—
indiquais
—
indique
—
78
—
14
—
les vomissements
—
des vomissements
QUATRIÈME CONFÉRENCE
M. le Dr Gustave ROUSSY
Professeur agrégé à la Faculté de médecine,
Médecin de l'hospice Paul Brousse.
LES TROUBLES SENSITIFS D'ORIGINE CÉRÉBRALE
Messieurs,
Si les troubles moteurs d'origine cérébrale sont aujourd'hui bien con-
nus et les syndromes moteurs hémiplégiques à type cérébral bien
établis, il n'en est pas de même pour les troubles sensitifs cérébraux.
Cette question est restée, en effet, pendant fort longtemps enveloppée de
la plus grande obscurité. Cela tient en partie à ce que très souvent, les
troubles sensitifs sont associés aux phénomènes moteurs et sont parfois
dominés par eux, d'où la difficulté de les déceler. Cela tient aussi auxdiffi-
cultés rencontrées dans l'appréciation clinique objective des troubles
sensitifs qui exigent des recherches particulièrement minutieuses, et qui
dépendent d'une série de facteurs individuels, relevant à la fois du mé-
decin et du malade. On sait combien il est facile, au cours d'un in-
terrogatoire, de suggestioner les sujets examinés, et combien l'apprécia-
tion de leurs troubles sensitifs est liée directement à leur degré de
compréhension.
Quoi qu'il en soit, les progrès apportés dans les méthodes d'investi-
gation clinique de la sensibilité, nous ont fourni une série d'acquisi-
tions importantes qui, à l'heure actuelle, paraissent bien établies.
Ces acquisitions sont dues à la collaboration de différents procédés
mis en œuvre : la méthode anatomo-clinique, complétée par les
techniques d'histologie fine et les recherches expérimentales pra-
tiquées chez les animaux, en particulier chez les singes anthropoïdes, au
moyen de l'excitation directe ou de la destruction d'un fragment du
-cortex.
Grâce à ces différentes méthodes, nous possédons à l'heure actuelle
90 Gl S2 M E nui SSY
une Foule de documents importants relatifs aux localisations sensitives
cérébrales et aux voies centrales suivies par les sensibilités dans les
centres nerveux. De ces documents je ne retiendrai ici que les princi-
paux traits saillants, ceux qui entrent plus directement clans mon sujet,
ceux qui, en somme, intéressent le clinicien.
C'est ainsi que nous aurons à étudier les deux grands syndromes
sensitifs cérébraux qui, à l'heure actuelle, occupent une place bien
définie dans le cadre nosographîque : le Syndrome thalamique de Deje-
rine et Roussy, et le Syndrome sensilif cortical ou Syndrome cortico-
pariétal.
C'est à l'étude de ces deux syndromes que sera consacrée la plus
grande partie de cette leçon.
Il me semble nécessaire auparavant, sous une forme d'introduction
à l'étude des troubles sensitifs d'origine cérébrale, de vous rappeler
brièvement les données élémentaires de l'anatomie des voies sensitives
et de préciser quelques-uns des points utiles à connaître dans la re-
cherche des troubles sensitifs cbez les malades.
Données anatomiques.
Nous entrons en relation avec le monde extérieur au moyen de sen-
sations diverses plus ou moins différenciées, qui sont transmises
par l'intermédiaire du système nerveux. La sensibilité est donc une
des fonctions primordiales de ce système, fonction dans laquelle l'ap-
pareil nerveux tout entier est misa contribution.
L'étude de la sensibilité comprend celle de la sensibilité générale et
celle de la sensibilité spéciale ; cette dernière est fonction d'appareils
particuliers, sièges des sens de la vue, de l'ouïe, de l'odorat et du goût.
Je me limiterai ici, à l'étude de la sensibilité générale qui comprend
Insensibilité objective et la sensibilité subjective.
La première est révélée par l'action extérieure de tout agent mettant
en activité le système nerveux : la douleur à la piqûre, à la brûlure,
par exemple, sont des sensations perçues objectivement par le sujet ;
la recherche de ces troubles sensitifs objectifs donnent habituellement
des renseignements précis et sûrs.
Les sensations subjectives, au contraire, sont réveillées par les exci-
tations intérieures venant spontanément irriter les centres ou les
terminaisons nerveuses ; les douleurs névralgiques, les engourdisse-
ments sont des sensations que le sujet perçoit spontanément, qu'il peut
LES TROUBLES SENSITIFS D'ORIGINE CÉRÉBRALE 91
décrire et analyser lui-même, mais qui échappent à toute méthode
d'examen somatique ou de contrôle de la part du clinicien.
On comprendra donc pourquoi les renseignements fournis par
l'étude de la sensibilité subjective sont moins sûrs que ceux fournis
par l'étude de la sensibilité objective ; il faut en effet faire la part des
différences de réactions personnelles qui varient à l'infini avec les
sujets.
L'appareil sensitif, dans sa plus simple expression, est composé d'or-
ganes terminaux dits de réception, qui, au moyen de conducteurs
nerveux, transmettent les excitations périphériques aux centres de ré-
ception médullaires ou corticaux. Il y a lieu par conséquent d'étudier :
1° les organes de réception ; 2° les voies de transmission ; 3° les centres
corticaux de réception.
Une série de travaux récents sont venus modifier les données
clas'siques anciennes sur la topographie des centres moteurs et sensi-
tifs au niveau de corticalité cérébrale.
En effet, depuis les recherches de Frits h et Hitzig (1870), et jusqu'à
1900, la plupart des neurologistes attribuaient, à la sensibilité et à la
motricité, une même localisation corticale, comprenant la région rolan-
dique (circonvolutions frontale et pariétale ascendantes, pieds des
frontale et pariétale et lobule paracentral). On admettait cependant avec
Charcot, Tripier et surtout Redlich, que la zone sensitive dépassait
légèrement en arrière les limites de la zone motrice.
Cette doctrine classique fut contredite pour la première fois en 1901
par les recherches expérimentales de deux physiologistes anglais :
Grùnbaum et Sherrington. — Ils démontrèrent, en utilisant la méthode
d'électrisation faradique uni-polaire, que chez les singes anthropoïdes,
la circonvolution pariétale ascendante ne faisait pas partie de la zone
motrice ; cette dernière sétendant uniquement en avant du sillon de
Rolando.
Os idées, révolutionnaires à leur apparition, firent l'objet d'une
série de travaux et d'expériences de contrôle, qui permirent en fin
de compte l'établissement d'une doctrine nouvelle admise aujour-
d'hui. Celle-ci repose généralement sur une série de documents tirés
de l'observation physiologique, de l'observation anatomo-clinique, et
de l'observation histologique pure. L'intérêt qui ressort de ces recher-
ches m'oblige à entrer ici dans quelques détails.
Les données fournies par Grùnbaum et Sherrington dans l'expérimen-
tation sur les singes, concordent avec celles obtenues par l'excitation
corticale pratiquée chez l'homme au cours d'interventions chirur-
92
GUSTAVE I10USSY
gicales. C'estainsi que Horsley, puis Krause, Mills, Frazier, Lloyd,
Cushing,au cours d'opérations laites sous anesthésie locale, ont pu con-
stater, par excitation unipolaire du cortex de l'homme, que seule Fa.
était excitable, alors que Pa. ne l'était pas.
Au point de vue anatomo-pathologique, l'examen des cas de lésion
cérébrale en foyer, en particulier de foyers de ramollissement, n'avait
donné jusqu'à ces toutes dernières années que des résultats fort impré-
cis et très discutables. Ceci se comprend aisément si l'on se rappelle
que les circonvolutions péri-rolandiques dépendent d'un même ter-
ritoire vasculaire, la deuxième branche de la sylvienne ; aussi, les
foyers corticaux, même les plus limités, intéressent-ils à la fois ces
deux circonvolutions, ou du moins, viennent-ils dans la profondeur
sectionner les fibres de projection afférentes ou efférentes des circon-
volutions post-rolandiques. Par l'étude des lésions cérébrales en foyer
LES TROUBLES SENSITIFS D'ORIGINE CÉRÉBRALE
93
Fig. 1 — Dégénération de la voie pyramidale étudiée par la méthode de Marehi dans un cas de
sclérose latérale amvotrophique. Bulbe (A), protubérance (B), pédoncule (C), capsule interne (D),
et enfin circonvolution frontale et pariétale ascendantes (E). — A remarquer à ce niveau que presque
toutes les fibres dégénérées sont placées dans la frontale ascendante (Fa). — (D'après Roussy et Rossi.)
on est ainsi dans l'impossibilité de faire une discrimination précise de
ce qui appartient à l'une ou à l'autre des circonvolutions centrales
péri-rolandiques.
Mais le grand nombre de blessures du cerveau observées durant la
guerre est venu jeter un jour nouveau sur cette question, en nous
apportant une foule de documents de la plus haute importance. Les
blessures de guerre, celles par éclat d'obus notamment, sont parfois
extrêmement limitées ; elles offrent donc, du fait qu'elles se font du
dehors au dedans, la valeur de véritables expériences de physiologie, tout
à fait comparables à celles que l'on détermine au moyen de la curette
chez l'animal. L'étude des plaies de guerre du cerveau nous a permis
ainsi de préciser la physiologie de l'écorce cérébrale et principalement
de la substance grise, en raison de la limitation des lésions créées par
94 i.i si 11 /•: ROI *> )
les projectiles Comme nous le venons au cours de cette leçon, l'étude
des blessures cérébrales est venue confirmer les notions apportées
par les deux physiologistes anglais.
Au point de vue histologique, les recherches laites dans ces der-
nières années sur l'architectonie de l'écorce cérébrale viennent aussi
plaider en faveur des idées nouvelles sur les localisations motrices
corticales. Ces études auxquelles se sont attachés, particulièrement,
Koliner, Brodmann, Campbell, Roussy et Rossi, concordent à
montrer que, pour ce qui est de la région rolandique en particulier, il
existe entre Fa. et Pa. des différences des plus nettes, tant au point de
vue du caractère des cellules elles-mêmes que de leurs libres de pro-
jection.
On admet, aujourd'hui, que les grandes cellules pyramidales, ou
cellules de Betz, constituent l'élément caractéristique de la région
motrice. Aussi les a l-on appelées « cellules du type moteur ». Or,
Brodmann a bien montré que la région rolandique est séparée par le
sillon de Rolando en deux centres anatomiques absolument différents
par leur architecture histologique; l'antérieure correspondant à Fa.
est caractérisée par la présence de cellules de Betz et le manque de
couche granuleuse ; la postérieure, correspondant à Pa.,est caractérisée
par l'absence de cellules de Betz, et la présence d'une couche granu-
leuse. La limite entre ces deux centres est formée par le fond du
sillon de Rolando, moins une étroite zone de passage qui présente le
mélange des deux types structuraux. Le lobule paracentral, dans
sa partie antérieure, répond au type cellulaire géant de Fa. et dans sa
partie postérieure au type cellulaire de Pa. En somme, dans la parié-
tale ascendante proprement dite, pas pus (pie dans la partie posté-
rieure du lobule paracentral, il n'existe de cellules de Betz.
Enfin, l'étude des dégénérations secondaires au niveau de la cortica-
lité poursuivies dans certaines maladies comme la sclérose latérale
amyotrophique qui frappe uniquement le système moteur vient égale-
ment apporter des arguments en faveur de cette nouvelle doctrine. Per-
sonnellement, j'ai eu l'occasion, il y a plusieurs années (1907), avec
I. Rossi de (Milan), de reprendre cette question à l'occasion de trois
cas de sclérose latérale amyotrophique étudiés par la méthode Marchi.
dans le service du professeur Pierre Marie à Bicètre Dans ces
trois cas, j'ai pu suivre la dégénération delà voie pyramidale delà
moelle jusqu'au Cortex à travers le bulbe, la protubérance, le pédoncule
el la capsule interne, et apporter ainsi une contribution anatomo
pathologique originale à l'étude des localisations motrices cl sensitives
LES TROUBLES SES SI TIFS D'ORIGINE CÉRÉBRALE 95
corticales J'ai montré, en effet, que le principal contingent des fibres
motrices de la voie pyramidale se rendait au niveau de Pa. et qu'un très
petit nombre venait se perdre dans Fa., ce qui prouvait une fois de
plus quePa. ne participait que très faiblement à la constitution de la
région motrice corticale.
En résumé, il ressort de ce que nous venons de voir, que la zone mo-
trice comprend essentiellement les circonvolutions pré-rolandiques,
c'est-à-dire la frontale ascendante, le pied des deux premières frontales
et la plus grande partie de la paracentrale. La zone sensitive, presque
uniquement post-rolandique, comprend la pariétale ascendante et le
pied des deux premières pariétales.
Caractères généraux des troubles sensitifs cérébraux
observés en cliniques.
Sans entrer ici dans les détails de la séméiologie des troubles
sensitifs cérébraux, je tiens cependant à rappeler quels sont les dif-
férentes variétés de troubles sensitifs que l'on peut observer cbez les
malades atteints de lésions cérébrales et comment il faut les étudier. On
recherché d'abord l'état des sensibilités superficielles C'est en premier lieu
le tact, dans ses différentes modalités de perception, localisation et
interprétation de la perception, distance minima de deux sensations
simultanées, discrimination tactile, enfin temps de réaction. Ensuite
on passe à l'étude des sensibilités à la douleur et à la température, avec
présence ou non d'uneassociation à type syringomyélique, etc. Enfin on
y peut ajouter l'étude de la sensibilité électrique, qui n a d'ailleurs
qu'une importance secondaire.
L'étude des sensibilités profondes, au contraire, est de la plus haute
importance car, ainsi que nous le verrons, ce sont elles qui sont sur-
tout intéressées dans les syndromes sensitifs cérébraux. On notera
donc l'état de la sensibilité à la pression, delà sensibilité osseuse vibra-
toire au diapason, puis les différentes modalités du sens musculaire
(notion de position des membres, mouvements actifs ou passifs,
résistance à la pression et au poids). On examinera enfin la per-
ception stéréo g nostique, c'est-à-dire la faculté que nous possédons
de reconnaître par la palpation et sans le contrôle de la vue, la
forme, la consistance, la nature physique des objets (identification pri-
maire). Tous ces éléments réunis nous permettent, par un tra-
vail d'association cérébrale, de définir exactement par un nom l'objet
que nous palpons.
06 GUS1 il / nnUSSY
Ces notions préliminaires rappelées, nous pouvons maintenant
envisager l'étude des syndromes sensitifs cérébraux.
Les troubles sensitifs d'origine cérébrale se présentent habituelle-
ment en clinique sous deux types principaux : Tantôt ils sont associés
aux troubles moteurs et font partie du cortège symptomatique del'hé-
miplégie motrice classique ; parfois même ils peuvent n'exister que
pendant la comte période qui suit l'ictus. Ces hémianesthésies d'origine
cérébrale consécutives à l'attaque apoplectique ont été particulièrement
étudiées par MM. Pierre Marie et Faure-Baulieu qui en ont bien
montré les modalités cliniques. Mais dans ces cas il s'agit de troubles
Fugaces, habituellement passagers, qui durent au plus pendant quelques
semaines et ne constituent pas de syndromes permanents.
Tantôt les troubles sensitifs d'origine cérébrale sont prédominants
ou peuvent même exister en dehors de tout phénomène moteur. Us sont
alors persistants et définitifs; ce sont eux qui doivent nous arrêter plus
particulièrement. Ces troubles, ainsi que nous l'avons dit tout à l'heure,
s'objectivent en clinique par deux grands syndromes cliniques : le
syndrome thalamique et les syndromes sensitifs corticaux encore appelés
syndromes pariétaux.
LE SYNDROME THALAMIQUE
Avant de faire l'étude analytique de ce syndrome, je ne saurais
mieux faire, me semble-t-il, que de vous présenter deux malades
hospitalisés dans mon service de l'hospice Paul Brousse à Ville-
juif. Tous deux présentent le type classique de ce que j'ai désigné,
avec mon regretté maître Dejerine, sous le nom de syndrome
thalamique.
I. Voici d'abord un homme âgé de 57 ans hospitalisé à l'Hospice Paul Brousse pour
cécité double.
Les troubles actuels sont apparus en 1919 à la suite d'un ictus survenu sans porte de
connaissance On note en effet chez ce malade :
Des troubles sensitifs subjectifs, c'est-à-dire des douleurs qui fuient particulièrement
nettes dans les premiers temps et qui suivirent le début des accidents. A l'heure actuelle
le malade éprouve des sensations de fourmillements, de lourdeur, d'engourdissement
au niveau du membre supérieur gauche et de l'hémi face du même côté.
La sensibilité objective au tact ne décèle pas de troubles appréciables de la localisa
tion tactile. A la piqûre, il y a eu à un moment donné quelques erreurs île localisation
qui actuellement ne sont plus appréciables. Par contre il existe ehei cet homme un
écartement marqué des cercles de Weber du coté atteint (2 cm. la pulpe du doigt .
Pour la température on note de 1 'hypereslhésic douloureuse au chaud à la l'ace pal-
maire de la main gauche et quelques erreurs d'interprétation dans l'appréciation du
chaud et du froid.
Les vibrations au diapason sont normales ainsi que la sensibilité a la pression,
LES TROUBLES SENSITIFS D'ORIGINE CÉRÉBRALE 97
Le malade présente de gros troubles du sens stéréognoslique : identification primaire
et secondaire complètement abolie ; le sens des altitudes passives est également aboli
à la main du côté gauche alors qu'il y a seulement diminution de perception au niveau
des orteils du pied gauche.
Les réflexes tendineux, exception faite pour le stylo-radial gauche qui est légèrement
plus vif. sont égaux des deux côtés. Pas de clonus pyramidal Le réflexe plantaire se
fait en flexion des deux côtés, les réflexes crémastériens sont normaux, les abdomi-
naux un peu plus faibles à gauche.
Ce malade présente en outre des mouvements choréo-atélosiques particulièrement
nets au niveau du membre supérieur gauche et surtout de la main et existant parfois au
niveau du pied. Déplus, il existe chez lui des troubles moteurs d'un ordre un peu
particulier sur lesquels j'ai insisté récemment avec M, Cornil et que je ne ferai qu'é-
noncer ici : ce sont des phénomènes de synlonie d'automatisme apparaissant au niveau
des membres supérieurs, pendant la marche et les mouvements automatiques. Au
cours de la marche par exemple on voit à gauche lentement l'avant-bras se fléchir sur
le bras, les doigts dans la paume et le brasse porter en adduction et élévation moyenne.
Le membre inférieur fauche légèrement de la pointe, si bien que le malade marche
absolument comme un hémiplégique moteur du côté gauche.
Les syntonies d'automatisme apparaissent très nettement aussi dans diflérents actes
simples : se lever, se coucher. Il y a lieu de noter de plus que toutes les manœuvres
classiques pour provoquer les syncinésies produisent le même effet.
Enfin le malade présente une hypertonie intentionnelle nette du membre supérieu r
gauche caractérisée par 1 impossibilité de relâcher ses muscles au moment où on le lui
demande (paratonie de Dupré) et parfois même par une contraction paradoxale de
tous les muscles s'opposant au geste demandé.
Tous les faits précédents contrastent avec une hypotonie marquée du membre supé-
rieur et du membre inférieur lorsque le relâchement a été obtenu. On constate, en effet,
que passivement on peut mettre en contact la face antérieure du bras et de l'avant-
bras gauche alors qu'on observe un écartement de trois travers de doigt à droite.
La force musculaire est presque égale des deux côtés ; au dynamomètre, 22 à la main
droite et 20 à la main gauche, le malade étant droitier.
L'incoordination ataxique est nette au membre supérieur gauche, mais il y a lieu de
tenir compte de l'existence des mouvements athétosiques qui troublent l'appréciation
de l'épreuve. Pas d'ataxie au membre inférieur dans l'épreuve du talon gauche porté
sur le genou droit.
Troubles vaso moteurs et thermiques. — La main gauche est généralement plus
froide que la droite par exemple. Le 8 mai 1921, à 5 heures, pour une température am-
biante de 21" on note à la face dorsale de la main droite 27u8 et 26" à la main gauche.
L'épreuve du bain froid à 16° donne des résultats qui mettent en valeur le dérè-
glement de la régulation thermique : 15' après le bain froid on note en effet à la face
dorsale de la main droite 29°8 et à la face dorsale de la main gauche 21°8.
II. Voici maintenant une femme âgée de 61 ans qui a fait deux ictus avec perte de
connaissance.
A l'heure actuelle les troubles sensitifs consistent en une légère hyperesthésie à la
piqûre qui est plus vivement sentie à droite qu'à gauche. Les cercles de Weber sont
nettement élargis à la main : on note un écartement de 3 cm. 1/2 à la face palmaire des
doigts La sensation de froid et surtout de chaleur réveille plutôt une sensation dou-
loureuse à droite qu'à gauche ; il existe en outre chez cette malade de gros troubles
de la sensibilité profonde : perte complète du sens stéréognoslique et perle de la notion
de position des membres.
Les réflexes tendineux sont vifs mais égaux des deux côtés pour les réflexes rotuliens
et les achilléens , le contra-latéral des adducteurs est plus vif à droite ; les réflexes
cutanés sont tous normaux. •
Cette malade présente, en plus, des mouvements choréo-athétosiques de la main et des
COM ÉR, NEUROL. 7
98 GUSTAVE ROI SS1
doigts du côté droit. Ces mouvements irréguliers, arythmiques, consistent surtout en
flexion et extension alternative du pouce sur les autres doigts ; puis en extension,
flexion, abduction et adduction des quatre derniers doigts. L'avant-bras est lui aussi
animé de mouvements d'extension de flexion sur le bras. Ces mouvements, assez lents,
ail'eetent plutôt le type athétosique que choréique.
L'ataxie est nette à droite, au membre inférieur comme au membre supérieur.
Comme chez notre premier malade, il existe ici des troubles moteurs d'ordre
automatique tout à fait analogues à ceux précédemment décrits : syntonies d'au-
tomatisme particulièrement nettes dans la marche et contrastant avec une hypotonie
à l'état de repos. Enfin notons que la force musculaire est égale des deux côtés.
Cette malade présente encore des troubles vaso-moteurs et thermiques ; la main est
plus froide que la main gauche : à la face dorsale de la main droite, 26° ; à la main
gauche, 28°8.
L'épreuve du bain froid à 15" pendant 10' donne :
10' après à la main droite : 16°2 ;
10' après : à la main gauche : 18"6 ;
30 après : à la main droite : 17°2 ;
30 après : à la main gauche : 19"9.
Une courbe représentant les températures axillaire droite et gauche, la température
ambiante, prise deux lois par jour, montre 1 instabilité thermique considérable de
cette malade. D une façon générale la température de 1 aisselle droite est de 1/2 degré
au-dessous de 1 aisselle gauche. Mais quelquefois la formule est inversée.
Ces deux malades présentent l'un et l'autre un type schématique
de syndrome thalamique.
Ce syndrome est caractérisé, ainsi que je l'ai défini avec M. Deje-
rineen 1906, par les signes suivants :
1" Une hémiplégie légère habituellement sans contracture et rapide-
ment régressive.
2" Une hèmianeslhèsie superficielle, persistante, à caractère orga-
nique, pouvant être, dans certains cas, remplacée par de l'hyperes-
thésie cutanée, et s'aeeompagnant toujours de troubles marqués et per-
sistants des sensibilités profondes.
3° De ihémiataxie légère et de Yastéréognosie plus ou moins com-
plète.
4° Des douleurs vives du côté Hémépligié, persistantes, paroxystiques,
souvent intolérables et ne cédant à aucun traitement analgé-
sique.
5° Des mouvements choréoathélosiques dans les membres du coté
paralysé.
Tels sont les différents symptômes qui, par leur réunion, permettent
d'affirmer l'existence d'une lésion intéressant le thalamus.
Cette lésion est localisée en un point particulier de la couche optique; elle
intéresse le noyau externe dans sa partie postéro-externe, une partie des
noyauxmédian et interne; ainsi que le Fragment correspondant de la cap-
LES TROUBLES SENSITIFS D'ORIGINE CÉRÉBRALE 99
suie injterne. Ce tableau symptomatique constitue, disions-nous àcstte
époque, — par la réunion de ses différents signes, un nouveau syn-
drome qui doit prendre rang dans la nosologie : le syndrome thala-
mique.
Depuis cette époque, un grand nombre de cas semblables ont été
publiés et sont venus confirmer entièrement nos recherches, si bien que
le syndrome thalamique est aujourd'hui classique. Successivement
"VVinkler et Van Londer d'Amsterdam, Haskowec (de Prague), Head et
Gordon-Holmes en Angleterre, puis Mills en Amérique ont rapporté
des cas de syndrome thalamique suivis d'autopsies.
Reprenons avec quelques détails l'étude analytique des principaux
signes de ce syndrome.
Si j'en juge d'après ma propre expérience, sa fréquence n'est pas très
grande. C'est tout au plus si, dans les grands services des hospices de
vieillards où les hémiplégiques sont si nombreux, on compte deux, trois
ou quatre malades atteints de syndrome thalamique. Le début se fait
habituellement sans grand fracas, sans perte de connaissance, car il
s'agit d'une lésion centrale n'atteignant pas la corticalité.
Les troubles moteurs en tant que troubles d'ordre paralytiques sont
réduits au minimum : au début, très légère hémiparésie qui rapidement
s'atténue pour disparaître même complètement. Quand ils existent,
ils intéressent surtout la face sans s'accompagner de troubles de la
mimique émotive, contrairement à l'opinion de Bechterew et Nothna-
gel. Le domaine du facial supérieur reste intact. La langue n'est pas
déviée, mais elle peut l'avoir été au début, ainsi que le voile du palais.
Le réflexe pharyngé est normal.
Les membres supérieurs ou inférieurs sont également fort peu tou-
chés dans leur motilité et leur atteinte n'est que transitoire mou-
vements actifs relativement conservés, hypotonicité et diminution
de la force musculaire, absence de trépidation épileptoïde sont les
signes habituels dune hémiplégie légère ou en voie de régression.
Les mouvements associés ou syncinétiques peuvent, dans certains cas,
être particulièrement nets.
L'hémichorée et Yhémiathétose se retrouvent dans la plupart des
observations. Ce n'est pas la grande hémichorée qu'on observe ici,
mais de petits mouvements dans les extrémités des membres, localisés
surtout au niveau des doigts et de la main. Tantôt ces mouvements re-
vêtent le caractère désordonné de la chorée, tantôt ils prennent l'aspect
lent et vermiculaire de l'athétose.
h'hémitremblement fait complètement défaut.
&VIV&
100 GUSTA\ E ROI SS1
Llhémiataxie, enfin, esl parmi les troubles moteurs un des signes les
plus intéressants du syndrome thalamique.
Uataxie tles thalamiques varie dans son intensité suivant les cas,
mais elle conserve toujours certains caractères qui lui appartiennent
en propre, et la distinguent des ataxies d'origine médullaire ou péri-
phérique ; elle est légère, limitée et n'atteint jamais le degré de la grande
ataxie des tabétiques. Dans les différents mouvements que fait le
malade, il y a une certaine gène, une hésitation relevant de l'ataxie.
Lis malades peuvent cependant coordonner une succession de
mouvements comme celle d'ouvrir les différents doigts de la main, l'un
après l'autre, ce que ne peut faire un tahétique ataxique. Quand on
commande aux malades de porter l'index au bout du nez, les yeux fer-
més, ils font îles erreurs délocalisation, hésitent souvent beaucoup;
mais, dans ces différents actes, le mouvement se ralentit avant d'arriver
au but, les malades étant encore capables, sinon de diriger exactement
le doigt sur un point donné, de régler tout au moins l'amplitude et la
vitesse du mouvement. Il n'y a pas de grossières erreurs comme chez
les tabétiques.
L'état des réflexes tendineux est intéressant à relever ; tantôt ils
sont un peu exagérés, tantôt ils sont normaux et traduisent l'inté-
grité de la voie pyramidale.
Les réflexes cutanés (crémastérien, abdominal, épigastrique) ainsi
que le réflexe plantaire sont normaux ou absents. L'absence du signe
de Babinski notée dans la plupart des cas, malgré la dégénération pyra-
midale constatée souvent sur les coupes, mérite d'être soulignée.
On peut, en effet, se demander s'il ne s'agit là que d'un fait dénotant le
peu de participation de la voie motrice au syndrome thalamique ;
ou encore, et c'est l'opinion qui nous parait la plus vraisemblable, si la
couche optique lésée n'intervient pas dans la production de ce phéno-
mène en modifiant le régime de réaction normale de la voie pyrami-
dale irritée.
Troubles sensilifs. Les troubles de la sensibilité prennent une impor
tance capitale dans le tableau clinique que nous étudions, par leur
intensité, leur constance, leur caractère et leur modalité : ce sont eux
qui dominent la symptomatologie du syndrome thalamique.
La sensibilité superficielle est atteinte dans ses trois modal i les :
tact, douleur, température ; ce n'est pas d'une abolition complète
des sensations périphériques qu'il s'agit, mais bien de modifications
des impressions sensitives telles qu'on les rencontre dans les anes-
thésies cérébrales avec tous leurs caractères classiques. Nous ne
LES TROUBLES SENSITIFS D'ORIGINE CÉRÉBRALE 101
ferons que les rappeler rapidement. L'anesthésie n'est jamais
absolue comme dans les hémianesthésies hystériques ; prédomi-
nant à l'extrémité des membres, diminuant de la périphérie à la racine
de ceux-ci, cette anesthésie dépasse légèrement la ligne médiane du
corps sur le tronc et la face, empiétant d'un à deux centimètres sur
le côté sain.
L'abolition ou la diminution de la sensibilité tactile, étudiée au
pinceau de blaireau, peut intéresser la peau et les muqueuses. Pour la
douleur et la température, la disparition n'est jamais absolue, comme
du reste dans toute hémianesthésie cérébrale, quelle qu'en soit la cause.
Long d'abord (1889), puis Brécy (1902), dans leurs thèses ont exposé
complètement cette question des hémianesthésies organiques.
On sait que l'on a affaire à des modifications quantitatives et qualita-
tives de la sensibilité, dans les hémianesthésies organiques. Ce sont des
perversions dans l'interprétation du lieu et du mode de la sensation.de la
dysesthésie, de la topoanesthésie et de la topoanalgésie avec retard dans
la perception des sensations et avec élargissement des cercles de Weber.
Ce sont les mêmes troubles sensitifs superficiels que nous rencon-
trerons dans le syndrome thalamique. Chez nos malades, il ne s'agit
donc pas de modifications grossières de la sensibilité superficielle ;
aussi faut-il, pour les déceler, procéder à leur recherche avec le plus
grand soin.
Les sensibilités profondes sont beaucoup plus atteintes, et cela dans
leurs différentes composantes : articulaire, musculaire, tendineuse,
osseuse. On peut noter la diminution ou la disparition de la sensi-
bilité osseusee vibratoire au diapason et la perte complète du sens
musculaire.
La notion des mouvements actifs ou passifs est diminuée, parfois
même abolie; la notion de résistance, de force également; celle du poids
est nettement abolie du côté malade. La notion de position enfin ou sens
des attitudes segmentaires est fortement touchée.
Il y a perte plus ou moins complète de la perception « stéréognos-
tique » qui est toujours atteinte, mais à des degrés différents.
Parmi les troubles de la sensibilité subjective la présence de douleurs
du côté hémiplégie est un fait très important à noter chez les malades
atteints de lésion du thalamus.
On les retrouve dans la plupart des cas de syndrome thalamique
publiés et dans ceux que j'ai moi-même étudiés, avec'assez de fréquence,
pour qu'on puisse admettre aujourd'hui que ces douleurs sont sous la
dépendance de la lésion thalamique, ou de la destruction, avec irrita-
102 i.i si w i ROI SS\
tion consécutive des libres qui viennent s'arboriser dans sa portion
ventrale. Ces douleurs, cependant, ne sont pas constantes. Elles peuvent
manquer quelquefois, mais rappelons-nous que, pour apprécier des
phénomènes subjectifs, comme les douleurs, il faut tenir compte du
mode de réaction individuelle propre à chaque sujet ; c'est là en
somme affaire d'équation personnelle.
Ces douleurs doivent être rangées dans le groupe des douleurs dites
« d'origine centrale» signalées autrefois par Anton, Edinger, Gols-
cheider, etc. Elles sont précoces dans leur apparition qui peut se faire
au début de l'hémiplégie, soit quelques mois après. Elles siègent non
seulement dans les membres paralysés, mais aussi à la face et sur le
tronc. A la face, elles occupent le front, la joue, l'orbite avec
sensation d arrachemeut de l'œil, le menton et l'oreille du côté malade.
Au niveau des membres, elles ne se cantonnent pas avec prédilection
dans les articulations, mais irradient dans toute la longueur des seg-
ments des membres, aussi bien au niveau des doigts et des orteils
qu'à leur racine. On a beaucoup de peine à obtenir des malades une
indication exacte sur la localisation de ces douleurs, en tant que siège
superficiel ou profond. Une de nos malades nous répétait continuelle-
ment que ce qui l'empêchait de remuer la main gauche, de marcher,
c'étaient les douleurs vives qu'elle éprouvait dans le bras et la jambe. Il
s'agit en somme d'une impotence douloureuse. La plupart cependant
insistent sur le fait qu'elles sont plutôt superficielles et que ce sont
la peau et les plans cellulo-graisseux sous-jacents qui sont dou-
loureux.
Quoi qu'il en soit, ces douleurs sont continues avec exacerbation
paroxystique, arrachant parfois des cris aux malades, les empêchant de
dormir ouïes réveillant brusquement.
Les malades comparent leurs douleurs tantôt à des brûlures superfi-
cielles ou profondes, tantôt à des élancements, à des pressions violentes
et douloureuses qu'on exercerait sur la peau, tantôt enfin à des coups
de poignard. Ces phénomènes revêtent un caractère paroxystique ;
entre les crises ce sont des fourmillements, des engourdissements
dans les extrémités des membres et quelquefois au niveau de la face.
Par certains de leurs caractères, ces douleurs ressemblent beaucoup
aux causalgies dont nous avons vu de si nombreux exemples durant la
guerre.
Notons enfin un caractère important : ces algies m- cèdenl à aucun
traitement analgésique interne on externe, rien ne réussit à soulager
les malades dont les souffrances sont parfois intolérables,
LES TROUBLES SE X SI TIFS D'ORIGIXE CÉRÉBRALE
103
La douleur n'est pas simplement spontanée, elle est aussi, dans
certains cas, provoquée par un simple attouchement de la peau avec le
doigt. La piqûre, le contact du froid et du chaud, la pression, sont très
désagréables, ces malades étant parfois très hyperesthésiques.
Organe des sens. 1° Vue. On ne note pas de troubles de la musculature
interne ou externe de l'oeil ; les pupilles sont normales et réagissent
2ï* opt;
"tjjj'dltt^
Fig 2. — Syndrome thalamique. (Obs. personnelle.! En Fi. foyer hémorragique. Celui-ci intéresse la
couche optique à la partie supérieure du noyau externe (Ne), empiète en dedans sur le noyau interne
(Ni) et en arrière sur le Pulvinar. En dehors, la lésion intéresse la partie postérieure du segment pos-
térieur de la capsule interne (Cip), et plus en dehors encore, la partie postérieure du noyau lenti-
culaire (NL3, NL2 .
normalement à l'accommodation. Dans un cas personel, nous avons ob-
servé de l'hémianopsie latérale homonyme, ce qui montre que la lésion
a envahi la partie postérieure et inférieure du thalamus et sectionné les
radiations thalamiques.
L'ouïe, l'odorat et le goût ne participent pas à la symptomatologie du
syndrome thalamique.
Troubles vaso-moteurs et sécrétoires. — Il peut exister dans des cas
d'hémiplégie par lésion de la couche optique, des troubles vaso-moteurs.
Chez les deux malades qui sont devant vous, ces troubles sont particu-
lièrement évidents. J'y ai particulièrement insisté en vous les présen-
tant.
L'anatomie pathologique du syndrome thalamique, ainsi que
nous avons pu l'établir personnellement, d'une part grâce à l'étude
de coupes microscopiques sériées dans quatre cas de lésions de
la couche optique, et d'autre part au moyen de recherches expérimen-
tales, a montré qu'aux syndromes cliniques dont nous venons de donner
nu Gl STA \ i: i;m sv i
la description correspond une lésion toujours identique à elle-même.
Celle-ci occupe la partie postérieure delà couche optique dans près -
que toute sa hauteur. Il s'agit d'un loyer de ramollissement qui intéresse
habituellement le tiers postérieur et externe de la couche optique.
Ce foyer détruit [a plus grande partie des noyaux externe et interne,
empiète souvent sur le noyau médian en avant, sur le pulvinar en
arriére. Presque toujours la lésion vient, en outre, sectionner la partie
postérieure du segment postérieur de la capsule interne. Parfois
même, en dehors, elle atteint la partie tout à fait postérieure du noyau
lenticulaire.
La localisation du foyer de destruction est rarement limitée stricte-
ment à la couche optique elle-même ; ceci dépend de la distribution vas-
culaire de la région et rend le problème de l'interprétation physio-
logique des signes du syndrome thalamique assez difficile. Aussi
n'est-ce que par l'étude de coupes microscopiques minutieusement
sériées, et par l'expérimentation, (pie nous avons pu arriver à faire
la part de ce qui relevait de la lésion thalamique et de ce qui revenait
au contraire aux lésions accessoires, notamment à celle de la capsule
interne.
Je ne ferai que rappeler brièvement les grands traits principaux de
cette discussion, de façon à bien préciser devant vous quel est le rôle
de la lésion du thalamus dans la production des différents symp-
tômes. Pour cela je ne retiendrai que les trois points suivants :
1° La dissociation des phénomènes moteurs et sensitifs.
2J L'interprétation physiologique de ces troubles moteurs et sensitifs.
3° L'interprétation des mouvements choréo-athétosiques.
1° La dissociation des phénomènes moteurs et sensitifs, dans une hémi-
plégie d'origine cérébrale, est un des faits les plus saillants d'une lésion
thalamique. Elle attire immédiatement l'attention et doit faire recher-
cher les autres signes du syndrome. Mais il faut savoir que cette dis-
sociation entre les .troubles moteurs et sensitifs n'est pas propre aux
lésions thalamiques et qu'elle peut aussi se rencontrer dans les lésions
corticales. Nous y reviendrons tout à l'heure, à propos des syndromes
pariétaux.
2" A quoi sont dus les troubles paralytiques et les troubles de la sensi-
bilité dans le syndrome thalamique '.'
La cause des phénomènes paralytiques se conçoit d'elle-même : ils
sont la conséquence d'une altération concomitante de la partie posté-
rieure de la capsule interne, ;iinsi que nous l'avons observé dans trois
de nos c;is.
LES TROUBLES SENSITIFS D'ORIGINE CÉRÉBRALE 105
La lésion thalamique ne joue donc aucun rôle dans la production
de ces troubles moteurs, ainsi que le prouvent les faits suivants :
1° Les troubles moteurs sont proportionnels à l'étendue de la lésion
capsulaire ; plus celle-ci est marquée, plus ils sont prononcés, et inver-
sement.
2° Ils ne sont pas proportionnels à l'étendue de la lésion thala-
mique.
3° Chez l'animal, une lésion expérimentale localisée dans le thalamus
et respectant la capsule interne ne détermine pas de troubles para-
lytiques.
Quant aux troubles sensitifs, il est de toute évidence qu'ils sont sous
la dépendance de la lésion thalamique.
Dejerine et Long, dans un mémoire consacré à l'étude de la localisa-
tion de l'hémianesthésie dite capsulaire, ont montré que les troubles de
la sensibilité générale se rencontraient dans les lésions centrales des
hémisphères dans deux conditions :
d'une part dans les cas de lésion thalamique détruisant les fibres ter-
minales des voies sensitives du pédoncule et les fibres d'origine des
neurones thalamo-corticaux ;
d'autre part, dans les cas où, le thalamus étant intact, les connexions
avec la corticalité sensitivo-motrice sont plus ou moins détruites. Dans
ce dernier cas, la lésion est toujours très étendue.
Dejerine et Roussy ont ensuite montré que lorsque la lésion siège
dans le noyau externe (partie externe et postérieure), qu'elle empiète sur
les noyaux interne et médian du thalamus, et qu'elle intéresse une
partie des fibres du segment postérieur de la capsule interne, on trouve
réalisé le tableau clinique du Syndrome thalamique.
Une telle lésion sectionne les neurones ascendants centripètes, voies
centrales de la sensibilité générale, qui viennent toutes aboutir au
thalamus ;
3° Quelle est la cause des mouvements choréo-athétosiques ?
Déjà dans notre mémoire de 1906, nous nous sommes demandés si les
mouvements choréo-athétosiques que l'on observe si fréquemment dans
le syndrome thalamique étaient sous la dépendance directe de la lésion
de la couche optique. C'est là une question qui a été fort discutée et in-
terprétée de façon très différente suivant les auteurs. Je rappellerai sim-
plement ici qu'à l'opinion soutenue à l'étranger par les auteurs avec
Hammond, Gowers, Nothnagel, (ialvani qui attribuaient à la couche
optique un rôle prédominant dans la production de ces mouvements,
l'école française avec Charcot et Raymond avait opposé une théorie
106 C.L'STAVl-: IU)t SS)
toute différente, en plaçant la lésion causale de ces troubles dans la
capsule interne. Plus tard, Kahler et Pick, étendant cette dernière
hypothèse, formulèrent une théorie qui l'ut également adoptée par beau-
coup de neurologistés. à savoir que les troubles d'excitation post-
hémiplégiques résultent d'une altération du faisceau pyramidal en un
point quelconque de son trajet. Personnellement, je me suis autrefois
rallié à l'opinion de Kahler et Pick, qui refusait à la couche optique le
droit de jouer un rôle dans la production des mouvements choréo-
athétosiques.
Or. à l'heure actuelle, à la laveur de travaux récents parus sur la
physiologie du corps strié, je crois qu'il y a lieu de reprendre la ques-
tion de l'interprétation des mouvements "choréo-athétosiques dans le
syndrome thalamique C'est ce que nous avons fait tout dernièrement
dans mon service avec mon élève Lucien Cornil, à propos des deux
malades que je viens de vous montrer.
Ces deux malades présentent en effet — en plus des signes dont je
vous ai parlé tout à l'heure appartenant en propre au syndrome thala-
mique, en plus aussi des mouvements choréo-athétosiques — des
modifications importantes du tonus musculaire dont le caractère
particulier nous permet de les désigner sous le nom de syntonie
d'automatisme.
C'est au cours des mouvements d'automatisme comme la marche
par exemple, qu'ils apparaissent. Le malade étant au repos, on cons-
tate une hypotonie manifeste du membre supérieur et inférieur du
côté atteint, hypotonie qui se transforme en hypertonie dès qu'on
demande au malade d'accomplir un mouvement automatique comme
la marche. On voit alors l'avant-bras se fléchir sur le bras, la main sur
l'avant-bras, la jambe s'étendre sur la cuisse ; si bien que lorsqu'on
regarde le malade, il donne l'impression de marcher comme un hémi-
plégique moteur contracture ; or, ni chez l'un, ni chez l'autre de nos
malades, il n'existe de contracture. Il faut ajouter que ces attitudes
peuvent être provoquées, quoique moins facilement, par les di lié-
rentes épreuves syncinétiques habituelles du côté sain.
Enfin, chez l'un de ces malades, chez l'homme, on note à l'état de
repos, une hypertonie intentionnelle des plus nettes lorsqu'on lui
demande de relâcher ses muscles.
Ces modifications importantes de la motilité automatique, SUT
lesquelles je viens d'insister, relèvent, nous le savons aujourd'hui, d'une
lésion du corps strié ainsi qu'il ressort d'une série de travaux récents
dus en particulier à Modden, à Cécile et OscarVogt, à Ramsay-Hunt* I
LES TROUBLES SENSITIFS D'ORIGINE CÉRÉBRALE
107
Lhermitte et Cornil et surtout à Wilson qui, il y a peu de jours, vous
exposait ici même les résultats de ses importants travaux sur le corps
strié.
L'on est en droit de supposer, comme je l'ai fait avec L. Cornil,
que chez nos malades, les phénomènes choréoathétosiques sont
précisément dus à ce que le foyer de destruction intéresse une plus
-F
Fig. 3. — Cas. Jossaume (thèse Roussy lî'07). Le loyer de destruction F occupe la partie postérieure
de la couche optique (Th.) dont il détruit tout le tiers postérieur du noyau externe ; en dedans, il
empiète sur le pulvinar ; en dehors, il sectionne la partie postérieure du segment postérieur et le
segment rétro-lenticulaire de la capsule interne, et pousse une pointe dans la partie postérieure du
noyau lenticulaire (NL3). Le noyau antérieur et le noyau interne du thalamus ne sont pas intéressés
par la lésion.
ou moins grande partie de la queue du noyau lenticulaire. Bien
entendu, il ne s'agit pour l'instant que d'une hypothèse que nous faisons
avec toutes les réserves que comporte, en pareil cas, l'absence de véri-
fication anatomique. Cependant, un coup d'œil jeté sur les figures
ci-jointes (fig. 3 et 4) nous montre que dans les cas rapportés dans ma
thèse (cas Joss..., cas Hud...) où il existait des mouvements choréo-
athétosiques très pi'ononcés, la lésion intéressait le corps strié.
Formes cliniques. — A côté de cette forme type, le syndrome
thalamique peut revêtir d'autres modalités cliniques ainsi que j'ai
L08
Gl STA \ E ROI SS I
eu l'occasion de le démontrer personnellement, toujours à l'appui
de cas vérifiés sur autopsie. En effet, tantôt l'on a affaire à la forme
décrite ci-dessus, forme que l'on peut dénommer le syndrome thala-
nuque type ou forme pure de ce syndrome ; tantôt, au contraire, il s'agil
de formes associées ou mixtes dans lesquelles les troubles paralytiques
sont plus marqués, et revêtent le caractère de l'hémiplégie organique
— F
Fig. 4. — Cas Hudry (thèse Roussy 1907). Le loyer primitif, comme dans le cas précédent, détruit
complètement la partie postérieure du noyau externe du thalamus (Th.) et vient plus en dedans
intéresser le centre médian de Luys. En arrière, il empiète sur la partie antérieure du pulvinar. En
dehors, il sectionne le segment postérieur de kl capsule interne et vient léser, par ses ramifications,
la partie postérieure du noyau lenticulaire (NL3).
spasmodique qui vient s'ajouter aux signes cliniques d'une lésion de la
couche optique. C'est Informe thalamo-pyramidale.
Si l'interprétation que je vous donnais tout à l'heure à propos des
mouvements choréo-athétosiques venait à être vérifiée anatomique-
ment, on pourra également distinguer une forme thalamostrice du
syndrome thalamique, forme dans laquelle les mouvements choreo-
athétosiques sont particulièrement évidents et prononcés.
Quant aux formes sensilino-sciisoricllcs décrites par certains auteurs,
et notamment par I laskowec, je ne crois pas qu'il y ait tics faits suffisam-
ment probants pour en admettre l'existence. En effet, en sériant de
très près la question des héinianesthésies sensorielles notées dans
LES TROUBLES SENS1TIFS D'ORIGINE CÉRÉBRALE 109
les hémianesthésies générales par lésion de la couche optique, que
trouve-t-on ?
Au point de vue clinique, pour le goût, l'ouïe, et l'odorat, on
observe parfois des altérations qui consistent plutôten diminution qu'en
abolition des sensibilités spéciales, et qui sont habituellement par-
tielles et irrégulières. Parfois, la diminution de l'audition comme clans
le cas de Winkler, peut être bilatérale. Mais ces symptômes disparais-
sent quelques mois après le début de la paralysie et ne font plus partie
du tableau symptomatique. Or, on sait que c'est à partir de cette pé-
riode, que le syndrome se présente, selon nous, ayec toute sa pureté.
Pour la vue, ainsi que nous l'avons montré avec notre maître Deje-
rine, l'hémianopsie latérale homonyme peut s'associer au tableau du
syndrome thalamique ; elle constitue alors un symptôme définitif.
Au [point de vue anatomique, nos connaissances sur les connexions
des voies centrales acoustiques, auditives et olfactives avec la couche
optique sont encore trop insuffisantes pour nous permettre de dire
avec certitude, en présence d'hémianesthésie sensorielle au début du
syndrome thalamique, que les fibres sensorielles sont lésées dans leur
trajet intrathalamique, et non à leur passage au voisinage de la
couche optique. La méthode anatomo-clinique n'a fourni encore à
cet égard que des renseignements incomplets, étant donnée la repré-
sentation corticale bilatérale des sens de l'ouïe, de l'odorat et du
goût qui explique les suppléances et les réparations rapides observées
à la suite de lésion unilatérale. La présence de l'hémianopsie par
contre s'explique facilement par l'extension du foyer thalamique en
arrière et la destruction à ce niveau des fibres de projection des voies
optiques (radiations de Gratiolet) ou du corps genouillé externe.
S'il est donc possible que le thalamus, en plus de ses fonctions de
relai intra-hémisphérique des voies sensitives centrales, entre en
connexion avec les voies sensorielles de l'ouïe, du goût et de l'odorat,
le lait ne peut être considéré comme définitivement acquis.
De ces considérations cliniques et anatomiques, il résulte que le seul
trouble sensoriel définitif que l'on puisse observer au cours du syn-
drome thalamique est l'hémianopsie. Mais il s'agit ici, comme nous
l'avons dit ailleurs, d'un symptôme accessoire ne relevant pas directe-
ment de la lésion delà couche optique et ne faisant pas, à proprement
parler, partie du syndrome thalamique.
LES SYNDROMES PARIÉTAUX
Les différentes modalités suivant lesquelles peuvent s'extérioriser
I m GUSTAVE ROUSSY
en clinique des lésions limitées à ta zone sensitive corticale du
lobe pariétal nous sont particulièrement bien connues depuis la guerre.
En effet, si avant 1914, certains auteurs comme Redlich, Monakov et
Dejerine avaient eu l'occasion d'observer des faits tirés de l'observation
clinique neurologique courante dans lesquels on avait pu porter le
diagnostic de lésions limitées au lobe pariétal, c'est surtout depuis la
guerre que les différents types du syndrome pariétal ont été bien éta-
blis. Et ceci se conçoit aisément puisque les blessures du cerveau,
principalement les blessures par éclat d'obus créent des lésions céré-
brales bien limitées, souvent très superficielles, réalisant en quelque
sorte très exactement les expériences des physiologistes chez l'animal.
M. Pierre Marie et ses élèves, Chatelin, Mme Athanassio Bénisty
ont particulièrement contribué à l'étude clinique de ces blessures
localisées de l'écorce cérébrale et de la zone rolandique.
Le syndrome sensitif cortical, décrit pour la première fois par
Dejerine en 1914, est caractérisé par une intégrité complète ou presque
complète de la sensibilité tactile, des sensibilités douloureuse et ther-
mique avec conservation parfaite de la sensibilité osseuse; au contraire,
la discrimination tactile du sens des attitudes et du sens stéréognosti-
que est complètement abolie. Ce syndrome devait trouver bien vite une
solide confirmation dans une série d'observations de lésions isolées du
lobe pariétal par blessure de guerre. En effet, à la première réunion de
la Société de Neurologie qui suivit la déclaration de guerre, en décembre
1914. Dejerine et Mouzon présentaient deux cas de syndrome sensitif
cortical par blessure de guerre.
A la séance suivante, en janvier 1915, je rapportais moi-même avec
mon élève, M. Bertrand, une nouvelle observation tout à fait typique
dont je vous demande la permission de rappeler ici très brièvement les
principaux traits.
Il s agit d'un soldat qui le 16 octobre 1914 est atteint d'une balle à la tète du côté
gauche II tombe, mais se relève aussitôt pour aller se blottir un peu plus loin dans
l'excavation formée par l'explosion d'un obus de 150 millimètres. 11 attend la fin du
tir pour repartir et rejoindre les lignes françaises.
Durant tout le trajet qu il fait à pied depuis le lieu de l'accident (environ un kilomètre!
et malgré une forte hémorragie au niveau de la plaie du cuir chevelu, il ne perd pas un
instant connaissance Arrivé au poste de seeours.il a perdu l'usage de la parole et présente
une hémiplégie droite avec un peu de surdité du côté gauche. Après un pansement soin-
maire, on l'évacué sur Sézanne où il reste peu de temps, puis à lîra\-sur Somme, où
ou lui rase la tête, on sonde la blessure et, après un badigcnnuage à In teinture d'iode]
on 1 envoie à l'Hôtel-Dieu d'Alençon. Entré dans cet hôpital le SKI octobre, il v reste un
mois et demi . la fièvre, la céphalée s'amendent rapidement . le malade commence :i parlai
10 jours après l'accident ; le 20e jour après, il peut se servir de la main droite pour écrirai
\ sa sortie de l'Hôtel-Dieu d Alençon, il ne lui reste plus qu'une hémiplégie motrice,
LES TROUBLES SENSITIFS D'ORIGINE CÉRÉBRALE 11 ï
caractérisée par une gêne fonctionnelle du bras et de la jambe droite et une très grande
lenteur de la parole, il est même incapable de prononcer certains mots.
Après un court séjour à Toulouse, il est envoyé au Val de Grâce, où il entra le 18 jan-
vier 1915.
A l'examen fait le 19 janvier, on remarque deux cicatrices du côté gauche du crâne,
situées de part et d'autre du sillon de Rolando, déterminé par les procédés classiques.
La cicatrice postérieure correspond à l'orifice d'entrée du projectile, l'antérieure, longue
de 5 centimètres environ, est adhérente au niveau d'un sillon osseux.
Les troubles delà parole sont les suivants : le malade s'explique clairement, mais très
lentement. Sa voix est traînante, mais sans achoppements. Il ne bredouille pas. Il trouve
bien ses mots et les exprime nettement. Pourtant, certains mots longs et compliqués ou
encore certaines phrases sont difficilement articulés Le malade nous fait constater à ce
propos que, pupille autrefois de l'Assistance publique, il fut un enfant retardataire et eut
toujours de la difliculté à articuler certains mots plus ou moins compliqués Depuis le
moment de sa blessure, les troubles de l'articulation sont améliorés; la parole est beau-
coup moins traînante qu'au premier jour. Il n'y a aucune altération de la faculté de
langage : ni surdité ni cécité verbale psychique, pas d'aphasie motrice.
Le malade se montre intelligent dans ses réponses; il comprend parfaitement ent toutes
les questions posées.
Pas d'amnésie : il a même reconstitué à peu près complètement ses notes de guerre
depuis le début de la campagne. Cependant, du 20 au 25 octobre le malade ne se rap-
pelle plus de rien en dehors de son changement d'hôpital.
Le malade accuse une certaine torpeur intellectuelle qui n'existait pas avant. Il s'ef-
force déjouer au jeu de dames « pour se dégourdir », dit-il. Le jeu de cartes le fatigue
très rapidement, il oublie vite les cartes tombées; il ne peut lire longtemps.
Troubles de la motilité. — Il n existe au repos aucuns mouvements anormaux; pas de
mouvements choréiques ou athétosiques. Pas de contracture musculaire, ni flaccidité
anormale.
Mais on remarque une paralysie faciale droite à type central. La face est déviée du
côté gauche, pas d'hépiphora. Orbiculaire intact. Commissure labiale droite abaissée
et déviée. Pas de déviation de la langue Pas de paralysie du voile du palais.
Au niveau des membres, on note une diminution légère de la force musculaire.
Malgré cette égalité apparente des deux côtés à l'examen clinique, le malade nous
fait observer cependant qu'il se fatigue plus rapidement du membre inférieur droit que
du gauche (par exemple quand il frotte un parquet). Rien de spécial dans la démarche
du malade
Réflectivité. — Réflexes cutanés normaux ; réflexe plantaire en flexion. Réflexes tendi-
neux : du membre supérieur (réflexes du biceps, du triceps, des radiaux) normaux , le
réflexe rotulien est légèrement exagéré adroite. Pas de troubles sphinctériens.
Troubles de la sensibilité. — Sensibilité subiective : douleurs subjectives nulles. Pas
de sensations anormales, paresthésiques ou autres
Sensibilité tactile : hypoesthésie légère au niveau de la main et des doigts. Pas d'anes-
thésie proprement dite.
A droite, le malade localise mal ses sensations il fait parfois des erreurs de 3 à 4
centimètres. Les cercles de Weber sont très élargis h droite, au niveau de l'extrémité
du membre supérieur. Il t'aut un écartement de 10 à 15 millimètres au niveau de la
pulpe des doigts pour obtenir la sensation de deux pointes, de 20 à 25 millimètres au
niveau de la paume de la main.
La sensibilité à la température paraît égale des deux côtés.
Il existe de gros troubles de la sensibilité profonde au niveau du membre supérieur.
Astéréognosie à droite : le maade reconnaît difficilement la forme élémentaire des
objets (boîte, sou, montre, etc ) Non seulement il ne désigne pas l'objet, mais encore la
forme elle-même lui reste souvent inconnue.
Le sens des attitudes passives et actives est très altéré au niveau des doigts. Aucun
'rouble de cr genre au niveau du poignet, du coude, ni du membre inférieur
112 Gl ST il E ROI SS I
Sensibilité à la pression : à droite, le malade apprécie mal les diflérences. Alors que
du côté gauche il différencie des pressions de 0 lr. 50 et de 1 franc en argent, à droite
il ne trouve aucune différence entre deux pressions de 0 fr. 50 et de 2 fr. 50. Cette
redhercbe est faîte au niveau de la pulpe des doigts.
La |>K ssion îles niasses musculaires, biceps, triceps sural, est moins bien perçue à
droite.
Pas d'ataxie : le malade trouve bien son nez, son genou avec le talon opposé.
La sensibilité osseuse au diapason au niveau des doigts de l'olécrane, des styloïdes,
du bassin, du fémur, du pied, est sensiblement égale des deux côtés. De temps en temps
il semble que le malade sente mieux à droite, mais cette différence est vraiment peu
sensible.
Troubles trophiques nuls.
L'examen radiographique montre un léger enfoncement de la calotte osseuse, sans
corps étranger dans l'hémisphère cérébral.
En résumé, on note chez un soldat, à la suite d'une plaie par balle
avec enfoncement de la calotte crânienne du côté gauche, une hémi-
plégie droite, surtout sensitive, caractérisée au bout de trois mois
par :
De très légers troubles moteurs : hémiparésie faciale et brachiale;
réflexe du gros orteil en flexion;
De légers troubles delà sensibilité superficielle au membre supérieur
droit : hypoesthésie tactile;
Un écartement assez marqué des cercles de Weber, 10-15 millimètres
pour la pulpe des doigts : 20-25 millimètres pour la paume de la
main.
De gros troubles de la sensibilité profonde du membre supérieur droit :
astéréognosie complète, perte du sens des attitudes et de la sensibilité
à la pression au niveau de la main ;
Absence de douleurs, d'hémitremblement ou d'hémichorée. Pas
d'hémiataxie.
Si nous reprenons maintenant, très rapidement, les principaux signes
du syndrome sensitif cortical, nous voyons qu'au début, on peut noter
l'existence de troubles paralytiques, mais ceux-ci sont habituellement
légers, fugaces et s'atténuent rapidement; parfois même, ils font com-
plètement défaut. Il en est ainsi chez, le malade (h- l'observation ci-
dessus qui, blessé par balle au niveau delà région pariétale, put faire à
pied plusieurs kilomètres dans les boyaux pour se rendre au poste île
secours.
Si dans le syndrome sensitif cortical, les troubles moteurs sont au mi-
nimum, en tant que signes traduisant un déficit de la voie pyramidale,
si les réflexes tendino-osseux sont habituellement peu vifs, si h- signe
de Babinski manque le plus souvent, ce n'est pas a dire qu'il n'existe
pas d'impotence Fonctionnelle des membres atteints. Mais celle-ci con«
LES TROUBLES SENSITIFS D'ORIGINE CÉRÉBRALE
113
siste en une incoordination des mouvements et relève des perturbations
de la voie sensitive.
Les troubles sensitifs objectifs dominent donc le tableau ; ils con-
sistent, dans les cas typiques, en une diminution légère ou même une
conservation relative des sensibilités superficielles (tact, douleurs tem-
pérature) et en une conservation (parfaite ou presque parfaite)' de la
sensibilité osseuse qui contraste avec une altération marquée du sens
de discrimination tactile (écartement des cercles de Webef) du sens
des attitudes et du sens stéréognostique (astéréognosie).
Dans l'hémiplégie sensitive d'origine corticale ou syndrome sensitif
cortical, les troubles sensitifs subjectifs sont nuls ou peu apparents ■ ce
sont des fourmillements, des sensations paresthésiques, jamais des dou-
leurs vraies. Il y a lieu de noter d'ailleurs la variabilité des troubles
observés au cours des divers examens, signes auxquels Head attache
de 1 importance et qu'il considère comme caractéristiques des lésions
du cortex. Souvent enfin, au syndrome sensitif cortical peut s'asso-
cier de l'aphasie (lorsque la lésion intéresse l'hémisphère -auche et
empiète sur le lobe temporo-occipital) ou encore de Yhémianopsie
par extension du foyer de destruction au lobe occipital.
Ce sont là des symptômes contingents très utiles, comme nous le ver-
rons dans la discussion du diagnostic.
Les formes cliniques des syndromes pariétaux. ~ A côté de
cette première forme type, on peut observer une série de modalités cli-
niques des syndromes pariétaux. Comme pour le syndrome thalamiciuc
les lésions pariétales sont tantôt simples et l'on a affaire à une forme pure
du syndrome pariétal, tantôt, au contraire, les lésions empiètent plus ou
moins sur les circonvolutions rolandiques et se traduisent par une
forme associée sensitivo-molrice.
D'autres fois, les lésions du lobe pariétal sont suffisamment discrètes
et limitées pour donner naissance, non plus à un syndrome frappant la
totalité du corps d'un côté, mais bien à des formes localisées soit au
niveau du membre supérieur, soit au niveau du membre inférieur Ce
sont les formes partielles du syndrome pariétal.
Monoplégie brachiale corticale. Aux membres supérieurs, les troubles
•sens.tifscoïncident le plussouventavecles troubles moteurs et consistent
en troubles des sensibilités superficielles (anesthésie ou hypoesthésie
tactile douloureuse et thermique, troubles deladiscrimination tactile) et
profonde (perte du sens musculaire et du sens stéréognostique). Parfois
même, les troubles sensitifs dominent le tableau clinique, réalisant des
CONFÉR. NEUUOL.
1 I l GUSTA VE ROUSSY
monoplégies sensitives corticales, globales ou dissociées, dans lesquelles
les troubles de la sensibilité sont caractérisés par la présence de très
légers troubles sensitifs superficiels avec perte de la discrimination
tactile, du sens musculaire et du sens stéréognostique.
Lorsque le syndrome sensitif cortical est dissocié aux membres supé-
rieurs, on peut observer une localisation élective des troubles sensitifs
au niveau de la main ; c'est ce qu'avec M. Branche j'ai dénommé la
main sensitive corticale ou main pariétale.
Voici le résumé de nos observations :
Dans le premier cas, blessure crânio -cérébrale pariétale droite en 1914, qui n'a
entraîné que de légers troubles moteurs du côté gauche, d'ailleurs fugaces. En 1917, il
n'existe aucun signe de perturbation de la voie motrice. Par contre, on note seulement
au niveau de la main gauche, des troubles des sensibilités superficielles (anesthésie
tactile, hypoesthésie douloureuse et thermique avec élargissemeut des cercles de Weber)
et en plus de gros troubles des sensibilités profondes : perte de la notion de la position
des doigts, du sens stéréognostique, de la sensibilité osseuse. Pas d hémiataxie. On a
donc affaire ici à une forme du syndrome sensitif cortical, localisée uniquement à la
main.
Dans le deuxième cas, il s'agit d une blessure cérébrale temporo-pariétale gauche, avec
aphasie sensorielle en voie d'amélioration (blessure en janvier 1918); aucun signe d'hé-
miplégie motrice, mais présence à la main d'hypoesthésie tactile douloureuse et ther-
mique, avec élargissement des cercles de Weber, ainsi que perte totale et absolue des
sensibilités profondes et du sens stéréognostique. Comme dans le cas précédent, mais
chez un blessé récent, le syndrome est strictement limité à la main.
Ces formes de syndrome sensitif cortical localisées presque unique-
ment au membre supérieur et ne persistant en fin de compte qu'au
niveau delà main, réalisent un véritable type de « main sensitive corti-
cale » et dénotent une lésion très limitée du lobe pariétal, que seules les
blessures de guerre peuvent faire.
Les monoplégies crurales localisées au membre inférieur ou monoplé-
gies crurales d'origine corticale son t beaucoup plus ra rement observées que
les monoplégies brachiales, dans la pathologie de guerre. On en a vu
quelques cas, sous forme habituellement dissociée et localisée à la sphère
du sciatique poplité externe. Ordinairement, il s'agit de reliquat d'une
hémiplégie ou d'une paraplégie.
En effet, dans l'immense majorité îles cas, la monoplégie crurale est
bilatérale. Il s'agit alors de paraplégie corticale résultant d'une lésion
du vertex atteignant les deux lobes para-centraux (centres des membre!
inférieurs) mais habituellement d'une façon inégale. Elles ont été
assez fréquentes pendant la guerre et nous avons tous eu l'occasiol
d'en observer un certain nombre de eas. Ces paraplégies corticales
habituellement motriees, s'aeeompagnent souvent de phénoménal
sensitifs et peuvent même quelquefois revêtir un type sensitif
LES TROUBLES SENSITIFS DORIGLXE CÉRÉBRALE 115
prédominant : paraplégie sensitive. Alors la topographie des troubles
sensitifs peut revêtir aux membres inférieurs une topographie radicu-
laire. Quand les troubles sensitifs sont prédominants, ils donnent au
tableau clinique un aspect spécial ainsi que j'ai eu l'occasion de l'obser-
ver chez trois malades avec MM. d'Œlsnitz et Cornil et réalisent le tjrpe
de ce que nous avons appelé la paraplégie corticale sensitivo-molrice avec
ataxie. Il existe dans ces cas une démarche spastique des membres infé-
rieurs avec ataxie exagérée parla fermeture des yeux, du signe de Rom-
berg, de la perte de la sensibilité osseuse, du sens musculaire et articu-
laire, du sens des attitudes.
AJastéréognosie persiste parfois seule et pendant très longtemps
chez les blessés de la région pariétale, ainsi que l'ont bien montré
MM. Pierre Marie et Chatelin, Villaret et Mme Bénisty.
A la suite d'essais de topographie crânienne cérébrale faits au moyen
du procédé radiologique de P. Marie, Foix et Bertrand, Mme Bénisty a
cru pouvoir fixer la localisation du sens musculaire et plus particulière-
ment du sens de Yorientation dans l'espace. Pour cet auteur, en
effet, le sens de l'orientation dans l'espace pendant les mouvements
actifs peut être lésé indépendamment du sens des attitudes. Ainsi
la capacité de s'orienter dans l'espace étant un sens complexe,
délicat et fragile, la lésion d'un de ses éléments quel qu'il soit,
entraîne son altération, alors même que ses autres éléments sont
indemnes. D'après Mme Bénisty, enfin, le sens des attitudes serait
touché lorsque la brèche crânienne empiète sur le gyrus supra-
marginalis. Les lésions correspondant à la circonvolution pariétale
supérieure et aux parties adjacentes de la pariétale ascendante donne-
raient lieu à des troubles du sens de l'orientation dans l'espace, mais
avec conservation du sens des attitudes.
Ce sont là des vues très intéressantes, que je devais vous signaler, mais
qui réclament, pour être acceptées, des vérifications anatomiques plus
précises.
Pour terminer ce qui a trait aux syndromes pariétaux, il me reste à
vous dire quelques mots d'une question extrêmement importante et sur
laquelle nos auteure classiques, français tout au moins, ont insisté fort
peu jusqu'ici : c'est l'existence à'anesthésies à type longitudinal, ou
encore, si vous voulez, de la distribution radiculaire des troubles sensi-
tifs dans les lésions du lobe pariétal. Ce fait était déjà connu avant
la guerre à la suite des recherches de Modden (1893), de Bonhôffer, de
Mills et Weissemburg (1906), travaux auxquels mon collègue et ami
M.Lhermitte a consacré en 1909 une importante revue critique. J'ajoute
Jlti GUSTAVE ROUSS y
que les faits d'observation de guerre sont venus confirmer l'existence
possible d'une topographie à distribution sensitive radiculaire dans les
lésions corticales et qu'un certain nombre d'exemples en ont été publiés,
en France notamment, par Long et Ballivet, Roger et Aimes, Roussy et
Cornil, A. Bénisty.
Dans tous ces laits, il s'agit de troubles sensitifs distribués en bandes
longitudinales, qui rappellentla topographie des troubles sensitifs d'ori-
gine spinale, c'est-à-dire à systématisation radiculaire.
D'après Russel, Horsley, il y aurait pour le membre supérieur une
représentation sensitive corticale différente : pour la partie externe
moitié pré-axiale (sphère radiale C5 C6 C"), pour la partie interne post-
axiale (sphère cubitale C8 D1).
Avant la guerre on discutait sur la question de savoir s'il s'agissait réel-
lement là d'une topographie corticale ou si, au contraire, on n'avait pas
affaire à des lésions associées d'originespinale. Il semble aujourd'hui que
l'on peut admettre sans conteste, ainsi que l'a rappelé tout dernièrement
un auteur italien M. Calligaris dans la Revue Neurologique (1920), que
les troubles sensitifs du type radiculaire peuvent se rencontrer au cours
des affections strictement limitées du cerveau, et ce caractère, nous le
verrons tout à l'heure, prend une réelle importance dans la discussion
du diagnostic différentiel du syndrome thalamique et des syndromes
pariétaux.
Diagnostic différentiel. — Je rappellerai, pour les éliminer, que
l'hystérie et les hémi-anesthésies d'origine spinale ne peuvent
guère être confondues avec les hémiplégies d'origine corticale.
En effet, dans l'hystérie, il est exceptionnel (pie l'ont ait affaire à des
phénomènes purement sensitifs, puisque l'hystérie, nous le savons,
tend bien plus volontiers à se manifester par des troubles appa-
rents, comme les troubles moteurs. D'ailleurs, en pareil cas, les
signes minutieusement décrits par Babinski pour le diagnostic diffé-
rentiel des hémiplégies organiques et hystériques permettront aisément
de faire le diagnostic.
De même, il est toujours facile de reconnaître l'existence d'uni
hémiplégie sensitive d'origine spinale, puisqu'on retrouve là les signes
du syndrome de Brown-Sequard, c'est-à-dire l'hémiplégie motrice \
du côté de la lésion et l'hémiplégie sensitive du côté opposé
Passons maintenant nu diagnostic différentiel des hémianesthêsie:
d'origine corticale avec celles résultant d'uuc lésion du rhomben •
céphaleou du bulbe. Les schémas ci-joints (fig. ô-'.)) montrent clairemen
LES TROUBLES SENSITIFS D'ORIGINE CÉRÉBRALE 117
comment un foyer de destruction dans l'une ou l'autre partie du tronc
encéphalique peut venir à la fois sectionner les fibres de projection
motrices et sensitives et se caractériser cliniquement par un syndrome
rappelant, sinon les formes pures, tout au moins les formes associées du
syndrome thalamique ou du syndrome pariétal : c'est-à-dire par une
hémiplégie avec un maximum de troubles sensitifs et un minimum de
troubles paralytiques. Mais l'adjonction de signes nouveaux résultant
des rapports étroits que contractent, dans ces régions, les grands
faisceaux de projection moteurs ou sensitifs avec les origines des nerfs
crâniens viendra donner à ce complexus symptomatique une note topo-
graphique distinctive qui permettra de les reconnaître.
Dans les lésions des tubercules quadrijumeaux, on retrouvera les
signes donnés comme caractéristiques des affections quadrigéminales.
Ce sont, pour les tubercules quadrijumeaux antérieurs, des troubles et
des paralysies visuelles, de la dilatation pupillaire uni ou bilatérale
avec modification des réactions à la lumière et à l'accommodation, des
troubles de la motilité des yeux dans les mouvements associés, tels
que limitation des mouvements en haut et en bas ; ces paralysies
musculaires ne sont jamais complètes. En plus des lésions oculaires,
on observe également : de l'ataxie dynamique, de l'ataxie cérébelleuse
et enfin des tremblements et des mouvements choréiformes. Dans
les affections des tubercules quadrijumeaux postérieurs, on observe
souvent de la diminution de l'acuité auditive.
Dans une observation de lésions en foyer des tubercules quadri-
jumeaux, rapportée par Raymond, on notait, comme dans le syn-
drome thalamique : de l'hémiparésie, de l'hémianesthésie superfi-
cielle et profonde très marquée, des mouvements athétosiques des
doigts et un certain degré d'hémiataxie. Mais, en plus, il existait une
paralysie des mouvements associés bilatéraux des globes oculaires et
une ébauche du signe de de Graefe. La paralysie oculaire permet
de différencier ce syndrome des syndromes thalamiques ou corti-
caux.
Pour le diagnostic des affections protubcranlielles, on attachera évi-
demment quelque importance au fait que les troubles sont souvent
bilatéraux, que l'hémiplégie est ordinairement plus grave que dans les
lésions capsulaires (par lésions des voies motrices mésencéphaliques),
qu'il peut exister des troubles de la mastication, etc. ; mais ce sont sur-
tout les paralysies alternes et les paralysies d'association qui ser-
viront à distinguer les affections pontiques des affections thala-
miques.
I 18
GUS'I \ I / ROUSSI
Raymond et Cestan ont décrit le tableau clinique déterminé par une
lésion de la partie supérieure de la calotte protubérantielle, sous le nom
de syndrome protubérantiel supérieur (fig. 7). Nous retrouvons dans
F"ig. 5-9. Schémas destinés à montrer hi localisation des lésions dans les différents syndromes pro-
duits par un foyer sectionnant les voies sensitivcs centrales, dans leur trajet depuis le bulbe jusqu'à
leur épanouissement dans le thalamus. (Fibres motrices en grisé pointillé ou en traits interrompus.
Fibres sensitives en grisé serré ou en traits pleins.)
Syndrome thalamique.
Fig. 5. Le foyer (F) siège dans la partie centrale du thalamus, dans les noyaux
externe et médian, et empiète légèrement sur le segment post. de la capsule interne.
Il sectionne les fibres du Ruban de^Reil à leur terminaison dans le thalamus.
Syndrome pédonculaire (Weber).
Fig. 6. Dans a lésion du type classique, le foyer reste cantonné dans le pied du
pédoncule (P) intéressant \i\ voie pyramidale et les libres nnliculaires de 11 111
paire. Dans quelques cas. comme ici (F), il envahit la calotte, intéresse le Ituban
de Reil et donne en clinique une paralysie alterne sensitivo-motiiee avec ili.i
bisme externe du côté opposé.
LES TROUBLES SENS1TIFS D'ORIGINE CÉRÉBRALE
119
Syndrome protubérantiel supérieur.
(Raymond et Cestan.)
Fig. 7. Ici le foyer (F) intéresse surtout la voie
sensitive, très peu les fibres de la voie mo-
trice. De plus, placé entre le noyau du IV
et du III, il sectionne leurs fibres radicu-
laires, d'où : hémiplégie légère, hémianes-
thésie prononcée, paralysie des mouvements
associés bilatéraux des globes oculaires.
Svndrome protubérantiel inférieur.
(Millard-Gubler.)
Fig. 8. Dansla lésion habituelle, le foyer est plus
inférieur ou ventral et sectionne les fibres
pyramidales, les fibres du VI et quelquefois
du VII. Ici le foyer (F), comme il arrive
quelquefois, envahit le Ruban de Reil, don-
nant un type de paralysie alterne sensitivo-
motrice avec strabisme interne et paralysie
faciale opposée.
Syndrome bulbaire 'Babinski et Nageotte).
Fig. 9. En réalité, il s'agissait dans ce cas de foyers mul-
tiples (4) que nous avons ici schématiquement réunis
en une seule figure. Ces 4 foyers forment donc une lésion
complexe (F> qui sectionne le faisceau latéral du bulbe
(Flta) en respectant le cérébelleux ascendant ; il inté-
resse en outre le Ruban de Reil médian, quelques fibres
de la pyramide, les nerfs mixtes et le faisceau longitu-
dinal postérieur, la voie olivo-ciliaire, les fibres descen-
dant du noyau de Deiters.
leur description plusieurs points communs avec le syndrome thala-
mique. La topographie des fibres du ruban de Reil médian et des
voies sensitives de la calotte, ainsi que leurs rapports avec les autres
120 r.rsTAVK not ss)
faisceaux de projection, pouvaient d'ailleurs le faire prévoir. Ce
syndrome est caractérisé par une hémiplégie peu marquée avec con-
servation de la force musculaire, de tous les mouvements spontanés et
l'intégrité des réflexes tendineux et cutanés ; par une hémianesthésie
superficielle et profonde avec fourmillements et parfois sensation
pénible dans les membres atteints ; par de l'incoordination, des mou-
vements choréo-athétosiques, des tremblements statiques, de l'asy-
nergie et de la dysarthrie. Mais, fait capital pour le diagnostic diffé-
rentiel du syndrome protubérantiel supérieur, il existe toujours, dans
ce dernier cas, une paralysie oculaire des mouvements associés de bila-
téralité avec secousses nystagmiformes dans l'élévation ou l'abaisse-
ment des yeux. A l'examen ophtalmoscopique, on note quelquefois de
la névrite optique œdémateuse.
Ce sont, d'une part, ces symptômes oculaires dénotant d'après
Raymond et Cestan la présence d'une lésion extranucléaire dans la
calotte, et d'autre part les vertiges, l'asynergie et la dysarthrie, tradui-
sant l'atteinte des voies cérébelleuses protubérantielles, qui permettent
de différencier du syndrome thalamique, le syndrome protubérantiel
supérieur.
Les syndromes pédonculaire et protubérantiel inférieur sont bien
connus, et leur différenciation d'avec les syndromes thalamiques ou
pariétaux est aisée, grâce à la présence des ophtalmoplégies, de l'in-
tensité des troubles paralytiques, de l'absence habituelle des troubles
sensitifs.
Le syndrome pédonculaire (syndrome de Weber) (fig. 6), en effet, avec
son hémiplégie croisée, son strabisme direct externe et l'intégrité de la
sensibilité ne ressemble en rien au syndrome thalamique. Dans certains
cas cependant, lorsque la lésion envahit la calotte pédonculaire, elle
peut atteindre les fibres du ruban de Reil et s'accompagner d'hémianes-
thésie croisée (hémiplégie alterne sensitivo-motrice) d'hémiataxie,
d'hémichorée ou enfin d'hémitremblement (syndrome de Bénédikt).
Mais ici la présence de la paralysie de la troisième paire ne laisse aucun
doute sur le siège de la lésion.
Le syndrome protubérantiel inférieur (syndrome de Millard-(iubler)
(fig. 8) dans sa forme commune : hémiplégie avec paralysie du facial et
du moteur oculaire externe du côté opposé, est également facile à recon-
naître. Ici encore, comme dans le syndrome précédent, les troubles
sensitifs peuvent s'associer aux troubles moteurs et donner lieu à une
hémiplégie alterne sensitivo-motrice, avec quelquefois, phénomènes
asynergiques et hémichorée. L'alternance des signes, à la face et au
LES TROUBLES SENSITIFS D'ORIGINE CÉRÉBRALE 121
tronc, et la présence de paralysies oculaires, ne laissent aucun doute
pour le diagnostic.
Nous ne ferons que signaler en passant, et sans nous y arrêter, le syn-
drome bulbaire de Babinski et Nageotte (fig. 9), dans lequel on observe,
en plus dune hémiplégie sensitivo-motrice croisée : del'hémiasynergie,
de la latéropulsion et du myosis du côté de la lésion. Ce syndrome
bulbaire n'a vraiment rien de commun avec le syndrome thala-
mique.
Le diagnostic différentiel entre le syndrome sensitif cortical et le
syndrome ihalamique est beaucoup moins aisé.
Pour les lésions du cortex, l'absence de douleur et de mouvements
choréo-athétosique, la présence possible de troubles sensitifs à topo-
graphie radiculaireet, lorsque les lésions siègent à gauche, la présence
de l'aphasie permettront de faire le diagnostic.
Les difficultés de ce diagnostic différentiel ont incité les auteurs
à rechercher dans les modalités des troubles sensitifs eux-mêmes
des signes distinctifs permettant de faire la discrimination du
siège des lésions dans le cortex ou la couche optique. MM. Head et
Holmes ont poursuivi ces recherches sur un très grand nombre de
malades et ont publié une série de travaux des plus intéressants, dont
je voudrais très rapidement vous rappeler les traits principaux. D'après
Head, un caractère différentiel important réside en ce que, dans les
lésions corticales, les résultats de l'examen objectif de la sensibilité
varient beaucoup suivant les moments, ce qui résulte du défaut d'at-
tention et de jugement ainsi que de la fatigue extrêmement rapide que
présentent les malades. Au contraire, dans les lésions thalamiques, les
troubles sensitifs sont fixes et permanents. Monier-Vinard, au Congrès
<le Neurologie du Puy(1913), s'est fait le défenseur de la théorie de
Head. J'ajouterai que personnellement, je n'ai retrouvé que très excep-
tionnellement cette fatigabilité d'une façon suffisamment nette pour
permettre d'affirmer une lésion de l'écorce cérébrale.
De plus, Head admet que dans les lésions de la couche optique appa-
raît un facteur nouveau : la tendance à réagir de façon excessive à toute
excitation déplaisante ou plaisante. C'est ce qu'il appelle la sur-réaction.
Celle-ci apparaît évidente dans les réponses aux excitations déplai-
santes, comme la piqûre, le chaud et le froid, dans l'exploration de la
sensibilité viscérale (compression testiculaire) et encore dans les exci-
tations un peu spéciales, comme le grattage, le frottement des poils et
le chatouillement. Elle se manifeste aussi dans les réponses aux excita-
tions agréables ; une excitation par une température moyenne donne une
122 Gl STA VE ROI SS I
sensation particulièrementagréable. Enfin il y aurait dans les états affec-
tifs et émotifs, une manière d'être et surtout une manière de réagir par-
ticulière du eôté atteint, chez les malades atteints de lésion thalamique.
Comme les excitations mécaniques, thermiques, etc., l'émotion, les états
psychiques de plaisir, de réconfort, provoquent dans la moitié malade
du corps des manifestations spéciales. Certains malades de Head no-
tamment étaient incapahles d'entendre delà musique : l'un de ces ma-
lades ne pouvait aller à l'église parce qu'il ne pouvait « supporter les
hymnes de son côté malade », et son fils disait que pendant les chants,
il frottait continuellement sa main malade. Un autre malade, assistant
au service funèbre du roi Edouard VII, est pris, aussitôt que le chœur
chante, d'une horrible sensation du côté malade et la jambe tordue se
meta trembler. « Les chants comiques laissent les malades indifférents
alors que les chants tristes produisent un effet violent. »
Dans les lésions corticales, au contraire, l'excitation tactile donne des
sensations irrégulières, et comme nous l'avons vu, une fatigabilité
extrêmement rapide. La douleur et la température sont en général nor-
males ; quelquefois la discrimination est moins complète qu'à l'état
normal ; une température de 40° par exemple, est appréciée comme
plus chaude qu'une température de 45°. La discrimination tactile est
fortement altérée ; elle peut être ou non associée aux autres trou-
bles de la sensibilité superficielle. Enfin pour les sensibilités profon-
des et le sens stéréognostique, Head a pu confirmer les travaux de ses
prédécesseurs.
Pour apprécier l'activité essentielle du centre thalamique, Head
s'appuie sur les conclusions de Hughlings Jackson relative à l'augmen-
tation du tonus, augmentation que ce dernier auteur attribue à l'acti-
vité des centres sous-corticaux délivrés du contrôle cortical. Il admet
comme loi qu'aucune lésion destructive ne peut produire un effet posi-
tif direct, et adaptant cette loi aux lésions de la couche optique, il sup-
pose qu'au moyen des voies cortico-thalamiques s'exerce un contrôle
du cortex sur le thalamus. Qu'une lésion vienne interrompre ces con-
nexions, le thalamus, privé du contrôle cérébral, est placé dans UH état
particulier de suractivité permanente.
J'ai cru intéressant de rappeler les récents travaux de Head qui
ouvrent des horizons très nouveaux sur la physiologie du thalamus
quoique ces recherches, du plus haut intérêt, demandent à être
vérifiées par des examens anatoiniques.
LES TROUBLES SENSITIFS D'ORIGINE CÉRÉBRALE 123
Messieurs,
Il ressort des notions que je viens de vous exposer, et qui viennent
d'être récemment appuyées par les faits d'observation tirés de la
guerre, que les lésions cérébrales intéressant uniquement ou essen-
tiellement les voies sensitives peuvent s'extérioriser en clinique par
deux grands syndromes : le syndrome thalamique et le syndrome
pariétal. L'un et l'autre sont étayés à l'heure actuelle sur des bases
anatomo-pathologiques suffisamment solides pour qu'il soit légitime
de leur faire une place dans le cadre nosographique.
D'autre part, et en se plaçant sur le terrain anatomique et physiolo-
gique, on peut admettre qu'il existe dans le cerveau deux masses grises
ou centres sensitifs, au niveau desquels les impulsions afférentes évo-
quent cet état particulier que nous appelons sensations. Ces deux
masses grises sont le thalamus et le cortex du lobe pariétal.
Le thalamus représente, ainsi que nous avons personnellement
contribué à l'établir, un centre terminal pour un certain nombre de
modalités sensitives, puisque c'est à son niveau que se fait le reïai de
toutes les voies sensitives montant de la moelle à travers le bulbe,
la protubérance et les pédoncules.
De plus, il semble logique d'admettre avec Head que le thalamus
constitue aussi un centre d'élaboration de certaines impulsions sensi-
tives, impulsions d'ordre secondaire, élémentaire, soumis au contrôle
des centres supérieurs.
Ceux-ci sont placés au niveau de la corticalité du lobe pariétal, et
c'est là que s'établit le contrôle conscient des impulsions sensitives : la
fixation de l'attention, la faculté de discrimination élective.
Si, pour terminer, on s'élève davantage dans la conception et l'inter-
prétation de la physiologie générale des sensations et du mouvement,
si on rapproche les données exposées ci-dessus sur les centres sensi-
tifs de celles récemment acquises sur les centres moteurs du cerveau,
on est tout naturellement conduit à établir un parallèle entre ces deux
grands types de fonctions motrices et sensitives dans leurs rapports
avec les noyaux gris centraux d'une part et la corticalité cérébrale
d'autre part.
En effet, nous savons à l'heure actuelle, grâce aux travaux récents de
Modden, de Cécile et Oscar Vogt, de Ramsay Hunt, de Lhermitte et
Cornil entre autres, que les corps striés (noyau caudé et noyau lenti-
culaire) représentent les centres des mouvements automatiques, c'est-
à-dire de la marche, des mouvements de défense, de la déglutition, de
Ul GUSTAVE HOUSSV
la phonation, etc.. en somme de tous ces mouvements qui ne sont pas
placés sons le contrôle de la conscience, alors que la frontale ascendante
et la région motrice de l'écorce sont le siège des centres moteurs volon-
taires.
Il est même permis, à l'heure actuelle, semhle-t-il, de considérer la
couche optique — masse grise centrale adjacente au corps strié — comme
le centre des sensations primaires, élémentaires, dont la discrimina-
tion élective et le perfectionnement vont se faire au niveau du lohe
pariétal.
Ainsi s'éclairent de plus en plus le rôle des noyaux gris centraux
dont l'observation anatomo-clinique, appuyée sur l'étude ontogénique
et phylogénique; nous permet de saisir toute l'importance physiolo-
gique.
CINQUIÈME CONFÉRENCE
GEORGES GUILLAIN
Professeur agrégé de la Faculté de Médecine de Paris, Médecin de 1 Hôpital
de la Charité, Membre de l'Académie de Médecine.
LES LÉSIONS TRAUMATIQUES DE LA MOELLE ÉPINIÈRE
Messieurs,
Le sujet de cette conférence me paraît tout particulièrement inté-
ressant au point de vue de la clinique neurologique, de la
physiologie générale du système nerveux et de la thérapeutique.
Quelle que soit l'orientation future de votre carrière médicale ou chirur-
gicale, vous aurez l'occasion d'observer des traumatismes rachidiens,
vous devrez déterminer l'existence éventuelle d'une lésion médullaire,
le siège de celle-ci, son pronostic ; ce sont des questions qui se posent
chaque jour dans les expertises d'accident du travail. Au point de vue
de la physiologie générale du système nerveux, les lésions traumati-
ques de la moelle réalisent de véritables expériences de physiologie
chez l'homme ; la guerre européenne, et cette constatation trop réelle
est navrante, a multiplié de telles lésions, les neurologistes ont eu un
champ d'étude très vaste, trop vaste, à explorer, ils ont poursuivi en
France et dans tous les autres pays belligérants des travaux multiples
sur le tonus, les réflexes tendineux et cutanés, les réflexes d'automa-
tisme médullaires, somme toute sur les questions les plus captivantes
de la neurologie moderne. Au point de vue de la thérapeutique, je vous
montrerai combien doit être intime la collaboration du chirurgien et du
neurologiste pour poser des indications opératoires rationnelles dans
les cas de traumatisme médullaire ; une telle collaboration est d'une
importance primordiale pour les blessés.
J'utiliserai, pour vous exposer cette question des lésions traumatiques
de la moelle, d'une part les travaux des neurologistes, d'autre part une
documentation très riche que nous avons recueillie avec M. J. -A. Barré,
126 G. GJ //./ W \
professeur à la Faculté de Médecine de l'Université de Strasbourg,
mon collaborateur durant la guerre au Centre Neurologique de la
VIe Année.
Je n'ai ni la prétention, ni la possibilité, de vous faire, dans cette
unique conférence, une étude complète des lésions traumatiques de la
moelle ; je vous synthétiserai les points de la question qui me parais-
sent importants on nouveaux, j'éviterai les discussions théoriques et
doctrinales, les spéculations douteuses, désirant rester, pour vous être
pins utile, sur le terrain neurologique pratique.
Les causes des lésions traumatiques de la moelle sont nombreuses.
Souvent il s'agit d'un traumatisme rachidien violent par chute d'un lieu
plus ou moins élevé, d'un traumatisme par éboulement ; dans ces cas,
une fracture ou une luxation du rachis ne sont pas rares. Ailleurs, il
s'agit d'une plaie de la moelle par coup de couteau, cette pathogénic est
assez souvent constatée dans les observations de syndrome de Brown-
Sequard. Les blessures par armes à feu sont parmi les causes les plus
fréquentes des lésions traumatiques de la moelle, blessures par balles
de fusil, éclat d'obus, schrapnell en temps de guerre, blessures par
balle de browning ou de tout autre revolver en temps de paix. A ce
sujet, je ne voudrais pas vous laisser croire qu'il existe une neurologie
du temps de guerre différente de la neurologie du temps de paix. La
neurologie du temps de guerre et la neurologie du temps de paix étu-
dient les mêmes lésions, les mêmes symptômes, les mêmes traitements,
et je puis vous en donner un exemple immédiat. Deux des malades (pie
je vous ai amenés, et qui sont actuellement en traitement dans mon
service de l'Hôpital de la Charité, sont deux blessés de la moelle, dont
l'un a reçu une balle de browning au cours d'une rixe nocturne, dont
l'autre a fait une tentative de suicide avec un revolver de même nature ;
or, ces deux blessés du temps de paix sont, au point de vue de la cli-
nique neurologique, absolument semblables à ceux (pie j'ai si souvent
examinés durant la guerre.
Vous n'observerez qu'exceptionnellement des lésions traumatiques de
la moelle intéressant les trois premiers segments cervicaux, alors (pie
vous observerez des lésions de tous les autres segments cervicaux, dor-
saux ou lombaires ; c'est qu'en effet les blessures des trois premiers
lits >('t\ icanx juxta-bulbaires entraînent presque toujours la mort
immédiate ou presque immédiate.
LES LÉSIONS TRAUMATIQUES DE LA MOELLE 127
Je vous signale aussi que presque toutes les blessures de la moelle
par armes à feu, à part quelques cas rares, ont leur porte d'entrée dans
la région dorsale, parfois aussi dans la région latérale du tronc et du cou.
Il est exceptionnel de voir des lésions de la moelle dont la porte d'en-
trée esta la partie antérieure du thorax ou de l'abdomen. Ce fait s'expli-
que très bien. Un projectile à porte d'entrée antérieure, avant d'at-
teindre la moelle, lèse préalablement l'estomac, l'intestin, le foie, la rate,
le médiastin, le cœur, les gros vaisseaux ; de telles blessures sont par
elles-mêmes souvent mortelles.
Je n'ai pas l'intention d'insister spécialement sur l'anatomie patho-
logique des lésions médullaires traumatiques ; toutefois quelques
notions me paraissent indispensables à vous faire connaître pour la
compréhension de la symptomatologie.
Les lésions du rachis, dans les cas de traumatisme simple, peuvent
consister en fractures ou luxations. Dans les cas de plaies de la moelle
par armes à feu, balles ou éclats d'obus, les lésions rachidiennes sont
très variables. La vertèbre est souvent fracturée, il existe soit un
simple orifice, soit des esquilles multiples, et ces esquilles peuvent
être projetées dans le tissu médullaire lui-même. Les hémorrhagies
sont souvent abondantes, extra-dure-mériennes, sous-arachnoïdiennes,
intra-médullaires. La moelle peut être sectionnée partiellement ou
totalement.
La section totale de la moelle, sur laquelle on a beaucoup écrit, est
infiniment plus rare qu'on ne l'a dit. Durant la guerre, nombre de bles-
sés de la moelle paraplégiques étaient évacués avec une fiche spécifiant:
« Plaie par éclat d'obus, section de la moelle » ; la plupart d'entre eux,
en réalité, n'avaient aucune section de la moelle ; vous devez éviter ces
diagnostics simplistes et erronés. Je puis d'ailleurs vous donner à
ce sujet quelques précisions. En 1916, au Centre Neurologique de la
VI1' Armée, durant la grande offensive de la Somme, nous avons,
M. J.-A. Barré et moi, reçu 225 cas de plaies de la moelle, 138 autop-
sies ont été faites ; sur ces 138 autopsies, nous n'avons observé que
15 cas de section totale médullaire vraie. En 1917, durant une offensive
dans les Flandres, j'ai observé à l'Hôpital de Zuydeoote. à l'Ambulance
automobile chirurgicale dirigée par mon ami Pierre Duval, 20 cas de
lésions médullaires ; sur 8 autopsies faites, je n'ai constaté qu'un seul
cas de section médullaire totale vraie. Si j'insiste sur ce point, c'est
que certains auteurs semblent considérer la section médullaire corn-
[28 G. Gl ILLAlh
plète, comme étant très fréquente ; orje suis surpris de constater que,
dans un lus grand nombre des cas publiés, il n'y a pas d'autopsie ;
le diagnostic de section complète de la moelle a été fait par les seuls
symptômes cliniques. Je considère qu'un cas de section complète vraie
de la moelle est un cas où l'autopsie permet de constater un segment
supérieur et un segment inférieur séparés l'un de l'autre par l'intervalle
de un ou plusieurs centimètres. Je fais certaines réserves sur les cas
dits de section de la moelle à la suite de luxation du rachis, cas où la
moelle n'est pas interrompue, où il existe encore une cicatrice scléreuse
entre les deux fragments ; on ne sait pas si la section, dite complète parce
qu'on ne trouve pas à l'examen anatomique de fibres nerveuses dans le
tissu cicatriciel, n'a pas été une section tardive due à cette sclérose
progressive. Cette discussion, Messieurs, peut vous paraître un peu
oiseuse, mais l'étude des symptômes de la section médullaire totale est
d'une telle importance au point de vue de la physiologie générale de la
moelle que les réserves que j'ai faites me paraissent s'imposer. Je me
permettrai d'ajouter que, durant la guerre, nous avons, avec M. J.-A.
Barré, apporté la relation de 17 cas de section anatomique complète
vraie de la moelle; cette statistique est, je le crois, la plus importante qui
ait été donnée dans la littérature neurologique.
Si la section anatomique totale vraie de la moelle est relativement
rare, la section physiologique par hémorrhagie, myélomalacie, est infi-
niment plus fréquente.
Dans les cas de section médullaire récente, vous constaterez souvent
la persistance d'un pont méningé dure-mérien, vous noterez l'écarte-
ment des deux fragments, vous remarquerez la présence de myé-
lomalacie, d'hémorrhagies péri-jacentes, et vous spécifierez avec-
soin, dans les autopsies, les lésions des racines, leur arrachement
éventuel. Lorsque l'autopsie est faite à une phase tardive, il existe
fréquemment de la pachy méningite scléro-lipomateuse, les frag-
ments médullaires supérieurs et inférieurs dans la zone adjacente à la
section sont sclérosés. J'attirerai votre attention sur ce point que, dans
nombre de cas de sections médullaires totales publies dans la littérature
médicale, il s'agit de compressions très accentuées par des vertèbres
luxées, la moelle alors n'est pas anatomiquement interrompue, il existe
une cicatrice scléreuse dans laquelle la méthode de Bielschowsky ne
permet pas de reconnaître des libres nerveuses. Souvent, dans les foyers
de myélomalacie cicatricielle des lésions traumatiques médullaires, on
trouve des vestiges de cylindres-axes, des corps granuleux, îles vais-
seaux scléreux, hyalins.
LES LÉSIONS TRAUMATIQUES DE LA MOELLE 129
Nous avons insisté, M. J.-A. Barré et moi-même, sur les lésions qui
peuvent exister dans la moelle à distance du traumatisme, lésions
d'hématomyélie ou de myélomalacie, qu'il est'très important de connaître,
car elles expliquent certains signes cliniques. M. Lhermitte a pu étudier
histologiquement ces lésions à distance dans les sections ou lésions
médullaires graves. Il a vu, dans le segment supérieur, les foyers d'hé-
morrhagie et de nécrose et une lésion qu'il décrit sous le nom de « dé-
génération primitive aiguë traumatique des fibres à myéline » ; cette
lésion est constituée par des altérations du cylindre-axe, lequel présente
des sphères de dimensions colossales, par la désintégration de la gaine
de myéline, la formation de corps granuleux, l'augmentation du réseau
névroglique; on voit aussi des cellules de névroglie amiboïdes avec des
prolongements protoplasmiques qui enlacent les gaines myéliniques en
voie de désintégration. Les altérations histologiques du segment infé-
rieur de la moelle décrites par M. Lhermitte se caractérisent aussi
par la dégénérescence primitive aiguë des fibres à myéline, par la sclé-
rose névroglique, par des lésions nécrotiques avec transformation
possible en cavités syringomyéliques indépendantes de l'épendyme et
ne possédant pas de revêtement épithélial. Certains auteurs ont constaté
des lésions de cellules radiculaires antérieures caractérisées par la
tuméfaction du protoplasma avec noyau excentrique, chromolyse, dégé-
nérescence vacuolaire ; M. Lhermitte considère les lésions cellulaires
comme discrètes, il a noté la surcharge pigmentaire, l'état poussiéreux
du cytoplasme, la disparition du noyau, la raréfaction des neuro-
fibrilles.
Chez les sujets ayant survécu à des lésions traumatiques anciennes
de la moelle, nombre d'auteurs, MM. Leyden, Oppenheim et Siemer-
ling, Babinski et Zachariades, Marinesco, Pierre Marie et Foix, Claude
et Lhermitte, ont décrit des altérations des nerfs périphériques, qui
siègent spécialement sur les branches du nerf sciatique et, en parti-
culier, sur le nerf sciatique poplité externe.
A l'autopsie de ces lésions médullaires traumatiques, on peut voir
aussi des méningites séreuses, qui ont une importance au point de vue
anatomo-clinique. M. Foerster (de Breslau) a étudié ces faits au Con-
grès des médecins neurologistes allemands tenu à Leipzig en septem-
bre 1920, où les lésions traumatiques de la moelle ont fait le sujet d'une
discussion générale. Il me paraît d'ailleurs intéressant de constater que
les observations faites par les neurologistes allemands durant la guerre
ont été semblables à celles faites par les neurologistes des pays
alliés.
CONFÉU. NKUROL. 9
130 G. G\ ILLAIN
Je voudrais encore attirer votre attention sur certaines lésions ana-
tomo-pathologiques très spéciales, ce sont les lésions intra-médullaires
créées par le simple passage d'un projectile à une certaine distance de la
moelle, sans que la dure mère ait été atteinte ; nous avons, avec M. ,1. -A.
Barré, observé 15 cas mortels de cette variété de lésions traumatiques de
la moelle. On constate souvent alors des lésions rachidiennes, dont les
principales sont : 1" une fracture des apophyses épineuses ou des lames
vertébrales à leur hase; 2° la formation d'un véritable tunnel dans un corps
vertébral. La dure-mère reste absolument intacte. La lésion médullaire
prédominante dans toutes nos autopsies fut l'hématomyélie. Celle-ci peut
être pure et isolée, sans aucune autre altération visible macroscopique-
ment, sans aucune modification de consistance du parenchyme médul-
laire; parfois elle est associée à des lésions de nécrose aiguë et de myéloma-
lacie. Dans certains cas l'hématomyélie est minime; dans d'autres elle s'é-
tend sur plusieurs segments, un, deux, quatre, six et même onze segments.
En largeur, elle affecte des étendues très variées, mais intéresse rare-
ment la tranche entière d'un des segments lésés Parfois, alors qu'elle
semble se terminer à un niveau donné, l'examen des segments sus ou
sous-jacents montre qu'il existe un nouveau foyer sans rapport de con-
tinuité avec le premier et situé même du côté opposé. Ces foyers d'hé-
matomyélie peuvent siéger soit dans la substance grise, soit dans la
substance blanche, contrairement à ce que l'on observe dans l'hémato-
myélie spontanée ou l'hématomyélie de décompression. Lorsque la
survie a été assez longue, une partie de la zone hémorrhagique se
ramollit. Plusieurs fois nous avons constaté, avec M. J.-A. Barré,
de véritables kystes à parois épaissies, de véritables cavités. A côté îles
lésions d'hématomyélie, on peut voir des lésions de nécrose médullaire
aiguë.
Nous avons noté, dans plusieurs cas, en plus de l'hématomyélie, une
hémorrhagie extra-médullaire assez abondante se présentant sous la
forme d'un caillot volumineux li\é sur la moelle, recouvrant l'une OU
l'autre (lèses faces, ou lui formant une gaine complète. Enfin nous avons
constaté parfois l'existence d'adhérences, serrées ou résistantes, ou
molles et lâches, unissant la dure-mère à la moelle, formant une sorte de
symphyse en anneau, qui pouvait empêcher toute communication du
liquide céphalo-rachidien entre les étages sus et sous-jacents.
L'existence de ces héninlomyélies traumatiques sans lésions de la
dure-mère est absolument indiscutable. Leur pathogénie dépend sans
doute de modifications delà pression intra -rachidienne qui fait éclater
les vaisseaux. Je vous rappellerai d'ailleurs que l'on peut observer
LES LÉSIONS TRAUMATIQUES DE LA MOELLE 131
dans l'encéphale des lésions hémorrhagiques plus ou moins profon-
des, consécutivement à des fractures, à des fissures osseuses, ou
même à de simples contusions crâniennes sans lésions de la dure-
mère.
MM. Claude et Lhermitte ont apporté une contribution intéressante
et utile à l'étude des lésions histologiques des commotions médullaires
directes ; ces auteurs ont constaté, ainsi que MM. Henneberg, Bor-
chardt, Arbrey Mussen, des lésions nombreuses et diverses : foyers de
nécrose insulaire de la substance blanche et grise ; myélomalacie pure
avec disparition des éléments nerveux, corps granuleux névrogliques
bourrés de granulations lipoïdiques, dilatation des gaines périvascu-
laires remplies de corps granuleux. Us ont retrouvé aussi cette lésion de
dégénération primaire aiguë des fibres à myéline déjà signalée par
MM. Sehiefferdecker, Strumpell, Bruns, Schmaus, Hartmann, Obers-
teiner, A. Jakob; la dégénérescence se limite le plus souvent au territoire
marginal de la moelle ; le tissu spinal a un aspect réticulé par suite de
la distension des mailles de la névroglie, au sein des vacuoles on voit
des cylindres-axes, les uns grêles, les autres volumineux, énormes (cor-
puscules hyalins de Schmaus) sur les coupes longitudinales des renfle-
ments du cylindre-axe atteignent quarante ou cinquante fois le volume
du cylindre-axe normal et se continuent avec une fibre plus ou moins
altérée. Une autre lésion visible est l'augmentation de la fibre tron-
çonnée en plusieurs segments pelotonnés sur eux-mêmes. Certaines cel-
lules névrogliques se multiplient et forment de véritables myélophages
névrogliques. MM. Claude et Lhermitte attirent l'attention sur les alté-
rations du canal de l'épendyme ; ce canal peut être aplati, dilaté, rompu,
obstrué de corps granuleux ou de coagulats albumineux. On s'explique
ainsi très bien la possibilité de ces syringomyélies post-traumatiques,
sur lesquelles j'ai insisté, il y a 20 ans, dans une thèse de cette Faculté
faite sous 1 inspiration de M. Pierre Marie, dont j'avais alors le grand
honneur d'être l'interne.
Je ne voudrais pas oublier de vous signaler aussi, dans ces commo-
tions médullaires, les altérations histologiques éventuelles des racines
rachidiennes, sur lesquelles MM Schmaus, Hartmann, Kirschgasser
ont insisté : cylindres-axes variqueux, rompus ; gaines de Schwann
dilatées, remplies de débris de myéline osmiophiles et soudanophiles.
11 est intéressa n L de remarquer que les lésions commotionnelles expé-
rimentales chez les animaux sont semblables à celles décrites en ana-
tomie pathologique humaine. MM Schmaus, Bikeles, Kirchgasser,
Gudden, Marinesco, Stcherbach et Jakob, plus récemment MM. Boussy,
132 G. G\ ni \l \
Lhermitte et Cornil, ont, à la suite de traumatismes directs et indirects
chez l'animal, constaté des lésions des libres et des cellules nerveuses,
des Foyers de nécrose, la dégénération primaire aiguë des fibres à myé-
line ; les lésions hémorrhagiques ont été exceptionnellement notées.
Une question anatomo-pathologique très intéressante et très impor-
tante mérite d'être soulevée : la régénération des libres nerveuses dans
la moelle et les racines racbidiennes est-elle possible? Flourens,
Brown-Séquard, Masius et Van Lair admettaient la régénération du
tissu nerveux en général et de la moelle en particulier; Vulpian faisait
des réserves sur la régénération de la moelle. 11 semble résulter d'expé-
riences multiples contemporaines, que je ne puis vous exposer aujour-
d'hui, (pie la régénération anatomique de la moelle est possible, mais
incomplète, limitée, désordonnée. MM. Roussy et Lhermitte ont repris
récemment l'étude histologique de cette question avec les imprégna-
tions à l'argent, la méthode de Bielschowsky sur bloc, ils ont vu des
libres néoformées dans les cicatrices médullaires, ils admettent la régé-
nération des racines postérieures, mais insistent sur l'inertie régénéra-
trice des libres des différents faisceaux de la moelle. J'ai cru intéres-
sant de vous mentionner ces faits, car ils montrent sur quelles bases
anatomiques et expérimentales fragiles s'appuie la conception de la su-
ture médullaire dans les cas de sections traumatiques complètes de la
moelle.
Les symptômes des lésions traumatiques. de la moelle sont, vous le
comprenez sans nul doute, très variables suivant l'étendue et la pro-
fondeur des lésions et aussi suivant leur siège. II! ne m'est certes pas
possible d'étudier avec vous en détail toutes les formes cliniques sus-
ceptibles d'être observées, je vous schématiserai cependant les princi-
pales d'entre elles. Je prendrai tout d'abord pour type de description
les lésions traumatiques sérieuses de la région dorsale par armes à
feu, et, à ce propos, je vous montrerai comment on examine de tels ma-
lades, quels sont les principes et les méthodes de ces examens ; il vous
sera très facile ultérieurement avec- ces principes de vous orienter
parmi les cas individuels.
Unsujetqui reçoit une balle de fusil ou un éclat d'obus ou une balle
de browning, comme le blessé que je vous ai amené, a en général la sen-
sation d'un coup violent, <« d'avoir les reins brises », « d'être COUpé <-~n
deux », suivant des expressions souvent répétées ; il tombe à terre,
LES LÉSIONS TBAUMATIQUES DE LA MOELLE 133
incapable de se relever. Les grandes douleurs primitives sont rares et
s'observent surtout dans les lésions incomplètes de la moelle par
esquilles osseuses compressives ou dans les lésions irritatives radicu-
laires, spécialement au niveau des racines cervicales ou lombo-sacrées.
Les grands blessés, qui ont une section anatomique ou physiologique de
la moelle, souffrent peu ou pas, et il y a lieu de remarquer que la plu-
part d'entre eux ne perdent pas connaissance et sont, au début, dans un
état de shock relativement peu accentué.
La paraplégie est en général complète ; aucun mouvement n'est pos-
sible de flexion et d'extension des orteils, de flexion et d'extension du
pied sur la jambe, de la jambe sur la cuisse, de la cuisse sur le bassin,
aucun mouvement d'abduction et d'adduction de ces différents segments.
Il est utile d'avoir des précisions sur le tonus. Pour cela, vous no-
terez l'état des contours fermes ou affaissés des muscles, leur consis-
tance, l'attitude d'ensemble du membre, l'angle spontané du pied sur
les jambes, des orteils sur les pieds, l'amplitude des mouvements pas-
sifs des divers segments des membres les uns sur les autres, l'étendue
de l'abaissement provoqué de la rotule. Il est classique de répéter,
à la suitede H. Jackson et de Bastian,que la transsection spinalecom-
plète abolit le tonus ; nous avons montré, avec M. J. -A. Barré, que cette
opinion ne pouvait être admise dans son intégralité. Le tonus muscu-
laire, dans les premiers jours ou la première semaine, n'est pas aboli, du
moins dans tous les cas, les muscles conservent leur morphologie et leur
consistance ; mais, rapidement, l'amyotrophie apparaît et une diminu-
tion de la consistance du muscle très appréciable est constatable. Les
modifications de la tonicité assortissent pour unegrande part aux altéra-
tions anatomiques des muscles, spécialement à l'atrophie muscu-
laire.
La contractilité neuro-musculaire au marteau percuteur se conserve
longtemps très bonne, elle ne diminue que dans les phases tardives et
peut même augmenter passagèrement.
Vous devrez étudier méthodiquement chez ces blessés de la moelle :
1° les réflexes tendineux; 2° les réflexes cutanés ; 3° les réflexes dits de
défense ou d'automatisme médullaire ; 4° les réflexes sympathiques
pilomoteurs. L'étude des réflexes est de la plus grande importance dans
la sémiologie médullaire.
Les réflexes tendineux ou périostes des membres inférieurs, que l'on
recherche habituellement, sont : le réflexe rotulien (L. 2, 3, 4), le réflexe
des adducteurs (L. 2,3,4), le réflexe achilléen (L. 5, S. 1,2). Nous avons
décrit, avec M. J.-A. Barré, trois autres réflexes des membres inférieurs ;
[34 G. Gl ll.I.MX
le réflexe médio-plantaire(L. 5. S. 1, 2), qui amène la flexion plantaire
du pied ; le réflexe tibio-fémoral postérieur (L. 4, 5, S. 1), qui détermine
la contraction du droit interne, du demi-tendineux et du demi-membra-
neux ; le réflexe péronéo-fémoral postérieur (L. 5, S. 1, 2), qui détermine
la contraction du biceps fémoral. Ces réflexes normaux ont une très
réelle importance pour le déterminisme de certaines lésions segmen-
taires ou radieulaires lombo-sacrées
Aux membres supérieurs, les réflexes utiles à rechercher sont : le
réflexe stylo-radial (G. ô, (>), le réflexe cubito-pronateur(C. 6, 7, 8D. 1),
le réflexe bicipital (C. 4, 5, (i), le réflexe tricipital (C. 6, 7, 8), le réflexe
des fléchisseurs (C. 8, D. 1).
Dans les lésions traumatiques de la moelle, au début, les réflexes tendi-
neux et périostes sont en général abolis. Dans les cas de section com-
plète de la moelle, que nous avons observés aux armées, et dont la
survie ne dépassa pas cpielques semaines, l'abolition des réflexes fut la
règle. M. Sherrington, cbez divers animaux, a vu, après section médul-
laire totale, la réapparition plus ou moins tardive des réflexes tendi-
neux; la même constatation a été faite chez l'homme par MM. Henry
Head et George Riddoch, Claude, Lhermitte, Roussy, lorsque la survie
des sujets a été assez longue.
Les principaux réflexes cutanés qu'il faut rechercher sont : le réflexe
cutané plantaire (L. 5, S. 1, 2), le réflexe crémastérien (L. 1,2), les
réflexes cutanés abdominaux supérieur, moyen et inférieur (D. (> à
D. 1 2), le réflexe fessier (L. 4, 5, S, 1), le réflexe bulbo- caverneux (S. 3 ,
le réflexe anal (S. 5, (3).
Dans les cas de section médullaire totale, (pie nous avons relatés avec
M. J.-A. Barré, 16 fois sur 17, le réflexe cutané plantaire se manifesta
par la flexion du gros et des petits orteils dès le premier jour. M. et
Mœe Dejerine et M. Mouzon ont noté le même phénomène. Aussi avons-
nous pu dire, avec M. J.-A. Barré, qu'au cas de destruction complète
et brusque de l'axe médullaire dans la région dorsale, le réflexe cutané
plantaire garde le sens qu'on lui connaît chez l'homme normal, qu'il se
lait en flexion. On doit ajouter (pièce réflexe n'est pas tout à l'ait sem-
blable au réflexe physiologique, son type est nettement anormal ; il se
fait lentement, le gros orteil s'infléchit sans brusquerie, progressive*
ment, régulièrement, effectue un déplacement parfois faible, mais sou-
vent très ample, commence après un temps de latence qui est variable
et souvent beaucoup plus considérable que chez l'homme sain, garde
un temps appréciable son attitude en flexion et présente, pendant le
retour à sa position initiale, la même lenteur que pendant la flexion.
LES LÉSIONS TRAUMATIQUES DE LA MOELLE 135
Pendant la courte survie de nos blessés, le réflexe»cutané plantaire garda
sa forme en flexion, son intensité décrut aux approches delà mort, et,
au moment de l'agonie, il faisait le plus souvent défaut.
Le réflexe cutané plantaire, dans les lésions médullaires trauma-
tiques, peut se présenter sous d'autres modalités. Souvent ce réflexe est
complètement aboli ; dans d'autres cas, l'excitation de la plante du
pied amène-la flexion franche du gros orteil alors que les petits orteils
restent immobiles ; parfois le gros orteil se fléchit alors que les petits
orteils s'étendent. Le réflexe cutané plantaire en extension est excep-
tionnel à la première phase des lésions traumatiques destructives
graves de la moelle, et je persiste à penser, avec M. J.-A. Barré, malgré
quelques affirmations contraires, que le réflexe cutané plantaire en
extension, observé dans les premiers jours d'une lésion traumatique
médullaire, permet d'affimer qu'il n'existe pas de section anatomique ou
physiologique de la moelle.
Le réflexe crémastérien superficiel et profond est souvent conservé
dans les lésions médullaires traumatiques. Dès 1916, nous notions, avec
M. J.-A. Barré, que, chez certains blessés, l'excitation cutanée fémo-
rale déterminait comme seule réaction visible, après un temps perdu
notable, une série de contractions vermiculaires provoquant un plisse-
ment d'une ou des deux moitiés du scrotum ; nous notions aussi que la
recherche du réflexe crémastérien provoque parfois l'érection et aussi
une petite miction. Ces phénomènes ont été signalés, à propos de l'au-
tomatisme médullaire, par MM. Henry Head et George Riddoch.
Les réflexes cutanés abdominaux sont beaucoup plus souvent abolis
que le réflexe crémastérien. Il convient d'ailleurs de remarquer que la
recherche de ces réflexes abdominaux est souvent très difficile chez ces
malades à cause de la distension de la vessie et du météorisme abdomi-
nal.
Vous pourrez lire dans la littérature médicale que, dans les cas de
section médullaire totale, il existe une première phase que l'on a appelée
la phase de shock où les réflexes tendineux et cutanés sont tous abolis.
En ce qui concerne les réflexes tendineux, le fait est exact, mais je ne
saurais admettre la même conclusion pour les réflexes cutanés. M. J.-A.
Barré et moi avons vu, dans nos cas de section médullaire totale, la
conservation des réflexes cutanés dans des examens pratiqués quelques
heures après la blessure.
Les réflexes dits de défense ou réflexes d'automatisme médullaire ont
été étudiés depuis longtemps chez les animaux et, si j'en avais le temps,
je vous rappellerais les expériences de Haller, de Goltz, de Tarchanoff,
136 G. Gl II l M \
deVulpian, et les expériences plus récentes et suggestives de M. Sher-
rington sur les singes, les chats, les chiens dits « spinaux », c'est-à-dire
sur les animaux décapités maintenus en vie, et dont la moelle conserve
des fonctions réflexes multiples. L'étude des réflexes d'automatisme
médullaire en clinique humaine a été commencée, il y a longtemps, par
Ollivier (d'Angers), Charcot, Vulpian, elle a été poursuivie, plus récem-
ment, par MM. Pierre Marie et Foix, Bahinski, André-Thomas. Quand
on recherche, dans les premiers jours d'une section médullaire totale,
les réflexes de défense, soit par le pincement de la peau de la région
dorsale du pied, ainsi que l'a conseillé M. Bahinski, soit par l'hyper-
flexion des orteils, suivant la manœuvre de MM. Pierre Marie et
Foix, on ne provoque généralement pas de réflexes d'automatisme mé-
dullaire, ou du moins ils sont très faibles et très localisés, mais par
contre l'excitation cutanée plantaire provoque facilement ces réflexes ; la
plante du pied paraît la région d'élection pour déclancher, peut-on
dire, les réflexes dits de défense ou mieux les réactions réflexes diffu-
sées. A la première phase des plaies de la moelle, on ne voit pas le
phénomène des allongeurs, ni les mouvements rappelant le « stepping
reflex » de M. Sherrington.
Les réflexes pilomoteurssympathiquesdécrits par MM. Langley, Sher-
rington, Anderson, ont été étudiés, durant ces dernières années, dans
les lésions médullaires par M. André-Thomas. Je vous rappellerai que
les centres sympathiques qui conditionnent les réflexes pilomoteurs sont
localisés dans les segments médullaires D1 D2 D3 pour la face, le cou, la
partie supérieure du thorax, dans les segments D4 D5Dr,D7pour le mem-
bre supérieur, dans les segments D9D10 DM D12 L1 pour le membre infé-
rieur. MM. Langley et André-Thomas ont insisté sur ce fait qu'un même
segment spinal innerve plusieurs ganglions sympathiques; aussi, dans
une section totale de la moelle, la réaction pilomotrice descendante peut
dépasser la limite supérieure de l'anesthésie sur l'étendue de deux ou trois
territoires sensitifs spinaux. M. André-Thomas remarque (pie, pour la
m èï ne raison, la limite supérieure du réflexe pilomoteur de défense peut
s'élever au-dessus de la limite de l'anesthésie. M. André- Thomas a tire
de ses examens des conclusions intéressantes et pratiques. Ainsi l'ab-
sence de réaction pilomotrice aux membres inférieurs par excitation cer-
vicale prouve que la section médullaire se trouve au-dessus des centres
pilo-moteurs des membres inférieurs, c'est-à-dire au-dessus du 9" seg-
ment dorsal ; dans une section delà moelle lombaire, la réaction pilo-
motrice descendante sera généralisée à tout le tégument, puisque la sec-
tion esl au-dessous des centres pilomoteurs. Dans une lésion île la queue
LES LÉSIONS TRAUMATIQUES DE LA MOELLE 137
de cheval, M. André-Thomas a constaté que la réaction pilomotrice est
généralisée, car d'une part les centres pilomoteurs sont intacts, d'autre
part les fdets sympathiques rejoignent les troncs nerveux de la queue
de cheval à leur sortie des trous de conjugaison en suivant la chaîne
sympathique, c'est-à-dire par un trajet extra-rachidien.
L'étude des réflexes pilomoteurs est sans nul doute très intéressante
et souvent instructive, mais il est regrettable que les réactions soient
parfois inconstantes, difficiles à provoquer, et d'une interprétation,
dans certains cas, très délicate.
Les troubles de la sensibilité douloureuse subjective manquent chez
la plupart des blessés de la moelle, à l'exception toutefois de ceux qui ont
des plaies incomplètes avec esquilles osseuses fixées dans les cordons
postérieurs ou dans la substance grise et de ceux qui présentent des
lésions radiculaires compressives.
Certains sujets, bien que complètement aneslhésiques^ ont des sensa-
tions dans leurs membres paralysés ; on peut assimiler ces sensations
aux illusions des amputés.
L'anesthésie tactile et douloureuse, dans les lésions médullaires trau-
maliques graves, est le plus souvent absolue, totale. La limite supérieure
de l'anesthésie est figurée soit par une ligne horizontale, soit beaucoup
plus souvent par une ligne festonnée; la hauteur de l'anesthésie à droite
et à gauche n'est pas toujours symétrique, mais peut différer d'un ou
plusieurs segments. Parfois, au-dessus de la zone anesthésiée, est une
petite zone segmentaire d'hyperesthésie, parfois au contraire une petite
zone segmentaire d'hypoesthésie ; l'existence de ces zones permet
d'apprécier l'état des premiers segments médullaires sus-jacents à la
lésion. Dans les sections médullaires totales, on ne constate pas la con-
servation de la sensibilité dans les zones sacrées, ainsi que l'ont vu
MM. Babinski, Jarkowski et Barré dans certains cas de compression
médullaire.
Les limites de la zone de thermoanesthésie peuvent être au même ni-
veau que la zone d'anesthésie totale, elle peut-être au-dessus de celle-ci,
et, dans ce cas, il faut penser, ainsi que nous l'avons dit avec M. J. -A.
Barré, à une hématomyélie sus-jacente à la lésion; les examens nécrop-
siques nous ont permis de vérifier le fait.
La sensibilité vibratoire peut avoir les mêmes limites que l'anesthésie
tactile ou au contraire que l'anesthésie thermique, elle peut avoir des
limites totalement différentes. La baresthésie a, pour ainsi dire, toujours
des limites plus basses (pie la sensibilité tactile ou vibratoire.
Dans les cas de section médullaire totale, la sensibilité viscérale
138 G. Gl III \ I \
est souvenl conservée, cette conservation de la sensibilité propre des
viscères semble dépendre du sympathique.
L'atrophie musculaire, dans les cas de blessures de la moelle, est par-
fois extrêmement rapide ; cette amyotrophie tient à deux causes : aux
troubles médullaires et aux troubles de la nutrition générale.
L'examen électrique des nerfs et des muscles des membres inférieurs
montre ordinairement, au début, une conservation parfaite de l'excita-
bilité laradique et galvanique. Dans deux ou trois cas seulement
nous avons constaté, avec M. Strohl, une abolition complète de l'exci-
tabilité faradique et galvanique des nerfs et des muscles dès les premiers
jours, les muscles des membres inférieurs étant incapables de se contrac-
ter même avec des courants forts de 25 à MO milliampères ; cette inexci-
tabilité précoce des nerfs et des muscles dans certaines plaies de la
moelle- est difficilement explicable. Par contre, on comprend fort bien
que, chez les blessés qui survivent plusieurs semaines, on puisse cons-
tater, sur les muscles qui s'alronhie V, les différentes modalités d'une
réaction de dé" „. **e tbittë ou partielle ou seulement une
hypoexc» .bihté progressive.
*ïa rétention d'urines est la règle dans les plaies de la moelle ; on
n'observe presque jamais l'incontinence, sinon l'incontinence par regor-
gement. Parfois le spasme du sphincter est très prononcé, le sondage
alors est très difficile et oblige à l'emploi de sondes rigides et même de
sondes métalliques.
L'incontinence des matières est plus fréquente que la rétention; cette
dernière parfois est très opiniâtre et nécessite des purgations répétées,
des lavements, des massages abdominaux ; malgré ces procédés, il arrive
que l'exonération rectale ne soit que très difficilement obtenue.
Le priapisme est rare en dehors des premières heures, mais la verge
est fréquemment en demi-érection molle.
Les grands œdèmes des membres paralysés sont exceptionnels dans
les blessures de la moelle se terminant par la mort en quelques semaines,
contrairement à ce que l'on observe dans les paraplégies chro-
niques,
La température des membres paralysés est souvent très élevée, sur-
tout dans les blessures de la moelle cervicale ; l'asymétrie thermique est
très nette dans les lésions de l'iiémi-moelle de cette région. Dans les
sections médullaires totales, nous avons noté, avec M..I.-A. Barré, que
les membres inférieurs ont presque toujours i\\\i' température élevée qui
croît progressivement vers les pieds ordinairement brûlants; la répar-
tition de la température affecte donc un type inverse du type normal.
LES LÉSIONS TRAUMAT1QUES DE LA MOELLE 139
Parfois, dans les lésions incomplètes de la moelle, on observe de l'hypo-
thermie appréciable des membres paralysés. Dans quelques cas on
remarque, à la limite supérieure de la zone d'anesthésie, une zone seg-
mentante où le refroidissement de la peau est sensible ; ce signe du
refroidissement a été signalé par M- J.-A. Barré dans des cas de com-
pression médullaire et peut avoir une valeur sémiologique pour fixer la
limite supérieure de celle-ci.
Les réflexes vaso-moteurs sont faciles à provoquer dans les lésions
médullaires et sont même exagérés, ainsi qu'on peut le constater par le
procédé de la raie rouge ; je vous rappellerai que Gergens et Weber ont
noté la persistance du tonus va seul aire après l'ablation du système ner-
veux central. On peut, en étudiant l'étendue de ces troubles vaso-mo-
teurs provoqués, acquérir des notions sur la hauteur de la lésion spinale.
Dans les lésions de la moelle dorsale inférieure, MM. J.-A. Barré et
R. Schrapf ont attiré l'attention sur certains troubles sympathiques des
membres supérieurs, qui se traduisent par de l'hyperthermie, des sensa-
tions d'engourdissement et de fourmillement, de la faiblesse des doigts
et de la main. Ces troubles s'expliquent très bien, car les centres sym-
pathiques vaso-moteurs des membres supérieurs descendent dans la
moelle jusqu'aux 8e et 9e segments dorsaux. Il est important de connaître
l'existence de ces troubles vaso-moteurs des membres supérieurs dans
les lésions dorsales de la moelle, car il ne faudrait pas croire, lorsqu'on
les constate, à une lésion cervicale surajoutée.
Horsley a remarqué que la sudation était abolie dans les cas de section
spinale, et que le niveau où s'arrête la sudation est en rapport avec le
segment médullaire détruit.
Les troubles trophiques se manifestent par des taches rouges aux
orteils, aux malléoles, aux talons, à la face externe et interne des genoux,
aux trochanters, aux endroits de pression, mais peuvent exister même
sur des membres enveloppés d'ouate et soustraits à toute pression. Par-
fois, spécialement aux genoux, les taches ont un aspect urticarien ou
même phlycténulaire rappelant une brûlure. Les escarres sacrées et
trochantériennes, malgré des soins minutieux et une propreté rigou-
reuse, ne peuvent pas toujours être évitées.
Si vous parcourez, Messieurs, les Traités de neurologie français et
étrangers les plus complets et les plus documentés, vous constaterez
que la description des symptômes généraux des plaies de la moelle, des
symptômes sympathiques viscéraux, est pour ainsi dire nulle. Nous
avons apporté, croyons-nous, avec M. J.-A. Barré, quelques précisions
sur ce point.
140 G. OU 11.1. MX
Au début, durant les premiers jours, le blessé qui a reçu un trauma-
tisme de la moelle, se sent relativement bien; il mange souvent avec
appétit et présente à peine, dans certains cas, si l'on fait abstraction du
syndrome paralytique, l'aspect d'un grand blessé. Deux signes sont
presque constants dès le début : la soif extrêmement vive et l'insomnie,
sans douleur aucune d'ailleurs. Dans les cas graves, à une phase ulté-
rieure plus ou moins tardive, l'appétit cesse, l'amaigrissement est
rapide, la somnolence presque constante.
La température se présente sous différents types. Chez les blessés qui
meurent rapidement en quelques jours, l'hyperthermie est très accen-
tuée, c'est ce qu'on observe souvent dans les plaies de la région cervi-
cale. Chez les blessés qui survivent durant quelques semaines, on
constate des poussées fébriles oscillatoires, et, dans les derniers jours,
l'hyperthermie est souvent très élevée. Dans les lésions médullaires
traumatiques par chute ou contusion, spécialement dans les cas légers,
la température peut rester presque normale.
Le pouls est régulier et la tachycardie en rapport inconstant avec la
température ; dans certains cas de lésions delà moelle cervicale, on peut
voir des températures très élevées avec un pouls relativement lent. Sou-
vent l'ascension du pouls précède l'ascension thermique terminale. La
tension artérielle, prise au bras, est normale au début, elle baisse pro-
gressivement à mesure que l'état grave s'accentue.
Les troubles respiratoires sont rares, à l'exception des cas où le nerf
phrénique est intéressé et de ceux où se manifestent des complications
infectieuses pulmonaires. Le hoquet cependant est souvent constaté.
Nous avons attiré l'attention, avec M. J.-A. Barré, sur certains symp-
tômes péritonéaux très spéciaux. Au début des plaies de la moelle.
durant les premiers jours, il n'est pas très rare d'observer un véritable
syndrome péritonéal avec météorisme, arrêt des gaz et des matières,
douleurs, hoquet, nausées et vomissements verdâtres. Ce syndrome
péritonéal est tellement net chez certains blessés qu'on est tenté de se
demander s'il n'existe pas une vraieperitonitetraumatique.il semble
que cepéritonisme soit souvent causé par de petites hémorrhagies péri-
vésicales et intra-péritonéales, déterminées par une vaso-dilatation
générale abdominale sous la dépendance de troubles du sympathique.
Dans les autopsies, nous avons vu ces péritonites hémorrhagiques qui
sont indépendantes de tout traumatisme local par projectile. Ce syn-
drome péritonéal du début des plaies de la moelle, qui n'a jamais été
décrit, mérite d'être connu pour éviter une intervention opératoire sur
l'abdomen, laquelle serait sans utilité et même nuisible.
LES LÉSIONS TRAUMATIQUES DE LA MOELLE 141
Dans quelques cas, on constate de la diarrhée noire, foncée. Ce
mélœna tient aussi à la dilatation vasculaire abdominale par troubles du.
sympathique.
Le foie paraît habituellement normal ou simplement congestionné.
La rate est souvent augmentée de volume, hypercongestive.
Les troubles urinaires méritent une mention spéciale. Je vous ai
signalé la rétention constante des urines. Les urines émises par son-
dage sont en général en quantité normale. Nous avons remarqué, avec
M. J.-A. Barré, chez les grands traumatisés de la moelle, dans de nom-
breux cas, une hyperazoturie souvent considérable (40, 50, 60, 70 gr.
d'urée par jour), malgré une alimentation restreinte; il s'agit là d'un
signe de dénutrition très particulier qui, à notre connaissance, n'a pas
été signalé. Par contre, les chlorures sont souvent à des chiffres extrê-
mement bas, ce qui tient à une alimentation hypochlorurée plutôt qu'à
un trouble de la sécrétion rénale ou à une rétention tissulaire. L'héma-
turie est un signe urinaire fréquemment précoce, on la constate parfois
au premier cathétérisme avec une sonde molle; elle est indépendante de
tout traumatisme par le sondage, elle précède toute infection locale,
elle ne s'explique pas par la rétention pure, mais elle est due à la vaso-
dilatation de la vessie avec hémorrhagies de sa muqueuse ; cette ectasie
vasculaire vésicale est très remarquable sur les pièces d'autopsie. Au
point de vue pathogénique, l'hématurie reconnaît des causes semblables
au mélaena intestinal L'hématurie est souvent persistante et abondante,
il s'agit parfois de sang presque pur; il existe de ce fait une cause d'ané-
mie rapide. La pyurie, que l'on peut observer, s'explique fort bien par
l'infection locale, souvent presque fatale.
Les troubles de la nutrition générale, chez les blessés graves de la
moelle, s'extériorisent par un amaigrissement et une cachexie rapides.
Cet amaigrissement en une semaine est plus considérable que celui
observé dans les maladies infectieuses les plus sérieuses. Toutefois le
blessé, qui se cachectise, conserve une euphorie singulière jusqu'à la
mort Contrairement à de nombreux autres blessés, les blessés de la
moelle n'ont pas la notion de la gravité de leurblessure,ilsnese plaignent
pas, ne manifestent pas la moindre inquiétude. Peut-être l'absence habi-
tuelle de douleurs est-elle une des causes de cet état mental vraiment
très particulier.
Les plaies vraies de la moelle, j'insiste encore sur l'opposition qui
s'impose entre les plaies de la moelle et les plaies simples du rachis
avec parfois symptômes de compression médullaire ou radiculaire,
sont extrêmement graves. La plupart des blessés, ayant une section
142 i,. i.i ll.l \l \
complète de la moelle avec écartement de plusieurs centimètres entre
les Fragments, succombent dans les premières semaines. En dehors
des infections urinaires, broncho-rpulmônaires, méningées, la principale
cause de la mort, dans les sortions médullaires OU les lésions médullaires
graves, est la cachexie progressive, qui se traduit par un amaigrissement
considérable, la fonte de tous les tissus en quelques jours. Cette cachexie
progressive est due à ce que l'assimilation ne se l'ait plus. Dans les
plaies hautes de la moelle le sympathique est intéressé, toute l'innerva-
tion du tube digestif, des viscères, des glandes vasculaires sanguines
abdominales est troublée. Les blessés de la moelle meurent souvent
avec un véritable syndrome d'anémie, avec une somnolence et une soit"
inextinguible, comme dans les grandes hémorrhagies internes. Ces bles-
sés médullaires ont une vaso-dilatation considérable de tout l'abdomen,
tandis qu'à la partie supérieure du corps, il existe une véritable anémie,
et le système nerveux participe à cette anémie, beaucoup d'entre eux
meurent brusquement, de syncope bulbaire.
Chez les blessés graves de la moelle, ayant présenté un syndrome
de section physiologique, qui survivent, on peut observer des signes
cliniques nouveaux traduisant l'automatisme médullaire. Ces phénomè-
nes, analogues à ceux constatés par M Sherrington dans ses recherches
physiologiques expérimentales sur les animaux « spinaux », sont d'un
très réel intérêt ; ils ont été spécialement étudiés par MM. Henry Heail et
George Riddoch, Roussy, Lhermitte. Marinesco
L'on peut voir, chez ces blessés médullaires réapparaître le tonus
musculaire dans les muscles fléchisseurs du pied et de la jambe, le
quadriceps. les jumeaux, les adducteurs. Il ne me paraît pas opportun
de vous mentionner les discussions physiologiques actuelles sur le
mécanisme de l'hypertonie, sur la différenciation du tonus myoplas-
matique (contractile tonus de Langelaan) dépendant de l'innervation
cérébro-spinale, et du tonus sarcoplasmatique (plastic tonus de Lan-
gelaan) dépendant de l'innervation sympathique. Il vous suffit île con-
naître le phénomène clinique.
Les réflexes tendineux peuvent se constater de nouveau M George
Riddoch a noté la réapparition du réflexe rotulien du 21e au 53* jour
après la section médullaire ; MM. Farquard Buzzard, Claude et Lher-
mitte signalent des faits semblables, .le vous rappellerai que M. Slicr-
LES LÉSIONS TEAUMATIQUES DE LA MOELLE 143
rington a montré cette réapparition des réflexes tendineux chez les
chiens et chez les singes après section spinale ; MM. André-Thomas et
Jumentié ont même provoqué un réflexe contro-latéral des adducteurs
chez un singe le troisième jour après une section expérimentale.
M. Lhermitte et d'autres auteurs ont signalé l'existence du réflexe
cutané plantaire en extension.
Des mouvements automatiques volontaires se voient chez ces sujets :
mouvements de flexion et d'extension, mouvements d'adduction avec
extension. Il est important de ne pas confondre ces mouvements auto-
matiques avec des mouvements volontaires.
Les réflexes dits de défense ou d'automatisme médullaire peuvent
exister très tôt. Dans des cas de section de la moelle, nous avons vu
que de tels mouvements réflexes pouvaient se constater très précoce-
ment après excitation de la plante du pied.
MM. Henry Head et George Riddoeh. dans de très beaux mémoires
parus dans le Brain en novembre 1917, ont étudié longuement les
réflexes d'automatisme médullaire de triple flexion et d'extension, et
ce réflexe en masse, le « Maas reflex », qui se traduit, après excitation
de la peau des membres inférieurs ou de la paroi abdominale, par une
flexion des membres inférieurs, l'évacuation delà vessie et la sudation.
M. Lhermitte, dans un cas, le sujet étant placé dans le décubitus
latéral, a constaté que l'excitation de la face postérieure de la cuisse
déterminait l'extension directe du membre excité et en même temps
la flexion du membre opposé, c'est le réflexe de flexion croisée.
Ces mouvements réflexes d'automatisme médullaire dans les lésions
traumatiques graves de la moelle, dans le syndrome de section anato-
tniqueet physiologique, sont très intéressants à connaître au point de
vue de la physiologie générale du système nerveux, mais il ne faut pas
croire, et j'insiste sur ce point pour vous éviter des erreurs d'interpré-
tation, que les mouvements d'automatisme médullaire ne se constatent
que dans les sections médullaires totales. MM. Henry Head et George
Riddoeh, qui ont incontestablement apporté la documentation la plus
complète sur ce sujet, ont intitulé leur mémoire : The automalic bladder,
excessive siveating and some other rejlex conditions in gross injuries of
liic spinal cord ; ces auteurs, vous le voyez, parlent de lésions graves
de la moelle et non uniquement de section médullaire totale. D'autre
part, je vous rappellerai que les réflexes dits de défense ou d'automa-
tisme médullaire seconstatent avec le maximum dé netteté et d'énergie
dans les compressions de la moelle, dans la paraplégie du type en
flexion de Babinski, dans des affections du névraxe où la moelle n'est
lll G. GUILLAIN
pas sectionnée. Il ne faut pas oublier ces réalités cliniques et conclure,
comme on la lait trop souvent, que la constatation clinique de mouve-
ments réflexes dits de défense ou d'automatisme médullaire avait pour
corollaire anatomo-pathologique une section de la moelle.
Lis réflexes pilomoteurs de défense peuvent être exagérés ; on peut
1rs provoquer par la piqûre, l'application d'un linge mouillé ou de
glace, parla mobilisation d'un membre. Ces réflexes pilomoteurs de
défense permettent d'apprécier l'état du tronçon de la chaîne sympa-
thique située au-dessous de la section ou de la lésion spinale.
MM. Henry Head et George Riddoch ont insisté sur l'automatisme
vésical, sur les mictions spontanées, qui apparaissent à la suite d'exci-
tations superficielles ou profondes des membres anesthésiés ; ils ont vu
(pie la destruction de toute la moelle lombo-sacrée n'abolit pas les fonc-
tions automatiques de la vessie. Une condition apparaît indispensable
pour (pie le mécanisme des sphincters puisse agir, c'est 1 absence d'in-
fection vésicale.
L'automatisme génital se caractérise par des érections spontanées et
des érections provoquées par des excitations cutanées et génitales.
M. George Riddoch a vu que l'excitation du gland et du périnée chez ces
sujets anesthésiques pouvait être suivie de contraction des mus-
cles de la paroi abdominale et des cuisses et d'éjaculation consécutive,
c'est ce qu'il désigne sous le nom de « coït réflexe ».
On peut constater, dans les segments paralysés, une exagération de
la sudation. Les crises d'hyperhidrose peuvent être provoquées par des
excitations périphériques comme le grattage de la plante du pied ou
de l'abdomen, l'injection de liquide dans la vessie. MM. Henry Head
et George Riddoch font remarquer qu'une des causes fréquentes de
l'exagération de la sudation est la réplétion de la vessie, car la su-
dation cesse après sondage.
Chez ces paraplégiques on observe souvent des œdèmes, tantôt peu
accentués, tantôt véritablement considérables. M"" Dejerine et
M. Ceillier remarquent que parfois on peut faire le diagnostic du siège
de la lésion spinale par la hauteur à laquelle remonte l'œdème.
M. Lhermitte pense (pièces œdèmes sont d'origine vasculaire locale,
la stase veineuse étant provoquée par des lésions phlébitiques sténo»
sanles ou l'affaissement des veines résultant de la flaccidité des tissus.
Cette pathogénie peut s'appliquer à certains cas spéciaux, mais il nie
semble, comme à la plupart des auteurs, que ces œdèmes sonl en géné-
ral unr conséquence de troubles vaso-moteurs.
M'"1' Dejerine et M. llcgnard ont signale, elle/ des blesses atteints de
LES LÉSIONS TBAUMATIOUES DEJLA MOELLE 145
lésions de la moelle dorso-lombaire et de la queue de cheval, des
troubles visuels et papillaires consistant en atrophie papillaire surtout
marquée dans le segment temporal avec diminution de l'acuité visuelle,
rétrécissement du champ visuel et diminution considérable du réflexe
pupillaire à la lumière, consistant aussi en troubles oculo-pupillaires
d'ordre irritatif avec ébauche de syndrome basedowien. Mme Dejerine
et M. Regnard pensent que ces phénomènes optico-pupillaires sont
dus à une atteinte irritative des fibres vaso-motrices de la rétine et de
l'iris dans le tronçon médullaire sus-lésionnel.
Mme Dejerine et M. André Ceillier ont décrit, chez les paraplégiques,
des lésions osseuses spéciales qu'ils ont dénommées les para-ostéo-
arthropathies des paraplégiques ; il s'agit de néo-formations osseuses
plus ou moins exubérantes sans altérations osseuses du squelette. Ces
auteurs ont trouvé ces lésions 79 fois sur 160 paraplégiques, soit dans
49,37 °/0 des cas. Les néo-formations osseuses se constatent entre le
bassin et les genoux, les genoux étant leur siège d'élection ; parfois
chez le même sujet on trouve cinq ou six foyers d'ossification. Ces
productions osseuses ne s'accompagnent pas de rougeur et d'inflam-
mation de la peau, ni de circulation collatérale, elles sont reconnues par
l'inspection, la palpation, le toucher rectal, la radiographie qui montre
d'ailleurs l'intégrité morphologique du squelette ; elles apparaissent
dès les premières semaines qui suivent la blessure et atteignent en
quelques mois leur volume définitif. Au point de vue anatomo-patho-
logique, ces néo-formations osseuses sont caractérisées par de véri-
tables bourgeons osseux limitant des espaces remplis de moelle osseuse
vasculaire ; on voit sur les coupes des ostéoblastes, des canaux de
Havers ; les ossifications pathologiques sont entourées d'un tissu
fibreux hyperplasié très vasculaire, avec suffusions et îlots hémorrha-
giques, qui les sépare des fibres musculaires avec lesquelles n'existe
jamais de connexion directe. Mme Dejerine et M. Ceillier ont fait
remarquer que ces para-ostéo-arthropathies ne sont observées qu'ex-
ceptionnellement dans les lésions partielles de la moelle avec paraplégie
spasmodique et conservation de la sensibilité superficielle et profonde,
elles sont observées presque toujours dans des cas de lésions médullaires
transverses avec syndrome d'interruption physiologique. Mme Dejerine
et M. Ceillier pensent que ces néo-formations osseuses sont influencées
par un état d'irritation de la colonne sympathique intermédio-lalérale
dans le segment médullaire sus lésionnel ; ils voient des analogies
entre ces lésions osseuses des paraplégiques et les arthropalhies des
tabétiques et des syringomyéliques, et supposent que l'œdème et la
CONFÉR NEUHOL. 10
146 <.. i.t II l M \
congestion jouent un rôle important dans leur développement. Comme
le disent ces auteurs, la lésion médullaire joue un rôle non seulement en
troublant le trophisme du tissu conjonctif, mais encore indirectement
en amenant l'œdème et la congestion, qui sont nécessaires à la création
d'un milieu ossifiable et qui prédisposent aux petites ruptures vascu-
laires et aux suffisions sanguines, point de départ vraisemblable de
l'ossification hétéro-plastique du tissu conjonctif.
Tels sont. Messieurs, les différents symptômes que l'on peut obser-
ver chez les paraplégiques à la phase dite de l'automatisme médul-
laire. A cette phase succède, au bout d'un temps plus ou moins long,
une phase dite terminale où les phénomènes d'automatisme disparais-
sent ; les blessés meurent par suite de complications multiples, que je
vous synthétiserai dans quelques instants en vous parlant de l'avenir
des blessés de la moelle.
J'ai étudié spécialement jusqu'ici les syndromes d'interruption anato-
mique ou physiologique de la moelle, la symplomatologie des lésions gra-
ves. La symptomatologie des sections incomplètes, des lésions en fo\Ter,
est variable. Dans ces cas, au début, la paraplégie est totale avec abo-
lition des réflexes tendineux, mais les réflexes cutanés plantaires peuvent
être d'un type différent d'un côté à l'autre, peuvent prendre d'emblée le
type en extension ; les réflexes dits de défense ou d automatisme médul-
laires sont souvent précoces, ils sont obtenus d'ailleurs spécialement par
l'excitation cutanée plantaire. L'étude de la sensibilité est particulière-
ment utile pour reconnaître les lésions en foyer. Dans les cas de section
médullaire complète, toutes les sensibilités sont abolies ; dans les sec-
tions incomplètes, la sensibilité est conservée sur telle ou telle partie
du territoire paraplégique. Le plus souvent, c'est la sensibilité tactile
ou douloureuse qui subsiste, mais elle peut être conservée sous tous
ses modes. Parfois, c'est seulement dans les /.unes sacrées péri-génitales
ou à la plante des pieds que la sensibilité persiste. La sensibilité pro-
fonde est parfois la seule conservée, souvent localisée seulement aux
pieds, dont les déplacements passifs sont interprétés correcte-
ment. Nous avons signalé, avec M. J.-A. Barré, que la manœuvre de
Lasègue, pratiquée suivant la méthode classique, peut donner îles ren-
seignements importants. Cette manœuvre peut rester douloureuse,
même quand il y a anesthésie complète sur tout le territoire des
membres inférieurs ; elle constitue alors le seul signe du caractère
incomplet des lésions médullaires.
LES LÉSIONS TRAUMATIQUES DE LA MOELLE 147
J'ajouterai que les lésions incomplètes de la moelle, les lésions en
foyer, se traduisent souvent assez rapidement par un syndrome de
paraplégie spasmodique.
Je ne crois pas utile d'étudier en détail avec vous toutes les formes
cliniques qui peuvent être créées par les plaies de la moelle, par les
commotions spinales traumatiques, parles commotions par éclatement
d'obus sans plaie extérieure. On a décrit des formes quadriplégiques,
paraplégiques, paraparétiques, hémiplégiques, monoplégiques, céré-
bello-spasmodiques, amyotrophiques, etc. On pourrait, d'ailleurs,
vous le comprenez, multiplier facilement toutes ces formes cliniques,
en envisageant la prédominance de tel ou tel symptôme.
Parmi les formes cliniques importantes des lésions traumatiques de
la moelle, je vous mentionnerai spécialement : le syndrome de Brown-
Séquard et le syndrome de l'hémisection transversale postérieure.
Le syndrome de Brown-Séquard, d'après le schéma classique,
se traduit par les sjmiptômes suivants. On observe du côté de la lésion :
une paralysie complète des mouvements volontaires ; l'abolition ou la
diminution des sensibilités profondes (osseuse, ostéo-articulaire) ;
l'hyperesthésie au tact et à la température assez fugace ; une bande
d'anesthésie au niveau de la section traduisant l'atteinte des racines
rachidiennes parle traumatisme ; une abolition à la phase de début des
réflexes tendineux, ceux-ci s'exagérant ensuite. D'autre part, on observe,
du côté opposé à la lésion : une anesthésie complète pour les sensibi-
lités tactile, douloureuse, thermique avec intégrité complète du sens
musculaire et des sensibilités profondes ; l'intégrité de la motilité,
de la réflectivité tendineuse et cutanée ; la présence de réflexes de
défense.
A ce schéma classique du syndrome de Brown-Séquard, j'apporterai
quelques correctifs. Il est fréquent d'observer un réflexe cutané plan-
taire en extension des deux côtés; il est fréquent d'observer du côté
anesthésie seulement de l'anesthésie thermique, car la sensibilité
tactile trouve facilement des voies de suppléance intra-médullaires ;
j'ai constaté plusieurs fois les troubles de la sensibilité osseuse du côté
de l'anesthésie tactile et thermique et non du côté de la lésion, comme
le signale M. Dejerine. D'autre part, si MM. Babinski et Jarkowski
ont vu les réflexes dits de défense du côté anesthésie, j'ai noté aussi
le phénomène inverse, c'est-à-dire les réflexes dits de défense être
uniquement ou plus facilement provocables du côté de la paralysie
spasmodique.
Le syndrome de Brown-Séquard dans les traumatismes de la moelle
! 18 G, r,i ni \i \
a un pronostic relativement favorable, je n'ai constaté aucun cas mortel
soit chez les blessés observés durant la guerre, soil chez ceux que j'ai
traités dans mes différents services hospitaliers de Paris.
Le syndrome de l'hémisection transversale postérieure de la moelle
a été bien décrit par MM. Roussy et Lhermitte. La lésion intéresse
les cordons postérieurs et la partie postérieure des cordons latéraux
( faisceau pyramidal croisé, faisceau cérébelleux dorsal, faisceau fon-
damental), les cornes postérieures.
Les troubles moteurs se traduisent par une paraplégie avec abolition
des réflexes tendineux et cutanés, paraplégie qui ultérieurement devient
spasmodique Les troubles sensitifs sont ceux décrits par M. Dejerine
sous le nom de syndrome des libres radiculaires longues des cordons
postérieurs, ils se caractérisent par l'abolition ou l'extrême diminution
des sensibilités profondes (sens des altitudes segmentaires, sensibilité
à la pression ou barestbésie, sensibilité osseuse au diapason ou palles-
thésie, sens des localisations, notion de poids, sens de la discrimina-
tion tactile ou appréciation des distances tactiles par les cercles de
Weber), la conservation plus ou moins parfaite des sensibilités tactile,
douloureuse et thermique. MM. Roussy et Lhermitte font remarquer
que, dans le syndrome de l'hémisection transversale postérieure, les
troubles sensitifs ne sont pas toujours aussi simples et schématiques,
car les lésions atteignent le faisceau fondamental latéral, voie de trans-
mission des impressions de chaud et de froid ; aussi, le plus souvent,
on constate au début une anesthésie presque complète, puis la sensi-
bilité se restaure en partie, et, à la phase tardive, seules demeurent abo-
lies les sensations osseuses, articulaires, musculaires et l'appréciation
des distances tactiles. J'ajouterai que, dans le syndrome de l'hémisec-
tion transversale postérieure, on observe de l'ataxie et de l'asynergie des
mouvements.
Je n'ai pas l'intention de vous spécifier la symptomatologie des
lésions traumatiques de chaque segment de la moelle ; une telle descrip-
tion nosologique serait fastidieuse et sans intérêt, car je serais obligé
devons rappeler des notions analomiques et physiologiques tout à lait
classiques, qui vous sont sans nul doute familières. Toutefois, il ml
parait indispensable de vous apporter quelques précisions sur les
lésions traumatiques de la queue de cheval.
Vous n'ignore/ pas que I extrémité inférieure de la moelle s'arrête à
LES LÉSIONS TRAUMATIOUES DE LA MOELLE 149
la partie moyenne du corps de la deuxième vertèbre lombaire et que la
gaine dure-mérienne qui contient les racines lombaires et sacrées des-
cend jusqu'au niveau de la 2e vertèbre sacrée C'est dans cette région,
comprise entre l'extrémité inférieure de la moelle d'une part et l'extré-
mité inférieure du cul-de-sac durai d'autre part, que sont situés les nerfs
de la queue de cheval.
Durant la guerre, sur 225 cas de lésions traumatiques de la moelle,
nous avons observé, avec M. J.-A. Barré, 22 cas de lésions de la queue
de cheval, et sept de ces blessés sont morts. Les blessures de la queue de
cheval sont incontestablement moins graves que les blessures de la
moelle, mais il ne faudrait pas croire à un pronostic du début trop favo-
rable, car notre statistique donne une mortalité de 31,8 0/0. Certains
neurologistes ont formulé, au sujet des blessures de la queue de cheval,
des conclusions trop optimistes, ce qui tient, me semble-t-il, à ce qu'ils
ont fait abstraction des blessés morts dans la zone des armées et par
conséquent non évacués.
Le tableau clinique des blessures de la queue de cheval diffère de
celui des plaies delà moelle épinière et présente des particularités qui
méritent d'être précisées.
Les lésions de la queue de cheval par projectiles d'armes à feu se
traduisent, immédiatement après la blessure, par des douleurs et des
phénomènes paralytiques.
Les douleurs sont variables dans leur modalité ; les blessés accusent
des sensations de «jambes coupées », de « jambes broyées », de « cou-
rants électriques allant des reins jusqu'aux pieds ». Ces douleurs sont
généralisées à la face antérieure ou postérieure d'un ou des deux mem-
bres, elles sont fréquemment atroces, se présentent parfois sous formes
de crises paroxystiques à type lancinant souvent nocturnes, elles s'atté-
nuent chez nombre de blessés dans les jours qui suivent le trauma-
tisme.
Les phénomènes paralytiques se caractérisent par une paralysie
complète ou incomplète ou par une simple faiblesse des membres ; l'in-
tensité des troubles paralytiques ou leur étendue est variable suivant les
racines atteintes. Les troubles de la motilité dans les lésions de la queue
de cheval régressent souvent rapidement. L'évolution des progrès de
la motilité volontaire se fait du segment rhizomélique du membre au
segment ectromélique ; les mouvements delà racine du membre s'amé-
liorent d'abord, les mouvements des orteils sont les derniers à revenir.
L'hypotonie musculaire est généralement plus marquée aux muscles
du mollet qu'à ceux des cuisses. L'atrophie musculaire est, dans certains
G. GUILLA1 \
cas, très caractéristique par su rapidité et son importance, spécialement
au niveau des muscles innervés par le sciatique. L'examen électrique
des muscles montre souvent des modifications de l'excitabilité élec-
trique, particulièrement des muselés innervés par le sciatique.
Les réflexes tendineux sont abolis dans la zone paralysée, spéciale-
ment le réflexe achilléen et les trois autres réflexes que nous avons
décrits avec M. J.-A. Barré : le réflexe médio-plantaire, le réflexe tibio-
fémoral postérieur et le réflexe péronéo-fémoral postérieur. Les réflexes
rotuliens sont parfois aussi abolis durant un temps plus ou moins long
dans les cas de lésions hautes. Dans les lésions sacrées basses, les réflexes
achilléen et médio-plantaire restent normaux, les troubles sphinctériens
et les modifications de la sensibilité de la région du périnée, du scrotum
et de l'anus, sont alors les symptômes primordiaux. L'étude des réflexes
du membre intérieur est extrêmement importante pour préciser le
diagnostic de la hauteur de la lésion. Le réflexe cutané plantaire est le
plus souvent aboli. Les réflexes dits de défense sont habituellement
nuls, mais, quand il existe une infection méningée, ces réflexes peuvent
être très vifs avec mouvement de retrait du membre.
Je vous ai signalé déjà les douleurs et les troubles de la sensibilité
subjective et spontanée. Les troubles de la sensibilité objective et pro-
voquée sont utiles à préciser, dans certains cas, par la manœuvre de
Lasègue, qui est toujours très douloureuse. Les troubles de la sensibilité
objective permettent de déterminer les zones radiculaires atteintes ;
dans les lésions des racines sacrées inférieures, la zone anesthésique
est limitée au niveau des organes génitaux, du périnée, de la région
anale. L'anesthésie, dans les lésions de la queue de cheval, atteint tous
les modes de la sensibilité, mais surtout la sensibilité superficielle ;
elle se constate parfois uniquement dans le territoire de quelques raci-
nes lombaires ou sacrées, et éventuellement d'un seul côté. Dans cer-
tains cas, il existe une simple hyperesthésie ou hyperalgésie. La
régression des troubles sensitifs est souvent plus lente que celle des
troubles moteurs.
Les troubles sphinctériens s'observent chez presque tous les sujets
atteints de lésions de la queue de cheval. La rétention d'urine existe
au début ; ultérieurement on peut constater soit de l'incontinence, soit
des mictions volontaires normales ou presque normales. La rétention
OU l'incontinence des matières s'observent avec une égale Fréquence, le
réflexe anal est souvent aboli.
Les troubles circulatoires et thermiques sont différents de ceux obser-
vés dans les plaies de la moelle épinière. Dans les lésions graves de la
LES LÉSIONS TRAUMATIOUES DE LA MOELLE 151
moelle, on note souvent l'inversion de la régulation thermique normale
et une élévation très marquée de la température des membres. Dans les
lésions de la queue de cheval, il n'existe généralement pas d'inversion
de la répartition thermique, c'est-à-dire que la température est plus
élevée aux cuisses qu'aux pieds, mais on constate souvent une diminu-
tion marquée de la température par rapport à la normale.
Les troubles observés à la suite des lésions de la queue de cheval
s'améliorent fréquemment et dans l'ordre suivant : récupération motrice,
atténuation des douleurs, modifications favorables des troubles sphinc
tériens. L'amélioration d'ailleurs peut affecter d'autres types ; elle
débute souvent très précocement, le deuxième ou le troisième jour,
progresse d'abord rapidement, puis ensuite très lentement. Le pro-
nostic des lésions de la queue de cheval paraît relativement favorable,
mais on ne peut faire abstraction cependant de la gravité du début, qui
tient principalement aux complications méningées.
Il ne me paraît pas inutile, dans un aperçu synthétique, d'envisager
avec vous quel est l'avenir des lésions traumatiques de la moelle. On
peut dire, à un point de vue général, que le pronostic des lésions mé-
dullaires fermées est, dans l'ensemble, moins grave que celui des plaies
vraies de la moelle par balle, éclat d'obus, shrapnell.
Le pronostic des plaies vraies de la moelle à leur première phase est
extrêmement grave, la mortalité dans les premières semaines est extrê-
mement élevée. En 1916 et 1917, dans des Centres neurologiques à la
VIe et à la Ire armée, j'ai vu 245 blessés vrais de la moelle, 146 sont
morts et 99 seulement ont pu être évacués sur l'arrière ; j'ai appris
d'ailleurs qu'un certain nombre de ces blessés évacués ont succombé
ultérieurement dans des hôpitaux du territoire. En faisant abstraction
de la mortalité des blessés évacués, que je ne puis préciser avec exacti-
tude, la mortalité précoce aux armées des blessés médullaires dans ma
statistique est de 59,5 0/0. J'ajouterai que cette mortalité très élevée a été
observée chez des blessés, qui toujours ont été examinés, dès le début,
avec le concours du chirurgien et du neurologiste, et auxquels les soins
les plus minutieux et les plus méthodiques ont été donnés par un per-
sonnel nombreux d'infirmières compétentes, pour éviter dans la mesure
du possible les complications urinaires, pulmonaires et cutanées. Le
pourcentage de mortalité précoce des blessés médullaires dans les
armées alliées a été à peu près semblable à celui que j'ai signalé plus
[52 G. GUILLAIN
haut, et j'ai trouvé des constatations identiques dans la littérature alle-
mande pour les années de l'Allemagne et de l'Autriche.
La section anatomique totale de la moelle par projectile de guerre
comporte presque toujours un pronostic fatal dans les premiers jours
ou les premières semaines ; les observations de M. et M'"° Dejerine, de
M. Roussy, de MM. Claude et Lhermitte, de MM. Henry Head et
George Riddoch, où la survie a été assez Longue, après une section mé-
dullaire totale, soutirés instructives, mais sont trop peu nombreuses
pour infirmer le pronostic exceptionnellement grave de la section
médullaire totale. Je voudrais savoir si actuellement, trois ans après la
lin de la guerre, il existe encore des blessés ayant une section médul-
laire totale et qui survivent. J'ai l'impression que le nombre de tels
blessés doit être bien minime.
Les lésions médullaires, sans section totale, présentent une gravité
de pronostic moindre, mais un grand nombre de ees blessés, cpii survi-
vent, restent de grands infirmes, des paraplégiques définitifs. Certains
sont des paraplégiques confinés au lit avec des escarres, des œdèmes,
de s infections urinaires ; d'autres, dont les lésions ont rétrocédé, con-
servent la possibilité de certains mouvements, peuvent marcher avec
des béquilles. Le pronostic des paraplégies spasmodiques est au
point de vue fonctionnel moins grave que celui des paraplégies flasques
avec amyotrophies. L'on comprend que la possibilité de l'amélioration
dépend de l'étendue ou de la profondeur des lésions du névraxe, spé-
cialement des lésions des cellules nerveuses des cornes antérieures et
des lésions des voies motrices descendantes pyramidales ou parapv-
ramidales.
Une remarque parait intéressante, c'est la gravité moindre du pronos-
tic des lésions qui n'intéressent qu'une moitié delà moelle. Nous avons
déjà dit, avec M. J.-A. Barré, que tous les cas de syndrome de Brown-
Séquard, que nous avons observés aux armées, ont pu être évacués
dans des conditions favorables, et une tendance très nette à l'améliora-
tion s'était manifestée avant que ees blessés ne quittent les formations
de la zone des armées. J'ai fait cette même constatation dans deux cas
de syndrome de Brown-Séquard traumatiques observés depuis la
guerre. Les hémisections transverses postérieures de la moelle,, sur
lesquelles M. Roussy a attiré l'attention, s'améliorent de même dans
un grand nombre de cas
Des symptômes paralytiques, en apparence graves les premiers jours,
symptômes dus à des lésions compressives, peuvenl s'amender asseï
rapidement. Il y a dans ces faits de compression médullaire simple un
LES LÉSIONS TRAUMÀTIQUËS DE LA MOELLE 153
type clinique important à connaître. Un hématorachis, une hémorrha-
gie sous-arachnoïdienne périrnédullaire, peuvent déterminer des
paralysies qui rétrocèdent ensuite. Cette guérison n'est possible que si
la moelle n'a pas été détruite, même partiellement, parle projectile, car,
ainsi que je vous l'ai rappelé, la régénération des fibres médullaires
sectionnées ou des cellules radiculaires motrices ne se fait pas. J'ajou-
terai cependant que je suis convaincu que des suppléances peuvent se
créer dans la conduction médullaire, spécialement dans la conduction
des sensibilités.
Certains symptômes observés dans les plaies de la moelle, et qui
paraissent inquiétants au début, peuvent rétrocéder, ce sont les
phénomènes d'irritation radiculaire en rapport le plus souvent avec
des compressions hématiques ou osseuses. Il est certain que, dans ces
cas, l'ablation des esquilles comprimant les racines peut faire cesser
les douleurs parfois si pénibles de ces blessés.
Le pronostic des lésions traumatiques de la moelle suivant la hauteur
des lésions comporte certains enseignements. Les lésions des premiers
segments cervicaux par balle ou éclat d'obus ne paraissent pas permet-
tre la survie, en raison sans doute des altérations traumatiques com-
motionnelles bulbaires concomitantes. Il est évident, sans qu'il soit
utile d'insister sur ce point, que les lésions de la moelle cervicale infé-
rieure, ayant pour conséquence une quadriplégie, sont fonctionnelle-
ment plus graves qu'une lésion de la moelle dorsale ayant pour consé-
quence une paraplégie; je parle des cas où les lésions sont suffisamment
destructives et profondes pour entraîner des symptômes de déficit
permanents, car différents auteurs, M. Pierre Marie et Mma Bénisty,
MM. Claude, Lhermitte, Roussy et L. Cornil, ont signalé des cas de
paraplégie cervicale susceptibles d'amélioration ; cette éventualité se
produit d'ailleurs principalement dans les commotions médullaires,
elle est infiniment plus rare quand le projectile dans son trajet a lésé
directement la moelle.
Je vous ai déjà dit, et je le répète volontiers, que le pronostic des
lésions de la queue de cheval est moins sérieux que celui des lésions de
la moelle ; d'ailleurs la pathologie de la queue de cheval est une patho-
logie radiculaire.
Je vous ai signalé, au cours de cette conférence, qu'on pouvait obser-
ver des paraplégies chez des blessés dont le projectile avait atteint le
rachis sans intéresser la dure-mère ; ces paraplégies, ainsi que nous l'a
démontré, avec M. J.-A. Barré, l'élude de 15 autopsies, sont dues à
des hématomyélies ou à des myélomalacies qui intéressent souvent plu-
.1 G. i.l III M S
sieurs segments del'axe nerveux. Le pronostic- de ces lésions est par-
Fois très grave, car elles peuvent avoir pour conséquence le syndrome
de section totale delà moelle avec mort rapide ; dans d'autres cas les
symptômes s'améliorent, et le pronostic des hématomyélies sans lésions
de la dure-mère est meilleur que celui des altérations médullaires des-
tructives par projectiles ayant traversé la dure-mère.
Le pronostic global des lésions médullaires traumatiques est incon-
testablement très sérieux ; les facteurs de gravité sont en effet multiples.
Je regrette de ne pouvoir étudier avec vous, dans leurs détails, toutes
les complications éventuelles des plaies de la moelle, car cette étude
comporterait à elle seule une conférence entière. Il me suffira de vous
rappeler qu'on peut, dans les lésions traumatiques de la moelle, envi-
sager : 1° la gravité du début, due aux complications méningées, pul-
monaires, rénales, aux troubles de l'innervation sympathique des vis-
cères abdominaux et des glandes à sécrétion interne, à la cachexie par
défaut d'assimilation, à l'anémie bulbaire ; 2° la gravité dans les mois
qui suivent la blessure, gravité qui provient des escarres, des infections
urinaires, des broncho-pneumonies, de la déchéance de l'organisme
favorisant toutes les maladies infectieuses ; 3° la gravité tardive au
point de vue social pour les paraplégiques qui survivent, car, en raison
de leurs troubles moteurs, ils restent souvent de grands infirmes.
L'étude détaillée, que j'ai poursuivie avec vous, de la symptomato-
logie clinique des lésions traumatiques de la moelle me permettra
d'être bref sur le diagnostic ; je désirerais toutefois vous rappeler
certaines notions qui vous permettront de reconnaître vraisembla-
blement si vous êtes en présence d'un sujet atteint dune section com-
plète de la moelle, d'une section incomplète, d'une hématomyélie, d'une
compression.
La section anatomique complète de la moelle est, ainsi que je vous
l'ai spécifié, relativement raie, mais là section physiologique est plus
fréquente. Par section physiologique je veux dire que, sans que la
moelle épinière soit séparée en i\vux tronçons, le tissu nerveux qui
subsiste est tellement lèse OU inhibé par le traumatisme qu'il peut
être considéré, au point de vue Fonctionnel, comme inexistant.
Nous avons synthétisé, avec M. J.-A. Barré, dans les lignes suivantes.
les signes observés à la première phase d'une paraplégie par destine-
LES LÉSIONS TRAUMATIQUES DE LA MOELLE 155
tion brusque et totale de la moelle : « Paraplégie motrice complète ;
abolition de la sensibilité sous tous ses modes ; tonicité normale au
début ; abolition des réflexes tendineux ; conservation ordinaire du
réflexe cutané plantaire en flexion; subsistance fréquente du réflexe cré-
mastérien, plus rare des réflexes cutanés abdominaux ; abolition com-
plète (dans les 3/4 des cas) des réflexes dits de défense observés à la
manière classique ; existence dans plus de la moitié des cas des réactions
réflexes diffusées par excitation de la plante du pied ; contraction per-
manente du sphincter vésical ; inversion delà répartition thermique
sur les membres paralysés ». A une phase plus tardive, le syndrome
d'interruption physiologique peut se modifier par l'existence des phé-
nomènes dits d'automatisme médullaire, mais l'abolition absolue de
toutes les sensibilités tactile, douloureuse, thermique, vibratoire,
persiste.
Dans les syndromes de section médullaire incomplète, la sensibilité
est souvent conservée sur un certain territoire cutané même très limité
(la zone sacrée parexemple ou la plante du pied), la manœuvre' de La-
sègue provoque parfois de la douleur, la notion de certaines attitudes
segmentaires peut être interprétée correctement.
J'ajouterai que l'existence d'un réflexe cutané plantaire en extension,
dans les premières heures ou les premiers jours d'une lésion trauma-
tique de la moelle, doit faire écarter le diagnostic d'une section complète
et laisser supposer plutôt une lésion en foyer, une hématomyélie, une
commotion ou une compression médullaire. C'est ce qui nous a fait dire,
avec M. J.-A. Barré, qu'il valait beaucoup mieux, au point de vue du
pronostic, constater, chez un blessé récent de la moelle, le réflexe cu-
tané plantaire en extension plutôt que le réflexe en flexion ou le réflexe
aboli.
L'hématomyélie, que l'on observe à la suite des traumatismes par
projectiles d'armes à feu, se caractérise souvent par une paraplégie
flasque complète avec, fréquemment, atteinte de toutes les sensibilités,
contrairement à ce que l'on observe dans les hématomyélies spontanées
où la dissociation syringomyélique est un symptôme habituel. Ce fait
s'explique, car, comme nous l'avons dit avec M. J.-A. Barré, les hémato-
myélies spontanées siègent en général dans l'axe gris central, tandis
(jue les hématomyélies traumatiques par blessures d'armes à feu inté-
ressent fréquemment un segment médullaire dans la presque totalité de
sa substance blanche et grise ; de plus, l'hématomyélie, même localisée,
coexiste souvent dans ces cas avec une myélomalacie. Nous avons
attiré l'attention, avec M. J.-A. Barre, sur un signe qui permet le (lia-
156 G. <;i ni \i \
gnostic de ces hématomyélies ; ce signe consiste en ce que, au-dessus
de la zone cutanée complètement anesthésiée, on peut, sur un ou plu-
sieurs segments, constater une dissociation syringomyéliqué. Cette
particularité symptomatique est due à ce que l'épanchement sanguin
a une tendance, à sa limite supérieure, à l'user en hauteur dans l'axe
gris et le canal central, et l'on retrouve ainsi la symptomatologie
des hématomyélies classiques Cette particularité de la dissociation
syringomyéliqué de la sensibilité, sur un ou plusieurs segments cutanés
sus-jacents à un syndrome de section anatomique ou physiologique,
peut permettre de reconnaître les petites hématomyélies, cpii coexistent
si fréquemment avec les autres lésions médullaires destructives. J'ajou-
terai tpie les hématomyélies traumatiques s'accompagnent presque tou-
jours de suffusions sanguines dans l'espace araehnoïdo-pie-inérien,
suffusions cpie l'on peut reconnaître par la ponction lombaire. Toutefois
je vous conseille de ne pas faire de ponctions lombaires trop précoces
chez ces sujets, car les ponctions lombaires, ainsi que je l'ai écrit bien
souvent, sont loin d'être toujours inoffensives dans le cas de lésions
médullaires aiguës congestives ou hémorrhagiques. Si certaines héma-
tomyélies traumatiques ont un pronostic grave, vous ne devez pas
ignorer que, dans les cas où l'hématomyélie est peu étendue en hauteur
et en largeur, la paraplégie peut s'améliorer et même guérir presque
complètement, mais on observe souvent durant longtemps le réflexe
cutané plantaire en extension.
Il vous sera extrêmement difficile, en présence d'un traumatisé de la
moelle, de spécifier qu'il existe des lésions de commotion médullaire
simple sans hématomyélie. Je ne vous conseille pas d'affirmer par les
seuls symptômes cliniques que vous êtes en présence de nécrose aiguë,
de dégénération simple des libres à myéline ; ne cherchez pas des pré-
cisions incontrôlables, des finesses de diagnostic excessives.
Dans les cas de compression médullaire, les douleurs radiculaires
sont fréquentes et intenses, il existe des zones d'hyperesthésie, la para-
plégie est souvent incomplète, vous constaterez le plus habituellement
la surréflectivité tendineuse avec clonus du pied, le réflexe cutané plan-
taire prendra le type en extension, les réflexes dits de défense 6u d'au-
tomatisme médullaire seront précoces et souvent très accentués. 11 faut
d'ailleurs ne pas ignorer que la compression médullaire traumatique
s'accompagne fréquemment de lésions intra-médullaires, qui s'extério-
risent en clinique par leur symptomatologie spéciale.
Il est souvent important de pouvoir diagnostiquer l'étendue en hau-
teur d'une lésion médullaire traumatique plus ou moins ancienne.
LES LÉSIONS TRAUMATIQUES DE LA MOELLE 157
La limite supérieure de la lésion peut être déterminée par la topogra-
phie de la zone d'anesthésie, que vous comparerez avec les schémas
classiques, et par la topographie de la paralysie motrice Dans les lé-
sions de la moelle dorsale, on peut arriver à certaines précisions par
l'étude méthodique des segments musculaires paralysés de la paroi
abdominale ; M. J.-A. Barré et M. André-Thomas ont particulièrement
insisté sur ces examens. Je vous rappelle aussi, au sujet des troubles
de la sensibilité, qu'une zone de dissociation syringomyélique sus-
jacente à une zone d'anesthésie complète indique une lésion héma-
tomyélique ou myélomalacique de la substance grise ou des cordons
latéraux; dans d'autres cas, vous observerez une bande d'hypéresthésie
douloureuse au-dessus de la zone d'anesthésie, elle démontrera l'exis-
tence d'une lésion radiculaire.
La limite inférieure de la lésion est plus difficile à fixer. Vous n'igno-
rez certes pas que, dans les paraplégies par compression, la zone des
réflexes de défense n'atteint pas la limite de Tanesthésie, et MM. Ba-
binski et Jarkowski ont spécifié, à ce sujet, que la distance comprise
entre la limite de l'ancsthésie et la limite de la zone des réflexes de
défense correspondait à la hauteur de la compression spinale. M. An-
dré-Thomas pense qu'il serait plus prudent d'envisager le territoire
cutané compris entre la ligne d'anesthésie et la limite de la zone des
réflexes de défense comme correspondant non pas à la hauteur du seg-
ment comprimé, mais plutôt à l'ensemble des lésions spinales, lésions
de compression et lésions à distance.
Dans les paraplégies par blessures de guerre, nous avons montré, avec
M J.-A. Barré, combien les réflexes dits de défense étaient variables ;
nous avons vu que, contrairement à ce que l'on observe dans les com-
pressions médullaires, ces réflexes n'étaient souvent et longtemps pro-
vocables cpie par l'excitation cutanée plantaire; aussi sera-t-il parfois
bien difficile de fixer une topographie lésionnelle médullaire avec l'é-
tude de ces réflexes de défense. M. André-Thomas pense que, lorsque
la zone provocatrice des réflexes de défense s'étend, il est vraisemblable
que sa limite supérieure, quand elle devient fixe, indique la limite infé-
rieure de la lésion spinale ; M. J -A. Barré et M. André Thomas con-
seillent très justement, dans les lésions de la moelle dorsale, d'étudier
méthodiquement les muscles de la paroi abdominale; la détermi-
nation du segment musculaire le plus élevé du muscle grand droit de
l'abdomen ou des muscles obliques, qui se contracte pendant les
réflexes de défense, peut contribuer à fixer la limite inférieure des
lésions spinales el radicuïaires.
158 G. G\ ll.l.M \
Lorsque vous aurez précisé la zone comprise entre la limite infé-
rieure de la contraction volontaire et la limite supérieure de là contrac-
tion tics réflexes dits de défense, c'est-à-dire, somme toute, la zone
supposée innervée par le segment médullaire lésionnel, il sera utile
d'étudier les réactions électriques des muscles de cette zone pour déter-
miner si les lésions centrales sont destructives et profondes.
Tous ces examens seront très importants, spécialement dans les cas
où l'opportunité d'une intervention chirurgicale sera discutable.
Le traitement des lésions médullaires traumatiques nécessite, ainsi
que je vous le disais, la collaboration du neurologiste et du chirur-
gien.
Dans les cas de lésions traumatiques fermées, je fais allusion aux
fractures et luxations du rachis sans plaie extérieure, l'examen radio-
graphique sera toujours utile, mais l'intervention chirurgicale précoce
et rapide ne s'impose pas.
Dans les plaies delà moelle par projectiles de guerre et aussi par
coup de couteau, et je vous rappellerai que la pointe du couteau est
souvent cassée, une exploration chirurgicale rapide est utile ; l'orifice
d'entrée dorsale doit être débridé, la plaie désinfectée, le squelette
osseux examiné. Les esquilles osseuses qui compriment doivent être
enlevées, ainsi (pie les fragments de vêlements, les corps étrangers,
les projectiles superficiels souvent restés au niveau des vertèbres. De
grands lavages au sérum salé physiologique chaud doivent être faits,
avec une faible pression, pour ramener les corps étrangers, pour
nettoyer dans son ensemble la blessure II ne faut pas user d'antisep-
tiques dans ces plaies au fond desquelles sont la dure-mère, souvent
ouverte, et le tissu médullaire, d'une extrême sensibilité à toute action
nocive. J'ajouterai la nécessité d'opérer dans des salles d'opérations
surchauffées, car le tissu nerveux est sensible au refroidissement. 11 ne
Faut explorer le fond de ces plaies, où la moelle peut être à nu, qu'avec
la plus extrême douceur et ne jamais tamponner fortement.
J'ai fait remarquer, avec M. J.-A. Barré, (pie les blessés de la moelle
supportaient mal l'anestliésic par le chloroforme, l'etber, le protowde
d'a/.ole, et (pie, en dehors de toute action chirurgicale sérieuse sur la
moelle elle-même, l'opération simplement exploratrice, faite che
blesses quelques heures on deux à trois jouis après le traumatisme,
LES LÉSIONS THAUMATIQUES DE LA MOELLE 159
amenait souvent une aggravation de l'état général et même la mort
rapide. Nous nous sommes demandé si, par suite des troubles viscé-
raux, sur lesquels nous avons insisté, l'anesthésie générale chez ces
blessés ne créait pas une intoxication rapide, et si l'anesthésie locale
n'était pas de beaucoup préférable, lorsqu'elle est possible.
Lorsque l'opération exploratrice aura permis de constater une frac-
ture de la partie postérieure ou latérale de la vertèbre, que les esquilles
auront été soulevées et enlevées, et que la dure-mère apparaîtra non
ouverte, il ne faut sous aucun prétexte l'ouvrir, car l'ouverture de la
dure-mère aggrave toujours le pronostic opératoire. Lorsque la dure-
mère est ouverte, soit par le projectile lui-même, soit par des frag-
ments osseux fracturés, et que le tissu médullaire apparaît en bouillie
au fond de la plaie, le lavage prolongé au sérum physiologique chaud
à faible pression est le seul traitement rationnel. La suture de la
moelle paraît absolument illusoire d'après les données acquises de
l'anatomie et de la physiologie pathologiques.
La question de l'ablation des projectiles dans les plaies de la moelle
mérite d'être discutée. Quand le projectile, repéré parla radiographie,
se trouve en arrière ou sur les côtés de la moelle, il faut, au cours de
l'intervention, l'extraire. Si le projectile est intra-médullaire, la même
règle s'impose ; dans ce cas, en effet, la dure-mère est ouverte, la
moelle apparaît au fond de la plaie, l'ablation du projectile ne com-
plique aucunement l'intervention et ne peut qu'être utile, en suppri-
mant une cause d'infection ou de méningite. Des préceptes thérapeu-
tiques analogues s'appliquent, bien entendu, au cas d'un fragment de
couteau intrarachidien ; j'en voyais un exemple tout récemment dans
mon service de l'Hôpital de la Charité. Lorsque le projectile a traversé
la moelle et a déterminé une section peut-être incomplète, que ce pro-
jectile se trouve en avant de la moelle, dans un corps vertébral par
exemple, l'ablation chirurgicale est tout à fait inopportune, car on est
assuré alors d'occasionner des lésions supplémentaires, qui font sou-
vent d'une section incomplète une section complète.
Le traitement dit médical des plaies de la moelle a une grande im-
portance, car il permet d'éviter nombre de complications.
Ces blessés paraplégiques doivent être maintenus dans un état de pro-
preté absolue ; il faut pour cela des infirmières d'un dévouement de tous
les instants, car il est incontestable que les multiples soins nécessaires
sont extrêmement délicats.
Les blessés de la moelle seront couchés soit sur des lits mécaniques
spéciaux, permettant les pansements et les nettoyages, sans mobili-
160 G. Gl ILLAIh
sation du rachis, soit, à leur défaut, sur des matelas d'air, L'usage des
ronds de caoutchouc, que l'on met souvent à la région fessière, doit
être très surveillé, car ceux-ci sont parfois traumatisants.
L'incontinence des matières est une des causes des escarres sacrées
sur laquelle MM. Pierre Marie et Roussy ont très justement insisté.
Il faut donc éviter, dans la mesure du possible, l'infection de la peau
par le contact des matières, et pour eela faire des lavages locaux à l'eau
savonneuse et à l'alcool .un grand nombre de fois par jour ; après assè-
chement minutieux, la région sera poudrée avec de la poudre de talc
stérilisée. Toutefois, malgré tous les soins locaux, les escarres peuvent
si' développer ; celles-ci peuvent être traitées par des lavages avec
une solution de permanganate de potasse, d'eau oxygénée, d'arséno-
benzol, de bleu de méthylène ; les divers baumes antiseptiques
pourront rendre de grands services, ainsi que les poudres comme
l'ectogan ; les applications d'air chaud peuvent aussi agir favorable-
ment. Les autres régions exposées aux escarres, comme les talons,
les malléoles, les genoux, seront isolées par des couches ouatées pour
éviter tout traumatisme.
Les soins vésicaux doivent être mis au premier plan. Presque tous
les blessés de la moelle doivent être sondés ; les sondages doivent
être pratiqués quatre à cinq fois par jour environ, à des heures régu-
lières, soit avec des sondes molles de Nélaton, soit avec des sondes en
gomme droites ou à bout coudé; je crois inutile d'insister sur l'asepsie
de ces sondes Dans les cas si fréquents d'hématurie, il y a intérêt à
laisser une sonde à demeure, à faire des lavages de la vessie avec de
l'eau bouillie chaude. Lorsque les urines sont purulentes, les lavages
vésicaux sont également d'une grande utilité, il est recommandable
de laisser dans la vessie, à la lin du lavage, de l'huile goméno—
lée. MM. Claude et Lhermitte, chez des blesses très infectés, ont
obtenu des résultats favorables par la cystostomie sus-pubienne.
Je crois qu'il ne faut pas, dans un but d'antisepsie urinaire,
prescrire à trop hautes doses et trop longtemps l'urotropine, car ce
médicament peut augmenter la tendance déjà trop facile aux héma-
turies
Pour éviter, dans la mesure du possible, les complications pulmo-
naires, les blessés de la moelle doivent être changés souvent de posi-
tion, quand l'étal de la blessure et Au squelette le permet ; les soins
antiseptiques des muqueuses nasale, buccale et pharyngienne seronl
donnés plusieurs lois par jour.
,1e crois inutile d'insister sur les indications thérapeutiques spéciales
LES LÉSIONS TRAUMATIQUES DE LA MOELLE ICA
qui peuvent être tirées de l'état général, de l'état du cœur, de la
tension artérielle, etc.
Je viens d'envisager spécialement le traitement de la première phase
des lésions traumatiques de la moelle. Ultérieurement, lorsque les
symptômes paraplégiques s'amélioreront, lesmassages, la mobilisation,
la mécanothérapie, l'hydrothérapie peuvent être utiles. L'électrothé-
rapie, dans certains cas, et spécialement dans certaines lésions de
la queue de cheval, aura ses indications. Je vous rappellerai aussi
que certains paraplégiques, qui ont perdu l'usage de leurs membres
inférieurs, peuvent reprendre une vie sociale extérieure au moyen de
voitures spéciales actionnées par les membres supérieurs.
A la phase tardive des lésions médullaires traumatiques, quelques
indications chirurgicales peuvent être encore envisagées, et C. A.
Elsberg les précisait récemment. Une intervention chirurgicale peut
être utile, par exemple, dans certains cas de rétrécissement du canal
médullaire par luxation ou cal exubérant. Ailleurs la laminectomie
avec section des racines postérieures, suivant la méthode de Foerster,
peut donner des résultats favorables chez certains sujets, dont la spas-
modicité est telle que la marche est impossible. Autre exemple :
lorsqu'un ancien traumatisé de la moelle conserve des douleurs extrê-
mement intenses au niveau ou au voisinage de la partie supérieure de
la lésion, que ces douleurs ne cèdent pas à l'immobilisation, une
laminectomie décompressive avec section des racines postérieures peut
être conseillée.
Vous voyez, Messieurs, et je pourrais multiplier ces cas cliniques,
combien la collaboration du neurologiste et du chirurgien est précieuse
et indispensable.
Avant d'achever cette conférence sur les lésions traumatiques de
la moelle, je voudrais, Messieurs, une fois encore, insister sur la gra-
vité de leur pronostic. Je n'ignore certes pas que certaines lésions
médullaires s'améliorent, que des lésions de la moelle cervicale réputées
incurables ont guéri, que certains traumatisés de la moelle ont pu
durant la guerre retourner au front ; mais, si l'on ne considère pas
seulement les exceptions, si l'on fait abstraction des lésions commotion-
belles bénignes pour n'envisager (pie les lésions médullaires destruc-
tives vraies, il apparaît d'une absolue évidence (pie la majorité des lé-
sions médullaires traumatiques laissent des séquelles tardives elperma-
COXI-ÉR. NELROL. 11
à
162 G, Gl ll.l M \
tien tes. A ce point de vue, une opposition s'impose entre les lésions
traumatiques de l'encéphale elles lésions traumatiques de la moelle. La
guerre européenne nous a montré que les lésions de l'encéphale avaient
souvent un pronostic éloigné moins grave qu'on ne le supposait ; il
ne me paraît pas que semblable constatation optimiste puisse être laite
pour les plaies de la moelle épinière.
SIXIÈME CONFÉRENCE
PAR
J. LHERMITTE
médecin de l'hospice Paul Brousse.
L'ENCÉPHALITE LÉTHARGIQUE
Messieurs,
Il est assurément peu de questions médicales qui soient plus d'ac-
tualité que l'encéphalite léthargique ou épidémique. En dépit du
nombre considérable de travaux suscités par le développement extensif
des épidémies qui, depuis l'hiver 1916-1917, se sont abattues sur l'Eu-
rope, le problème de la maladie demeure toujours vivant. Cela tient,
en grande partie, aux transformations incessantes du tableau sympto-
matique de cette affection et de son extrême polymorphisme.
S'il est, en effet, une maladie déroutante par la variabilité et la
richesse de son expression clinique, c'est, sans conteste, l'encéphalite
épidémique. Capable de se plier aux masques les plus divers, l'encé-
phalite est susceptible de mutations telles qu'elle peut simuler la plu-
part des maladies du s\'stème nerveux et imiter au moins dans leurs
grandes lignes un grand nombre de syndromes psychiatriques.
Une étude complète de l'encéphalite exigerait donc de passer en
revue presque toute la neuropathologie et une partie de la psychiatrie.
Ma tache est plus modeste et le temps m 'étant mesuré je me bornerai
à vous exposer les acquisitions anatomiques, cliniques, microbiolo-
giques et expérimentales les plus définitives et les plus nouvelles.
Il semble que tout ait été dit sur cette singulière affection dont
l'apparition suscita tant de controverses en raison du mystère dont
s'entouraient ses premières manifestations. Ne l'a-t on pas appelée la
mysteriousdisease. l'X diseuse ?
ici ./. LHERMl TTE
Grâce aux recherches nombreuses qui furent suscitées par les nom-
breuses épidémies de ces dernières années, nos connaissances relatives
à cette variété d'encéphalite ont singulièrement gagné en richesse et en
précision.
Historique et épidémiologie.
Lorsqu'on fait l'historique d'une question médicale, il est de tradi-
tion de remonter, par le canal de Galien, d'Aretée, de Paracelse,
jusqu'au père de la médecine : Hippocrate. En réalité, la recherche
d'une paternité aussi reculée semble, pour ce qui est de l'encéphalite
léthargique, quelque peu hasardeuse. Certes, Hippocrate et Galien
connaissaient le léthargos, les léthargies fébriles ; mais qui pourrait
assurer (pièces grands ancêtres ne confondaient pas sous une dénomi-
nation commune non seulement les narcolepsies psycho-névropathi-
ques, mais aussi les comas toxiques, les apoplexies, les ictus de l'en-
céphalomalacie ?
Si l'on veut s'en tenir à un terrain solide, il appert avec évidence,
que la première observation en date remonte à Albrecht deHildesheim.
En 1695, cet auteur publia un travail intitulé : De febre lethargica in
strabismus ulriiisqiie oculi desineiite, dans lequel figure un cas de l'af-
fection qui doit nous occuper. 11 s'agit d'une jeune fille de vingt ans
qui, à la suite dune lièvre, de céphalée, resta endormie pendant onze
jours ; a son réveil, on constata un « strabisme horrible ».
Quelques années plus tard, ce n'est plus d'une observation dont
s'enrichit la littérature médicale, mais d'une série de faits groupés par
Biermer sous le titre de maladie du sommeil (Schlaf-krankheit). Ici
encore, s'associaient la somnolence, le sommeil profond et les para-
lysies oculaires. Cette épidémie de Tubingue rappelle incontestable-
ment, par ses caractères séméiologiques, la première épidémie française
de 1918.
Il fallait attendre jusqu'en 1875 pour que nous lussent révélées les
lésions fondamentales de la maladie. A cette date, dans un mémoire
justement célèbre, (iavet établit que les symptômes de cette curieuse
affection trouvent leur origine dans des lésions inflammatoires groupées
autour du 1111' ventricule et de l'aqueduc sylvièn. Ce n'est qu'en 1881,
que Wernicke fixait les traits essentiels de l'affection qu il devait
appeler la polio-encéphalite supérieure aiguë hémorragique, affection
dont la plupart des exemples rapportés par Wernicke et les auteurs
qui suivirent, peuvent être aujourd'hui identifiés avec les cas d'encé-
phalite épidémique.
L'ENCÉPHALITE LÉTHARGIQUE 165
De l'épidémie de Tubihgue, en 1713, on peut rapprocher l'apparition,
en 1887, clans certains cantons suisses, d'une maladie un peu dérou-
tante par sa physionomie clinique et que, jusqu'à plus ample informé,
les neurologistes appelaient maladie Gerlier, pour l'appeler le nom de
l'auteur auquel on en doit la meilleure description.
La maladie de Gerlier se présente sous une apparence quelque peu
protéiforme et l'on en a décrit trois types fondamentaux : celui de
l'homme ivre, celui de l'endormi, celui de l'homme aveugle. Bien que
nous ne soyons pas fixés sur la nature des lésions de la maladie de Ger-
lier, il y a tout lieu de penser que celle-ci n'est en réalité que la
juxtaposition de formes frustes de l'encéphalite épidémique.
En 1889-1890, une maladie non moins mystérieuse se développait
dans le nord de l'Italie, en Croatie, en Vénétie Julienne : la nona.
Par sa symptomatologie, son évolution déroutante, tantôt aboutissant
à une complète guérison, tantôt à la terminaison fatale, la nona appa-
raissait tout à fait en dehors du cadre de la pathologie classique.
Devant un polymorphisme aussi déconcertant, certains médecins
déclarèrent que la nona n'était que l'expression d'une névrose collec-
tive ayant plus d'un trait commun avec l'hystérie. Les observations
rapportées par Ebstein, Tranju, Braun, Halloger, Hammerschlag,
Uthoff, le mémoire critique de Longuet, vinrent attester, il est vrai,
que tout n'était pas fable dans la « legenda délia nona », mais la
nature même delà maladie ne fut pas éclaircie. A la lumière des faits
que nous apportèrent les épidémies auxquelles nous venons d'assister,
il est facile de retrouver dans la nona un grand nombre de caractères
typiques de l'encéphalite léthargique.
C'est pendant l'hiver 1916-1917, qu'à Vienne (Autriche), apparurent
les premiers cas de la maladie qui devait s'étendre non seulement à
l'Europe centrale, mais à la France, à tout le bassin méditerranéen, à
l'Australie. En raison de la fréquence de l'hypersomnie et des carac-
tères inflammatoires des lésions encéphaliques qu il constatait, M. C.
von Economo donnait à l'affection les termes, qui devaient faire for-
tune, d'encéphalite léthargique. Aux premiers faits rapportés par
Economo, s'en ajoutèrent rapidement de nombreux publiés par
Pribram, Schlesinger, Recllich. Puis le mal s'étendit, presque en même
temps, en France, en Angleterre et en Australie ; mais avec cette
particularité, sur laquelle on n'a pas assez insisté, que les caractères
cliniques de la maladie différaient sensiblement.
La première épidémie autrichienne s'affirmait par un syndrome
méningé discret, mais net, ainsi que l'attestaient et l'iiyperalbuminose
166 ■!■ LHERM1 il E
et la pléiocytose du liquide céphalo-rachidien, des paralysies oculaires
extrinsèques, de la narcolepsie, du délire, de la catatonie, une lièvre
légère ou tenace, la mortalité atteignait 50 p. 100.
Un an après, c'est-à-dire à la fin de l'année 1917, apparaissait en
Australie (Queensland et Nouvelle-Galles du Sud) une épidémie qui
dérouta les premiers médecins qui en étudièrent les premières mani-
festations.
Aussi l'appela-t-on « la mysterious disease ». Cette maladie débutait
par de la lièvre, des convulsions, s'accompagnait d'hypersomnie et son
pronostic était des plus graves. Nous verrons plus loin, comment
MM. Cleland et Alfred Campbell en réussirent la reproduction expé-
rimentale. Il semble que ce n'est qu'au cours de l'hiver 1917-1918 que
se manifestèrent, dans la région londonienne, les premiers cas se
rapportant à l'encéphalite épidémique. Ceux-ci, à l'exemple des faits
d'Australie, parurent singuliers, et les premiers observateurs (Harris,
Hall) pensèrent au botulisme et à l'intoxication par des viandes ava-
riées. Les traits cliniques de l'affection s'écartaient sensiblement de
ceux qui caractérisaient les épidémies de Vienne et d'Australie, car
les phénomènes les plus saillants consistaient en paralysies oculaires
extrinsèques et intrinsèques avec conservation fréquente des réflexes
pupillaires, en rigidité musculaire généralisée (catatonie) accompagnée
de stupeur (épidémie stupor).
L'épidémie française, dont les premiers méfaits furent rapportés
par M. Netter, M. Chauffard et M,,e Bernard, M. Sainton, MM. Lher-
mitte et Saint-Martin, présenta plusieurs points cliniques communs
avec l'épidémie viennoise. Ici comme là, les paralysies oculaires
sont de règle, ainsi (pie le sommeil pathologique, mais ce qui diffé-
rencie très nettement les deux épidémies, c'est que, dans celle de
Vienne, l'encéphalite s'accompagnait d'un syndrome méningé tandis
que celui-ci était complètement absent dans l'épidémie française.
Ce n'est que dans l'hiver 1918-1919 (pie l'encéphalite se révéla en
Allemagne où elle sévit avec grande intensité dans certaines villes :
Hambourg, Kiel, Munich. A Kiel, l'affection ne comportait aucun
méningé, tandis (pie les troubles psychopathiques, l'agitation, les
secousses choréiques étaient au premier plan Siemerling et Rhei-
nardt) ; à Hambourg, les troubles mentaux l'ont défaut, tandis que la
catatonie pseudoparkinsonienne est fréquemment retrouvée (Nonne) :
à Munich, ce sont les formes « tabétiques » qui frappent l'attention
(Naef).
L'Italie avait été, jusqu'en 1919, ù peu près épargnée par le fléau;
L'ENCÉPHALITE LÉTHARGIQUE 1G7
cependant, quelques cas sporadiques avaient été signalés par MM. Mo-
linari, Ascoli, Dragotti. Mais il faut arriver à l'hiver 1919-1920 pour
voir se multiplier dans toute l'Italie du Nord, le Tyrol, la Vénétie
Julienne (ancien territoire de la nona), les cas les plus typiques d'encé-
phalite léthargique. De nombreux auteurs : MM. Sahatini, Galeri,
Aggero Fornara, Maggioto, Montovani, Tombolato, Guigni, Modena,
en publient des observations caractéristiques. Le délire marque l'in-
vasion de la maladie, associé en général à l'insomnie et aux secousses
myocloniques ou ehoréiques ; plus tard seulement apparaissent et
l'hypersomnie et les paralysies oculaires. Les auteurs italiens signa-
lent, en outre, que fréquemment aux symptômes nerveux s'associent
de l'angine, de la laryngite ou de l'herpès.
Les manifestations de l'épidémie française de 1918, malgré leur
gravité, étaient demeurées assez limitées ; la maladie prit une impor-
tance et une extension infiniment plus grandes pendant l'hiver
1919-1920 et, fait plus curieux, changea presque complètement de
physionomie.
L'hypersomnie, loin d'être un des symptômes dominants, dans nom-
bre de cas fit défaut, les paralysies oculaires demeurèrent extrêmement
fréquentes, mais leur époque d'apparition fut retardée. Au contraire,
les mouvements myocloniques ehoréiques ou athétosiques, par leur
importance et leur signification, purent être placés au premier plan du
tableau symptomatique (Pierre Marie et Gabrielle Lévy, Sicard et
Kudelski). Dans le même temps que celui où se développait dans toute
la France l'épidémie d'encéphalite, la maladie qui semblait éteinte en
Autriche se rallumait avec une intensité accrue. Après qu'un vent du
sud eut fait rage dans toute l'Autriche, apparurent en Bohême, en Tyrol,
en Autriche supérieure et en basse Autriche, en Bavière même, de
très nombreux cas d'encéphalite épidémique, mais très différents
dans leur expression clinique et leur évolution des faits de la précé-
dente épidémie. Ce furent surtout les formes algiques, les formes
délirantes, les formes myocloniques et ehoréiques, qui frappaient par
leur fréquence et leur gravité. Dans un grand nombre de cas,' les
secousses myocloniques se localisaient à l'abdomen et au diaphragme ;
et très justement, M. Economo fait remarquer la parenté de cette forme
d'encéphalite épidémique attestée par d'autres manifestations avec l'épi-
démie de hoquet qui sévit l'année précédente dans la région viennoise.
Il semble hors de doute, et les faits rapportés cette année par plusieurs
auteurs français en sont des témoignages, que l'encéphalite léthargique
peut se traduire exclusivement par un hoquet persistant.
168
J. LHERM1 l I l
Le \inis de l'encéphalite épidémique ne demeura point cantonné en
Europe ; déjà nous avons indiqué qu'en H)17 il avait envahi la partie
orientait- de l'Australie; en 1919 et 1920, le germe lit son apparition clans
l'Italie du Nord puis infesta tout le littoral méditerranéen. MM. Ardin-
Delteil et Raynaud, M. Crespin, décrivent les formes ophtalmoplègiques
et les formes choréiques, en Algérie; M. Valassopoulo retrouve l'encé-
phalite ophtalmoplégique et hypersomnique en Egypte ; enfin tout
récemment M. Constantinescu relatait plusieurs faits d'encéphalite
observés en Roumanie.
Enfin, l'hiver dernier, apparut à Paris et dans la région parisienne,
une épidémie de hoquet qui bientôt s'étendit en province, reproduisant
tous les traits de l'épidémie de singultas décrite pour la première fois par
M. C. Economo. De pronostic extrêmement bénin dans l'immense majo-
rité des cas, le hoquet révéla de la manière la plus certaine son origine
encéphalitique en se compliquant parfois, soit de phénomènes oculo-
léthargiques, soit de myoclonies, soit enfin de mouvements ehoréo-
athétosiques. Rien ne nous assure que le génie de l'encéphalite qui,
nous venons de le voir, marque d'une empreinte si personnelle chacune
des épidémies qu'il l'ait éclore, ait parachevé le cycle de ses transforma-
tions, et, tout récemment, j'apprenais qu'en Italie venaient d'apparaître
une série de cas d'apparence assez troublante et caractérisés surtout par
des vertiges. Sans qu'il soit possible dès aujourd'hui de préjuger le
développement de cette épidémie et de préciser sa nature, il est impos-
sible de ne pas être frappé par la ressemblance qu 'affecte ce vertige épi-
démique avec la « maladie de Gerlier ».
Telles furent les grandes épidémies qui fleurirent en Europe surtout
pendant ces dernières années et dont nous retrouvons des exemples
sous les traits de la maladie du sommeil à Tubingue en 1713, de la
maladie de Gerlier en Suisse en 18<S7, de la nona en Italie en 1889-1890.
Pendant les périodes intercalaires, si les faits d'encéphalite sont moins
nombreux, du moins il est très aisé (Vvn retrouver des exemples à l'étal
sporadique relatés dans la littérature médicale. Nous pourrions citer les
observations de Thomsen, Kojewinkof Boedeker, Guinon et Parmen-
tier, Jacobeus, Schule, Oppenheim et Cassirer, Zingerlé, E. Moniz,
parmi beaucoup d'autres. Ils témoignent que si, en dehors des
périodes d'épidémie, le virus a perdu une grande partie de sa virulence,
il n'est pas complètement éteint et que son retour à l'activité est toujours
à craindre. Ce sont précisément ces cas sporadiques qui assurent à la
maladie sa pérennité et la diffusion du germe pathogène. A cette course
du flambeau pathologique, malades el porteurs sonl les participants.
L'ENCÉPHALITE LÉTHARGIQUE lGr^
Forme mésocéphalique de V encéphalite épidémique.
Encéphalite ophtalmoplégique avec narcolepsie.
En général, l'encéphalite léthargique s'annonce par quelques frissons,
un malaise général, quelques retentissements douloureux dans les
membres, de la rachialgie. Assez souvent, pendant les quelques jours
qui précèdent l'apparition des symptômes graves, le malade accuse des
phénomènes angineux ou laryngés.
A la période d'état, les symptômes cardinaux sont constitués par les
troubles oculaires, l'hypersomnie, les paralysies, les perturbations du
tonus musculaire et les phénomènes généraux.
A) Les troubles oculaires.
Tous les auteurs s'accordent sur leur extrême fréquence. Selon
MM. Achard et Netter, les troubles oculaires surviennent dans 75 00
des cas, mais M. de Lapersonne pense que leur fréquence est encore
plus considérable. Pour qui sait combien les perturbations oculaires
peuvent être légères et fugaces, l'opinion défendue par M. de Laper-
sonne apparaîtra comme la plus conforme à la vérité.
Si les perturbations qui frappent la musculature extrinsèque et intrin-
sèque s'avèrent comme de beaucoup les plus saisissantes, il n'en va pas
qu'elles soient exclusives. Aussi passerons-nous successivement en
revue les modifications de l'appareil sensoriel de l'œil (rétine et nerf
optique , celles de la musculature inervée par le système cérébro-spinal,
enfin les troubles apportés aux fonctions du système nerveux organique
des globes oculaires.
a) Le nerf optique et la rétine, — En dehors des périodes pendant
lesquelles la somnolence ou la torpeur interdisent d'interroger les fonc-
tions du nerf optique, il semble, dans la majorité des cas, que l'acuité
visuelle demeure sensiblement normale. Cependant, il arrive parfois
que la vision est brusquement obscurcie, même supprimée, sans que-
rien ait pu faire prévoir l'imminence de cette amblyopie ou de cette
amaurose. MM. Carnot et Netter ont observé assez fréquemment
l'amblyopie et M. Cl. Vincent a rapporté deux faits d'amaurose.
Nous avons nous-mème observé chez une malade atteinte d'encé-
phalite à évolution prolongée une amblyopie récidivante. Amblyo-
pie ouaumaurose présentent, en effet, ce caractère de n'être pas per-
manentes et de ne s'accompagner, en règle générale, d'aucune modifica-
17i) ./. LHERMITTE
lion du fond de l'œil. Ainsi que Wernike l'avait relevé, le début de
l'encéphalite peut être marqué par l'apparition de phosphènes. Nous
mentionnerons enfin que MM. Reverchon et Worms ont relaté, dans
un lait, la survenance du syndrome de la migraine ophtalmique.
Dans la plupart des descriptions françaises et étrangères de l'encé-
phalite épidémique, les auteurs font ressortir l'intégrité du fond de
l'œil. Et cependant la lecture d'assez nombreuses observations montre
que cette opinion est trop exclusive.
Goldscheider autrefois avait noté la proéminence delà papille; dans
les épidémies plus récentes, M. Economo révèle, dans un cas, une déco-
loration de la région temporale de la papille, et dans un autre fait, une
atrophie papillaire consécutive à une névrite rétro-bulbaire ; M. Terrien
constate de l'hyperhémie papillaire ; M. Sachs, une inflammation légère
delà papille; MM. Reverchon et Worms, un état à bords lions, suréle-
vés, les veines rétiniennes sont tortueuses. Enfin MM. Froment et Gar-
dére observent une double papillite avec petites hémorragies.
L'ensemble très concordant des faits que nous venons de mentionner
nous incite donc à restreindre la valeur absolue de la règle de l'inté-
grité delà papille et à admettre que l'examen ophtalmoscopique peut
révéler certaines modifications de la région papillaire. Est-ce à dire
toutefois que la véritable stase papillaire puisse reconnaître comme
origine l'encéphalite léthargique en dehors de toute lésion surajoutée.
Il nous semble que la preuve n'en a point encore été apportée Dans
une observation récente publiée par M. Urbantschitsch, nous trouvons,
par exemple, une stase papillaire bilatérale coïncidant avec une para-
lysie de la vie paire et l'hypersomnie ; mais dans ce fait, survint une
suppuration de l'oreille moyenne pour laquelle une intervention fui
nécessaire, et rien ne démontre qu'au processus de l'encéphalite, si tant
est qu'il ait existé, ne s'est pas joint un processus d'inflammation mé-
ningée ou peut-être une thrombose du sinus caverneux.
b) Trijumeau oculaire. — Dans la règle, la sensibilité des globes est
parfaitement conservée et les réflexes de conjonctive non modifiés,
Oppenheim etCassirer relèvent seulement, dans un cas, un retard du
réflexe au clignement et Thomsen signale la survenance île douleurs
oculaires spontanées.
c) Appareil musculaire extrinsèque (innervation cérébro-spinale).
Ainsi que nous y avons déjà insisté, les paralysies oculaires constituent
un des symptômes cardinaux et essentiels de la maladie. Lorsqu'ils
font défaut pendant tonte la durée de l'encéphalite, l'identité de celle-ci
avec l'encéphalite léthargique peut être discutée. Certes, nous n'enten-
L'ENCÉPHALITE LÉTHARGIQUE 171
dons pas dire que l'encéphalite épidémique ne puisse évoluer sans mani-
festations ophtalmoplégiques, certaines observations indiscutales témoi-
gneraient du contraire, mais les derniers faits apparaissent d'une sai-
sissante rareté.
Parmi les paralysies oculaires, une des plus fréquentes est, sans con-
teste, le ptosis. Unilatérale, ou bilatérale, la chute de la paupière atteint
rarement l'intensité de celle que provoque la paralysie complète de
l'oculo-moteur commun. En général, le ptosis est incomplet, parétique
plutôt que paralytique, et ne s'accompagne pas d'attitude compensa-
trice de la tête et de contraction durable des muscles frontaux. Dans
d'autres faits, qui ne sont pas exceptionnels, la chute de la paupière n'est
pas due aune parésie du releveur, mais à un abaissement de son tonus,
ainsi que l'ont montré MM. Litvack, Morax et Bollack. Au repos, le
bord inférieur de la paupière recouvre la moitié de l'iris, tandis que ce
dernier est largement découvert, si on commande au sujet de relever
les paupières. Il s'agit, on le voit, d'un trouble de la statique muscu-
laire. Enfin, dans un certain nombre de cas, ce qui frappe, c'est que la
chute de la paupière ne se produit qu'au cours ou à la fin de la journée.
Tandis qu'au réveil, la paupière découvre largement la pupille, vers le
soir, celle-ci apparaît plus ou moins recouverte par le bord palpébral.
Ce phénomène, tout à fait superposable au ptosis de fatigue du syn-
drome d'Erb Goldflam, reconnaît le même mécanisme et n'est que
l'expression d'un état myoténique limité aux releveurs.
Qu'il s'agisse d'un ptosis parétique ou paralytique, d'un ptosis hypo-
tonique ou d'un ptosis myasthénique. la chute de la paupière peut se
manifester exclusivement d'un seul côté et même apparaître comme
L'unique témoin de l'encéphalite. (Lesné.)
Les paralysies des droits ne sont pas moins fréquentes. Elles s'affir-
ment par un symptôme subjectif que l'on retrouve dans le passé ou
dans le présent de l'immense majorité des malades : la diplopie; elles
frappent non seulement les observateurs compétents, mais l'entourage
des patients, par l'attitude anormale des globes : le strabisme. Stra-
bisme convergent ou divergent, avec diplopie homonyme ou croisée,
tels sont, parmi les symptômes oculaires, les plus saisissants, les plus
constants et aussi, très fréquemment, les plus précoces.
Les droits supérieur et inférieur peuvent être également paralysés
ou parésiés, et si leur atteinte n'est pas aussi souvent mentionnée que
celle des droits externe ou interne, la raison en est que les troubles
qu'elle détermine sont moins apparents.
Très généralement, les paralysies de la musculaire extrinsèque attei-
L72 ./. LHERM1 I I I
gnent tantôt un muscle, tantôt un autre, frappant irrégulièrement l'œil
droit et l'œil gauche et, ainsi que nous l'avons montré avec M. de Saint-
Martin, apparaissent dissociées, parcellaires et parfois migratrices,
traduisant ainsi exactement la marche capricieuse et serpigineuse du
processus inflammatoire mésocéphalique.
Dans certains cas cependant, et M. de Lapersonne, MM. Morax et
Bollack en ont relevé des exemples, la paralysie frappe un seul nerf
(111e paire, \T paire) exclusivement et complètement.
Parfois aussi, mais les faits de ce genre sont heureusement exception-
nels, l'ophtalmoplégie externe est complète; les yeux figés dans leurs
orbites, les paupières tombantes, le front ridé par la contracture com-
pensatrice des sourciliers et des frontaux, les malades présentent l'ex-
pression du faciès d'Hutchinson (Guinon et Parmentier).
Les paralysies parcellaires, dissociées, que nous venons de rappeler,
ne sont pas les seules que l'on puisse observer dans l'encéphalite épidé-
mique. Déjà, en 1881, Wernicke soutenait cette opinion, que, toutes
les paralysies oculaires dans la polio-encéphalite supérieure aiguë
étaient des paralysies associées, des paralysies de fonction, tandis
qu'Oppenheim etCassirer dans leur travail classique sur les encépha-
lites aiguës, affirmaient qu'à côté des paralysies de fonctions existaient
des paralysies dissociées d'origine nucléaire. La question s'est posée, au
cours des récentes épidémies d'encéphalite, dans les mêmes termes.
Selon MM. Morax et Bollack, la plupart des troubles de la muscu-
lature extrinsèque ne sont pas assimilables à des troubles élémentaires,
mais reconnaissent un mécanisme plus complexe Reprenant l'idée de
Wernicke, ces auteurs pensent que dans la majorité des cas, il s'agit,
dans l'encéphalite léthargique, de paralysies associées.
Déjà, en 1918, M. Morax, chez un malade de M. Sain ton, avait l'ait
remarquer que la paralysie oculaire s'accompagnait d'uni' diplopie
paradoxale; dans le regard à droite, la diplopie était croisée; dans le
regard à gauche, elle était homonyme avec même écartement des
images.
Incontestablement, les faits de ce genre, qui ont été rapportés avec la
précision désirable, attestent que le processus de l'encéphalite peut
provoquer des troubles complexes de la synergie oculaire, mais nous
ne croyons pas que ceux-ci puissent être rangés dans le cadre dos para-
lysies associées, stricto sensu.
Est-ce à dire que h's paralysies associées légitimes ne puissent être
déterminées par l'encéphalite épidémique I Rien ne saurait être plus
loin de notre pensée. Nous faisons seulement remarquer que 1rs para-
L'ENCÉPHALITE LÉTHARGIQUE 173
l}Tsies complexes, traduisant une perturbation delà synergie musculaire
<les globes oculaires, ne peuvent pas être considérées, ipso facto, comme
<les paralysies de fonction.
Lorsque celles-ci existent, leur expression la plus complète tient dans
la déviation conjuguée des yeux, d'une part (paralysie du dextrogyre ou
du lévogyre), la paralysie conjuguée des droits supérieurs ou des droits
inférieurs (paralysie de la fonction d'élévation ou d'abaissement du
regard), enfin dans la paralysie conjuguée des droits internes (paralysie
de la convergence), d'autre part.
Tous ces types de paralysies associées ont été retrouvés au cours de
l'encéphalite : déviation conjuguée latérale des yeux (Cantonnet, Eco-
nomo) ; paralysie du regard en haut ou en bas (Morax et Bollack,
Boedekee, Dor, Aubineau) ; paralysie de la convergence (Morax et
Bollack).
Fait à remarquer le plus souvent, au cours de ces paralysies, la diplo-
pie est atypique, tantôt homonyme, tantôt croisée, suivant l'expression
<lu regard.
De plus, comme vont insisté M. Patry (de Genève), MM. Lacroix et
Pesme, cette diplopie est intermittente, variable, tout comme les para-
lysies nucléaires que nous avons étudiées plus haut.
M. Bollack, dans un travail récent, nous a fourni une base d'approxi-
mation de la fréquence respective de ces diverses formes de paralysies
associées. Sur un total de 28 cas, M. Bollack a observé 8 fois des trou-
bles de la convergence, 13 fois des troubles des mouvements associés
avec parallélisme des axes, 7 fois des perturbations des mouvements
associés d'élévation et d'abaissement.
Nous avons mentionné, à propos du ptosis, l'existence d'une parésie
transitoire du releveur palpébral apparaissant vers la fin de la journée
et tout à fait superposable au ptosis myasthénique ; un semblable phé-
nomène a été relevé par M. Bériel (de Lyon) sur la musculature du
globe oculaire Lorsqu'on fait fixer le regard du malade dans une posi-
tion extrême, on constate que, plus ou moins rapidement, les muscles
associés se fatiguent et que, malgré les efforts du sujet, les globes revien-
nent à la position moyenne de repos.
Cette manifestation d'ordre myasthénique demande à être cherchée el
apparaît comme l'équivalent, l'ébauche de la paralysie associée au
regard.
Dans d'assez nombreux laits, la parésie ou la paralysie extrinsèques
font défaut, mais sont remplacées par des secousses nystagmiformes.
Celles-ci, qui ont été décrites il y a longtemps par MM. Oppenheim el
174 •/. LHERMITTE
Cassirer, ont été retrouvées plus récemment par MM. Economo,
Morax el Bollack, Reverchon et Worms.
Partant de cette constatation que, très fréquemment, les troubles de
la motilité des globes oculaires portaient sur les mouvements associés
ou sur La synergie fonctionnelle des différents noyaux oculo-moteurs,
MM. Bollack et Halphen ont voulu déterminer les modifications que
présentent les réactions vestibulo-oculaires normales. Ces auteurs ont
étudié successivement le nystagmus provoqué par l'excitation méca-
nique des canaux semi-circulaires (centrifugation) et le nystagmus
provoqué par l'excitation calorique des mêmes canaux semi-circu-
laires.
MM. Bollack et Halphen ont ainsi constaté cpie dans 6 cas, 5 fois le
nystagmus provoqué par les excitations caloriques ou mécaniques du
vestibule était modifié. Dans 3 cas, il était aboli, dans 2 cas affaibli.
Afin de préciser plus exactement le déficit fonctionnel des faisceaux
qui réunissent l'appareil central vestibulaire (N. de Deiters, N. de
Bechterew) et les noyaux des oculo-moteurs, MM. Bollack et Halphen
ont excité isolément les canaux semi-circulaires horizontaux (épreuve
de la centrifugation en position verticale de la tète et les canaux semi-
circulaires verticaux (même épreuve en positioncouchée), et ces auteurs
ont relevé chez un malade atteint de paralysie associée des abaisseurs,
la conservation du nystagmus normal par Y excitation des canaux semi-
circulaires horizontaux contrastant avec l'affaiblissement du nystagmus
provoqué par l'excitation des canaux verticaux.
L'évolution des paralysies extrinsèques de l'œil est assez variable.
Dans la règle, les paralysies dissociées nucléaires on associées supra ou
internucléaires rétrocèdent et finissent par disparaître complètement ;
les perturbations des mouvements associés persistent plus longtemps
que celles qui sont dues aux altérations primitives de noyaux oculo-
moteurs.
Si, donc, dans la majorité des faits, la restituth ad integrum est
l'aboutissant des troubles oculo-moteurs extrinsèques, il est des cas
cependant, ainsi que nous l'avons montré avec M. de Saint-Martin, où
les paralysies, après uni' phase de régression, demeurent stationnaires
et ne montrent plus aucune tendance au retour vers la normale.
MM. Reverchon et Worms ont relevé des laits semblables aux
nôtres
d) Musculature intrinsèque innervée par le système nerveux de lu ne
organique (sympathique, autonome). De toutes les manifestations ocu-
laires et peut-être de tous les symptômes de l'encéphalite léthargique,
V ENCÉPHALITE LÉTHARGIQUE 175
le phénomène le plus constant est la parésie ou la paralysie du muscle
ciliaire, laquelle se traduit par l'affaiblissement ou la perte de l'accom-
modation. Celle-ci constitue une manifestation tellement saisissante,
qu'elle avait impressionné les premiers observateurs anglais de l'encé-
phalite, lesquels, en raison de la grande ressemblance de ce symptôme
avec les troubles de l'accommodation du botulisme, avaient pensé que
l'encéphalite n'était qu'une manifestation de la toxi-infection botuli-
nique. Mais cette paralysie ou cette paralysie du muscle ciliaire ne doit
pas seulement être constatée, il importe d'en mesurer la profondeur,
ainsi que l'a fait remarquer M. de Lapersonne, si l'on veut éviter
de grossières erreurs.
Outre le muscle ciliaire, la musculature de l'iris apparaît dans
nombre de cas profondément touchée.
Très généralement, l'anisocorie est le phénomène le plus saillant et
contraste avec l'intégrité du réflexe photo-moteur et la contraction
irienne associée à laccommodation et à la convergence.
Les modifications apportées par l'encéphalite épidémique dans la
réflectivité irienne et la contraction associée du sphincter à l'accom-
modation-convergence sont encore, à l'heure présente, sujets de dis-
cussion. Ce que nous savons de science certaine, c'est que, très sou-
vent, la contraction pupillaire associée à l'accommodation-convergence
est diminuée, tandis que le réflexe photo-moteur est parfaitement con-
servé.
D'après M. Bollack, cette dissociation des mouvements de l'iris se
manifesterait seulement lorsque le mouvement de convergence est lui-
même paralysé.
Il est évident, et les faits rapportés par M. Bollack en sont la démons-
tration, que, en raison des rapports étroits qui unissent les noyaux
moteurs des droits internes et les centres iridoconstricteurs, l'atteinte
des premiers doit s'accompagner fréquemment de la perte du mouve-
ment pupillaire associé à la convergence qui fait défaut et nous ajoutons
à l'accommodation qui, elle aussi, très fréquemment, apparaît affaiblie ou
abolie ; mais nous ne croyons pas que la paralysie de la convergence
soit Tunique facteur déterminant de l'abolition de la contraction irienne
à l'accommodation-convergence.
La dissociation inverse, c'est-à-dire l'abolition du réflexe photo-
moteur contrastant avec la conservation du mouvement pupillaire
associé (signe d'Argyll-Robertson) peut-elle être comptée comme un
symptôme de l'encéphalite épidémique ? Tel est le problème que nous
devons nous poser. Avec M. de Saint-Martin, nous avons déjà discuté le
176 ./. /.///■: i:\ii ///■:
fait rapporté par MM. Lortat-Jacob et Hallez et montré qu'il ne s'agissait
pas là d'encéphalite épidémique, mais d'encéphalopathie syphilitique, La
stase papillaire bilatérale, la réaction positive de Bordet-Wassermann,
le signe de Robertson qui était présent, nous apparaissent ici comme
les témoins de l'atteinte du système nerveux par le virus spéci-
fique.
Après l'étude que nous avons faite des premières épidémies, nous
étions portés à rejeter complètement hors du cadre de l'encéphalite
léthargique le signe de Robertson. Depuis, les nombreuses observations
rapportées par les auteurs allemands (Worms, Economo) et italien
(Guido Sala) dans lesquelles est expressément noté le signe de Robert-
son, la négation cpie nous aurions portée nous semble plus hasardeuse.
Et si, aujourd'hui, on ne peut affirmer que le signe de Robertson appar-
tient réellement à la séméiologie de l'encéphalite épidémique, il serait,
croyons-nous, téméraire de le rejeter complètement.
Ce qui semble beaucoup plus certain, c'est (pie, à supposer que la
dissociation de la contractilité irienne type Robertson puisse être pro-
voquée exclusivement par l'encéphalite, du moins le signe de Robertson
n'apparaît pas avec les mêmes caractères que dans la syphilis du
névraxe (méningo-myélite, méningo-encéphalite, tabès, paralysie géné-
rale). Dans l'encéphalite, la dissociation fonctionnelle de l'iris est
temporaire, fugace, transitoire ; dans les processus syphilitiques, le
signe de Robertson établi ne rétrocède jamais, et lorsqu'il disparaît,
c'est (pie la pupille est devenue complètement rigide par l'abolition de
la contraction pupillaire associée à l'accommodation-con vergence. Ajou-
tons enfin, que, à la différence du tabès ou de la paralysie générale,
l'encéphalite épidémique ne détermine jamais la déformation pupil-
laire, non plus que le myosis aussi intense (pie dans la syphilis.
L'inégalité pupillaire (pie nous avons signalée est-elle due à une
excitation du dilatateur pupillaire, ou à une parésie du constricteur?
Voici un problème (pie, fatalement, on est amené à se poser, mais que,
malheureusement, il nous est impossible de résoudre, car nous man-
quons de documents. C'est en vain (pie nous avons cherché dans la
littérature médicale des faits se rapportant à l'action des substances
sympathicotropiques et vagotropiques sur la musculature oculaire
dans l'encéphalite léthargique. Dans un cas, M. Rieux et M1"1' Marca-
nan-Porcher ont constate (pic l'instillation d'un demi milligramme
d'atropine a suffi pour faire complètement disparaître le myosis.
Bien (pi il soit loin d'être démontré (pic l'exophtalmie provoquée par
1 excitation du sympathique cervical soit lice à l'hypertonie du muscle
L'ENCÉPHALITE LÉTHARGIQUE 177
de Millier, nous devons rappeler que dans une observation classique
d'Eisenlohr, la polio-encéphalite supérieure aiguë s'était accompagnée
d'exophtalmie.
B. — Troubles du sommeil.
Outre les paralysies oculaires, le symptôme fondamental de la mala-
die, puisqu'il est un des termes de sa dénomination, est l'hypersomnie.
Tout de même que l'ophtalmoplégie, le symptôme narcolepsie ne
revêt pas toujours la même physionomie. Cependant les caractères du
sommeil pathologique de l'« encéphalite léthargique » sont tels qu'ils
permettent de le différencier des états soporeux avec lesquels il pour-
rait être confondu.
L'apparition de l'hypersomnie précédant ou suivant le développement
de l'ophtalmoplégie a frappé tous les observateurs. Mais, soit que
l'analyse de cette manifestation ait été faite imparfaitement, soit que
l'on ait recouvert le sommeil de qualificatifs impropres, il est certain
que ce symptôme semble avoir perdu, à la lecture de certaines obser-
vations, une grande partie de sa netteté. Aussi avant d'essayer d'en
dépeindre les traits les plus caractéristiques nous paraît-il indispen-
sable de dire d'abord ce qu'il n'est pas. Il sera beaucoup plus aisé
ensuite de montrer ce qu'il est.
Dire que Thypersomnie doit être rigoureusement séparée du coma
est une vérité d'évidence telle qu'il peut paraître paradoxal ou vain de
le rappeler et encore plus d'y insister. Et cependant, dans certaines
observations, le sommeil semble être confondu avec la perte complète
du mouvement et du sentiment : non seulement la conscience est abolie,
mais les malades insensibles à toute excitation extérieure, présentent un
relâchement des sphincters. Devant un tel tableau clinique il est diffi-
cile de se déprendre de l'idée qu'il s'agit moins ici d'un état narcolep-
tique que d'un vulgaire coma. Certes, ce n'est pas à dire qu'il soit
toujours aisé de distinguer le sommeil profond du coma véritable, et il
peut se présenter plus d'un cas embarrassant. Les anciens le savaient
bien qui reliaient le sommeil pathologique au coma profond, au carus
par toute une série d'états intermédiaires désignés du nom de sopor, de
cataphore, de catoche. Cependant, les cas extrêmes de la série mis à
part, dans l'immense majorité des faits, l'hypersomnie vraie se différen-
cie très aisément du coma. Plongé dans le coma, nous le répétons, le
sujet, insensible à toute excitation sensitive ou sensorielle, présente à
peine quelques mouvements réflexes élémentaires et ne peut être tiré de
cet état : dans le sommeil, au contraire, si profond qu'il soit, le dor-
CONFKIl. NEUHOL. 12
178 •/. LHERM1TTE
nii'iir répond aux excitations extérieures ; fortement secoué ou pincé il
se réveille au moins pendant quelques i nstants et répond aux questions
qui lui sont posées. Enfin, l'état de sommeil permet l'accomplissement
de certaines fonctions organiques : l'évacuation régulière des réser-
voirs, la mastication et la déglutition, parfois même la marche.
Si le sommeil pathologique dont s'accompagne l'encéphalite léthar-
gique doit être distrait du cadre des comas, il ne doit pas moins ne pas
être confondu avec la stupeur, comme l'ont fait certains auteurs anglais
qui ont donné à l'affection qui nous occupe la dénomination de stupeur
épidémique. Si la stupeur est, en effet, un état caractérisé par la sus-
pension complète de toute activité extérieure, il n'en va pas que les
malades cpii en sont atteints aient perdu toute activité psychique et
toute conscience.
Bien au contraire, car, le plus souvent, l'esprit du sujet en état de
stupeur et dont la physionomie immobile semble peu expressive, con-
centré sur lui-même, apparaît dominé par l'activité automatique du
drame intérieur dont il est tout ensemble le théâtre et 1 acteur.
Dans un bon nombre de travaux sur « l'encéphalite léthargique », les
auteurs décrivent les troubles cérébraux sous les termes de torpeur,
d'obnubilation psychiques. Ces termes créent ici une déplorable con-
fusion et contribuent pour une part à déformer la physionomie réelle
de « l'encéphalite léthargique ». Aussi force nous est d'y insister une
fois de plus. La torpeur cérébrale, l'obnubilation, la confusion men-
tales ne peuvent, en aucune manière, être confondues avec le sommeil
pathologique. Ainsi que nous y avons insisté, la torpeur, l'obnubilation
sont des états qui laissent au sujet une conscience obscure, mais réelle
du monde extérieur ; les notions de temps, d'espace, pour imprécis et
imparfaits qu'ils puissent être, ne sont pas abolis comme dans le
sommeil.
Coma, torpeur, obnubilation, stupeur ne possèdent pas. on vient de
le voir, une identique ni même une analogue signification ; en aucune
manière ils ne sauraient s'appliquer aux phénomènes caractéristiques
de l'encéphalite léthargique que, muni des notions que nous venons de
rappeler, il nous est possible maintenant d'aborder.
Quels sont donc les caractères de l'hypersomnie de l'encéphalite
léthargique '?
A l'aide de mots différents, la plupart des auteurs expriment le même
fait : la survenance brusque, précoce d'un sommeil profond, invin-
cible. La crise aarcoleptique préludant ou non à l'ophtalmoplégie,
urvient très souvent comme première manifestation de la maladie.
L'ENCÉPHALITE LÉTHARGIQUE 179
Sans raison le malade éprouve une invincible envie de dormir ; il res-
sent des picotements dans les yeux, une lassitude générale, bientôt les
paupières s'abaissent d'elles-mêmes devant les globes oculaires et le
sommeil survient complet, profond. Pendant le sommeil, le pouls et la
respiration sont normaux, le sujet parfaitement calme ne paraît pas
tourmenté par des rêves. De fortes excitations cutanées ou profondes
provoquent assez facilement le réveil. Le malade entr'ouvre pénible-
ment les paupières et regarde d'un air hébété, un peu absent. Malgré
cette apparence il peut répondre correctement aux questions ; mais
bientôt le sommeil reparaît plus impérieux et, dès que toute stimulation
a cessé, le sujet s'y plonge à nouveau.
Telle est la crise narcoleptique typique.de moyenne intensité, elle
dure de quelques minutes à plusieurs heures. Dans les cas où elle est
plus discrète, le sujet, malgré son intense appétit de sommeil, peut s'y
soustraire. Il en était ainsi chez une de nos malades, institutrice fort
intelligente, qui parvenait à continuer son cours malgré les fréquentes
envies de dormir qui la prenaient plusieurs fois pendant l'après-
midi.
Il est à remarquer que les malades, malgré l'intense envie de dormir
qu'ils éprouvent et qui le plus souvent les terrasse, ne présentent aucune
appétence pour le sommeil. Ils ont au plus haut degré l'appétit du
sommeil, sans éprouver, au contraire, le désir de dormir.
En général, l'attaque narcoleptique n'est pas si soudaine que le sujet
ne puisse lui résister, au moins quelques instants, pendant lesquels il
utilise les moyens de défense qu'il juge le mieux appropriés. Tantôt il
s'étend sur unlit, s'assied dans unfauteuil, cédant au besoin de dormir,
tantôt il se pique, se pince, marche activement pour essayer de chasser
le sommeil qui tend à l'accabler.
Après avoir présenté plusieurs accès légers de narcolepsie, ou parfois
d'emblée, une crise d'hypersomnie plus profonde survient qui plonge le
sujet dans un sommeil qui se prolonge pendant plusieurs heures, quel-
quefois plusieurs jours, exceptionnellement plusieurs semaines. Mais,
que la crise se prolonge plus ou moins longtemps, les caractères de
l'hypersomnie ne se modifient pas notablement. Dans la résolution
complète le malade n'offre aucune déformation des traits ; si les mem-
bres peuvent être déplacés dans tous les sens sans que le sujet s'en
émeuve, le tonus musculaire n'est pas modifié. Si l'on entr'ouvre les
paupières, les pupilles apparaissent légèrement portées en haut comme
dans le sommeil naturel. Mais, beaucoup plus souvent, à cette phase
d'hypersomnie prononcée, des globes oculaires laissent voir une
i
[80 J. LHERMITTE
déviation en rapport avec l'intensité et la localisation de l'ophtalmo-
plégie.
Malgré la profondeur du sommeil, il reste possible de tirer le malade
île son anéantissement psychique ; mais à peine réveillé il se rendort
ou si- montre incapable de soutenir un interrogatoire précis. Parfois,
c'est à peine s'il peut ouvrir complètement les paupières ; si on essaie de
l'alimenter on constate que la mastication et la déglutition s'effectuent
normalement. Les fonctions de la vie de relation demeurent complète-
ment suspendues, les fonctions organiques persistent. Cet état a pu se
prolonger, dans certains cas rares, pendant plusieurs semaines et
aboutir soit à un réveil progressif, soit à un anéantissement complet
des fonctions cérébrales, au véritable coma avec incontinence des
réservoirs et formation d'escarres sacrées, trochantériennes, talonnières,
et même parfois des membres supérieurs.
Il est peu d'auteurs qui semblent s'être demandé comment s'effectuait
le sommeil naturel dans l'encéphalite léthargique. Aussi l'indication
que nous fournit M. Bassoe est-elle instructive. D'après cet auteur,
certains malades, tout en conservant un aspect endormi, ont, en fait, de
l'insomnie. Pour notre part, nous avons remarqué que, chez nos
malades, la survenance de l'hypersomnie pendant le jour ne modifiait
pas sensiblement la régularité du sommeil nocturne. Sommeil physio-
logique et sommeil pathologique coexistaient sans se mêler ni, en appa-
rence, s'influencer notablement. Chez une malade présentant une
forme sévère d'encéphalite léthargique typique, lorsque le sommeil
pathologique qui avait marqué la phase de début s'évanouit, l'insomnie
nocturne apparut quelques jours. Il faut ajouter qu'à cette époque de la
maladie, la température atteignait 39° et que la malade présentait une
excitation psychique très discrète.
Cette excitation psychique ou psycho-motrice, nous la trouvons men-
tionnée dans de nombreuses observations, alternant ou non avec l'hyper-
somnie. Elle s'associe souvent à un délire doux et tranquille, de nature
confusionnelle et hallucinatoire. Et ceci n'a pas lieu de surprendre,
puisque nous savons depuis les travaux de Régis et de M. Klippel
entre autres, l'étroit degré de parenté qui unit les délires confusion-
iu ils et les phénomènes du rêve. Dans le rêve normal comme dans
l'onirisme pathologique, c'est le même déroulement d'images qui
projette sa fantasmagorie troublante sur la conscience endormie, la
même absence de Critique, la même incohérence, le même défaut d'éton-
nementde l'esprit devant l'apparition des phénomènes les plus inat-
tendus et les plus déconcertants.
L'ENCÉPHALITE LÉTHARGIQUE 181
Intimement liées au sommeil pathologique par leur nature et leur
mécanisme, les manifestations délirantes fréquemment relevées au
cours de « l'encéphalite léthargique » ne doivent pas, à notre sens, être
séparées au point de vue sémiologique. Ets'il nous était permis défaire
un vœu ce serait pour demander que l'on cherchât davantage les mani-
festations de l'onirisme dans les faits d hypersomnie par encéphalite,
convaincu que nous sommes qu'on les trouverait encore plus sou-
vent.
Comme dans tous les états confusionnels c'est surtout à la faveur de
la nuit qu'apparaissent variées et incohérentes les images du rêve,
images presque exclusivement visuelles, traînant après elles le cortège
des réactions motrices que l'on connaît. Parfois, ce déroulement
d'images oniriques s'effectue à la faveur non pas du sommeil, mais
d'un simple assoupissement. Et une malade nous disait cette phrase
caractéristique : « C'est très curieux, lorsque vient la nuit, je vois un
tas de choses qui passent devant ma vue comme un cinématographe. »
Ainsi que je vous le rappelais il y a un instant, la fonction hypnique
peut être perturbée dans l'encéphalite épidémique soit par excès, soit
par défaut, et si, dans la plupart des faits, l'hypersomnie prédomine,
les récentes épidémies nous ont fait connaître les formes très curieuses
de la maladie dont un des caractères les plus marquants est précisé-
ment l'insomnie. Insomnie tenace, absolue, durant des jours et parfois
des mois, insomnie accompagnée souvent d'un perpétuel besoin de
déplacement qui n'est pas sans rappeler celui qu'il est si fréquent d'ob-
server dans la maladie de Parkinson. Il faut ajouter que les formes
agrypniques de l'encéphalite peuvent aussi bien que les formes léthar-
giques s'accompagner de troubles mentaux.
C. — Perturbations de l'appareil musculaire volontaire.
Ces perturbations apparaissent de la plus grande fréquence et por-
tent sur le tonus, la force musculaire, la coordination.
Si le tonus musculaire peut être troublé par défaut (asthénie, hypoto-
nie), beaucoup plus fréquemment il est troublé par excès, soit qu'il
s'agisse de contractures légitimes à localisation monoplégique, hémi-
plégique ou généralisée, soit qu'il s'agisse de rigidité à type parkin-
sonien. L'existence de la catatonie dans l'encéphalite léthargique
s'est révélée fréquente dans la première épidémie anglaise (1917-1918),
puis dans les épidémies allemande et française de 1919-1920. C'est par
elle que le malade prend cette attitude soudée ou figée, (pie son visage
devient inexpressif et glacé, que les mouvements actifs et passifs sont
J. LHERM1 l i i.
lfiits el difficiles. Lorsque à cette rigidité catatonique, se joint le trem-
blement des membres supérieurs, le tableau du parkinsonisme est
réalisé.
L'encéphalite léthargique ne s'accompagne pas volontiers de para-
lysies des membres très prononcées et durables ; ce qui est fréquent, ce
sont les monoplégies ou les hémiplégies frustes disparaissant aussi
vite qu'elles sont venues et ne laissant après elles que d'insignifiantes
séquelles.
Dans de nombreuses observations, l'encéphalite s'accuse par des
convulsions à type jacksonien ou par des crises d'épilepsie généra-
lisées (Guillain).
Si les troubles par déficit moteur sont assez rares ou discrets, les
perturbations de la coordination des mouvements sont beaucoup plus
fréquentes, qu'il s'agisse d'ataxie ou surtout d'asynergie cérébelleuse
(Lhermitte et Saint-Martin).
Enfin il n'est pas exceptionnel que les membres où siège cette incoor-
dination présentent des mouvements involontaires à caractère eho-
réique ou athétosique.
Ainsi que tous les observateurs l'ont remarqué, de tous les nerfs crâ-
niens, les oculo-moteurs sont de beaucoup les plus atteints ; c'est lais-
ser entendre que, en dehors des IIIe, IVe et VIe paires, d'autres nerfs
crâniens peuvent être intéressés par le processus de l'encéphalite. La
paralysie ou la parésie de la VIIe paire est relativement fréquente
(Sainton, Lhermitte et Saint-Martin) et, fait à remarquer, se présente
avec les mêmes caractères sémiologiques et évolutifs que les paralysies
de la IIIe paire. Ici comme là, la paralysie est dissociée, parcellaire,
extenso-progressive. L'atteinte de la VIIe paire s'accuse par un ensem-
ble de symptômes d'origine cochléaire et vestibulaire : bruits subjec-
tifs, hypo-acousie, perte des réactions vestibulaires, parfois surdité
(Vincent) ; celle de la IX' paire par l'agueusie (Sainton), celles îles Xe
et XIe paires par des paralysies vélopalatines, laryngées (Combemale et
Duhot, Mouriquandet Sanerot), parfois par une paralysie labio-glosso-
laryngée ; celle de l'hypoglosse enfin par une parésie de la langue
accompagnée de trémulation fibrillaire.
1). — Réactions méningées.
Nous avons insisté dans le résumé sémiologique que nous avons
donné des différentes épidémies sur la variabilité de la syraptomatolo-
gie méningée s'affirmanl ici, et là, au contraire, fa i sa ni complètement
défaut.
V ENCÉPHALITE LÉTHARGIQUE 183
Lors des épidémies de Vienne (1910-1917), Econome» insistait sur la
présence de ce qu'il appelait le « méningisme » et qui n'est autre qu'une
réaction méningée plus ou moins franche. Si les symptômes méningés
manquaient absolument, lors de la première épidémie française de 1918,
ils furent, dans nombre de cas, très apparents dans l'épidémie
de 1919-1920. Non seulement la souffrance des méninges s'affirme par
les signes classiques de Kerning, de Brudzinski, la raideur du tronc et
de la nuque, etc., mais elle est attestée par les réactions souvent très
intenses du liquide céphalo-rachidien (Castaigne, Achard).
E. — Liquide céphalo-rachidien.
Lors de la première épidémie française (1918), l'absence de modifi-
cations du liquide cérébro-spinal avait fait considérer celle-ci comme
une indication sémiologique importante en faveur de l'encéphalite épi-
démique. Le développement de l'épidémie de 1919-1920 vint modifier
complètement cette manière de voir. En effet, dans de très nombreux
cas d'encéphalite authentique, le liquide céphalo-rachidien, soustrait
par ponction lombaire, contenait une forte proportion d'albumine et
des éléments figurés, lymphoc\Ttes pour la plupart. Déjà Economo et
nombre d'auteurs anglais, MM. Barsal, Burger et Focquet, Stern,
Tucker, avaient montré que le liquide céphalo-rachidien pouvait pré-
senter et de l'hyperalbuminose et de la pléicytose, mais c'est surtout
grâce aux travaux de MM. Netter, P. Marie, Courmont, Achard, Claude,
Pic et Bonamour. Sicard. que les caractères chimiques et cytologiques
du liquide céphalo-rachidien purent être précisés. A l'heure actuelle,
l'existence de l'hyperalbuminose ni celle de la pléicytose ne peuvent
être discutées. Mais ce qui apparaît comme particulier à l'encéphalite,
c'est, d'une part, que le taux de l'albumine du liquide céphalo-rachi-
dien n'est nullement proportionnel à la quantité d'éléments figurés et,
d'autre part, le fait que la réaction cytologique, contrairement à celle
des méningites tuberculeuses, décroît à mesure que se poursuit l'évolu-
tion de la maladie.
Ce défaut de parallélisme entre l'albuminose et la pléicytose peut
être accusé au point d'être une véritable dissociation albumino-cytolo-
gique, tantôt en faveur de l'albumine tantôt et le plus souvent en faveur
des éléments figurés.
En outre, M. Dopter, M. Netter, MM. Sicard et Kudelski ont révélé
une teneur anormale en sucre du liquide céphalo-rachidien ; hyper-
glycorachie allant de pair avec une hyperglycémie, opposant ainsi de
la manière la plus nette l'encéphalite léthargique et les méningopathies
184 •/. LHERMITTE
aiguës. Ajoutons que MM. Brasker, Calwell, Goombe, ont constate,
mêlées à des polynucléaires, des petits cocci-gram-positifs identifiables
au diplocoque de Wiesner.
Quant à la tension céphalo-rachidienne, M Boveri à récemment
montré que dans 50 p. 100 des cas celle-ci était augmentée, mais dans
des proportions relativement modérées.
F. — Troubles de la sensibilité.
Si, objectivement, les troubles de la sensibilité apparaissent souvent
un peu incertains, ils n'en existent pas moins et peuvent parfois pren-
dre le pas sur les autres symptômes. Fréquentes dans les formes d'en-
céphalite caractérisées par la survenance de myoclonies, les douleurs
peuvent atteindre une intensité telle qu'elle pousse les malheureux
malades à des crises de désespoir redoutables par la tendance aux réso-
lutions extrêmes, parfois au suicide dont elles s'accompagnent. Dou-
leurs térébrantes, sensations de broiement profond, ces algies se limi-
tent souvent, soit à la moitié du corps, soit aux extrémités, soit enfin à
des territoires radiculaires et présentent tous les caractères des « dou-
leurs centrales ». Comme les algies sympathiques, elles apparaissent
et s'évanouissent sans qu'aucune cause en apparence soit intervenue et,
à l'exemple de celles-ci, elles peuvent s'associer à des phénomènes de
répercussivité étudiés à nouveau par M. A. Thomas. Chez une de nos
malades, par exemple, l'imminence de la crise douloureuse était an-
noncée par l'apparition d'une sensation pénible Hmitée à une cicatrice
delà cuisse, vestige d'un abcès de fixation.
Des algies nous devons rapprocher les paresthésies, les dysesthésies
curieuses dont se plaignent parfois les malades atteints d'encéphalite :
sensations bizarres de sable dans les mains, de fourmillements, d'en-
gourdissement, sensations parfois si étranges que le sujet ne peut les
définir ni même les comparer avec une autre sensation connue. Avec
M. H. Collin nous avons observé, dans plusieurs faits, la survenance
d'un prurit excessif généralisé à tout le corps et, selon toute apparence
plus accentué dans les régions pileuses ; à tel degré que nous avons vu
plusieurs sujets la poitrine labourée de coups d'ongles et de grattages
furieux, les aisselles et la région pubienne littéralement épilées en rai-
son des démangeaisons dont ces légions étaient le siège.
Je vous rappellerai aussi 1rs quelques faits observés en particulier
par M. Sainton et dans lesquels l'encéphalite s'est accompagnée d h\-
peralgésie extrême et généralisée. Vn simple frôlement sullit dans les
cas de ce genre pour déterminer une violente réaction douloureuse.
L'ENCÉPHALITE LÉTHARGIQUE 185
Ce phénomène me paraît intéressant à relever non seulement au point de
vue sémiologique mais aussi à cause de sa parenté clinique avec le
signe Kérandel de la maladie du sommeil des nègres.
G. — Réflectivité.
Les réflexes cutanés sont assez variables, souvent affaiblis, quelque-
fois abolis ; le réflexe plantaire s'effectue dans de nombreux cas en
extension et le signe de Babinski peut être le seul témoin de l'atteinte
de la voie pyramidale (Widal).
Pour ce qui est des réflexes tendineux, dans les formes de moyenne
intensité, ils sont le plus souvent légèrement exaltés, d'autres fois
affaiblis ou suspendus. Tout de même que pour les symptômes d'ordre
moteur, la caractéristique des modifications des réflexes est d'être
essentiellement variables et changeants. (Guillain.)
H. — Sphincters.
Les troubles sphinctériens ne sont point exceptionnels dans l'encé-
phalite épidémique, mais ils apparaissent surtout dans les formes
sévères, où l'hypersomnie se prolonge, devient de plusen plus profonde
et aboutit au coma.
I. — Système nerveux de la vie organique. — Symptômes sym-
palhicotoniques. — Les manifestations indiquant un état d'éréthisme
du sympathique sont beaucoup plus fréquentes que celles que l'on
peut rapporter à la vagotonie. Les phénomènes sympathicotoniques
consistent en hyperidrose généralisée (Nonne) ou localisée à la face
(Kennedy, Khoury, Crebbels, Russel), en poussées de rougeur subite en
alternatives de vasodilatation et de vasoconstriction, en exophtalmie
(Eisenlohr en tachycardie, en kyperthermie (Economo), en polyurie
(4 litres 1/2 à 5 litres 1/2 en 24 heures). (Dopter, Briand et Rouquier,
Lapporte et Rouzaud) en ghcosurie avec hyperglycémie (Economo).
J. — Symptômes vagotoniques.
Le plus important est la sialorrhée sur laquelle M. Netter a insisté,
sialorrhée accompagnée de gonflement des parotides et de modifica-
tions histologiques des glandes salivaires. Nous signalerons sans nous
y arrêter, bien que la question mérite une longue étude, les spasmes de
l'intestin, que M. Massaria pu observer dans cinq cas et qui conduisi-
rent dans un fait à une intervention chirurgicale. Celle-ci montra un
intestin contracté et pâle en plusieurs régions. Nous avons nous-même
186 J. I.ll il; \l l l l E
avec notre confrère Aguinet, observé un l'ail du même ordre, chez une
malade que nous suivions depuis plus de six mois. Dans ce cas, l'en-
céphalite débuta par des phénomènes abdominaux qui (iront pensera
une appendicite pour laquelle la malade fut opérée ; plus tard, appa-
rurent la diplopic, l'amblyopie transitoire, les secousses mvoclo-
niques.
Réflexe oculo-eardioque. — L'étude du réflexe de Dagrini-Aschner
ne fournit guère d'indications sur l'état des fonctions sympathiques ou
autonomes. Selon M. Litvack, ce réflexe serait d'autant plus net que
l'hypersomnie serait plus prononcée ; pour MM. P. Marie et Bouttier,
M. Achard, il serait souvent aboli à la période d'état et tardivement
exagéré sans que ces modifications commandent aucun pronostic
fâcheux.
K. — Symptômes généraux.
Certains indiquent le retentissement de l'infection sur divers appa-
reils, d'autres ne sont que l'accompagnement obligé de toute pyrexie.
Aux premiers se rattachent l'angine du début, les poussées d'arthrite,
la synovite (Claude et Dufour), la splénomégalie, l'herpès labial ou
facial (Economo), le purpura : aux seconds l'état saburral des voies
digostives, la constipation, l'anorexie, l'asthénie.
L. — Réactions humorales et sanguines.
L'étude du sang montre, dans la règle, une hyperleucocytose avec
polynucléose ; l'éosinophilie apparaît au moment de la convalescence.
Selon MM. Laporte et Rouzaud, le sérum sanguin contiendrait une
quantité anormale d'azote, de glucose et de cholestérine complètement
indépendante de la rétention rénale.
De nombreuses tentatives furent faites dans le but de trouver dans le
sang, le germe de l'encéphalite, mais tous ces essais furent vains et
constamment les hémocultures demeurèrent négatives. Ajoutons que
la réaction de Bordet-Wassermann est toujours négative dans les cas
purs d'encéphalite léthargique ; lorsque la réaction est positive, elle
témoigne d'une imprégnation syphilitique, mais n'indique nullement
que le virus spécifique soit en action sur le système nerveux et n'exclut
pas l'hypothèse d'une encéphalite épidémique légitime.
FORMES CLINIQUES
A. — Forme foudroyante sidérante, hypertoxiquc.
Très bien vue par ('.. Economo cette variété de l'encéphalite léthar-
gique n'a fait en France qu'une apparition tardive pendant l'hiver
L'ENCÉPHALITE LÉTHARGIQUE 187
1919-1920 et nous avons pu en voir plusieurs exemples caractéristiques
avec M. H. Colin à l'asile de Villejuif. Le tableau clinique qui en est
l'expression est des plus saisissants et laisse à tous ceux qui en ont été
les témoins une impression très pénible, exagérée encore par l'impuis-
sance de nos moyens thérapeutiques.
Le début en est brutal et l'invasion soudaine marquée par une réaction
fébrile ; puis surviennent les troubles psychiques à type d'excitation
psychomotrice. Non seulement la léthargie fait défaut mais l'insomnie
est fréquente ; à cette époque l'on observe souvent une inégalité pupil-
laire accompagnée parfois de modifications légères de la réflectivité
irienne.
Puis rapidement, l'agitation du malade augmente d'intensité, le dés-
ordre des mouvements et de l'esprit est complet. En proie à un délire
extrêmement actif, les malades sont plongés, le jour comme la nuit,
dans un état d'agitation extrême. Bien souvent les moyens de conten-
tion doivent être employés pour protéger et l'entourage du sujet et
celui-ci lui-même contre les excès de sa fureur. Sans cesse le malade se
retourne sur sa couche, enlève ses couvertures, quelquefois les lacère.
Son visage vultueux et, dans certains cas, semé de vésicules d'herpès
exprime la terreur ou la colère ; les mâchoires serrées grincent, enfin
les membres sont dans une perpétuelle agitation. Comme je vous l'ai
déjà indiqué, il est de tels malades qui poursuivis de sensations in-
tenses de prurit se griffent, se labourent littéralement les téguments du
thorax et s'arrachent les poils des aisselles et du pubis.
Au bout de quelques jours, la température toujours très élevée et
oscillant entre 39° et 40° s'abaisse légèrement, le délire est moins actif,
la somnolence apparaît, somnolence de mauvais aloi car elle pi'élude à
l'apparition du coma terminal. Le pronostic de cette forme foudroyante
est, en effet, des plus graves, et, dans l'immense majorité des cas, la ma-
ladie se termine en quelques jours par la mort.
B. — Formes prolongées.
Bien que celles-ci aient probablement existé de tout temps, il faut
reconnaître que c'est grâce à l'étude des dernières épidémies que nous
en connaissons aujourd'hui les principaux caractères.
Il n'entre pas, Messieurs, dans ma pensée de les passer toutes en
revue, le temps ne le permet pas, et d'ailleurs dans une très prochaine
conférence M. Souques vous parlera longuement des formes prolongées
de l'encéphalite léthargique à type parkinsonien et catatonique. Je
désire seulement m'arrêter sur les manifestations si particulières de
188 ,/. LUE RM I TTE
certaines formes de la maladie, manifestations qui ont été décrites
dans tous leurs détails par M. Pierre Marie et MIU' Gabrielle Lévy sous
les termes de syndrome excito-moteur tardif. Survenant soit connue
manifestation primitive et prolongée de l'infection encéphalitique, soit
à titre de manifestation tardive et traînante de la maladie, le syndrome
de Pierre Marie et G. Lévy se caractérise non seulement par des trou-
bles très particuliers des mouvements volontaires et l'apparition de
mouvements spontanés involontaires, mais encore par une série de
petits signes contingents mais dont l'association ne laisse pas d'être
significative.
Parmi ces derniers je relèverai, à la phase de début, la raideur dou-
loureuse de la nuque, le trismus accompagné de grincements de dents,
les spasmes faciaux, la sialorrhée, les sensations de constriction pbarvn-
goglottiques, les bâillements avec pandiculations, le hoquet, les vomis-
sements ; puis, à une phase plus tardive, les poussées fluxionnaires
dans les articulations, les algies à type musculaire ou névritique,
l'hyperalgésie cutanée.
L'une des formes les plus instructives du syndrome excito-moteur de
P. Marie et J. Lévy est, sans conteste, la forme choréique. Limitée à
un seul côté ou généralisée, l'agitation choréique s'apparente bien avec
le désordre musculaire de la chorée de Sydenham ; cependant cette
agitation y apparaît moins désordonnée et répond à un cycle morpho-
logique rythmique, lequel se renouvelle sensiblement identique. Dans
certains cas, le désordre musculaire représente la forme classique de
chorée salutante rythmique.
Voici deux malades hospitalisés à la Salpêtrière dans le service de
M. le Professeur P. Marie et dont les observations très complètes m'ont
été très obligeamment communiquées par Mlle Gabrielle Lévy et qui
témoignent mieux que toute description des caractères très spéciaux
dont s'entoure l'agitation choréi forme.
Le premier sujet, homme de 2i) ans, a été frappé en janvier \\Y20
d'encéphalite léthargique à forme insomnique puis léthargique. L'épi-
sode aigu dura deux mois. Tout semblait terminé lorsque, en mars 1920,
apparurent des mouvements spontanés involontaires dans le bras et la
jambe gauches à type de chorée.
Comme vous le voyez, cette agitation musculaire persiste aujour-
d'hui avec une grande intensité maigre le temps écoulé ( 15 mois ) depuis
son éclosion. J'ajoute que cette gesticulation choréique continue et
rythmique s'est accompagnée pendant un an d'insomnie complète.
Chez cette autre malade âgée de 30 ans, le début de la maladie remonte
L'ENCÉPHALITE LÉTHARGIQUE 189-
au mois de décembre 1919 et fut caractérisé par de la céphalée, de la
diplopie et une somnolence si prononcée qu'il lui arrivait de s'endor-
mir en marchant. En février 1920, survinrent des mouvements involon-
taires dans la jambe gauche puis le pied droit, en même temps que
s'installait 1 insomnie.
Après différents incidents, une amélioration survint, mais actuelle-
ment, cette malade présente encore des mouvements choréiques
rythmés auxquels participent les muscles de l'hémi-face gauche et le
membre supérieur homo-latéral. J'ajoute que dans le quadriceps gauche
sont apparues des secousses myocloniques, lesquelles ont été très net-
tement calmées par le bromhydrate de cicutine tandis que les mouve-
ments choréiques n'ont été nullement influencés par cette médication.
Le désordre musculaire à forme d'oscillations bradycinétiques s'op-
pose au précédent. Il ne s'agit plus ici de mouvements choréiformes
mais de déplacements d'un ou de plusieurs membres lents, réguliers,
rythmiques. A l'exemple des paralysies qui. nous l'avons montré, peu-
vent être migratrices, ces phénomènes bradycinétiques peuvent dispa-
raître dans les membres primitivement atteints pour envahir les mem-
bres jusque-là épargnés.
Le temps n'est pas encore venu qui nous autorise à préjuger l'avenir
réservé aux sujets qui ont été frappés par le syndrome excito-moteur
dont je viens de vous rappeler les traits les plus significatifs ; mais
nous connaissons malheureusement trop les rechutes auxquelles
demeurent exposés les encéphalitiques incomplètement guéris pour ne
pas faire à propos du pronostic des mouvements involontaires rythmi-
ques ou désordonnés des encéphalitiques les plus grandes réserves.
La forme pseudo-bulbaire de l'encéphalite léthargique apparaît jus-
qu'ici comme une exceptionnelle rareté, et si je vous la signale d'après
les descriptions anatomiques qu'en a donné Economo, c'est qu'elle est le
meilleur témoignage de la plasticité symptomatique de la maladie capa-
ble de déterminer, dans le même temps, chez deux sujets soit un syn-
drome choréique. soit un syndrome de pseudo-paralysie bulbaire.
Avant d'en terminer avec l'étude des formes prolongées de l'encé-
phalite, je ne puis résister au désir de vous dire deux mots au sujet des
formes chroniques avec hyperthermie, car elles sont, autant que j'en
peux juger, beaucoup moins connues. La fièvre est, vous le savez, une
manifestation très fréquente et à laquelle bien peu de sujets échappent,
mais assez rapidement le pouls reprend sa cadence normale et en même
temps que la température s'abaisse au voisinage du niveau physiolo-
gique. Dans certains cas, malgré l'amélioration évidente de l'état gêné-
[90 ./. LHERMITTE
rai et la sédation dos troubles du système nerveux, la température
demeure obstinément fixée à un niveau plus ou moins élevé mais tou-
jours au-dessus du niveau physiologique. Nous suivons depuis près de
deux ans une malade qui, à la suite d'une encéphalite à l'orme algo-cho-
réique, conserve malgré tous les traitements une température qui oscille
entre 38,5 et 39,5, atteignant parfois 40°. Il n'est pas besoin d'ajouter que
dans les laits de cet ordre les investigations les plus poussées ne lais-
sent jamais découvrir la moindre apparence d'un foyer infectieux. Cette
hyperthermie nous apparaît avec la plus claire évidence comme d'ori-
gine centrale et en rapport avec les lésions causées dans la région du
ventricule moyen et la région hypolhalamique par le virus de L'encé-
phalite léthargique.
C. Formes spinales de Vencéphalite épidémique.
A la vérité les termes que nous employons ici jurent d'être associés ;
c'est (pie, moins bien que la maladie, en effet, le langage médical se prête
à de semblables adaptations. Quoi qu'il en soit, au reste, l'essentiel
n'est-il pas de s'entendre ? Par formes spéciales ou formes basses,
(Bériel) nous comprenons les syndromes provoqués par la localisation
sur la moelle épinière et le bulbe rachidien de l'agent pathogène de l'en-
céphalite. Ainsi que nous l'ont appris les récentes manifestations épidé-
miques de l'encéphalite, les syndromes spinaux peuvent revêtir des
types très variés. Tantôt la maladie s'affirme par la survenance d'une
hémiplégie ou d'une monoplégie, tantôt son expression la plus saisis-
sante consiste dans les myoclonies accompagnées ou non de douleurs
souvent à type radiculaire. A ce propos, je ne puis (pie vous rappeler
ces clonies limitées soit au diaphragme, soit aux muscles de l'abdomen
(Reilly), soit au complexus musculaire phréno-glottique, soit enfin à la
musculature des membres, très complètement étudiées par M. Sicard et
qui peuvent être rapprochées de cette variété de chorée décrite en 1846
parDubini sous les ternies de chorée électrique.
De même (pie dans ces localisations encéphaliques, le virus de la
maladie peut manifester dans la moelle une vitalité persistante et don-
ner lieu à des formes prolongées parmi lesquelles la forme amyotrophi-
que étudiée récemment par M. StiefFer, M. Froment, est peut-être la
plus saisissante.
AIMATOMIE PATHOLOGIQUE
Les modifications que Ion peut reconnaître à l'examen microsco-
pique, encore qu'intéressantes, ne nous renseignent qu'assez incomplète-
L'ENCÉPHALITE LÉTHARGIQUE l'Jl
ment sur les altérations réelles que fait apparaître l'étude histologique.
En général, ce qui frappe, c'est l'état congestif de l'encéphale tout entier,
y compris les circonvolutions cérébrales. Celles-ci ont pris une teinte
livide ou hortensia, sur laquelle tranchent, de-ci de-là, quelques taches
plus sombres d'hémorragie miliaire. Parfois, les méninges participent
au processus phlegmasique et les lepto-méninges peuvent même prendre
l'apparence opalescente qui caractérise les inflammations méningées.
Mais les lésions caractéristiques de l'encéphalite ne se révèlent vrai-
ment qu'à la section du tronc cérébral. Sur la coupe des pédoncules
cérébraux (mésocéphale), la région de la calotte, intermédiaire entre le
pied du pédoncule et de la région tubercules quadrijumeaux, apparaît
piquetée de plaques rouges, irrégulièrement découpées, témoignages
de l'irruption du sang hors des vaisseaux. Ce piqueté hémorragique se
poursuit, d'une part, vers les ganglions centraux (couche optique et
corps strié), vers la protubérance et le bulbe rachidien d'autre part.
Etude microscopique .
Dans d'assez nombreux cas, mais non dans tous, les lepto-méninges et
surtout la pie-mère présentent d'indiscutables lésions ; non seulement
tout l'appareil vasculaire se montre dilaté à l'extrême, parfois jusqu'à
la rupture de capillaires, mais les vaisseaux sont entourés de manchons
<le cellules diapédésées ou multipliées in situ sur la nature desquelles
nous reviendrons.
Les lésions essentielles, celles qui sont à la base du critérium ana-
tomiquedela maladie, siègent, ainsi que permettait de le prévoir l'exa-
men à l'œil nu, dans le mésocéphale et toute la région juxta-épendy-
maire (IIIe et IVe ventricules, aqueduc de Sylvius). Ici, trois lésions
élémentaires sont à considérer : l'infdtration péri-vasculaire, les nodu-
les infectieux indépendants des vaisseaux, les phénomènes de régres-
sion et de destruction des cellules nerveuses.
1° Les infiltrations périvasculaires .
Elles ne font jamais défaut dans la substance grise du mésocéphale.
Dans les gaines dilatées de Virchow-Robin qui entourent de toutes
parts la tunique musculaire des vaisseaux, s'accumulent une série d'élé-
ments qui ont été analysés avec une minutieuse précision par MM. Eco-
nome, Marinesco, Pierre Marie et Trétiakoff, Bériel en particulier.
Les plus nombreux sont les éléments mononucléaires à type de lym-
phocyte, c'est-à-dire à noyau foncé serti d'une très mince bordure pro-
192 ./. LHERMITTE
toplasma tique, d'autres sont 1rs plasmocytes (cellules plasmatiques
d'Unna) reconnaissables à leur noyau en rayon de roue et à leur proto-
plasme basophile, d'autres des cellules plus volumineuses à noyau clair,
semé de granulations de chromatine et entouré d'un protoplasme aux
contours irréguliers: les polybfestes, d'autres enfin des polynucléaires
neutrophiles. Dans les cas à évolution assez prolongée, apparaissent,
mêlées aux. éléments précédents, des cellules chargées de granulations
graisseuses, les corps granuleux de Glûge, témoins de la destruction
du parenchyme nerveux. Tous ces éléments forment ainsi un manchon
plus ou moins épais, lequel dissocie la gaine adventitielle et l'infiltré en
la dissociant en lames feuilletées.
L'origine de ces cellules ne semble pas être univoque ; et si certaines
comme les polynucléaires sont issues manifestement du torrent circula-
toire par diapédèse, les lymphocytes, les plasmocytes paraissent, pour
une grande part, nées sur place aux dépens du tissu conjonctif enflam-
mé. Quant aux polyblastes, cette dernière origine peut seule leur être
attribuée.
Nombre de vaisseaux qui présentent ou non cette infiltration cellu-
laire de leur adventice ont celle-ci remplie d'hématies extravasées. On
pourrait supposer, à priori, que cette issue des globules rouges est en
rapport avec la rupture plus ou moins large des parois vasculaires, mais
il semble que celle-ci ne soit point obligée.
C. Economo, qui a étudié ce point particulier, a montré, en effet, que
l'extravasation des hématies pouvait s'effectuer exclusivement par le
processus de diapédèse. Cet auteur a fait remarquer, en outre, que les
infiltrations périvasculaires si apparentes dans la substance grise, ces-
saient brusquement lorsque les vaisseaux abordaient la substance
blanche, ce qui indiquerait l'électivité du processus de l'encéphalite
pour les centres gris. En réalité, cette opinion défendue par Economo
est trop exclusive et l'on peut voir des lésions vasculaires inflammatoi-
res en pleine substance blanche comme, par exemple, dans le pied du
pédoncule, mais il est certain que les modifications de la charpente
conjonctivo-vasculaire sont beaucoup plus marquées dans la substance
grise.
Plusieurs histologistes avaient relevé l'existence île thromboses vei-
neuses coexistant avec les lésions que nous venons de rappeler ; mais,
tout récemment, M. V. Monakow y a de nouveau insisté, et cet auteur y
attache une importance toute particulière.
Pour le neurologiste île Zurich, l'oblitération des veines ne si- limi-
terait pas à l'intérieur du mésocéphale, mais frapperait aussi les gros
L'ENCÉPHALITE LÉTHARGIQUE 193
troncs qui forment le polygone veineux de la base de l'encéphale. L'o-
blitération thrombosique des branches de ce dernier et des collatérales
qui s'y abouchent retentirait, par l'obstacle qu'elle apporte au retour du
sang, sur la nutrition des éléments du mésocéphale et tiendrait ainsi
un grand rôle dans le déterminisme des symptômes morbides.
2° Les foyers infectieux indépendants des vaisseaux.
Il est assez fréquent que les éléments cellulaires infiltrés dans les
parois des vaisseaux ne s'y cantonnent pas strictement et débordent
dans le parenchyme nerveux en y émigrant. Mais, en dehors de ces
foyers extensifs d'origine vasculaire, il en est d'autres qui sont complè-
tement indépendants de toute connexion vasculaire. Ces foyers sont
formés par l'accumulation dans la substance grise du mésocéphale des
ganglions basilaires (thalamus et corps strié) de la protubérance et du
bulbe parfois, d'éléments identiques à ceux qui dissocient les parois
vasculaires. C'est-à-dire qu'on y trouve, mêlés en proportions variées,
des lymphocytes, des polyblastes au noyau réniforme, des cellules plas-
matiques. De plus, puisqu'il s'agit de nodules inflammatoires, on y
constate des éléments traduisant la réaction du tissu nerveux, c'est-à-
dire des cellules névrogliques à type amiboïde. M. Economo a signalé,
en outre, la présence de nodules infectieux, différents des précédents et
constitués par l'accumulation de polynucléaires formant ainsi un
véritable abcès en miniature.
3° La neuronophagie.
Si, dans un grand nombre de cas, les cellules nerveuses, situées au
sein de la substance grise traversée par de nombreux vaisseaux infiltrés
d'éléments cellulaires, n'apparaissent que peu altérées et présentent
seulement des modifications de leur structure protoplasmique, il n'en
va pas toujours ainsi, et parfois les lésions dont elles sont atteintes
sont delà plus haute gravité, puisqu'elles aboutissent à la destruction
complète de la cellule et à sa phagocytose. C'est à de telles lésions que
s'applique le terme de neuronophagie ou de « neurocytophagie ».
Réduites de volume, largement échancrées par les éléments qui les
pressent, les cellules nerveuses apparaissent difficilement reconnais-
sablés, recouvertes souvent d'un amas cellulaire. Celui-ci comprend
des cellules névrogliques satellites, des cellules névrogliques amiboïdes,
des polyblastes et parfois des polynucléaires.
COKFER. NBDROL. 13
[94 J. l.lli:n VI 1 1 1
Topographie des lésions.
Ainsi que nous l'avons indiqué plus haut, c'est incontestablement
dans la région mésocéphalique juxta-sylvienne que se montrent à leur
maximum les lésions inflammatoires de l'encéphalite épidémique. Selon
MM. Pierre Marie et Trétiakoff, le locus niger constituerait de tout le
mésocéphale, la zone où se concentreraient avec le plus de constance
et d'intensité, les méfaits anatomiques de l'encéphale. Indiscutable
pour un très grand nombre de faits, la règle établie par ces auteurs
demande, croyons-nous, quelque tempérament. En effet, il existe des
cas, et nous en avons personnellement observé dans lesquels, si le
locus niger est intéressé, il l'est beaucoup moins que la région de la
calotte pédonculaire. Lorsque le locus niger est gravement lésé, ses
éléments subissent la transformation hyaline ; les grains de pigments,
dont, à l'état normal, les cellules de cette région sont bourrées, dispa-
raissent par phagocytose. Parfois ces éléments subissent la dégénéres-
cence graisseuse. MM ,P. Marie et Trétiakoff, dans d'importants tra-
vaux, ont montre* que les cellules des noyaux des oculo-moteurs pou-
vaient, elles aussi, subir le processus de la phagocytose et être, en
grande partie, complètement résorbées C'est à ces lésions nucléaires
que très vraisemblablement doit être rapportée la dégénération wallé-
rienne des libres radiculaires du moteur oculaire commun constatée
par MM. P. Marie et Trétiakoff.
Il est dans le système nerveux central un amis de cellules dont la
pigmentation est très analogue à celle du locus uiç/cr, le locus coc-uleus
situé au voisinage des noyaux de l'abducens. D'après MM. P. Marie
et Trétiakoff le locus coeruleus serait sensiblement respecté. Dans
deux cas d'encéphalite typique, nous avons observé au contraire des
lésions extrêmement accusées de ces noyaux pigmentés, lésions en tout
semblables à celles du locus niger . Dans le mésocéphale. les lésions ne
se bornent pas à l'appareil vasculo-conjonctif, aux cellules nerveuses et
névrogliques, mais elles frappent aussi les cylindres-axes MM P. Marie
et Trétiakoff ont, en effet, décrit les altérations fines îles fibrilles ner-
veuses ; boules de trajet, boules avec appareil réticulé à l'extrémité
des libres rompues.
Dans le rhombencéphale, les lésions les plus saisissantes consistent
dans la neuronophagie et l'infiltration vasculaire.
Il en est de même pour ce qui esl des ganglions centraux cl particu-
lièrement de la couche optique Le cervelet montre, tout au contraire,
une résistance considérable à l'extension du processus morbide. Dans
l'immense majorité des cas, cet organe ne laisse reconnaître aucune
L'ENCÉPHALITE LÉTHARGIQUE 195
lésion. Cependant nous devons ajouter que M. Economo a retrouvé,
dans un cas, un foyer inflammatoire siégeant dans un noyau dentelé.
L'étude des épidémies les plus récentes a montré que les lésions de
l'encéphalite pouvaient ne pas se limiter à l'encéphale et frapper la
moelle épinière elle-même. MM. Souques et Bertrand, Harvier,
Bériel surtout, auquel nous devons une très intéressante étude sur les
« formes hasses » de la maladie, ont montré que les lésions de même
type que celles de l'encéphale s'accusaient surtout sur les cornes posté-
rieures, les méninges et parfois les ganglions rachidiens. Ceux-ci sont
le siège d'une infiltration de cellules mononucléaires, analogue à celle
qui caractérise le zona.
Nos connaissances relatives aux modifications dont le système sym-
pathique peut être le siège sont beaucoup plus rudimentaires. M. Guido
Sala a cependant fait voir que le ganglion ciliaire pouvait ne pas être
ménagé. Les cellules qui le constituent ont perdu leur réticulum neuro-
fibrillaire et leur cytoplasme est bourré de granulations lipoïdes,
témoins indiscutables d'une dégénérescence protoplasmique.
PHYSIOLOGIE PATHOLOGIQUE
La topographie des lésions de l'encéphalite épidémique, leur diffusion
parfois extrême, la marche serpigineuse du processus rendent un
compte exact de la symptomatologie de l'affection, de la richesse de ses
manifestations, ainsi que de leur allure souvent déconcertante. Sans
chercher à donner ici la raison de tous les phénomènes cliniques,
auxquels peut donner lieu le développement de l'encéphalite nous
voudrions montrer comment peuvent être expliquées les principales
manifestations de la maladie, celles précisément dont la physiologie
pathologique présente le plus d'intérêt.
Et d'abord des troubles oculaires. Ceux ci, nous l'avons montré, sont
de différents ordres et, si certaines paralysies peuvent être rangées
dans le groupe des paralysies nucléaires, il en est d'autres dont la
pathogénie apparaît plus complexe. Ce sont celles qui portent non pas
sur des muscles isolés, mais sur une fonction et que l'on désigne,
depuis les travaux de Parinaud et Sauvineau, par les termes de para-
lysie supra-nucléaire.
Les altérations que nombre d'anatomistes ont retrouvées dans les
noyaux des oculo-moteurs et dans les fibres radiculaires qui en déri-
vent, sont assez explicatives par elles-mêmes pour n'avoir pas besoin
de commentaire. Bornant leur atteinte au cytoplasme des cellules
nucléaires, ces altérations régressives et curables donnent la raison de
196 ./. LHER M I TTE
l'évolution de ces paralysies « nucléaires ». Mais s'agit-il toujours, dans
les faits qualifiés de paralysies supra nucléaires, d'authentiques para-
lysies de cet ordre, c'est-à-dire de paralysies conditionnées par l'atteinte
des Faisceaux cortico-nucléaires ou des centres dits supranucléaires,
à supposer (pie ces derniers puissent être parfaitement identifiés ? Tel
est le problème qui se pose en premier lieu. Il ne nous le semble pas ;
et nombre de paralysies « associées » ou « complexes » nous paraissent
devoir être comprises moins comme des paralysies supranucléaires
que comme des paralysies « internucléaires ». Parce ternie, il faut
entendre les troubles de la motilité extrinsèque dont la raison anato-
mique est à chercher dans les importants faisceaux d'union et d'asso-
ciation des noyaux oculo-moteurs (IIIe, VIe, V paires).
Les plus importants de ces faisceaux sont d'une part, le faisceau
longitudinal postérieur dont les libres issues du noyau de Deiters et
du noyau de Darksehtewich se groupent pour former l'épaisse ban-
delette qui flanque la face ventrale des noyaux oculo-moteurs et,
d'autre part, le faisceau longitudinal dorsal de Schùtz qui, plus mince,
court à la face dorsale de ces noyaux. Or, nous l'avons vu, le
processus de l'encéplialite atteint le plus souvent son maximum
d'intensité dans la région juxa-sylvienne, point de passage des fais-
ceaux que nous venons de mentionner. L'atteinte de ceux-ci, soit par
le processus inflammatoire, soit par l'œdème, doit provoquer, de
toute évidence, des perturbations profondes dans la statique et la
djnamique des globes oculaires, perturbations qui rendent parfaite-
Inent compte des paralysies associées complexes si souvent obser-
vées.
Trouble fonctionnel des faisceaux d'association internucléaire déter-
minant des perturbations variables et capricieuses de la synergie
des muscles extrinsèques, telle nous paraît être, en dernière analyse,
le mécanisme anatoinique d'un grand nombre de paralysies associées.
Mais, si nous disons d'un grand nombre, c'est que nous ne pensons
pas que toutes ces paralysies trouvent dans ce mécanisme pbysio-
patbologique une explication suffisante. 11 ne luirait pas douteux, en
effet, qu'il existe, au coins de l'encéphalite épidémique, de très
authentiques paralysies de fonction. Nous n'en voulons pour preuves
que les faits dûment constatés de déviation conjuguée des \eux.
Pour celles-ci, il est indispensable d'admettre soit une atteinte des
faisceaux oculogyres, soit une lésion de leurs centres corticaux. A
l'heure actuelle, les documents anatomiques nous font défaut pour
préciser l'une ou l'autre de ces déterminations du processus eneé-
L'ENCÉPHALITE LÉTHARGIQUE 197
phalitique. Celles-ci ne sauraient d'ailleurs être exclusives en raison
de la diffusion des lésions de l'encéphalite, lesquelles, nous l'avons
montré, ne ménagent point le cortex cérébral.
Bien que l'accord ne soit pas fait au sujet de la délimitation des
centres photo-moteurs et accommodateurs qui commandent la moti-
lité du muscle ciliaire et du sphinctérien, il semble toutefois que
la situation de ces derniers est très proche des noyaux de la 3e paire.
Certains anatomistes, à l'exemple d'Edinger, de Muller (1920), peu-
vent même être comptés parmi les tenants de l'ancienne théorie selon
laquelle les fibres du système autonome de la 3e paire reconnaissent
leur origine dans les noyaux à petites cellules décrits par Edinger
et Westphal.
Quoi qu'il en soit de ce dernier point, il n'est pas contestable que
la proximité des centres du sphincter de l'iris, du muscle ciliaire
et des noyaux oculo-moteurs explique clairement l'association fré-
quente des paralysies oculaires extrinsèques avec la perte du mouve-
ment associé de l'iris à l'accommodation-convergence ou la pa-
résie, ou la paralysie de l'accommodation.
La dissociation des troubles de la motilité ciliaire (accommoda-
tion) et de la motilité irienne montre combien le processus anato-
mique de l'encéphalite peut localiser ses effets à un groupe cellu-
laire ou à plusieurs groupes cellulaires pour lesquels il manifeste une
si frappante affinité. Le centre de l'accommodation peut être rangé
au premier rang de ces derniers.
Nous l'avons indiqué, il semble bien, à la lecture de nombreux
travaux, que le signe de Robertson authentique puisse, à titre épi-
sodique, apparaître au cours de l'encéphalite léthargique. Il ne nous
est pas possible de tenter ici un essai d'interprétation complète de
ce phénomène qui a déjà suscité tant de recherches et a soulevé
tant de discussions passionnées. Nous ferons remarquer seulement
que, au moins dans certains cas, l'altération du tractus optique (neri
optique, bandelette, centre quadrigéminal) peut, à elle seule, rendre
compte de l'abolition du réflexe photo-moteur contrastant avec la
conservation de la contractilité irienne à l'accommodation et à la
convergence. Le fait que, dans les cas de ce genre, les perceptions
lumineuses ne sont pas abolies ne saurait, croyons-nous, être tenu
pour un argument décisif, car l'étude de la réflectivité en général
montre que, très souvent, les contractions musculaires dites réflexes
sont abolies alors qu'on ne relève aucun trouble des perceptions.
M. Guido Sala, admettant la théorie de Marina si brillamment
198 J. l in i:\ii i i /
défendue par M. Lafont, pense que les lésions qu'il a découvertes
dans les ganglions ciliaires expliquent l'apparition du signe de
Robertson dans l'encéphalite épidémique. Le lait n'est pas impos-
sible, mais ne saurait être tenu pour démontre en raison île la
diffusion du processus morbide, sur lequel nous avons longuement
insiste. Si l'on se souvient (pie la région des tubercules quadrijumeaux
antérieurs présente parfois d'importantes lésions inllammatoires et
tpie, d'autre part, dans de suggestives expériences chez le singe,
Karplus et Kreidl ont montré (pie la division sagittale de la région
quadrigéminale était capable, à elle seule, de faire apparaître le
signe de Hobertson, le problème de la dissociation de la eontraetilité
irienne à l'accommodation-convergence et aux excitations lumineuses
(réflexe photo-moteur) ne saurait être aujourd'hui définitivement
résolu.
Il en est de même de l'hypersomnie. Cependant, depuis cpie Mauthner
a montré les relations intimes qui unissent la fonction hypnicpie
avecla fonction oculaire envisagée dans son sens le plus large, tous
les faits anatomo-eliniques concordent pour faire admettre l'existence
dans le mésocépbale ou le diencéphale (région du 3e ventricule), un
centre delà fonction hypnique. Non seulement, en effet, les processus
inllammatoires comme celui de l'encéphalite qui se déroulent dans
la région des centres oculo-moteurs, mais les processus néoplasiques
comptent parmi leurs plus saisissantes manifestations, l'hypersomnie.
Comme nous l'avons montré avec M. H. Claude, celle-ci apparaît
comme un élément fondamental du symptôme inl'undibulaire. On
sait aussi cpie les tumeurs de l'hypophyse qui conduisent au symptôme
de l'acromégalie s'accompagnent souvent d'hypersomnie, et M. Salmon
(de Florence), dans un très important travail, a défendu cette thèse
<pie l'apparition, au cours des maladies de l'encéphale, du sommeil
pathologique était lié à une exagération ou à un trouble de la sécré-
tion de l'hypophyse. Il était donc intéressant de se demander si,
d'accord avec la théorie de INI Salmon, l'encéphalite léthargique ne
comportait pas de retentissement bypopbysaire qui puisse donner la
raison de l'hypersomnie. Les recherches de MM. P. Marie et Tré-
tiakoff, en montrant dans plusieurs faits d'encéphalite avec bvper-
somnie l'intégrité de l'hypophyse, sont venus ruiner la théorie de
M. Salmon.
Les perturbations des mouvements des membres trouvent une
explication plus claire et plus simple (pie celles dont nous venons
d'étudier le mécanisme. Les monoplégies, les hémiplégies fugaces et
L'ENCÉPHALITE LÉTHARGIQUE 199
incomplètes traduisent la participation des faisceaux corticospinaux
au processus encéphalitique, les troubles de l'équilibre, l'asynergie,
l'ataxie, de la souffrance des voies cérébelleuses lésées en général
dans leur traversée mésocépbalique, la rigidité musculaire, la cata-
tonie impliquant l'atteinte du système strié tout de même que cer-
tains mouvements involontaires à type de chorée ou d'athétose.
Quant aux modifications du psychisme, elles expriment fidèlement
les modifications anatomiques que nombre d'auteurs ont constatées
dans le cortex cérébral.
MICROBIOLOGIE ET PATHOLOGIE EXPERIMENTALES
Les premiers auteurs anglais qui observèrent le début de l'épidémie
d'encéphalite léthargique pensèrent, on s'en souvient, en raison des
troubles oculaires si particuliers dont s'accompagnait cette maladie,
à une intoxication par des viandes avariées ou à la toxi-infection due
au bacillus botulinus. Mais rapidement les faits obligèrent à renoncer
à cette hypothèse.
C. Economo, le premier, constata, dans les infiltrats méningés de
l'encéphale des sujets ayant succombé à 1 encéphalite, des petites gra-
nulation^ fortement colorées et pensa que c'était peut-être là des
micro-organismes pathogènes
Pour résoudre ce problème, M. Von Wiesner, en 1917, injecta
0 ce. 2 de bouillie cérébrale et médullaire provenant de sujets morts
d'encéphalite à un singe (Macacus Rhésus). L'injection fut faite après
trépanation temporaire en évitant de léser l'encéphale. Pendant les
cinq premières heures, l'animal ne montra aucun symptôme anormal,
puis la somnolence apparut. Les jeux mi-clos, l'animal semblait
dormir, un appel le réveillait, mais aussitôt après, il retombait dans
sa torpeur. On ne relevait aucune raideur de la nuque, mais une
paresse du membre postérieur droit. La démarche était traînante.
Plus tard, survinrent des troubles de la déglutition, et, quarante-six
heures après le moment de l'inoculation, la mort survint.
A l'autopsie, M. V. Wiesner constatait une encéphalite hémorra-
gique prédominant dans la substance grise du cortex et des ganglions
basilaires, nette encore dans le myélencépbale. Des lésions inflam-
matoires étaient reconnaissables dans la moelle et les lepto-
méninges.
Dans une deuxième expérience, M. Wiesner injecta au singe de la
bouillie cérébrale préalablement filtrée sur porcelaine Berckfeld : le
résultat fut complètement négatif.
J. LHEBMITTE
L'injection dans le péritoine du cobaye de bouillie cérébrale
non filtrée produisit rapidement (après 20 h.) une péritonite hémor-
ragique.
De ces expériences, M. Wiesner conclut que le virus de l'encé-
phalite siège bien, comme on pouvait le supposer, à priori, dans
le cerveau, que ce virus appartient non pas au groupe des virus
dits filtrants, comme ceux de la grippe ou de la poliomyélite aiguë,
mais au groupe des virus non filtrants, qu'enfin ce virus s'affirme
comme nettement hémorragipare.
Recherchant, après Kconomo, l'agent figuré dans l'encéphale des
malades ayant succombé à la maladie, V. Wiesner constata l'existence
d'un diploeoque prenant le gram, de forme ovale, allongée ou arrondie,
cultivant sur bouillon glucose en anaérobie et plus lentement sur
agar glucose. Dans les coupes de l'encéphale, ce diploeoque se ren-
contrerait surtout dans les mailles œdémateuses du tissu sous-arach-
noïdien.
En raison de ses caractères morphologiques et de ses affinités tinc-
toriales, V. Wiesner proposa de la désigner du terme de diploeoque
pléomorphe gram-positif.
En 1918, étudiant dans le laboratoire de W. Mott, à Londres,
l'anatomie pathologique de l'encéphalite, M. Marinesco put facile-
ment retrouver le germe identifié par V. Wiesner ; à Marburg,
M. Fornet fit les mêmes constatations.
Poursuivant ses recherches sur le virus de l'encéphalite, V. Wiesner
injecta dans le cerveau du cercopithèque une culture pure de diplo-
streptocoque. L'animal présenta de l'asthénie accompagnée de som-
nolence et le douzième jour fut sacrifié. Dans le myélencéphale, appa-
raissaient des taches hémorragiques caractéristiques de la forme légère
de l'encéphalite épidémique.
Le virus de l'encéphalite fut cultivé en Angleterre par Sir Rose
Bradford, Bashford et Wilson, et en Amérique par MM. Israël
Strauss, Loewe, et Hirschfeld sur le milieu de Noguchi (tissus -
ascite). On ne saurait douter que les auteurs américains aient cultivé
le véritable virus de l'encéphalite, car l'injection du liquide île
culture au singe et au lapin provoque presque à coup sûr la ma-
ladie.
(les derniers auteurs montrèrent, en outre, que conformément aux
premières expériences de V. Wiesner, l'injection de bouillie cérébrale
d'un sujet ayant succombé ;'. l'encéphalite provoque, chei le singe el
je lapin, une maladie qui anatomiipieinent et cliniipiement semble
L'ENCÉPHALITE LÉTHARGIQUE 201
identique à l'encéphalite épidémique. Mais, contrairement aux expéri-
mentateurs viennois, MM. Strauss, Loewe et Hirschfeld constatèrent
que la fîltration sur bougie de porcelaine de l'émulsion d'encéphale
contaminé ne privait pas le filtrat de son pouvoir virulent.
Les auteurs américains concluent donc que le virus de l'encéphalite
épidémique analogue au virus de la grippe et de la poliomyélite est
un virus filtrant.
MM. Strauss et Loewe ne s'en tinrent pas aux résultats de ces pre-
mières expériences et recherchèrent quelle pouvait être, chez l'homme,
la porte d'entrée du virus. Et ils constatèrent ce fait capital que
l'injection au lapin du filtrat des sécrétions naso-pharyngées des
sujets atteints d'encéphalite provoquait la maladie expérimentale. Il
semble donc que nous soyons en droit de conclure que, tout de même
que le virus de la poliomyélite, le virus de l'encéphalite pénètre
dans l'organisme par la muqueuse du rhino-pharynx.
Enfin MM. Strauss et Loewe purent, par passages successifs, réa-
liser un virus fixe analogue au virus fixe de la rage.
Virus filtrant, traversant les filtres les plus fins comme la bougie
Berkfeld, il semblait que le germe de l'encéphalite défiait les objec-
tifs microscopiques les plus' puissants ; cependant, MM. Strauss et
Loewe ont pu récemment obtenir la coloration de grains ponctiformes,
diplocoques en chaînettes ou isolés mais de dimensions inférieures
à celles du diplocoque pléomorphe de V. Wiesner. Les diplocoque
de Strauss et Loewe se colorent par le bleu de Leffler et le mélange
de Giemsa.
Il eût été étrange que la découverte du germe pathogène de l'en-
céphalite léthargique ne suscitât pas des recherches en vue de la neu-
tralisation de ce virus et de l'immunisation des sujets contre cette
maladie si redoutable.
Poursuivant leurs travaux, MM. Strauss et Loewe ont pu établir
que l'adjonction de sérum de convalescent au bouillon de culture du
virus provoquait la neutralisation de celui-ci. Et, d'autre part, que
l'injection sous-durale de culture provoque, chez le macaque, une immu-
nisation active contre une dose nouvelle de virus.
Plus récemment, MM. Harvier et Levaditi, dans une série de
recherches parfaitement suivies et coordonnées, ont pu confirmer dans
leur ensemble les faits expérimentaux établis par les auteurs améri-
cains. Non seulement MM. Harvier et Levaditi purent reproduire,
■chez le lapin, l'encéphalite léthargique, mais ils réalisèrent par passage
un virus fixe auquel sont sensibles et les singes inférieurs et le
202 ./. / HERMITTE
lapin, lesquels," on le sait, né sont pas toujours réceptifs au virus
humain.
La maladie expérimentale déterminée par l'inoculation do virus fixe
semble :i\oir une fixité saisissante. Après une incubation :se prolon-
geant de 4 à 6 jours, surviennent la torpeur, des tremblements, des
myoclonies, des crises d'épilepsie, enfin le sommeil profond qui clôt la
scène morbide; le pronostic est fatal.
MM. llarvier et Levaditi concluent également de leurs recher-
ches, à la liltrabilité du virus ; cependant, ces auteurs mentionnent ce
fait intéressant que la liltration diminue l'activité de la culture. D'où
l'on peut inférer que, très vraisemblablement, une partie des germes
demeure emprisonnée dans le filtre.
Enfin MM. llarvier et Levaditi recherchant l'action des diffé-
rentes substances bactéricides sur le virus de l'encéphalite, consta-
tèrent (pie le virus mélangea la glycérine apparaissait plus actif que
le virus frais, comme si le tissu cérébral possédait une action empê-
chante relative vis-à-vis du virus.
Si l'inoculation intra-cérébrale demeure le procédé le plus sûr pour
déterminer la maladie expérimentale, ce procédé n'est pas exclusif, et
MM. Harvier et Levaditi ont démontré que l'injection du virus dans
le globe oculaire, dans les nerfs périphériques, était parfaitement suf-
fisante pour provoquer l'infection de l'animal, singe ou lapin, en expé-
rience.
Pour ce qui est de la voie nasale, les expérimentateurs français
ont observé cpie la muqueuse nasale saine constituait une solide
barrière contre l'infection, mais que si cette muqueuse était lésée on
irritée, par exemple, par une goutte d'huile de croton, elle se laissait
aisément traverser parle virus, lequel, par les voies lymphatiques, gagne
facilement les centres encéphaliques.
De tout cet ensemble de faits expérimentaux si concordants, nous
pouvons conclure, Messieurs, (pie l'encéphalite épidémiquo est une
maladie provoquée par la fixation et le développement dans les centres
nerveux cérébro-spinaux d'un virus filtrant au moins en grande partie.
virus (pie neutralise le sérum de convalescent et dont la porte d'en-
trée principale dans l'organisme humain est le carrefour rhino-pha-
ryngé
Muni de documents aussi précis sur la biologie du germe pathogène
de l'encéphalite épidémique, il est ;'i penser (pie dans un avenir pro-
chain en dériveront des sanctions thérapeutiques.
A l'heure actuelle, en effet, le traitement de l'encéphalite demeure
L'EXCÉPHALITE LÉTHARGIQUE 203
un des plus incertains, basé qu'il est sur un empirisme parfois dis-
cutable. Quel mode de traitement n'a-t-on pas essayé qui n'ait donné
en apparence quelques succès et surtout de nombreux et d'incontes-
tables échecs depuis l'abcès de fixation jusqu'aux injections intra-
veineuses de métaux colloïdaux et de composés arsenicaux ? Le médi-
cament qui nous a personnellement donné les résultats les moins
décevants est encore la formine emplojée en injections intra-vei-
neuses, ainsi que nous l'avons proposé avec M. de Saint-Martin, en
1918, associée, dans les cas graves, au drainage du liquide céphalo-
rachidien. Mais ce n'est là, nous le répétons, qu'une thérapeutique
toute provisoire, et c'est avec la plus ferme espérance que nous
attendons des recherches prochaines un traitement de l'encéphaliter
scientifique et efficace.
SEPTIÈME CONFÉRENCE
A. SOUQUES
Médecin de l'Hospice de la Salpêtrière,
Membre de l'Académie de médecine.
LÉSIONS ET CAUSES DE LA PARALYSIE AGITANTE ;
SES RAPPORTS AVEC LE SYNDROME PARKINSONIEN
POST-ENCÉPHALO-LÉTHARGIQUE
Messieurs,
Il y a un peu plus d'un siècle que Parkinson a décrit la maladie qui
porte son nom, et il y a soixante ans que CharcotetVulpian ont tracé
de là paralysie agitante une description symptomatique presque ache-
vée. Cependant, nous ignorons encore le substratum anatomique et la
cause de cette mystérieuse affection. Les recherches anatomo-patholo-
giques de ces dernières années ont pourtant tenté de résoudre l'énigme,
en essayant de localiser la lésion delà paralysie agitante au niveau des
régions striée, sous -optique et pédonculaire. D'autre part, l'épidémie
récente d'encéphalite léthargique, en créant de toutes pièce une florai-
son de syndromes parkinsoniens, a appelé l'attention sur le rôle des
infections dans l'étiologie de la paralysie agitante. Les travaux qui ont
surgi de tous les côtés me semblent avoir jeté quelques clartés sur ce
sujet. Mais l'énigme est loin d'être résolue, et la question des lésions et
des causes de la maladie de Parkinson est encore toute remplie d'obs-
curités et d'incertitudes. Je me bornerai à exposer l'état actuel de nos
connaissances sur ces deux points, et je terminerai par l'étude des rap-
ports de la paralysie agitante avec l'encéphalite dite léthargique.
Les travaux tout récents de J. Ramsay Hunt et de Trétiakofl" ayant
placé le siège de la paralysie agitante soit dans le (jlobus pallidus, soit
dans le locus niger, il est indispensable de rappeler brièvement l'anato-
miedu corps strié, ses connexions avec les organes voisins, et sa phy-
siologie.
i. soi ni i:s
Les livres classiques nous enseignent que le corps strié se divise en
deux parties : le 1101/1111 caudé el le noijau lenticulaire ; que ce dernier se
subdivise à son tour en trois segments : l'un, externe, qui forme \eputa-
nien, les deux autres, internes, qui dans leur ensemble composent le
globiispallidus. Eh bien, il Faut faire table rase de ees notions classiques.
Cette division et cette subdivision sont artificielles. En réalité, [çcorps
strié se compose de deux parties, distinctes par l'embryologie et la struc-
ture : lune, constituée par le globtis pallidus ; l'autre, par le putamen
et te iiDinm caudé réunis.
L'anatomie comparée montre (pie le globus pallidus apparaît dans la
série animale bien avant le putamen et le noyau caudé. Tandis (pie
ceux-ci n apparaissent (pie cbez les reptiles, le premier est déjà tics
développé chez les poissons. Pour celte raison, R. Hunt donne au
globus pallidus le nom de paleostrialum, et au putamen et au noyau caudé
celui de neostriatum. Ces deux termes correspondent le premier au
pallidum, le second nustriatum de (). et C. Vogt.
Distincts par l'anatomie comparée, le paleostriatum et le neostriatum
le sont encore par la structure cellulaire, comme l'ont montré les tra-
vaux de M. et M'm Dejerine, de C. et O. Vogt, de Kinnicr Wilson, de
.1. Ramsay Hunt. Le globus pallidus renferme une seule espèce de
cellules nerveuses : volumineuses, fusiformes ou multipolaires, à grand
cylindraxe, répondant au type 1 de Golgi, semblables à celles de la zone
motrice de l'écorce cérébrale et des cornes antérieures de la moelle
Le putamen et le noyau caudé renferment, au contraire, deux espèces
de cellules : les unes, de beaucoup les plus nombreuses petites, étoi*
lées ou polygonales, à court cylindraxe, répondant au type II de Golgi;
les autres, assez rares, semblables à celles du globus pallidus, appartenant
au type I de Golgi, et formant avec celles du globus pallidus le si/stéine
pallidal de R. Hunt.
LEGENDE DE IA FIGI RI
Voies tous-optique» — H, Noyau 'le Bechterew — ('.. Noyau de Cajal. Ce, Corps calleux. —
Ci Capsule interne. - C I.. Corps de Luys - C M. Commissure mode. C. O. ("en re owile.
('. O Couche optique. Cas, Cannux semi-circulaires o. Noyau de Darkewitch De
Noyau de Deiters F, Noyau de Foret. F p\ r. Faisceau pyramidal - F •' l'y. I
prépyramidal. F U s Faisceau rubru-spinal ('■ 1' Globui pallidus I. lnsui» I. N,
l.oeus Vtfer. — N C, Noyau eau le - Ne V. Nerf ve«tibulaire, N dent Noyau dentelé.
N H, Noyau 1-oune o, (Hue ri ti bulbe I'. Cellule de Purkinje !'• Protubérance.
l'ut. Putamen - li. Ruban de Reil — Tr, Trigône VL, Ventricule latéral. - Ml V
tricule l\ \ . I \ rntricule
Les faisceaux dassociation et les raisceaùi afférent et afférents sont indiqués pu des pointillés faciles
à suivre.
vus I. sol ni ES
Les petites cellules du neostriatum ou striatum forment des neurones
(l'association ; leurs courts cylindraxcs constituent des faisceaux de fibres
(|iii réunissent les cellules duputamen etdu noyau caudéàcellesduglo-
Ihin pallidus. Pour certains auteurs, pour Probst en particulier, quel-
ques-unes de ces libres traverseraient la capsule interne et se rendraient
au thalamus et à la région hypothalamique. Pour Kinnier Wilson, il
n'en serait rien; toutes s'arrêteraient au globus pallidus. En somme, le
striatum n'émet que des libres d'association qui l'unissent exclusivement
au pallidum.
Il n'en est pas de même du paleostriatum ou pallidum. Ses grandes
cellules, avec leur long eylindraxc, constituent des neurones de projec-
tion, qui forment cinq faisceaux efférents, unissant le pallidum aux
organes voisins, à savoir :
1° Le faisceau pallido thalamique, qui aboutit à la partie antéro-
interne du thalamus;
2° Le faisceau pallido- luysien, qui va au corps de Luys ;
3" Le faisceau pallido-rubrique , qui se rend au noyau rouge ;
4° Le faisceau pallido-nigrique , qui se termine dans le locus niger ;
5° Le faisceau pallido-legmentaire, spécialement étudié par O. et C.
Vogt, qui aboutit au noyau de Darkewitch.
Il est à remarquer que quelques fibres de ces divers faisceaux passent
dans les centres sous-optiques du côté opposé.
D'autre part, le corps strié dans son ensemble reçoit des fibres allé-
rentes, à savoir un faisceau afférent qui lui vient de la couche optique.
Après la destruction du thalamus, on a pu suivre, en effet, les dégé-
nérations secondaires dans le pallidum et dans le striatum
Il importe de souligner que la couche optique est le seul organe
qui envoie des fibres au corps strié. Ni le système pyramidal
(écorce motrice et faisceau moteur), ni le cervelet, ni le ruban de Reil.
ni les noyaux bypotbalamiques ne lui en envoient. Ces divers organes
n'entrent en rapport avec lui qu indirectement, par l'intermédiaire de la
couche optique etdu faisceau afférent cpie je viens de signaler. De telle
sorte que les rapports incontestables qui existent entre ces divers
organes, d'une part, et le corps strié, d'autre part, se font par 1 intermé-
diaire de ce faisceau afférent.
Ainsi le noyau caudé et leputamen sont reliés directement au globus
pallidus par les neurones d'association. D'autre part, le pallidum
directement par ses faisceaux efférents, et le striatum indirectement, par
leur intermédiaire, sont reliés à la couche optique et aux noyaux sous-
optiques, et, par ces noyaux, à la voir motrice <'.r/ni-/>;/nun/(/u/c. On
LES SYNDROMES PARKINSONIENS 309
donne ce nom à une voie découverte parvonMonakow chez les animaux
et encore mal connue chez l'homme. Elle est constituée par le faisceau
rubro-spinal qui naît du noyau rouge, passe du côté opposé par la dé-
cussation de Forel et descend jusqu'à la moelle sacrée, dans le cordon
latéral de la moelle, à côté du faisceau pyramidal.
Toutes ces connexions sont faciles à voir, sur le schéma ci-joint. Je
dois ce schéma à l'extrême obligeance de M. Ch. Chatelin qui l'a cons-
truit d'après les travaux les plus récents. Je tiens à le remercier de
m'a voir permis de le reproduire ici.
Nos connaissances sur la structure cellulaire et sur les connexions
du corps strié nous viennent et de l'histologie normale et de l'étude des
dégénérations tant pathologiques qu'expérimentales. K. Wilson, en
produisant des lésions du corps strié chez le singe, a pu étudier les dégé-
nérations secondaires et suivre les fibres dégénérées jusque dans le
thalamus et les noyaux sous-optiques, mais il n'a pu les suivre plus loin.
Du point de vue anatomique, le corps strié apparaît comme
un système complet, ayant un centre cellulaire, une voie afférente qui
vient de la couche optique et le met en rapport avec le cerveau, le cer-
velet, le faisceau sensitif, etc., et des voies efférentes qui le relient aux
organes sous-optiques et, par l'intermédiaire de ceux-ci, à la voie motrice
extra-pyramidale.
On n'a guère pu se faire une idée nette des fonctions, c'est-à-dire de la
physiologie du corps strié, que par la méthode anatomo-clinique. En
effet, sa situation profonde et l'impossibilité de l'atteindre isolé-
ment rendent contestables les conclusions tirées de l'expérimentation
seule. Au contraire, en rapprochant les lésions striées, trouvées à l'au-
topsie, des signes observés pendant la vie, on devait obtenir des données
intéressantes. En fait, la méthode anatomo-clinique a démontré la fonc-
tion motrice du corps strié. Cette fonction motrice, la structure histolo-
gique de ce corps la laissait prévoir. Nous avons vu, en effet, que le
corps strié renfermait des cellules semblables à celles de 1 ecorce motrice
cérébrale et des cornes antérieures de la moelle.
Or, Malone affirme, et cela est plus que probable, qu'à une similitude
de morphologie correspond une similitude de fonction. A l'autopsie de
malades ayant présenté, pendant la vie, des troubles moteurs : rigidité
musculaire, tremblement, chorée, athétose, on a trouvé des lésions du
corps strié. Il était logique d'en inférer que le corps strié est un centre
modérateur du tonus, et un centre inhibiteur des mouvements involon-
taires, rythmiques ou arythmiques. Ce sont bien là des fonctions motri-
ces, encore qu'elles diffèrent de la motricité volontaire qu'on a len-
CONFÉn. NBOROL. 14
vin -t. soi 01 i:s
dance, dans le langage courant, à considérer comme la seule forme du
mouvement. Outre qu'il y a des mouvements purement involontaires,
on sail que les mouvements volontaires s'accompagnent eux-mêmes de
mouvements associes, de mouvements d'ensemble, d'harmonie motrice,
qui jouent dans la vie de relation un rôle très important
Le corps strié est donc un centre moteur, ou sensitivo-moteur; par
m's libres afférentes, il reçoit des incitations du cerveau, du cervelet, de
la périphérie ; il les élabore et les renvoie transformées à la moelle et
aux muscles par l'intermédiaire de ses fibres efférentes et de la voie
motrice extra-pyramidale.
Il est vrai qu'à l'autopsie de sujets atteints, pendant leur vie.de mouve-
ments involontaires, on n'a pas toujours trouvé de lésions striées, et qu'on
a relevé, d'autre part, des altérations du corps strié chez des sujets
qui, de leur vivant, n'avaient pas présenté de troubles morbides. Ces
faits négatifs ont jeté le discrédit sur la valeur des faits positifs. Je dois
dire que certains de ces faits négatifs sont déjà anciens, et qu'ils n'ont
pas été étudiés au moyen des méthodes histologiques modernes. Pour
ce motif, je ne pense pas qu'ils puissent infirmer gravement, ni les
résultats obtenus par les méthodes les plus récentes, ni la valeur des
faits positifs.
Donc, à l'état normal, le corps strié modère le tonus musculaire et
maintient les muscles au repos, puisque, quand il est détruit, il y a
rigidité musculaire et agitation des muscles. Je me demande si on ne
pourrait pas, en synthétisant, réduire les fonctions du corps strié à un
rôle modérateur du tonus, et toutes les conséquences de sa destruction
à Yhypertonie. Celle-ci serait tonique, et se traduirait alors par une rigi-
dité musculaire permanente, ou cloiûque et, dans ce cas, engendrerait
des mouvements intermittents, rythmiques comme le tremblement, ou
arythmiques comme la choréo-athétose. Le tremblement et la choréo-
athétose pourraient être considérés comme une espèce de rigidité clo-
nique, et la rigidité musculaire permanente comme une espèce de trem-
blement tétanisé. On trouverait là la simple différence qui existe entre
le tétanos et les secousses isolées des muscles. On pourrait même faire
dépendre de l'hypertonie la perte des mouvements automatiques et
associés qu'on rencontre dans la maladie de Parkinson, et que je pré-
fère appeler la perte des mouvements d'ensemble ou de l'harmonie motrice.
,Ies:iis bien que cette perte de l'harmonie motrice peut se voir au début
de la paralysie agitante, alors que l'hypertonie ne parait pas encore
appréciable. Mais il est difficile d'apprécier le début de l'hypertonie;
celle-ci peut exister déjà et, sans être appréciable cliniquement,
LES SYNDROMES PARKINSONIENS 211
être suffisante pour diminuer ou abolir les mouvements associés.
Par quelle voie le corps strié, pour exercer sa fonction motrice, agit-
il sur les centres sous-jaeents et sur le système musculaire? Par la voie
nerveuse, évidemment. Mais ce n'est pas en empruntant la voie pyra-
midale, puisque nous avons vu qu'il n'a pas de relations avec elle. C'est
par ses neurones de projection qu'il entre en rapport avec les forma-
tions delà région sous-optique (noyau rouge, corps de Luys, locus niger,
etc.), qui d'après Malone renferment des cellules motrices, et par leur
intermédiaire avec le faisceau rubro-spinal, et, par suite, avec la moelle
et les muscles. Je dois ajouter qu'il règne dans ce chapitre de l'anato-
mie et de la physiologie de la voie motrice extra-pyramidale humaine
une grande incertitude.
II est probable qu'il y a dans le corps strié, comme dans l'écorce céré-
brale motrice, des localisations pour chaque membre et pour chaque
trouble du mouvement, et que le siège des lésions régit la distribution
de l'hypertonie et des mouvements involontaires, et détermine les
symptômes différentiels qui distinguent les syndromes striés les uns
des autres. Ramsay Hunt affirme que le paléostrié a une pathologie
différente du néostrié. La paralysie agitante dépendrait d'une lésion
des grandes cellules du système pallidal et la choréo-athétose serait
produite parla lésion des petites cellules du néostrié. Les lésions de ces
deux systèmes de cellules amèneraient la maladie de Wilson et la pseu-
do-sclérose de Westphal-Strùmpell. Ainsi le pallidum et le striatum
auraient non seulement une embryologie et une structure, mais encore
des fonctions et une pathologie différentes. Il importe de déclarer qu'il
y a encore là bien des problèmes à élucider et bien des obscurités à
dissiper. Tout cela est un peu schématique. Dans la pratique, la discri-
mination n'est pas toujours facile, certains symptômes étant communs
à plusieurs syndromes striés.
D'après Ramsay Hunt, le globus pallidus constitue le noyau moteur
du corps strié et joue, par rapport au système moteur extra- pyramidal,
un rôle identique à celui que joue le centre moteur cortical par rapport
au système pyramidal. Il exerce un contrôle sur les neurones extra-
pyramidaux. Sa destruction amènerait la paralysie agitante (hypertonie,
tremblement, perte des mouvements harmoniques).
Le corps strié est un centre moteur, mais il n'est probablement pas
le seul dans la région opto-striée. Il est vraisemblable qu'ilyen a d'autres
dans la région sous-optique. Que sont, à cet égard, le noyau rouge, le
locus niger, pour ne pas parler d'autres formations ? Nous ne sommes
pas bien fixés sur ce chapitre, et il faut s'aventurer avec prudence surle
212 A. SOUQl ES
domaine des fonctions motrices sous-corticales . Quelle est l'influence
que l'écorce cérébrale exerce sur le corps strié et sur les centres sous-
optiques? Exerce-t-elle, à l'étal normal, une influence modératrice ?
Le corps strié, libéré de cette influence, agit-il sans frein ni entraves ?
Si le corps strié et les noyaux sous-optiques sont des Centres moteurs,
ils doivent et ie aussi des centres vaso-moteurs. La fréquence des troubles
sympathiques : chaleurs, sueurs, sialorrhée, œdèmes, au cours de la
paralysie agitante, exige l'existence de centres sympathiques dans la
région, quelle qu'elle soit, où siège la lésion anatomique de cette
affection Brouver place ces centres dans le noyau caudé, Trétiakoffdans
le locus niger. Pour défendre cette hypothèse, ce dernier se fonde sur les
analogies de structure que Marinesco a signalées entre les cellules du
locus niger et celles des ganglions sympathiques
Le corps strié doit aussi être un centre émotif important. Pagano,
en excitant le noyau caudé, a pu provoquer des troubles émotifs. On
sait du reste que l'émotivité est perturbée dans les lésions du noyau
caudé et du noyau lenticulaire. Il est superflu de rappeler ici le rire et
le pleurer spasmodiques dans les paralysies pseudo-bulbaires.
Ces considérations sur l'anatomie et la physiologie du corps strié et
de la région sous-optique permettent d'aborder avec avantage l'étude
des lésions de la paralysie agitante.
On a cherché ces lésions dans les muscles. P. Blocq, ayant constaté
l'existence d'altérations musculaires dans la maladie de Parkinson, les
considéra comme spéciales, primitives, et lit de cette affection une
myopathie, voisine delà maladie de Thomsen. Or, ce sont là des
altérations inconstantes, secondaires et banales sur lesquelles il est
inutile d'insister.
De nombreux auteurs, ayant trouvé îles lésions dans les glandes endo-
crines : la thyr ïde, les para thyroïdes, en particulier, ont vu là le
substratum anatomique de la paralysie agitante et regardé celle-ci
comme la conséquence d'une intoxication endocrinienne. Un argument
thérapeutique, à savoir l'amélioration des symptômes parkinsoniens
par l'opothérapie, plaiderait en faveur de cette manière de voir. L.n
réalité, il s'agit là de lésions banales et inconstantes; et l'opothérapie
n'a pas donné de résultais satisfaisants Si bien que la théorie endo-
crinienne ne repose sur aucun fondement solide. M. (i. RoUSSy, qui
avait défendu la théorie parathyroïdienne, vient de l'abandonner,
LES SYNDROMES PARKINSONIENS 213
à une des dernières séances de la Société de Neurologie. Si la paralysie
agitante relevait d'une intoxication endocrinienne, il faudrait, pour
concevoir les syndromes parkinsoniens unilatéraux, que cette intoxi-
cation portât ses effets sur un hémisphère cérébral. Et ceci n'aurait
rien d'invraisemblable. Mais comment comprendre qu'un tel poison,
circulant dans le sang pendant des années, pût limiter ses effets à un
hémisphère? Pour le comprendre, il faudrait admettre dans cet hémis-
phère l'existence préalable d'une lésion attirant et fixant ce poison.
Dans ces conditions, cette lésion nerveuse préalable suffirait à
elle seule pour expliquer les syndromes parkinsoniens « monoplé-
giques » ou « hémiplégiques ». Nous ignorons, du reste, le rôle de
l'hyperactivité parathyroïdienne, et il n'est guère vraisemblable que
cette hyperactivité puisse déterminer un syndrome parkinsonien.
D'autre part, son hypoactivité, telle que celle qui résulte, par exemple,
de la parathyroïdectomie, n'a jamais provoqué de paralysie agitante.
Bref, ce n'est ni dans les muscles ni dans les glandes endocrines que
siège la lésion de la maladie de Parkinson. Tout porte à croire qu'elle
est située dans le système nerveux central. Il n'est guère de partie du
névraxe où on n'ait cherché à la placer, mais peu à peu ce siège s'est
circonscrit pour se fixer aux régions opto-striée, sous-optique etpédon-
culaire.
Il y a, dans la littérature médicale, quelques observations anciennes
de syndrome parkinsonien, dues à Leyden, Boucher, Béchet, Mendel,
Blocq et Marinesco, Dutil, Leroux et où, à l'autopsie, on trouva une
tumeur delà couche optique ou du pédoncule cérébral.
Ces faits devaient attirer l'attention vers les régions du mésocéphale
et des ganglions centraux. A défaut de faits nouveaux, on commença
par formuler des hypothèses. « Une lésion du locus niger, écrit
Brissaud, pourrait bien être le substratumanatomique de la maladie de
Parkinson. » Un peu plus tard, G. Maillard invoque une lésion du noyau
rouge. Les faits nouveaux vinrent à leur tour. En 1908, Jelgersma note
une atrophie nette du noyau lenticulaire, de l'anse et de son noj^au,
des champs de Forel, du noyau latéral du thalamus et du corps deLuys-
Lewy, qui a examiné histologiquement un grand nombre de cas de para-
lysie agitante, situe la lésion dans le noyau lenticulaire, dans les noymix
des anseslenticulaire et pédonculaire, et dans le noyau du sympathique
bulbaire ; il relève la dégénération des cellules nerveuses du putamen
et du globus pallidus. Manschot constate des altérations analogues.
Auer et Mac Cough signalent, dans deux cas de maladie de Parkinson,
un état criblé du noyau lenticulaire, du thalamus, de la région sous-
214 1. SOI 01 ES
thalaraique, de la capsule interne, ci notent la diminution de volume
des fibres radiaires du globus pallidus et de la couche médullaire
externe.
11 s'agit jusque-là de lésions très diffuses. Les recherches de Ramsay
Hunt, de Trétiakoff, de (). et C. Vogt, qu'il me reste à exposer, ont
ouvert une ère nouvelle, en serrant le problème de plus près et en loca-
lisant plus étroitement la lésion de la paralysie agitante.
H. Hunt la localise au système pallidal. Les cellules nerveuses
de ce système sont considérablement diminuées de nombre, et
celles qui n'ont pas disparu olïVcnt des degrés divers d'atrophie. Ces
lésions atteignent systématiquement et exclusivement les grandes cel-
lules motrices du système pallidal. Ce seraient des lésions d'ordre
abiotrophique, c'est-à-dire dues à une faiblesse primitive d'un système
de neurones. Les cellules névrogliques sont légèrement augmentées de
nombre, pour remplacer les neurones moteurs disparus ou atrophiés,
mais les fibres de la névroglie ne sont pas multipliées. Bien entendu, et
pur voie de conséquence, les faisceaux efférents subissent une dimi-
nution évidente de leurs libres constitutives. Les centres sous-thalami-
ques ne seraient pas lésés, à l'exception du réseau médullaire du corps
de Luys qui semble un peu diminué. Enfin, les vaisseaux striés, s'ils
sont par points légèrement épaissis, ne sont pas oblitérés.
Ces altérations des cellules nerveuses ne se rencontreraient que
dans le système pallidal. Il s'agirait d'une atrophie dégénérative pro-
gressive de ce système, qui relèverait vraisemblablement d'une intoxi-
cation élective inconnue, et qui, par ses caractères, ressemblerait à
celle de la sclérose latérale amyotrophique, tenant comme celle-ci à la
vulnérabilité des neurones moteurs.
Contrairement à l'opinion de Ramsay Hunt, qui localise le substratum
anatomique de la paralysie agitante dans le système pallidal du corps
strié, Trétiakoff le situe exclusivement dans le locus niger. Ses recher-
ches, faites dans le laboratoire de Pierre Marie, portent sur neuf cas
de paralysie agitante bilatérale et un cas de paralysie agitante unilaté-
rale. Dans ces dix cas, il a trouvé des lésions du locus niger: bilaté-
rales dans les neuf premiers, unilatérales, et du côté opposé au syn-
drome clinique, dans le dernier. Il s'agissait de lésions atrophiqUes el
dégénératives des cellules nerveuses, survenant sans cause connue. Ces
résultats constants ont conduit cet observateur à penser qu'il existe des
rapports intimes entre les lésions du locus niger et la maladie de l'ar-
kinson et à supposer « qu'il s'agit probablement de relation de cause à
effet ». Il l'ait en outre remarquer que l'absence tic « cas contradictoires
LES SYNDROMES PARKINSONIENS 215
où le locus niger serait atteint sans que surviennent des troubles
toniques » corrobore l'importance des faits positifs. Des altérations
identiques de siège et d'aspect ont été retrouvées depuis par Souques et
Trétiakoff dans trois cas.
L'opinion de Ramsay Hunt est en désaccord avec celle de Trétiakoff.
Mais ce dernier fait observer que ce désaccord s'atténue, si on songe
que la terminaison de l'anse lenticulaire est inconnue, et qu'on ignore
le sort des fibres de son extrémité postérieure, lesquelles se perdent dans
le locus niger et dans le noyau rouge. D'autre part, on peut trouver un
terrain d'entente, en invoquant l'avis de Mirto, qui considère le locus
niger comme un groupe cellulaire détaché du globus pallidus, au cours
du développement phylogénétique.
A la dernière réunion annuelle de la Société de Neurologie,
MM. Lhermitte, Foix, Wilson, sont revenus sur ce sujet, M. Lher-
mitte en se rattachant à la théorie de R. Hunt, M. Foix à celle de
Trétiakoff, M. Kinnier Wilson en déniant au corps strié et au locus niger
tout rôle dans la paralysie agitante et en se demandant si le noyau
rouge ne pourrait pas être mis en cause.
Jusqu'ici, il n'a été question que de lésions microscopiques. Il faut
maintenant mentionner l'existence de lésions macroscopiques : état
criblé, lacunes, désintégration périvasculaire, foyers d'hémorrhagie ou
de ramollissement, constatés dans le corps strié, à l'autopsie d'un
certain nombre de paralytiques agitants. O. et C. Vogt ont trouvé, dans
plusieurs cas de maladie de Parkinson, une atrophie du noyau caudé et
des lésions en foyer du corps strié, prédominant dans le striatum, quand
le tremblement était le signe clinique principal, et dans le pallidunr
quand la rigidité musculaire l'emportait sur le tremblement. Partisans
de l'origine striée de la paralysie agitante, ils ne pensent pas cependant
que sa lésion soit aussi étroitement élective que l'admet R. Hunt.
Il ressort de cet exposé anatomo-pathologique, d'abord quelesubstra-
tum anatomique de la paralysie agitante semble situé dans les régions
striéesetsous-optiques, mais que sa localisation précise n'est pas encore
fixée ; ensuite, que la lésion n'est pas univoque : qu'elle peut être
microscopique ou macroscopique, qu'il peut s'agir soit de dégénération
atrophique progressive, soit de lésions en foyers tels que ramollisse-
ments, lacunes, et même de tumeurs. De telle sorte que la paralysie
agitante apparaît, du point de vue anatomo-pathologique, non comme
une entité morbide, mais bien comme un syndrome causé par des
lésions qui seraient différentes par leur nature, mais identiques par
leur siège.
I. SOI Ql ES
Quoiqu'il en soit, les lésions constatées dans la maladie de Parkin-
S0I1 permettent de rayer celte maladie du cadre des névroses. Les parti-
sans de sa nature névrosique se fondaient sur l'absence de substratum
et sur son début à la suite d'une émotion. Or, aujourd'hui, bien que le
siège de son substratum anatomique ne soit pas encore étroitement
localisé, il existe des travaux intéressants qui font entrevoir la solution
de ce problème. Kl, d'autre part, le début brusque de la paralysie
agitante, à la suite d'une émotion, n'est rien moins que démontré, ainsi
que nous le verrons plus loin. Aujourd'hui la maladie de Parkinson
doit être considérée comme une affection organique, dont les lésions,
qui sont lines et microscopiques, ont échappé longtemps aux yeux des
observateurs.
En dernière analyse, cette affection peut être regardée comme une
maladie du tonus. Les centres du tonus ne peuvent exister cpie dans les
cellules motrices, le tonus musculaire étant un réflexe permanent dont
les libres sensitivo-sensorielles constituent les voies centripètes et les
fibres motrices les voies centrifuges. Il y a des centres du tonus dans les
cornes antérieures delà moelle, dans les centres gris mésocéphaliques,
dans les ganglions gris centraux, dans l'écorce cérébrale. Les centres
les plus importants du tonus siègent incontestablement dans le cer-
veau, comme le prouvent les effets expérimentaux et pathologiques qui
suivent les sections complètes de la moelle cervicale.
L'écorce cérébrale en constitue le centre primordial. Mais il faut.
avecPaulow, Sherrington, van (iehuchten, etc., en admettre d'impor-
tants dans les ganglions gris centraux. L'incertitude règne, il est vrai,
sur leur nombre et leur siège précis. Quoi cpi'il en soit, quand ces
centres sont détruits, l'hypertonie survient, et avec elle, la rigidité, le
tremblement, la perte des mouvements associés, c'est-à-dire les symp-
tômes primordiaux de la paralysie agitante.
La cause la plus souvent invoquée par les malades est l'émotion. 11
importe, à cet égard, de distinguer les émotions aiguës des émotions
chroniques.
Poui- ce cpii concerne ces dernières, il est impossible d'établir une
relation de causalité entre les peines morales prolongées et la paralysie
agitante, (l'est au cours de longs chagrins, durant des années : deu\,
cinq, dix ans, et même davantage, que la maladie apparaîtrait sournoise
LES SYNDROMES PABKINSONIENS 217
ment. Comment démontrer leur influence étiologique ? Du reste, les
médecins négligent, à dessein, le rôle des émotions chroniques et ne
s'attachent guère qu'à celui des émotions aiguës, brusques et vives
par définition. Les cas cités semblent, de prime abord, démonstratifs,
tant l'effet paraît suivre de près la cause.
Je me suis attaché, depuis une vingtaine d'années, à faire une enquête
sur le rôle étiologique de ces émotions vives et brusques. J'ai dû laisser
de côté les exemples rapportés par les classiques, parce qu'il est impos-
sible d'avoir des éléments suffisants d'appréciation, tout contrôle rétros-
pectif faisant défaut. En effet, le temps écoulé entre l'émotion et l'appa-
rition du tremblement, — car il faut remarquer qu'il s'agit toujours de
tremblement, — n'est pas indiqué avec précision. Les auteurs se
sont fondés sur le récit des malades ou de l'entourage, c'est-à-dire sur
des souvenirs souvent lointains et vagues, sans assez se méfier de la
tendance des hommes à attribuer aux émotions une influence étiolo-
gique exclusive ou primordiale. J'ai vu attribuer aux émotions des syn-
dromes parkinsoniens manifestement consécutifs à l'encéphalite léthar-
gique. Les faits observés personnellement, à cet égard, ont plus de
valeur. J'en ai étudié 150. Or, j'ai pu me convaincre qu'il n'y avait
aucune relation de causalité entre l'émotion et le début de la maladie
de Parkinson. Tantôt le début était bien réellement postérieur à
l'émotion, mais il s'était écoulé un si long temps entre l'émotion invo-
quée et l'apparition de la maladie que d'autres causes avaient pu inter-
venir, dans l'intervalle. Tantôt, en dépit du récit des malades, ce début
était antérieur à l'émotion.
On incrimine les émotions vives pour deux motifs. D'abord parce
que l'émotion fait trembler les sujets normaux. Cela est incontesté.
Mais il s'agit alors de tremblement généralisé et transitoire, qui dispa-
raît complètement au bout de quelques minutes ou de quelques heures.
On conçoit mal un tremblement émotif limité à un seul membre ; si, à
la rigueur, on pouvait le concevoir, on ne voit pas pourquoi, sans émo-
tion nouvelle, il se propagerait, au bout de quelques mois, ou de quel-
ques années, au membre homologue, puis au côté opposé. Ensuite,
parce que les émotions paraissent avoir une influence sur les névroses
et que la paralysie agitante a été pendant très longtemps considérée
comme une névrose.
J'ai souvent demandé à des médecins qui, pendant la dernière guerre,
avaient passé plusieurs années dans les tranchées, s'ils avaient observé
des tremblements parkinsoniens, et je n'ai obtenu que des réponses
négatives. Ils avaient vu cependant arriver aux postes de secours des
218 .1. SOI Ql ES
soldats terrifiés par des bombardements effroyables, des attaques ino-
pinées, des scènes épouvantables. J'ai vu, de mon côté, de nombreux
paralytiques agitants qui incriminaient, comme cause, un bombarde-
ment ; après unv enquête minutieuse, j'ai pu me convaincre que ce
bombardement n'était pour rien dans le déterminisme de la maladie.
Je ne sache, du reste, pas (pie le nombre des cas de maladie de
Parkinson ait augmenté notablement pendant la guerre, ce qui aurait
dû être, si l'émotion était à sa base. La vérité, c'est que les émotions,
en Taisant trembler, peuvent révéler, en l'exagérant momentanément,
un tremblement jusque-là passé inaperçu, ou bien frapper assez l'esprit
pour que le sujet attribue à l'émotion un tremblement survenu bien
longtemps après la frayeur et indépendant de celle-ci. Il est à remarquer
que tous les sujets qui attribuent leur maladie à une émotion n'ont pas
eu de tremblement émotif, consécutivement à la peur. Il est également
à remarquer que, au début, et pendant une phase assez longue, le
tremblement parkinsonien est si léger et si fugace qu'il passe ina-
perçu du patient.
On a parlé et on parle toujours d'épidémies de paralysie agitante,
dans les villes assiégées et bombardées, et, à cet égard, on cite partout
la ville de Strasbourg soumise, en 1870, pendant un mois, à un bom-
bardement quotidien. Or, en vérité, cette soi-disant épidémie
de paralysie agitante, rapportée : quand ? en 1873, par qui ? par
un auteur allemand, Kohts, se borne à trois cas de maladie de Parkin-
son.
En somme, en dehors de quelques cas difficiles à éclaircir et permet-
tant d'invoquer une coïncidence possible, j'ai pu me convaincre qu'il
n'y avait aucune relation de cause à effet entre l'émotion vive et brusque
et le début de la paralysie agitante.
Il n'y en a pas davantage entre ce dernier et les traumatismes. Certains
auteurs supposent que le traumatisme agit plus par choc moral que par
choc physique. Dans ce cas, il s'agit d'émotion et je n'y reviens pas.
Mais il n'est pas impossible qu'un traumatisme puisse déterminer une
commotion, une lésion cérébrale, dans la région qu'on croit être le
siège de la paralysie agitante Si elle existe, l'origine traumatique
doit être exceptionnelle et difficile à établir. K. Mendel, qui relate
douze exemples personnels de paralysie agitante traumatique, ne s'y
rattache que dans l'impossibilité de trouver une autre cause ; il admet,
en outre, la nécessité, non seulement d'un terrain prédisposé et d'un
âge déterminé, mais encore d'un long laps de temps entre h- trauma-
tisme et le début de la paralysie agitante, conditions qui, à mon sens,
LES SYNDROMES PARKINSON IENS 219
enlèvent à celui-là toute valeur. J'ai vu, pendant la guerre, et
longtemps après la blessure, des centaines de traumatismes crâniens ; je
n'ai pas trouvé un seul cas de maladie de Parkinson consécutif.
Que faut-il penser des cas où le traumatisme n'ébranle pas le cer-
veau et se borne à léser les nerfs périphériques ? Charcot en cite un
exemple. Une femme se fait une contusion à la cuisse ; quelque temps
après, survient une vive douleur du sciatique et le membre se met à
trembler ; plus tard, le tremblement devint permanent et se généralisa.
Hammond relate deux cas analogues. Démange, Boucher ont vu un
panaris survenir à la suite d'une blessure et, quelques mois après, un
tremblement parkinsonien commencer par la main blessée, avant de se
généraliser. J'ai observé moi-même deux faits analogues. Mais ces
observations sont, à la vérité, trop exceptionnelles pour entraîner la
conviction. Je crois qu'il s'agit là de simples coïncidences. Parmi plus
<le mille blessures ou contusions des nerfs périphériques, que j'ai eu
l'occasion de voir pendant la guerre, et longtemps après la blessure, je
n'ai pas observé un seul cas de tremblement parkinsonien.
Je citerai, pour mémoire, le rôle attribué au surmenage local et au
froid. Comme l'émotion, le froid fait trembler ; comme elle, il peut
exagérer momentanément un tremblement antérieur passé inaperçu,
ou bien frapper rétrospectivement l'esprit du sujet.
Une cause qui a joui, et qui jouit encore d'une grande faveur, est
l'artériosclérose cérébrale. Si son rôle a été exagéré, il ne semble pas
devoir être toujours rejeté. La paralysie agitante débute généralement
dans la seconde moitié de la vie et elle évolue progressivement, ce qui
oadre avec le début et l'évolution progressive de l'artériosclérose.
D autre part, on trouve souvent aux autopsies, chez les gens d'un cer-
tain âge. de l'athérome cérébral, au niveau de l'hexagone de Willis, d'où
partent les artères striées qui vont irriguer le siège supposé delà mala-
die de Parkinson. Onpeut admettre que l'athérome, diminuant le calibre
et la souplesse de ces artères, amène l'ischémie des régions striées et, par
suite, la dégénération lente de leurs cellules nerveuses. Mais l'artério-
sclérose est une lésion très commune. Elle est bien difficile à invoquer
dans la paralysie agitante des jeunes sujets et des enfants. D'autre part,
de nombreux auteurs, R. Hunt et Trétiakoff n'ont pas trouvé d'altéra-
tions notables dans les artères striées et pédonculaires. J'ajouterai que,
d'après les recherches de MM. Sicard et G. Guillain, les parkinsoniens
ne présentent pas d'hypertension artérielle. Il est vrai qu'on pourrait
admettre l'existence d'une artériosclérose limitée à l'encéphale, et in-
capable d'élever la tension générale des artères. On ne saurait donc
A. SOI Q\ ES
accepter! pour ces diverses misons, cette conclusion de G. Maillard :
a La maladie de Parkinson est due à tics altérations de nature artério-
scléreuse, atteignant essentiellement le centre mésocéphalique d'équi-
libre statique. » Mais ce n'est pas une raison pour éliminer l'artério-
sclérose cérébrale de l'étiologie de la paralysie agitante. D'autant que,
dans certains cas, les altérations artérielles paraissent bien en cause. Je
fais allusion aux paralysies agitantes déterminées par des lésions en
foyer : lacunes, ramollissements, hémorrhagies des régions striées, rap-
pelées plus haut.
J'arrive aux causes qui me paraissent le mieux établies, aux infections
et aux intoxications . Il a fallu l'épidémie récente d'encéphalite léthar-
gique, qui a créé de nombreux syndromes parkinsoniens, pour que
l'attention fût attirée sur le rôle étiologique des maladies infectieuses.
Jusque-là, les cas de maladie de Parkinson consécutifs à une infection
étaient ou ignorés ou systématiquement négligés. Et pourtant il existait
dans la littérature médicale des faits significatifs. Dès 1846, Romberg
publiait un cas de paralysie agitante consécutif au paludisme. Leroux,
en 1880, en citait un de même origine. Crespin, Bernhardt en rappor-
taient, survenus à la suite de la rougeole ; Vesselle et Rouvillois, à la
suite du rhumatisme articulaire aigu. En 1893, Gowers affirmait que la
maladie de Parkinson pouvait relever de la dysenterie et de la fièvre
typhoïde. Parmi tous ces faits, j'en rappellerai deux qui me paraissent
très suggestifs. Lannois a observé un enfant de douze ans qui, un an
après une rougeole, présentait un syndrome parkinsonien, et qui, six
ansplustard, avait une paralysie agitante typique avec rigidité, trem-
blement, sensation permanente de chaleur et sueurs exagérées. L'ob-
servation de Franck-R. Fryest encore plus probante : un homme de
trente-sept ans, à la quatrième semaine d'une fièvre typhoïde, fut pris
d'un tremblement parkinsonien, qui envahit peu à peu les deux
membres supérieurs, puis les deux inférieurs. Trois ans après, il
offrait, dit l'auteur, « tous les signes de la paralysie agitante v. h' encépha-
lite léthargique a. déterminé, depuis trois ou quatre ans, un très grand
nombre de syndromes parkinsoniens. J'en ai observé, pour mon
compte, vingt-six cas. La plupart viennent d'être publiés dans la très
remarquable thèse de mon interne, M. 11. Ernst. Je vais revenir tout
à l'heure sur ce sujet.
En 1891), Dana a beaucoup insisté sur le rôle étiologique des infec-
tions et des intoxications . Pour lui, la majorité des cas de maladie dr
Parkinson reconnaît comme origine une infection ou une intoxication.
L'infection OU l'intoxication altère les cellules nerveuses qui dégénèrent
LES SYNDROMES PARKIN SONIENS 221
lentement. Mais, malgré cette dégénération, elles peuvent suffire à
leur tâche pendant de longues années, pendant cinq, dix, quinze ans.
Un jour vient cependant où ces cellules altérées finissent par mourir,
et c'est alors que la paralysie agitante apparaît. L'intoxication le plus
souvent en cause pour Dana n'est autre que Yarlhritisme. Il faut avouer
que l'arthritismé constitue une intoxication vague et que, d'une manière
générale, l'action des intoxications, qu'elles soient endogènes ou
exogènes, n'est pas facile à prouver. Mais l'idée n'en reste pas moins
intéressante, et je tenais à la souligner.
Parmi les infections chroniques, on a parlé de la syphilis. On a fait
valoir la coexistence possible du tabès et de la paralysie agitante. Cette
coexistence n'est pas niable ; j'ai eu l'occasion d'en observer deux ou
trois exemples. Wertheim Salomonson a pensé que ces faits pouvaient
constituer une maladie spéciale, qu'il a appelée la tromoparalysie ta-
bétiforme. Mais les cas cités de paralysie agitante et de tabès coexis-
tant sont trop rares, d'une part, et ces deux affections trop communes,
d'autre part, pour qu'on puisse, à mon avis, voir dans leur coexistence
autre chose qu'une coïncidence, qu'une association morbide. Tout au
plus, est-il permis de supposer qu'elles ont, dans ces cas, une cause
commune : la syphilis. Je ne pense pas, du reste, que la syphilis soit
une cause fréquente delà maladie de Parkinson. Chezvingt paralytiques
agitants classiques que j'ai ponctionnés, le liquide céphalo-rachidien a
toujours été normal, sauf chez un seul, du point de vue des éléments
cellulaires et de l'albumine ; chez tons, sauf chez un seul, la réaction de
Bordet-Wassermann a été négative dans le sang et le liquide céphalo-
rachidien.
Ceci étant dit, il faut reconnaître qu'il est très souvent impossible de
découvrir la cause déterminante de la paralysie agitante. Il est le plus
souvent impossible de lui retrouver une origine infectieuse, à moins
qu'on ne veuille accepter les longues échéances de Dana. A la lueur des
notions nouvelles, il serait intéressant de faire une enquête étiologique
dans les hospices pourvoir si, chez quelques paralytiques agitants, il ne
serait pas possible de retrouver à leur maladie une origine infectieuse,
une encéphalite léthargique, par exemple. On aurait plus de chance de
trouver quelques faits positifs chez les parkinsoniens vivants que dans
les observations publiées par les anciens auteurs Mais ne pas retrou-
ver une origine infectieuse ne veut pas dire qu'une infection n'a pas
existé. Nombreux sont les cas de chorée vulgaire où on ne retrouve pas
une infection à l'origine, et cependant la chorée de Sydenham est regar-
dée comme une séquelle d'infection.
A. soi ni /..s
L'encéphalite léthargique a déterminé, depuis trois ans, un très
grand nombre de syndromes'parkinsoniens. Dans tous les pays, on a été
frappé de la ressemblance qu'ils présentaient avec la maladie de
Parkinson. En Amérique, on signale leur ressemblance absolue avec
celte maladie. En Angleterre, il en est de même. « Si ce n'était le dé-
but fébrile, dit Bramwell, on pourrait confondre absolument avec la
maladie de Parkinson ». Wilson déclare qu'un cas observé par lui
offre tous les symptômes « de la paralysie agitante typique ». Ailleurs,
on fait les mêmes remarques. Mais on ne discute pas la question de
savoir si ces syndromes parkinsoniens postencéphalo-léthargiques
doivent entrer dans le cadre de la maladie de Parkinson.
En France, cette question a été et est fortement agitée Les avis,
émis avec des réserves, sont divisés. J'ai pris personnellement parti,
en avançant que le syndrome parkinsonien postencéphalitique pouvait
aboutir à la maladie de Parkinson, autrement dit que l'encéphalite
léthargique pouvait être une des causes de la paralysie agitante. Les
lésions de cette encépbalite, bien que diffuses, siègent surtout au niveau
des ganglions centraux et du mésocépbale. Or, c'est précisément à ce
niveau que les recberches les plus récentes localisent le substra-
tum anatomique de la maladie de Parkinson. Si les lésions de
l'encéphalite létbargique sont légères et réparables, le syndrome sera
passager, curable et répondra à ce qu'on a appelé le « parkinsonisme ».
C'est à ces faits qu'on devrait, à mon sens, réserver ce terme. Si elles
sont graves et irréparables, elles détermineront une véritable maladie
de Parkinson.
Donc tantôt le syndrome parkinsonien postencéphalitique guérit
avec l'encéphalite ou peu après elle, et on ne saurait parler île paralysie
agitante. Tantôt l'encéphalite guérit, tandis que le syndrome parkin-
sonien persiste et évolue pour son compte propre, (/est le seul cas (pie
je veuille envisager ici, dans ses rapports avec la maladie de Parkinson.
On a pu objecter qu'il s'agit peut-être encore là d'une encéphalite
devenue chronique, et non d'une séquelle proprement dite. Dans cer-
tains faits, en l'absence d'un critérium bactériologique ou Immoral, qui
manque encore et qui permettrait de dire si l'encéphalite est ou non
guérie, il est prudent de faire des réserves. Mais, dans les faits que j'ai
en vue, l'encéphalite est guérie, et il s'agit bien de séquelles. Chei les
onze malades (pie j'ai amenés ici, le syndrome parkinsonien est une
LES SYNDROMES PARKINSONIENS 223
véritable séquelle : chez l'un d'eux, l'encéphalite remonte à trois ans ;
chez les dix autres, à au moins quinze mois. Chez tous, l'encéphalite
n'a duré apparemment que quelques semaines.
Personne ne conteste l'apparition fréquente d'un syndrome parkin-
sonien au cours ou à la suite de l'encéphalite léthargique. Mais les opi-
nions diffèrent sur les rapports qu'il peut présenter avec la maladie de
Parkinson. Est-il nosographiquement distinct de la paralysie agitante?
Ou bien doit-on le confondre avec cette affection, l'encéphalite léthar-
gique devenant alors une cause de la maladie de Parkinson ? Sur quels
caractères se fonde-t-on pour admettre l'une ou l'autre opinion ? La
première opinion est défendue par de nombreux observateurs :
M. Pierre Marie et Mlle G. Lévy, MM. Lhermitte, Barré et Reys,
Cruchet, Hesnard, Christiansen, etc., qui sont dualistes.
Le syndrome parkinsonien post-encéphalitique et la paralysie agitante
ont les mêmes symptômes primordiaux : rigidité musculaire, tremble-
ment, perte de l'harmonie motrice, et les mêmes symptômes secon-
daires : troubles vaso-moteurs, etc.. Dans les deux, même intégrité de
la sensibilité objective, des réflexes et de l'état intellectuel.
Voyons quels sont les arguments qui ont été donnés pour séparer
les deux affections et quelle est leur valeur.
Le syndrome parkinsonien postencéphalitique est précédé, dit-on,
par une maladie infectieuse, et la maladie de Parkinson ne l'est pas.
C'est vrai, en règle générale. Cependant, la paralysie agitante peut
survenir au cours ou à la suite d'une maladie infectieuse : rougeole,
fièvre typhoïde, rhumatisme, paludisme, etc. J'en ai cité des exemples.
D'autre part, la notion infectieuse pourrait bien passer quelquefois ina-
perçue dans le syndrome parkinsonien postencéphalitique. On a re-
marqué que ce syndrome survient surtout à la suite d'encéphalites
bénignes. M. Pierre Marie et M'le G. Lévy l'ont même observé à la suite
d'encéphalites frustes. Il y a des formes ambulatoires, dans lesquelles
la fièvre fait défaut, et où les symptômes sont si légers qu'ils sont mé-
connus, de telle sorte qu'il serait bien difficile, dans un cas de
syndrome parkinsonien de cette origine, de retrouver la notion infec-
tieuse. Il n'est pas illogique de supposer que quelques cas de paralysie
agitante dus à une semblable origine ont pu être ignorés, dans leur
cause.
En somme, il y a des cas de maladie de Parkinson qui ont eu une
origine infectieuse, et probablement des cas de syndrome parkinsonien
postencéphalitique où l'encéphalite a pnssé inaperçue.
L'âge, dit-on, serait différent dans les deux affections : le svndromc
L. SOUQUES
postencéphalitique se voit surtout dans la première moitié de la vie,
et la paralysie agitante après quarante ans. C'est encore vrai, en géné-
ral. Dans la majorité drs cas, le syndrome postencépbalo-léthargique
se voit chez des jeunes, mais cette régie souffre de nombreuses excep-
tions. En ajoutant vingt-six cas personnels à trente-quatre recueillis
dans la littérature par mon interne, M. Ernst, je trouve les chiffres
suivants :
De 1 à 10 ans, 1 cas ;
De 18 à 20 ans, 10 cas ;
De 20 à 30 ans, 14 cas ;
De 30 à 40 ans, 12 cas ;
De 40 à 50 ans, 13 cas ;
De 50 à 60 ans, 7 cas ;
De 60 à 70 ans, 3 cas.
Dans les deux tiers des cas, le début s'est fait avant quarante ans.
Mais, dans un tiers, il s'est fait plus tard, et, dans trois cas, au-dessus
de soixante ans. D'autre part, s'il est incontestable que la maladie de
Parkinson débute le plus souvent après la quarantaine, il n'est pas
exceptionnel de la voir apparaître avant quarante ans, et de la voir
survenir même chez des enfants. La paralysie agitante a été. étudiée
chez l'enfant, bien avant qu'il ne fût question d'encéphalite léthargique.
La thèse de Rouvillois intitulée : La paralysie aijitante chez les jeunes
sujets, est de 1899. Je ferai remarquer, à ce propos, que le premier tra-
vail de Ramsay Hunt, antérieur à l'encéphalite léthargique, dans lequel
il a localisé la lésion de cette affection dans le système pallidal, con-
cerne des jeunes sujets. Le caractère différentiel, basé sur l'âge, n a
donc pas grande valeur.
On a dit que le syndrome postencépbalitique s'installe plus vite
que la paralysie agitante et se généralise plus rapidement aux quatre
membres Cela est incontestable, d'une manière générale. Mais les cas
ne sont pas rares où son installation et sa généralisation sont lentes.
Dans le tiers des cas que j'ai observés personnellement, le syndrome
date de plus d'un an et il est encore limité à un côté du corps ou même
à un seul membre. D'autre part, on voit des cas de paralysie agitante
qui se généralisent en six mois et même en moins de temps.
On a dit (pie la rigidité musculaire était le signe prédominant et
qu'elle débutait parla face, dans le syndrome posteneephalo-lctliai -
gique. Cela est très commun, mais cela n'est pas constant. Dans un
tiers des cas observés par moi, le tremblement l'emporte sur la rigidité,
et il s'en faut que celle-ci débute toujours par la lace. Parmi les malades
LES SYNDROMES PARKINSONIENS 225
que je présente, il y en a qui n'ont pas la face rigide. D'autre part,
il n'est pas exceptionnel de trouver des maladies de Parkinson dans
lesquelles la rigidité musculaire est le signe prédominant, non seule-
ment au début, mais encore pendant toute la durée de la maladie. Il y
a longtemps que Charcot a insisté sur ce point. Quant à la prédomi-
nance à la face, c'est encore un signe de la paralysie agitante classique ;
c'est dans la paralysie agitante classique que le faciès parkinsonien a
été jadis décrit avec un grand luxe de détails.
Le caractère du tremblement pcut.-il servir de signe différentiel ?
Dans la paralysie agitante, le tremblement se fait au repos ; dans le
syndrome postencéphalitique, il se ferait ou s'exagérerait à propos des
mouvements volontaires. Mais on voit des syndromes postencéphali-
tiques où le tremblement n'existe qu'au repos, et on voit, d'autre part,
des paralytiques agitants classiques chez lesquels le tremblement
apparaît ou s'exagère à propos des mouvements volontaires. Vulpian
affirmait que les mouvements ordinaires exagéraient, au début, le trem-
blement delà paralysie agitante. Gowers et d'autres observateurs ont
cité des observations où les mouvements volontaires faisaient apparaître
ou exagéraient le tremblement, en lui donnant parfois l'allure de celui
de la sclérose en plaques. J'ai vu moi-même un certain nombre de cas
de cet ordre. Ramsay Hunt a particulièrement insisté sur ce sujet, à
propos de la paralysie agitante juvénile, en montrant que, chez les
jeunes, le tremblement, au début, est souvent intense, violent, exagéré
parles mouvements, et qu'il s'atténue peu à peu pour prendre l'aspect
de celui de la maladie de Parkinson.
On a signalé l'existence de mouvements involontaires, tels que se-
cousses spasmodiques des muscles du visage, tremblement et fibrillation
de la langue, gêne delà mastication et de l'ouverture de la bouche, comme
propre aux syndromes parkinsoniens postencéphalitiques. En réalité,
ces phénomènes sont loin d'être constants dans ces syndromes. Et on
peut les retrouver dans certaines observations anciennes de Boucher,
de Béchet, de Maillard, concernant la paralysie agitante Je rappellerai,
à ce propos, ce passage de Paul Richer, écrit en 1895: « En examinant
de près chaque muscle, on le voit animé de petites vibrations. On voit
sa surface parcourue de fines ondulations qui sont évidemment dues
aux contractions isolées et successives des fibrilles musculaires. Ces
contractions que j'appellerai parcellaires, pour les distinguer des con-
tractions fibrillaires qu'on observe dans les muscles en voie d'atrophie,
sont indépendantes du tremblement dont elles n'ont pas le rythme. »
Les troubles oculaires, si communs dans le syndrome postencépha-
COXFÉR. NEUrtOL. 15
226 A.soioi'Ks
litique, fourniraient-ils un caractère différentiel ? En aucune façon.
MM. Pierre Marie et Barré, en 1910, avaient signalé des troubles ocu-
laires dans la maladie de Parkinson. Il y a trois semaines, MM. Barré
et Reys, d'une part, M. Velter, d'autre part, sont revenus sur ce
sujet. Dans les deux affections, ce sont les mêmes troubles, et ces
troubles sont constants ; ils ne diffèrent que par leur rapidité d'instal-
lation, leur intensité et leur durée ; ils sont plus brutaux d'apparition,
moins fugaces et plus intenses dans le syndrome parkinsonien post-
encéphalo-léthargique que dans la paralysie agitante.
De même, les troubles vaso-moteurs se retrouvent dans les deux
affections ;j en dirai autant des douleurs, autant du besoin de déplace-
ment. M. Sicard, à la dernière réunion annuelle de la Société de Neu-
rologie, a décrit une forme acathisique du syndrome postencé-
phalitique, en avançant que le cas d'acathisie étudié jadis par Hasco-
vec, qui a créé ce nom, relevait de l'encéphalite léthargique. Je ne sais
s'il y a lieu de décrire à part une l'orme acathisique de ce syndrome
parkinsonien. Mais le besoin de déplacement fait partie de toutes les
descriptions de la maladie de Parkinson, et l'impossibilité, pour
certains paralytiques agitants, de rester longtemps assis est bien
connue. Je l'ai observée plusieurs fois ; hier encore, j'examinais un
paralytique agitant qui ne cessait de se lever de sa chaise. Sur la
remarque que je lui en fis, il me déclara que c'était un besoin impérieux
pour lui, et que, s'il n'avait pas été à l'hôpital, en posture de consultant,
il se serait levé bien plus souvent. Du reste, cette acathisie
parkinsonienne est classique, lime suffira de rappeler le chambellan
dont parle Trousseau, qui, devant l'empereur, ne pouvait rester assis,
se levait sans cesse et marchait dans la pièce, tout en s'excusant de cette
faute d'étiquette. L'acathisie, à mon avis, rapproche donc, au lieu de
les écarter, le syndrome posteneéphalitique et la paralysie agitante.
J'en dirai autant de certains caractères différentiels invoqués, à la
dernière réunion annuelle de la Société de Neurologie, par M. Cruchet
et par M. Hesnard qui distinguent ces deux affections, en se fondant sur
un certain nombre de traits qui appartiendraient aux syndromes post-
encéphalitiques : à savoir l'aspect soudé, la lenteur accentuée des
mouvements, la difficulté initiale île ces mouvements, l'épuisement ra-
pide, l'engourdissement, etc., désignes, dans la région bordelaise, sous le
iKini imagé de « viscosité motrice », le contraste entre la difficulté des
mouvements volontaires délicats et la facilité de certains autres, le
jeune âge des malades, le tremblement intentionnel, l'absence de trou-
bles psychiques, les modifications du liquide céphalo-rachidien, la
LES SYNDROMES PARKINSONIEXS 227
régression des symptômes, etc. Mais tous ces caractères ne sont pas
constants dans le syndrome postencéphalitique, et on peut les retrouver
dans la maladie de Parkinson. Dans la paralysie agitante, l'aspect
soudé, la lenteur des mouvements volontaires, la difficulté initiale de
ces mouvements, l'épuisement rapide sont classiques. Le contraste entre
la difficulté de certains mouvements et la facilité de certains autres
a été décrit, en 1911, par Tilney, dans la maladie de Parkinson, sous le
nom de progression métadromique. Je crois, par parenthèse, que le terme
de kinésie paradoxale s'appliquerait mieux à la généralité des cas de ce
genre. Quant aux modifications du liquide céphalo-rachidien, signalées
par M. Cruchet et par M. Belarmino Rodriguez, je dois déclarer que je
n'ai pas constaté de telles modifications dans les treize cas que j'ai exa-
minés sous ce rapport. MM. Georges Guillain et Léchelle ont égale-
ment toujours trouvé normal le liquide céphalo-rachidien. Comment
expliquer ce désaccord ? Il est possible que les modifications en ques-
tion relèvent de l'encéphalite léthargique et non du syndrome parkin-
sonien, et qu'elles tiennent à l'époque, rapprochée ou non du début, où
l'examen a été pratiqué. Dans les cas que j'ai observés, le liquide
céphalo-rachidien a été trouvé aussi normal que dans la maladie de
Parkinson typique
Y a-t-il, dans l'état mental de ces deux affections, des caractères dif-
férentiels qui permettent de les séparer ? Je ne le pense pas. En dehors
des modifications de l'humeur et du caractère, l'inertie psychique,
l'indifférence, le manque d'initiative, que certains observateurs consi-
dèrent comme propres aux syndromes parkinsoniens postencéphali-
tiques, tiennent peut-être plus à l'encéphalite léthargique et à la diffusion
de ses lésions qu'au syndrome parkinsonien lui-même. Et puis,
n'a-t-on pas signalé des troubles semblables dans la maladie de Par-
kinson ? Du reste, dans les deux affections, tout le monde s'accorde
sur l'absence de troubles intellectuels proprement dits : démentiels ou
vésaniques.
J'ajouterai que, dans le syndrome postencéphalitique comme dans
la paralysie agitante, on constate le phénomène de la IrochJée dentelée,
de Xegro, la micrographie (J. Froment et E. Bériel), l'identité de
l'inscription graphique des réflexes (H. Claude), l'identité de la chro-
naxie (Bourguignon et Laignel-Lavastine), la même action favorable de
la scopolaminc.
L'examen des symptômes différentiels indiqués par les observateurs
lie permet donc pas d'établir une distinction nosographique entre le
syndrome parkinsonien postencéphalo-léthargique et la paralysie agi-
L, SOI Ql I S
tante. Dans les deux affections, on observe les mêmes symptômes; il
n'y a que des différences de fréquence et de degré
Y a-t-il, dans leur évolution, des caractères qui permettent de les
distinguer? Une réponse catégorique est impossible, pour le présent. La
maladie de Parkinson est connue depuis un siècle ; on sait qu'elle évolue
d'une façon lente et progressive, et qu'elle ne guérit jamais. Or, nous
ne connaissons les syndromes parkinsoniens postencéphalitiques que
depuis trois ans ; nous ne pouvons pas savoir encore comment ils se
termineront. Le temps seul peut donc trancher cette question. Nous ne
pouvons donc faire, en ce moment, que des suppositions pins ou moins
plausibles.
Jusqu'ici, les syndromes parkinsoniens postencéphalitiques peuvent
se diviser en trois catégories, suivant qu'ils sont régressifs, sUtlionnaires
on progressifs. Je n'ai envisagé ici, je tiens à le répéter, que les séquelles
véritables, et non les cas de parkinsonisme ayant guéri en même temps
que l'encéphalite ou peu après elle. Sur vingt-six cas observés, je n'en
ai vu qu'un régresser nettement. Deux autres avaient régressé et même
guéri, mais, trois mois après, une rechute survenait. L'un d'eux se trouve
parmiles malades ici présents. Il faut donc être prudent et attendre long-
temps avantde se prononcer sur uneguérison définitive. Des cas station-
naires ou d'attente, onnepeut rien dire, dans l'ignorance où l'on est deleur
avenir. 11 est souvent difficile d'apprécier le caractère stationn aire d'un
syndrome dont l'évolution est très lente. Quant aux cas nettement pro-
gressifs, il y en a neuf, dans ma statistique, qui progressent depuis au
moinsunan et demi. Trois d'entre eux évoluent depuis trois ans, el rien ne
permet aujourd'hui deles séparer de la maladie de Parkinson classique.
■le crois, en conséquence, qu'il s'agit, chez eux. d'une paralysie agitante
ayant eu pour cause l'encéphalite léthargique. Voici une femme de trente-
sept ans, qui, depuis dix huit mois, présente un syndrome parkin-
sonien postencéphalitique. Il y a six mois, le tremblement était encore
limité au côté droit du corps; depuis cinq mois, il a gagné le pied gauche.
La rigidité a évolué parallèlement. Je ne peux pas m'empêche r de penser
qu'il y a là aussi évolution vers la paralysie agitante classique. Etant
donné le court laps de temps cpii nous sépare de l'apparition de l'encé-
phalite léthargique, il n'est pas possible d'être plus aflirmatif.
Tout en faisant les réserves nécessaires, je suis convaincu que beau-
coup de syndromes parkinsoniens postencéphalo léthargiques abouti-
ront à la maladie de Parkinson. C'est répéter, en terminant, que je ron-
sidère celle-ci non comme une entité morbide, mais comme un syn-
drome commun à des causes différentes agissant sur une même région
LES SYNDROMES PABKINSONIENS 229
cérébrale. Je pense que la maladie de Parkinson est appelée à devenir
le syndrome de Parkinson, à subir le sort de la maladie de Little, de la
maladie de Raynaud et de bien d'autres affections du système nerveux.
Si la maladie de Parkinson tombe un jour au rang des syndromes, elle
n'y perdra ni en intérêt ni en importance. Mais, pour que cela advienne,
il faudra que les recherches futures dissipent les incertitudes et les
obscurités de ses lésions et de ses causes.
HUITIÈME CONFÉRENCE
M. le D' L. BABONNEIX
Médecin de l'hospice Debrousse.
LES ENCÉPHALOPATHIES INFANTILES
Messieurs,
Longtemps, les encéphalopathies infantiles ont fait songer à ces
terres mystérieuses dont, sur les anciennes cartes, on laissait en
blanc l'emplacement, à moins que l'on n'y inscrivît le traditionnel^ : Hic
sunt leones Elles ont, ensuite, suscité de mémorables recherches, au
premier rang desquelles il faut citer celles deBrissaud, sur la Maladie
de Little, de Freud, sur les Paralysies cérébrales infantiles, du prof.
P. Marie, sur l' Hémiplégie spasmodique infantile. Mais, jusqu'à ces der-
nières années, nul ne s'était donné la peine de les rapprocher, de les
comparer, de les grouper. Elles avaient des annales, et n'avaient point
d'histoire. Les Traités s'ingéniaient à fragmenter leur description. Ne
pouvait-on, dans l'un des meilleurs, voir les Scléroses cérébrales s'en-
castrer entre les Hémorrhagies et les Tumeurs, Y Anencéphalie frayer
avec les Troubles du langage, Y Hydrocéphalie servir, en quelque sorte,
de préface à la Sclérose en plaques ?
A ces dissociations systématiques, chères aux histologistes, à ces
tentatives de morcellement, aimées des chirurgiens, nous avons, M. le
prof. Hutinel et moi, tenté de substituer une autre méthode d'étude. A
l'analyse, nous avons voulu préférer la synthèse, aux étroites vues de
détail, les larges conceptions d'ensemble. Ce sont ces conceptions que
je vais avoir l'honneur de vous exposer aujourd'hui.
Sous le vocable heureux iY encéphalopathies infantiles, il est classique,
depuis Brissaud, d'englober tous les troubles nerveux déterminés par
une lésion capable de troubler le développement du cerveau. Cette
lésion doit donc :
/.. BABO S VJ ■■/ \
1 Etre suffisamment étendue ;
2" Offrir un certain degré de gravité;
,'î" Et, surtout, apparaître de bonne heure, soit avant la naissance, soit
à la naissance, soit dans les premiers temps de la vie. Tontes les
fois qu'elle remplit ces trois conditions, elle déclanche, automatique-
ment, des troubles, on moteurs, on intellectuels, on, pins souvent
encore, intellectuels et moteurs. Ce sont ces encéphalopathies, ainsi
définies, dont je vais envisager l'étiologie, l'anatomie pathologique,
les caractères cliniques et le traitement.
Jadis, on mettait tontes leurs causes sur le même plan, distinguant
seulement, d'après Tordre chronologique, celles qui agissent cumnt la
conception : to xi-infections chroniques ; au moment de la conception :
éthylisme aigu ; au cours de la grossesse : toxi-infections materno-
fœ taies, traumatismes, et particulièrement tentatives d'avortement
(Mad. Nageotte), émotions vives (J. Comby) ; au moment de l'accouche-
ment : longueur démesurée et incidents du travail ; dans les premières
années de la vie : infections aiguës. Parmi les antres causes, on citait
encore, an petit bonheur, la disproportion d'âge entre époux, leurs
liens de parenté, l'existence, chez eux, de tares névropathiques hérédi-
taires ou accjuises.
Aujourd'hui, nous avons changé tout cela. Et nous ne faisons pins
jouer de rôle qu'aux trois facteurs suivants :
1° Hérédo-syphilis, en cause dans un très grand nombre de cas
(A. Fournier, Babonneix , ainsi qu'en témoignent des arguments de
divers ordre :
Etiologinues. — Souvent, les parents sont des syphilitiques avérés, ou
même — nouvel argument à invoquer en faveur de l'existence d'un virus
neurotrope — ils présentent tous les signes du tabès ou de la paralysie
générale (Carnot et Dumont). Dans bien des cas, la mère a fait un tel
nombre d'avortements qu'il devient malaisé de les considérer tous
comme autant d'« accidents secrets et volontaires»; certaines de ses
grossesses se sont terminées par l'expulsion de tutus morts et macé-
rés ; plusieurs enfants, nés avant terme, ont été emportés par des con-
vulsions ou ont succombée une sorte d'incapacité vitale ; d'autres sont
porteurs d'indéniables stigmates.
Analomiques. — Parfois, les lésions vasculaires et interstitielles îles
méninges molles et du cerveau « sentent » la syphilis ; dans quelques
LES ENCÉPHALOPATHIES INFANTILES
233
m
Y*K
m
:C,C'0lulaAh'/l.
Fig. 1. — Idiotie mongolienne. Frontale ascendante droite, partie moyenne. Colo-
ration au van Gieson Grossissement : 30/1. Nodule gommeux logé dans la pro-
fondeur u'un sillon. Babonheix )
234 /-. /; \n<>\ \/;/.\
cas, il existe des lésions spécifiques évidentes : gommes (fig. 1), arté-
rites. Dans d'autres, encore assez peu nombreux, on a pu déceler le
spirochaete, soit dans le liquide céphalo-rachidien, soit en diverses
parties du système nerveux: centre ovale, écorce cérébrale, cervelet,
moelle, méninges, vaisseaux, foyers d'encéphalite banale (Péhu et Gar-
dère), soit, enfin, dans l'hypophyse.
Cliniques. — Chez presque tous les patients, se voient des anomalies
dentaires rappelant celles de l'hérédo- syphilis ; ici, l'examen révèle la
présence d'hyperostoses, de kératite interstitielle, là, de cicatrices péri-
buccales ou périanales, ou mème(Babonneixet Voisin) d'un signe typi-
que d'Argyll-Robertson. D'autres sont nés avant terme, ont présenté,
dès les premiers jours, du coryza, ont eu des éruptions cutanéo-muqueu-
ses. Beaucoup ont été atteints de rachitisme grave, précoce, douloureux.
Biologiques. — Chez eux, ou, mieux encore (Fraser et Watson), chez
leurs ascendants ou chez leurs collatéraux, la réaction de B.-W., poul-
ie sérum, est souvent positive; parfois, aussi, leur liquide céphalo-
rachidien offre les réactions chimiques, cytologiques et biologiques
propres à la syphilis nerveuse.
Thérapeutiques. — Nous les retrouverons plus loin.
De tels arguments suffisent à affirmer que, dans le développement
des encéphalopathies Tinfantiles, l'hérédo-syphilis joue le rôle prépon-
dérant, thechiefone. Ce rôle est-il exclusif ? C'est ce qu'il serait témé-
raire d'admettre. Deux autres causes, au moins, semblent pouvoir
intervenir dans un certain nombre de cas :
2° Les traumatismes obstétricaux : présentations vicieuses,
présence de circulaires du cou, longueur démesurée du travail, adminis-
tration de chloroforme, application de forceps, tous incidents aboutis-
sant à la naissance en état d'asphyxie apparente, ont été, depuis Little,
incriminés bien des fois. L'accouchement le plus normal ne constitue-
t-il pas (Long-Landry) un traumatisme pour le cerveau de L'enfant ? Le
« passage des détroits » ne s'effectue, en effet, qu'au prix d'une com-
pression excessive du crâne avec chevauchement des pariétaux. Agis-
sant sur un cerveau mou, friable, mal protégé, cette compression finit
souvent par produire ( Cou vel aire) des ruptures vasculaires, îles
hémorrhagies cortico-méningées, dont l'existence peut être démontrée
soit tout de suite, par la ponction lombaire qui ramène du sang pur,
soit, plus tard, par l'examen nécropsique.
;i° Quant à l'alcoolisme, son influence n'est guère plus douteuse.
Nos amis les Belges ne désignent ils pas, du nom pittoresque de
LES ENCÉPHALOPATHIES INFANTILES
23&
Samstagkinds, ces enfants arriérés ou épileptiques que leurs parents ont
conçus un soir de paye, en pleine ivresse ? Que si cet argument ne
vous suffisait pas, permettez-moi d'appeler à mon aide une grande
autorité : celle de Molière, pris en flagrant délit d'acte médical, de
/■/. CoM tin tt'if.
Fig. 2. — Méningite chronique. Coloration au van Gieson. Grossissement : 35/1. Epaississement
de la pie-mère, constituée par des trousseaux fibreux surtout dans ses couches superficielles, et
par des artères à parois épaissies ; adhérence complète de la pie-mère à l'écorce sous-jacente.
L'écorce, riche en capillaires, présente quelques petites lacunes de désintégration (Hutinel et
Babonneix).
Molière consultant, de Molière médecin malgré lui. Dans Amphitryon,
l'un des personnages ne déclare-t-il pas — doctoralement — :
Les médecins disent, quand on est ivre,
Que, de sa femme, on se doit abstenir,
Et que, dans cet état, il ne peut provenir
Que des enfants pesans, et qui ne sauraient vivre * ?
En résumé, les trois causes fondamentales d'encéphalopathies infan-
tiles sont : 1° surtout l'hérédo-syphilis ; 2° loin derrière elle, les trau-
1. Acte II, scène m.
/ - B IBO \ w / \
matismes obstétricaux et l'alcoolisme. Quant aux autres influences
pathogènes invoquées par les auteurs, il n'est pas douteux qu'elles
peuvent intervenir, aussi, mais à titre exceptionnel. Et encore, souvent
leur action serait-elle inopérante, si le cerveau du fœtus n'avait été
Fragilisé, sensibilisé par la spécificité.
Ce serait sortir des limites que nous nous sommes assignées que de
Fig. 3. — Méningo-eneéplialite chronique, avec épaiss-issement. aillierences et opales-
cence de la pie mère. A noter, île plus, de multiples anomalies morphologiques des
circonvolutions, et, au-dessous de 1 extrémité postérieure de la scissure de Sylvius,
une petite cavité porencéphalique.
vouloir traiter à fond, ici, la question analomo-pathologique. Conten-
tons-nous d'envisager, en quelques mots, la morphologie, l'origine et
les conséquences des lésions principales.
En ce qui concerne leur morphologie, les auteurs distinguent les lésions inflam-
matoires et les vices de développement.
Parmi les lésions inflammatoires, citons surtout :
lu La méningite chronique, caractérisée par un épaississement de la pie-mère, et — en
principe — par l'intégrité macroscopique de l'écoi ce sous-jaeente (tig. 2] ;
2° La méningo-encéphalite chronique, dans laquelle la pie-mère, épaissie et vascula-
usée Qg. 'A .adhère intimement au cerveau, de lelle sorte que, quand on veut procéder
à la décortication de ce dernier, oiy crée des ulcérations et que, mis ensuite dans
1 eau, il offre une surface tomenteuse. Histologîquement, fusion des méninges molles,
qui forment une membrane épaisse el végétante, riche en amas embryonnaires et en
vaisseaux à lumière dilatée, à gaine lnuiiire de lymphocytes el de plasma/ellen (lig. 4 ;
encéphalite diffuse avec atrophie scléreuse des circonvolutions sous-jaoenles, dispari-
tion des fibres à invéline, atrophie des cellules nerveuses, apparition, dans les COUcheS
superficielles, de lacunes de désintégration. Par sa tendance à la symphyse, l'abon-
dance de ses infiltrats embryonnaires, la précocité et l'abondance tle ses lésions vascu
LES ENCÉPHALOPATHIES INFANTILES
23'
Fig. 4. — Méningo-encéphalite chronique. Atrophie scléreuse des circon-
volutions ; méningite hyperplastique avec nombreux amas embryon-
naires, la plupart pcrivasculaires. (Coloration : hémaléine-éosine )
( Baiionneix.)
Fig 5. — Sclérose atrophique hémisphérique Noter la héance des sillons et l'amincissement
des circonvolutions.
/.. BABONNEIX
laires, cette méningo-encéphalite chronique évoque, dans bien des cas, l'idéede syphi-
lis (Cl. Philippe et J. Oberthur) ;
;{' La sclérose cérébrale atrophiuue, où les circonvolutions atteintes se différencient des
autres par leur aspect rétracté, comme flétri, qui les a fait comparer aux circonvolu-
tions d'un cerveau durci par l'acide nitrique (Hichardière) ; par leur diminution corré-
lative de volume (microgijrie), d'où héance des sillons qui les séparent ; par leur colo-
Fig. 6. — Weigert-van fiieson. Grossissement : 15/1. Les trois circonvolutions représentées sont
creusées, dans leur partie superficielle de cavités unfractueuses, irrégulières, où flottent des débris
de substance nerveuse désintégrée. Leur axe, au lieu d'être constitué par des libres à myéline,
n'est plus formé que par un feutrage névroglique dense et par de nombreux capillaires. C'est à
peine s'il persiste quelques libres nerveuses dans deux d'entre elles. On saisit ici sur le vil révolu-
tion lacunaire qui préside au développement de certaines encépbalites kystiques. (BauonneIx.)
ration blanchâtre ; et. surtout, par leur augmentation de consistance (induration carti-
lagineuse de Cruveilher). Suivant son étendue, elle est dite hémisphérique (fig. 5),
lobaire, chagrinée ; elle se localise alors à quelques circonvolutions. Parfois, les
lésions prédominent, à la coupe, sur la substance blanche (atrophie soiis-eor/ica/e de
Binswanger).
Histologiquement, deux variétés : 1 ° la prolifération névroglique a pour origine la
paroi des capillaires, et se présente, au début, sous forme d'ilôts péri\ usculaires, qui.
ultérieurement, se réunissent (1*. Marie) ; ici encore, la Syphilis est souvent eu cause
(Bechterew) ; '2" la sclérose est beaucoup plus dense, et OOCUpe de larges territoires.
parfois creusés de Kystes à parois déchiqueté) s. remplis d'une sérosité claire, dans
laquelle flottent des blocs de tissu nerveux désintégré (tif;. (»). Dans ees cas, et contrai-
LES ENCÉPHALOPATHIES INFANTILES
239
rement au précédent, aucune lésion inflammatoire. 11 semble s'agir alors d'agénésie,
liée àl'aplasie de l'artère correspondante ;
4° L'hydrocéphalie interne chronique se caractérise par un abondant épanchement de
liquide céphalo-rachidien à l'intérieur des ventricules latéraux, desquels il peut fuser,
par le trou de Monro, dans, le IIIe ventricule ; dans le IVe, par l'aqueduc de Sylvius
dilaté et, de ce ventricule,
dans les espaces sous-arach-
noïdiens par le trou de Ma-
gendie. Lorsque cet épanche
ment devient très considéra-
ble, les ventricules latéraux
communiquent largement en-
tre eux, septum lucidum et
voûte à trois piliers se résor-
bent, le corps calleux se ré-
duit à une mince lame mem-
braneuse, les circonvolutions,
aplaties, prennent 1 aspect
d'une marqueterie. Les altéra-
tions n'épargnent ni l'épen-
dyme, granuleux, épaissi, vé-
gétant, ni les plexus choroï-
des. Le crâne augmente de vo-
lume, devient fortement bra-
ch3'céphale, et subit d'importantes modifications structurales. Histologiquement,
lésions inflammatoires, portant sur divers points : épendyme, et, surtout, région
Fig. 7. — Porcncéphalie de 1 hémisphère gauche. Le porus est
situé au-dessus de la partie tout antérieure de la scissure de Syl-
vius. (Babonneix et Dahré.)
Fig. 8. — Porencéphalie. Coupe de la 3" frontale gauche. Képartition de l'écorce en
deux zones, les unes, claires (déserts cellulaires), les autres, sombres, multicellulaires.
Aspect de trèfle, de folioles. i,Babonneix et Dahhé.)
sous-épendvmaire (Merle) ; plexus choroïdes ; les unes et les autres relèvent habi-
tuellement de la syphilis ; écorce, atteinte de sclérose disséminée, avec disparition des
éléments nerveux.
Des lu'ces de développement, les plus importants sont :
lu La porencéphalie, découverte, en 1827, par Cazauvielh, qui commit la faute impar-
240
/.. BABONNEIX
donnable de ae pas lui donner un nom (Brissaud); c'est une perte de su bstancef porus)
en forme d'entonnoir lig. 7 , dont la hase répond à la surface du cerveau, le sommet.
arrondi, au ventricule la-
téral, et dont les parois
sont constituées par les
circonvolutions voisines,
qui rayonnent toutes de
la périphérie vers les
hords de l'excavation, sur
lesquels elles se réfléchis-
sent. Ses lésions micros-
copiques sont, parfois, de
nature inflammatoire (Ba-
honneix et Darré; (fig. 8
et 9). De la porencépha-
lite, que l'on attribue à
une destruction du tissu
nerveux (Vogt), d'origine
vasculaire ou mécanique,
il faut rapprocher la
psendo-porencéphalie, qui
ne s'en distingue que par
quelques détails morpho-
logiques, et les lésions
vasculaires : foyers de ra-
mollissement, sous forme
de plaques jaunes ; hé-
morrhagies, surtout mé-
ningées, et, alors, presque toujours d'origine obstétricale, reconnaissahles à leur aspect
cloisonné, à leurs parois celluleuses, à leur contenu séreux ;
Fig. 9. — Porencéphalie. Oéserts cellulaires en rapport avec des
vaisseaux méningés altérés. (Babonneix et Uarhé. )
Fig. 10. — Istio-atypie corticale disséminée Face externe de I hémisphère gauchi
^Collection Pibrre Maris )
2' L'islio-atypie corticale disséminée (lYlli/./i , caractérisée macroscopiquement par
la présence à la surface des hémisphères et des corps opto itriéa, d'Ilots arrondis,
saillants, de coloration blanchâtre, de consistance dure (lig. 10), et, en pleine sul>s
LES EXCÉPHALOPATHIES L\FA\TILES
241
tance blanche, d'îlots de substance grise, constituant autant d'hétérotopies. A ces
lésions s'associent presque toujours des tumeurs : rhabdomyomes du cœur, adénomes
sébacés, ou, plutôt, neuro-gliomes (Bielschowski), hypernéphromes ou tumeurs mixtes
développées aux dépens du corps de Wolff, et toutes les variétés possibles de malforma-
tions. Microscopiquement, les tubérosités sont formées (fig. 11) par un tissu névroglique
extrêmement dense, les hétérotopies, par un tissu névroglique moins compact, au milieu
duquel se voient de volumineux éléments cellulaires, dont les uns ressemblent surtout
à des cellules nerveuses, et les autres, à des cellules névrogliques : ce sont des éléments
embrvonnaires : neuro et spongioblastes, et la présence, sur une même coupe, de
Fig. 11. — Istio-atypie corticale disséminée Coupe des ilôts corticaux
vue à un faible grossissement (Babonneix.)
toutes les formes intermédiaires entre ces éléments et les cellules adultes donne à la
préparation un aspect véritablement « tumoral » (Vogt), bien que jamais ces îlots ne
subissent de dégénérescence néoplasique (Babonneix). Dans l'istio-atypie corticale
disséminée, il s'agit donc, somme toute, d'une malfaçon intermédiaire aux vices de
développement et aux néoplasmes : aussi ne mérite-t-elle nullement le nom de sclérose
hypertrophique que lui avaient donné jadis Bourneville et Brissaud.
3° La microcéphalie où le poids du cerveau reste toujours très au-dessous de la nor-
male (atrophie cérébrale infantile de Cotard et qui, tantôt, relève d'un arrêt simple de
développement [M. \ era de Giacomini) : les circonvolutions sont peu sinueuses, les
plis de passage, rares, les sillons, larges et peu profonds : généralisée, cette forme se
confond avec la lissencéphalie ; tantôt est due à une encéphalite fœtale, et alors s'asso-
cie souvent à de l'hj-drocéphalie congénitale (Pseudo-M. de Giacomini) ; tantôt, enfin,
se complique de malformations cérébrales multiples [atypie de Pfleger et Pilez) '.
Messieurs, en suivant cette description, vous n'avez pas manqué de
constater que j'avais parlé de sclérose atrophique à propos de méningo-
■ 1. Les Ggures 2, 5 et 13 sont extraites des Maladies des Enfants, publiées sous
la direction du prof. Hutinf.l, et nous ont été obligeamment prêtées par MM. Asselix
et Houzeau, éditeurs, place de l'Ecole -de-Médecine, à Paris.
CONFER. KEUROL.
16
242
/.. BABO S N/'/ \
ncénhalile chronique, d'agénèsie à propos de sclérose atrophiqne, de
tioni inflammatoires» propos des vices de développement Lt vous en
en
lésions injl
Fig 12. - LiMencéptaolie, avec méningo-encéphallte ehronique H-»"' -
aVez peut être conclu qu'il fallait être bien étourdi pour confondre
S les espèces et les W...B«i^ P«^*^ «T»^
lées> bpSus volontaires ! Les diverses lésions que je viens de passereo
LES EN C ÈPH ALOP AT H 1ES INFANTILES
243
revue ne s'opposent pas les unes aux autres : souvent même, elles
coexistent. C'est qu'en effet, elles ne représentent qu'un aboutissant,
qu'une fin, et que leur aspect dépend, avant tout, de la date d'apparition,
du siège et de l'étendue des processus initiaux, de l'existence ou de
l'absence de phénomènes de réparation, etc. (Long-Landry). Or, ces
processus initiaux, que savons-nous d'eux ?
Nous ignorons à peu
près tout de leur origine
et ce n'est que d'une ma-
nière très artificielle que
nous les répartissons en
plusieurs groupes, selon
qu'ils paraissent relever
d'une agénésie simple,
d'une lésion inflamma-
toire, d'une moindre ré-
sistance, à l'usure, de
certains faisceaux ner-
veux, ou qu'ils sont en
relation avec une ano-
malie morphologique
des glandes vasculaires
sanguines : surtout sur-
rénales (Apert, Czerny,
Léri et Vurpas, Lher-
mitte), sans qu'il soit
possible dédire laquelle
des deux lésions est cau-
se et laquelle est effet.
La seule partie de leur histoire dont nous commencions à avoir
quelques clartés, c'est celle qui a trait à leurs conséquences. Les voici,
en deux mots :
1° Lorsqu'ils intéressent, comme c'est la règle, l'écorce motrice, ils
déterminent une agénésie des fibres de projection : faisceau pyramidal,
voie cortico-ponto-cérébelleuse, aboutissant à l'agénésie (impropre-
ment dite atrophie transneurale), ici, de l'hémisphère opposé du cerve-
let (Turner, Cornélius) (fig. 13 et 14), là, du neurone moteur périphé-
rique, et, corrélativement, parfois, une hypertrophie compensatrice de
l'autre faisceau pyramidal ;
2° Quel que soit leur siège, ils se compliquent, toutes les fois qu'ils
Fig. 13. Atrophie croisse du cervelet. Sclérose cérébrale
atruphique de l'hémisphère droit. At'ophie de l'hémisphère
cérébelleux gauche. (Coll. PlKiiRE-IVrARIE.)
.11 L. BMiO.WEIX
acquièrent une certaine intensité, de lésions crâniennes, parmi les-
quelles la microcéphalie (fig. 15), avec synostose prématurée des mem-
branes.
Passons maintenant à l étude clinique des encéphalopathies infan-
tiles. Désuet, ce système de eloisons élanches que l'on avait voulu
établir entre les symptômes! Périmées, ces distinctions laborieuses
entre les scléroses cérébrales, affection «organique », l'épilepsie « essen-
tielle », l'idiotie et l'imbécillité, phénomènes « psychopathiques » ! La
nécessité d'un « regroupement » a fini par s'imposer. Et voici ce que
l'on peut dire à ce sujet : •
De même que dans les tumeurs cérébrales, il existe deux ordres de
symptômes : les uns, liés à l'hypertension intracranienne, et qui sont
les mêmes, quelle que soit la tumeur; les autres, en rapport avec leur
siège ; de même, toute lésion troublant gravement le développement du
cerveau se traduira : 1° par des symptômes communs ; 2° par des
symptômes particuliers.
Les premiers comprennent essentiellement :
Des troubles moteurs: paralysies, toujours accompagnées de modifi-
cations du tonus et des réflexes, mais sans altération des réactions
électriques et offrant, le plus souvent, le type spasmodique ; — mouve-
ments involontaires : athétose ou eborée ; convulsions cbez les tout
jeunes enfants, épilepsie chez l'adulte ;
Des troubles intellectuels d'intensité variable, auxquels s'associent
fréquemment des troubles du langage et des troubles sphinctériens ;
Des troubles multiples des sensibilités générale et spéciale ;
Des anomalies morphologiques du crâne: hydrocéphalie, microcé-
phalie, etc. ;
Des troubles de l'état général : vices de développement, défauts de
croissance, parfois scléroses viscérales, insuffisances fonctionnelles mul-
tiples portant, en grande partie, sur le système endocrine.
Ces diverses manifestations étant mises en l'acteur commun et cons-
tituant, si l'on veut, le syndrome cérébral des encéphalopathies infan-
tiles, arrivons aux secondes, en rapport avec la localisation de la lésion :
elles sont de deux ordres : moteur et intellectuel.
Troubles moteurs.
Parmi les troubles moteurs, il faut distinguer, par ordre d'impor-
tance :
LES EXCÉPHALOPATHIES IXFAXTILES
245
Â. g«
gnvtale
Ecorce cérébrale
'f celL ayranucUUs
Se de ,S»jUua
—-- -_F. 'Py^mUa.L
Ped.onCu.Leo cereur
rrotuoei-a.n.ce
pèJ.oucule£ cérebelleu- moyens
et cervelet
C°fne interLeu-rc
T Mu^oulli-re
Fig. 14. — Schéma destiné à
expliquer les connexions de
l'écorce cérébrale avec le cer-
velet. Deux neurones super-
posés : un cérébello-ponti-
que, homolatéral : un ponto-
cérébelleux, croisé. (Hutinel
et Babo.nxeix.)
Fig. 15 — Microcéphalie familiale. (BounNEVii.i.E.)
>46
/.. BABO \ \/ / \
Les phénomènes spasme) paralytiques, caractérisés par l'association,
à parts inégales, de spasme ef de paralysie, Ils peuvent être uni ou
bilatéraux.
Aux premiers ressortit V hémiplégie cérébrale infantile, dite encore, et
non sans raison, hémiplégie spasmodique infantile. Comme l'a si bien
Fig. 1(5 — Hémiplégie infantile gauche.
(Col. Piehre-Maiue.)
Fig. 17. — Hémiplégie infantile droite.
Attitude en flexion du membre supé-
rieur Luxation congénitale de la han-
che du même côté (Coll. Pierre -
Marie )
montré M. P. Marie, il est, pour l'hémiplégie, chez l'enfant, une date
fatidique, c'est l'âge de neuf ans. Avant, hémiplégie infantile avec
arrêt. ... de développement de tissus des membres paralysés, impropre-
ment appelé atrophies, et auquel conviendrait mieux le nom d'aijénésirs;
après, hémiplégie banale, ne différant en rien de celle que Ion observe
«lie/, l'adulte.
Cette hémiplégie infantile, rien de plus aisé (pie de schématiser son
histoire. Presque toujours, elle débute parties convulsions, parfois de
typejacksonien. Une fois installée, elle se caractérise (fig I6et 17) par :
Une paralysie de forme hémiplégique, atteignant surtout le membre
supérieur, qu'elle immobilise en flexion et en adduction ; moins le
LES ENCÊPHALOPATHIES INFANTILES 247
membre inférieur, généralement en extension, le pied en varus équin,
comme vous pouvez le voir en contemplant, au Louvre, le Pied Bot de
Ribera : moins encore la face ; aux membres, elle prédomine, comme'
toute paralysie cérébrale (P. Marie), sur les extrémités; — de la con-
tracture, qui contribue, pour une large part, à la production des
attitudes vicieuses, et qui, d'ailleurs, manque assez souvent (P. Marie,
Bouchaud, Long) ; — des syncinésies (P. Marie et Foix), localisées, soit
au côté sain, soit au côté malade, et dont la plus intéressante est peut-
être le phénomène de Magnus-Kleyn ; — des mouvements involon-
taires : hémichorée et hémiathétose, localisés, comme la contracture, aux
membres paralysés, et, comme elle, inconstants ; — des modifications
diverses des réflexes: le plus souvent, exagération des réflexes tendineux
et abolition des réflexes cutanés ; quelquefois, abolition uni ou bilatérale
(Souques) des premiers ; — des troubles sensitifs, dont le plus important
est Y astéréognosie , due à ce que. par le fait de la paralysie, l'éducation du
toucher n'a pu se faire (Claparède, Dejerine) ; — des crises comitiales,
relativement bénignes ; — des troubles intellectuels, d'intensité varia-
ble ; — et, surtout, des vices de développement : agénésies frappant tous
les tissus des membres, du côté paralysé; peau, tissu cellulaire, muscles,
artères, dont la courbe oscillométrique est réduite, os, dont les apo-
physes, aux rayons X, apparaissent comme rudimentaires, diminution
de longueur et de volume des membres, d'autant plus marquée que
l'hémiplégie a débuté plus tôt ; à ces agénésies, qui jouent un rôle
capital dans les déformations (Charcot), peuvent se substituer des hyper-
trophies musculaires ou viscérales, siégeant du môme côté que la
paralysie.
Ces divers symptômes se groupent souvent dans un certain ordre, et,
avec M. P. Marie, on peut décrire deux types principaux d'hémiplégie
infantile :
Le type A, avec athétose, mais sans contractures ni atrophies (on
pourrait ajouter : sans épilepsie, sans gros troubles intellectuels) ;
le type D, avec contracture, exagération des réflexes (on pourrait
ajouter : avec épilepsie et troubles intellectuels), mais sans athé-
tose.
Tous les intermédiaires relient d'ailleurs ces deux types (Freud et
Rie).
Aux secondes, appartiennent les diplégies cérébrales, dont, schémati-
quement, on peut distinguer trois formes :
La maladie de Little, que caractérisaient, pour Brissaud, trois élé-
ments : un étiologique : naissance avant terme; un anatomique : agéné-
!48
/.. BABONNEIJi
siedu Faisceau pyramidal; un clinique : contracture congénitale, soit
généralisée, et alors prédominant aux membres inférieurs, soit loca-
lisée aux mêmes membres, diminuant spontanément avec les années, et
ne s'accompagnant jamais d'épilepsie, de troubles intellectuels ou
sphinctériens, de mouvements involontaires.
A cette conception, (pie Brissaud a défendue avec infiniment de
talent, on peut adresser bien des
objections. La maladie de Little
s'observe che? des enfants nés à
terme, et manque souvent chez les
prématurés ; l'agénésie « essen-
tielle » du faisceau pyramidal n'est
qu'un mythe (Cestan), et d'ailleurs,
contrairement à la théorie, elle fait
défaut chez la plupart des prématu-
rés [Id.) ; quant à cette contracture
isolée, dépouillée de tout autre élé-
ment morbide, elle n'a pour ainsi
'dire jamais été vue.
Force a donc été d'abandonner
cette séduisante théorie, dite dua-
liste, parce qu'elle séparait la mala-
die de Little des autres diplégies
cérébrales infantiles, et, conformé-
ment à la théorie uniciste, de consi-
dérer cette affection comme une sim-
ple variété de ces diplégies, caracté-
risée : étiologiquemenl par l'une des deux particularités suivantes : ou
naissance avant terme, liée, comme l'affection nerveuse elle- même, à l'hé-
rédosyphilis ; ou naissance à terme avec anomalie de l'acte obstétrical ;
anatomiquement, par des lésions encéphaliques localisées, soit à
l'écorce rolandique, et consistant alors, d'habitude, en foyers hémorrha-
giques d'origine obstétricale, soit au corps strié, avec, dans le premier
cas, sclérose dense (dégénérescence) ou légère [agénésie) du Faiseau
pyramidal correspondant, dans le second, intégrité dudit Faisceau ;
clinique ment (fig. 18), par nue contracture offrant bien les caractères
indiqués par Brissaud, donnant aux membres intérieurs une atti-
tude typique (dans la station verticale, Flexion généralisée de tous les
segments des membres, adduction des cuisses, tandis que les jambes
divergent ; dans la marche, exagération de la contracture, démarche
Fig. 18. — Maladie de Little.
(Collect. Pierrb-Marie )
LES ENCÉPHALOPATHIES INFANTILES
249
tenant à la fois du digitigrade et du gallinacé (Dejerine), les genoux
trottant l'un contre l'autre, tandis que les pieds s'entre-choquent ;
impossibilité dans la position assise de laisser pendre les jambes) et
s'accompagnant non seulement de surréflectivité tendineuse, mais
encore de troubles intellectuels, trophiques, vaso-moteurs, de mou-
vements involontaires, de convulsions et d'épilepsie ;
L'hémiplégie double qu'il est, en principe, très aisé de différencier de
la maladie de Little en se fondant sur les éléments suivants : début
Fig. 19. — Hypotonie musculaire excessive du membre inférieur, dans un cas
de syndrome atonique paralytique. (Fôbster.)
par des convulsions ; à la période d'état, prédominance de la paralysie
sur la contracture ; fréquence des arrêts de développement massifs, de
l'ophtalmoplégie, de l'épilepsie, gravité des troubles intellectuels; ten-
dance constante à l'aggravation. En fait, le diagnostic « peut être
assez délicat pour que, de deux neurologistes appelés à examiner le
même malade, l'un admette le syndrome de Little, l'autre, l'hémi-
plégie double » (Hutinel et Babonneix). Et il semble bien, à l'heure
actuelle, que seule, une question de degré différencie ces deux affec-
tions, la maladie de Little correspondant aux formes légères, l'hémi-
plégie double aux formes graves des diplégies cérébrales :
1" Les paralysies pseudo-bulbaires, identiques à celles que l'on observe
chez l'adulte, et dont on peut (Vogt) décrire deux types, paralytique et
spasmodique ;
2" Les phénomènes aloniques (Eôrster), soit localisés, soit généralisés,
et alors rappelant de très près l'atonie musculaire d'Oppenheim, par
l'anormale étendue des mouvements passifs (fig. 19 à 21), la difficulté
des contractions toniques, d'où une astasie-abasie très marquée (André
Thomas et Jumentié); et dont elle se distingue par l'intégrité des mou-
vements actifs ; leur caractère souvent atavique ; l'association d'autres
/.. BABOls \i:i \
éléments ressortissant au syndrome cérébral : convulsions, troubles
intellectuels, etc. ;
fc ,'J" Les phénomènes d'apparence, (je ne dis pas d'origine) cérébelleuse :
Fig. 20. — Hypotonie musculaire des membres intérieurs
d'origine cérébrale. (Forster )
ataxie, surtout dynamique, mais aussi parfois statique, adiadococinésie,
troubles de la parole;
4° Les mouvements involontaires ; quelquefois tremblement, mais sur-
tout athétose et chorée. Dans celle-ci, mouvements ronds (P. Marie),
Fig. 21. — Hypotonie musculaire d'origine cérébrale FôRSTBR.]
illogiques, arythmiques, de répétition incessante, d'amplitude extrême ,
dans celle-là, mouvements simulant les mouvements volontaires ; on
dirait, à les voir, que le patient exécute des mouvements délibérés, de
capture. Us sont lents, incessants, d'allure puissante. Dans leur
arythmie, ils possèdent tin certain rythme. On les a comparés an\ mou-
vements péristaltiques, ou, mieux encore, à ceux des tentacules de la
poulpe OU de l'anémone de mer.
LES ENCÉPHALOPATHIES INFANTILES 251
Souvent, les mouvements involontaires participent à la fois de la
chorée et de l'athétose, et méritent alors le nom d'athétoso-chorée
(Hallion).
Athétose et chorée peuvent être unilatérales ; elles se cantonnent alors
au membre frappé d'hémiplégie infantile; ou frapper les deux côtés
du corps ; à ces formes doubles s'associe toujours tel ou tel élément du
syndrome cérébral : convulsions, troubles intellectuels, modifications
du tonus.
Messieurs, jusqu'à ces dernières années, ces divers troubles moteurs
étaient communément rattachés à une lésion de l'écorce motrice ou du
faisceau pyramidal. Et, cependant, bien des raisons auraient dû donner
à penserque cette théorie péchait parexclusivisme. Comment, avec elle,
comprendre que, dan s l'hémiplégie infantile, le faisceau pyramidal corres-
pondant au côté paralysé n'offre, parfois, aucune altération? Qu'à l'hyper-
tonie se substitue, bien souvent, l'atonie, à la surréflectivité tendineuse,
l'aréflexie? Que trépidation spinale et signe de Babinski fassent souvent
défaut dans la maladie de Little (Long-Landry) et qu'inversement, dans
cette affection, puissent apparaître quelques symptômes rappelant ceux
delà paralysie agitante : rigidité musculaire, d'où attitude soudée, ten-
dance à la festination '? Que, dans la paralysie pseudo-bulbaire de l'en-
fant, on ait signalé, d'une part, la fréquence du rire et du pleurer spas-
modiques, de l'autre, des lésions localisées au corps strié, et contrastant
avec l'intégrité de la voie pyramidale (Oppenheim)?
Ces questions, que laissait en suspens la théorie classique, les belles
recherches de M. O et de Mad. C. Vogt permettent de les résoudre.
Elles nous autorisent, dès maintenant, à supposer que nombre de symp-
tômes moteurs observés dans les encéphalopathies infantiles relèvent
de lésions du corps strié, d'ailleurs trouvées par Mad. Vogt dans cer-
tains cas de maladie de Little : tels sont l'hypertonie du type « strié »
(rigidité, par opposition à la contracture du type pyramidal), la difficulté
des mouvements volontaires, les mouvements involontaires, les mouve-
ments associés, dont la survenance exagère le trouble des mouvements
volontaires; les crises de rire et de pleurer. Et nous devrons désormais,
à l'exemple de MM. Lhermitteet Cornil. tenter d'opérer une discrimi-
nation dans cette symptomatologie, selon qu'elle comporte des éléments
d'origine striée ; pyramidale; mixte; décérébrée ; d'autre origine.
Syndromes intellectuels.
Nous en arrivons aux syndromes intellectuels. Leur importance est
telle que, malgré mon désir de rester plus neurologiste que psychiatre,
/ . B IBO \ \// \
je suis obligé de vous eu dire quelques mots. Jadis, à la suite des tra-
vaux de Bourneville, ou eu distinguait trois variétés : l'idiotie, ravalant
les sujets ail niveau delà hèle: semblables à ces statues de l'Keriture, les
idiots ont drs yeux, et ils ne voient point; ils ont des oreilles, et ils
n'entendent point; ils ont des sens, et pas de sensibilité. Ils justifient —
à rebours — la belle pensée de Ch. Richet, à savoir que la sensibilité est
en raison directe de l'intelligence, et (pie ce sont les êtres les plus intelli-
gents qui sont capables de souffrir le plus. Vivant d'une vie végétative,
passant leur temps à se balancer sur leurs ebaises percées, jusqu'au jour
où ils sont emportés par quelque infection nosocomiale, ces déchets
de l'humanité sont hommes, et rien de ce qui est humain ne cesse
de leur être étranger : ce sont des êtres extra-sociaux (Sollier).
h'imbécile a, lui, quelques notions du monde extérieur. Mais il est
dissimulé, vaniteux, dépourvu de tout sens afïectif, et, par là même, sou-
vent malfaisant. C'est un être antisocial (Sollier). Au reste, par la briè-
veté delà pensée, il s'apparente à l'idiot qu'il méprise.
Vient ensuite l'arriéré, dont les facultés critiques sont peu dévelop-
pées, mais qui parfois est capable de boutades, de réparties spirituelles,
de saillies diverses. Ai-je besoin de vous rappeler que c'est parmi eux
(pie se recrutaient jadis les bouffons et les fous du roi, et que, selon la
touchante légende à laquelle fait allusion YArlésienne, ces innocents pas-
saient jadis pour assurer le bonheur de ceux qui les avaient recueillis
sous leur toit ?
A l'heure actuelle, cette classification subsiste encore dans ses
grandes lignes, mais à la suite des travaux de MM. Binet et Simon sur
le niveau intellectuel déterminé parla méthode des tests, on a quelque
peu changé le sens des mots : Y idiot est devenu celui qui ne répond pas
aux tests de 2-3 ans; Yimbécile, celui qui est incapable de communiquer
avec ses semblables parle langage écrit ; le débile mental, celui dont le
« niveau » est de 8 ans.
Sans vouloir multiplier les formes des encéphalopathies infantiles, il
convient de leur rattacher la débilité motrice du regretté professeur
Dupré, avec paralonie, c'est-à-dire impossibilité pour les sujets qui en
sont atteints d'arriver volontairement à la résolution musculaire : aussi
sont-ils maladroits, « empotes » ; c'est parmi eux (pie déviaient prendre
place ( Dupré et Merklen les domestiques casseurs d'assiettes. A ces
troubles moteurs, que le Prof. Dupré rattachait volontiers, dans ces
derniers temps, à une origine striée, s'ajoutent souvent divers signes
de débilité mentale. Signalons aussi les formes associées à di\ erses
maladies, familiales OU non, du système ner\ cu\.
LES ENCÉPHALOPATHIES INFANTILES 253
Evolution. Diagnostic. Pronostic.
En ce qui concerne Yévolution, que vous dire, si ce n'est qu'il s'agit,
malheureusement, d'affections chroniques, durant autant que la vie,
souvent aggravées par des poussées, liées à une affection banale, et que
terminent fatalement la cachexie, la tuberculose ou les infections res-
piratoires aiguës ? Leur pronostic ne peut donc être que très sombre.
D'où l'intérêt d'un diagnostic précoce. Il doit se proposer de résoudre
différentes questions :
1° Y a-t-il encéphalopathie infantile ? La réponse est aisée, si l'on
constate, chez le patient, quelques-uns des éléments du syndrome céré-
bral sur lequel nous sommes revenu tant de fois ; les difficultés n'exis-
tent qu'aux premières phases, que l'on doit envisager séparément, selon
qu'il s'agit de troubles moteurs ou intellectuels.
Les premiers devront être soigneusement distingués de cette hyper-
tonie physiologique propre aux nouveau-nés, et qui, par ses caractères
spéciaux comme par la coexistence de mouvements associés, et le carac-
tère athétosique des mouvements volontaires, rappelle de si près, ainsi
que nous le remarquions avec M. Lhermitte, la symptomatologie
« striée », mais, dès le cinquième ou le sixième mois, cette hypertonie
disparaît (Variot), et les mouvements acquièrent, petit à petit, la préci-
sion nécessaire.
Pour les secondes, leurs manifestations initiales sont souvent d'inter-
prétation délicate. « Vous pouvez, toutefois, les rattacher à leur véri-
table cause en procédant par comparaison. A quoi jugez-vous qu'un tout
petit est normal ? A ce que, de bonne heure, il sait faire fête à celle
qui, de longs mois, l'a porté ; à ce que, de bonne heure, il sait sou-
rire à son sourire. A quoi voyez-vous que, chez lui, le développe-
ment intellectuel suit son cours? A sa physionomie mobile, toute
rayons et ombres, au divin rayonnement qui, émanant de ses traits,
« fait penser à tout un ordre de choses heureuses », à ce qu'André Ché-
nier a si jolimentappelé la chanson de ses yeux. Observez, maintenant,
un nourrisson mal venu, et sachez interpréter ce langage de signes dont
parlaient les anciens. L'expression de son visage est fermée, hostile
souvent, étrange toujours. Dans son regard, nulle flamme. Il ne recon-
naît personne. Il ignore la joie. Jamais il ne rit de ce rire éclatant et
caractéristique de l'enfance (West). Pour les profanes eux-mêmes, il
nest pas comme les antres. Bientôt, ces particularités s'accusent, et,
quand on constate qu'il ne cherche ni à parler ni à marcher, le doute
n'est plus permis » (Hutinel et Babonneix).
/ /; \l;t> \ \l I \
2° Quelle en est la cause ? Pensez d'abord à l'hérédo-syphilis, puis
aux traumatismes obstétricaux et à l'alcoolisme, accessoirement aux
autres influences pathogènes ;
;>" .1 quelle lésion l'attribuer'? De l'avis unanime, aucune réponse pré-
cise ne peut être Fournie, les lésions les pJus diverses se caractérisant
par les mêmes signes cliniques. Une seule exception : la présence
chez un idiot, épileptique et diplégique, d'adénomes sébacés de
la face (ligure 22) et, sur-
tout, d'hypernéphromes du
rein provoquant des héma-
turies, où l'examen histolo-
gique décèle des cellules
néoplasiques, permet d'affir-
mer l'istio-atypic corticale
(Vogt);
4° Quel est le sièye de la lé-
sion causale ? Mêmes difficul-
tés pour résoudre cette ques-
tion. Pour les syndromes inu-
teurs, on peut dire, avec les
réserves d'usage, que : 1" sui-
vant les cas, on mettra en
cause l'écorce motrice ou le
corps strié; 2°) que les phéno-
mènes spasmo-paralv tiques,
avec idiotie profonde et épi-
lepsie, indiquent plutôt une lésion corticale inflammatoire, les phéno-
mènes d'atonie, avec simple imbécillité OU arriération mentale, comme
on en observe souvent dans l'idiotie mongolienne, donnent plutôt à
penser qu'il s'agit de lissencéphalie.
En ce qui concerne les troubles intellectuels, il était classique, jadis,
de les attribuer à une lésion i\u lobe préfrontal. Mieux vaut rappeler que
l'intelligence ne peut être intacte quand les mouvements ne permettent
pas à l'enfant d'acquérir des sensations (Baldwin), quand les fonctions
nerveuses élémentaires sont altérées, et adopter la brillante conception
du professeur Dupré, pour lequel, « comme la lumière blanche dans
le spectre, comme la symphonie dans un orchestre, l'intelligence, dans
l'encéphale, a ses origines et son siège partout, son centre nulle'parl ».
Fig 22. — Adénomes sébacés du la l«ce (JaCOBI. )
LES ENCÉPHALOPATHIES INFANTILES 255
Vous n'ignorez pas, Messieurs, ce que les Lacédémoniens faisaient
des enfants malformés. Ils les jetaient à l'Eurotas. Ces Grecs avaient
vraiment l'esprit" rude. Nous autres, modernes, nous concevons de
tout autre manière nos obligations vis-à-vis de ces infortunés. Nous
leur devons le meilleur de nous-mêmes. Et c'est surtout en ce qui
concerne les soins à leur donner que « nous n'avons besoin ni d'espé-
rer, pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ».
Trois traitements : préventif, curatif, symptomatique.
Préventif, il comporte lui-même diverses indications :
D'abord, et avant tout, il s'efforcera de dépister l'hérédo-syphilis par
tous les moyens : enquête familiale (Fournier), recherche systématique
de la réaction de B.-W. chez les femmes entrant dans une maternité
(Wassermann, Gordon), et, en cas de résultat positif, de recourir, sans
délai, aux médications spécifiques : mercure et salvarsan, celui-ci, sous
forme d'injections, celui-là, sous forme de frictions (L. Findlay).
Il cherchera ensuite à réaliser Yeugénie la plus parfaite, en indiquant
aux conjoints, toutes les fois qu'il sera possible, la nécessité, pour la
conception, de s'effectuer dans les meilleures conditions, pour la gros-
sesse, d'être constamment soumise à une étroite surveillance médicale.
Il veillera, enfin, à réduire au minimum les traumatismes obstétri-
caux. En cas de naissance en état d'asphyxie et de convulsions subin-
trantes, les ponctions lombaires répétées s'imposent. Quant aux opéra-
tions récemment conseillées : ouverture large par craniotomie, avec
évacuation complète, puis fermeture (Harvey Cushing, 1905), ponctions
larges au bistouri, avec évacuation incomplète (Ch. C. Simmons, 1912),
elles sont trop graves et trop délicates pour entrer dans la pratique cou-
rante.
Curatif, il s'adresse :
Aux médications chimiques : surtout traitement spécifique, sous forme
de mercure en frictions et d'arsenicaux : arséno ou novarsénobenzols,
hectine, celle-ci en cas d'épilepsie (Tinel, Babonneix);
A Yopothérapie, au sujet de laquelle nous voudrions faire quelques
remarques : 1° les extraits glandulaires doivent d'abord être essayés
l'un après l'autre; lorsqu'on aura déterminé quel est le plus actif, on
lui donnera la première place dans le traitement; 2" une médication
donnée risquant, à la longue, ou de fatiguer l'organisme, ou d'épuiser
ses effets, il faudra l'interrompre de temps à autre; 3° dans l'intervalle,
on recourra à la polyopothérapie, d'autant plus recommandable que,
dans les encéphalôpathies infantiles, les glandes vasculaires sanguines
sont toutes plus ou moins lésées, sans qu'il soit toujours facile de dire
256 /■• B VBO \ \ El \
si ces lésions sont cause on effet ; 4" la médication thyroïdienne, admi-
nistrée avec prudence, convient à la plupart des cas.
Le traitement spécifique améliore parfois, exceptionnellement même
guérit certains troubles moteurs : convulsions (Gaucher), épilepsie
(Fournier* Hutinel, Tinel), hémiplégie infantile (Audry, Babinski, Mar-
fan, Sorel), maladie de Little (Fournier et Gilles de la Tourette, Gallois
et Springer). L'opothérapie contribue à atténuer les troubles intellec-
tuels. En cas de syndrome mixte, à la fois intellectuel et moteur, on
associera les deux traitements: médication spécifique et opothérapic.
A la psychothérapie, découverte par Séguin, perfectionnée par Bour-
neville, et cpii, s'inspirant des recherches effectuées par les Ecoles belge
et suisse, utilisera des méthodes différentes, selon que le patient est un
visuel ou un auditif.
Quant aux trépanations, pratiquées par Lannelongue en cas de micro-
céphalie, elles n'ont abouti qu'à des échecs. Rien de plus simple à com-
prendre. Avec Virchow, cet auteur croyait que, si le cerveau ne se
développe pas, en cas de microcéphalie, c'était parce qu'il en était
empêché par la s\mostose prématurée des membranes. Or, cette synos-
tose n'est nullement la cause de la microcéphalie : elle n'en est que
l'effet. Si bien qu'agir sur celle-là n'améliore en rien celle-ci. Mêmes
réflexions au sujet des craniectomies larges et tardives recommandées,
en 1915, par W. Sharpe et B. P. Farrell.
Dans la plupart des cas, traitement préventif et euratif ne sont plus
de mise cpiand le malade vous est conduit, et vous devrez vous contenter
d'un traitement sym]>tomatique, sans vous faire trop d'illusion sur sa
valeur. Multiples sont ses indications :
Empêcher le développement des infections par une hygiène bien
entendue; assurer une alimentation sulïisante, et veillera ce qu'elle soit
prise dans les meilleures conditions;
Ecarter du malade toute cause d'excitation, en vous rappelant que
rien n'aggrave son état comme la masturbation et les excès alcooliques
( Beurne ville) ;
Lui administrer, en cas d'urgence, quelques calmants, dont le type
est fourni par le bromure de potassium ;
Le mettre hors d'état de se nuire et de nuire aux autres;
Lorsque les contractures sont très marquées, on s'abstiendra de tout
traitement irritant: bains salés, douches froides, électricité, massages
violents, mouvements passifs d'amplitude exagérée, redressements for-
cés SOUS anesthésie générale, et l'on combinera les trois méthodes sui-
vantes :
LES EXCÉPHALOPATHIES INFANTILES 257
Physiothérapie, sous forme de mobilisation passive, très douce, et de
mobilisation active, de rééducation systématique, très précieuse, mais
qu'il faut réserver à ceux chez lesquels existe encore quelque lueur d'in-
telligence, d'extension continue prudente, de redressements pro-
gressifs ;
Opérations pouvant porter sur les tendons et sur les muscles : téno-
tomies, ou mieux dédoublements tendineux, exceptionnellement myo-
tomies; sur les os : arthrodèses, surtout indiquées dans les déviations
latérales du pied, et qui ne doivent être effectuées que chez des adoles-
cents ; sur le système nerveux: section des racines postérieures (Fors -
ter, 1908), opération dangereuse, de résultats éloignés souvent médio-
cres, et qu'il faut réserver aux sujets d'un certain âge, d'intelligence
suffisante, et présentant des contractures d'une intensité extrême; sec-
tion de certains nerfs ou injections d'alcool dans ces mêmes nerfs, préa-
lablement mis à nu, surtout en cas d'athétose;
Port d'appareits orthopédiques, après tout traitement opératoire,
d'abord inamovibles, puis, aussitôt que possible, amovibles.
Telles sont les principales indications du traitement symptomatique.
C'est à les remplir exactement que vous devrez vous efforcer. Tâche
pénible, tâche ingrate, mais à laquelle vous saurez vous astreindre,
mettant en pratique la devise chère à toute àme bien née : v< Aux plus
« déshérités, le plus d'amour ! »
CONFIER. NEUKOL. 17
NEUVIEME CONFÉRENCE
M. le Dr ANDRE LERI
professeur agrégé à la Faculté de médecine, médecin de l'hôpital Cochin.
LES ATROPHIES MUSCULAIRES SYPHILITIQUES
Messieurs,
\yous savez le rôle considérable que joue la syphilis dans l'étiologie
des maladies du système nerveux en général, et dans celles de la
moelle en particulier. Certains esprits malicieux affirment même avec
quelque ironie, tant ce rôle paraît capital, que le traitement antisy-
philitique est la seule ressource thérapeutique du neurologiste. Assu-
rément ils exagèrent beaucoup. Il n'en reste pas moins vrai que
la notion de la syphilis dans l'étiologie des maladies nerveuses a été
l'acquisition la plus féconde pour la thérapeutique de ces affec-
tions.
Cette notion n'a pas été admise d'emblée, tant s'en faut ; elle ne s'est
imposée que petit à petit et lentement. Les maladies de la moelle ont
été d'abord décrites comme des entités anatomo-cliniques: elles recon-
naissaient une symptomatologie relativement fixe, elles étaient basées
sur des lésions anatomiques systématiques, c'est-à-dire occupant essen-
tiellement tel ou tel « système » défibres ou de cellules. Ce n'est que
beaucoup plus tard que, pour chacune d'elles, on a songé, si l'on peut
dire, à « penser étiologiquement ».
Ainsi le tabès fut d'abord décrit par Duchenne de Boulogne en 1858
comme une sclérose systématique des cordons postérieurs. En 1876
seulement, dix-huit ans plus tard, Fournier commença à enseigner la
nature syphilitique du tabès ; cette conception essentiellement fran-
çaise fut définitivement admise plus tard encore, quand elle nous
revint d'Allemagne avec les publications d'Erb qui datent de 1879 et
1881.
Bien longtemps après, en 1892, la plus commune des paraplégies
1
i mu; i i i ni
spasmodiques lut décrite par Erb comme une affection syphilitique.
L'histoire des amyotrophies progressives ;i subi la même évolution,
i't c'est plus tardivement encore qu'elles ont été reconnues comme
des affections généralement spécifiques.
Les atrophies musculaires progressives ont été décrites par l)u-
chenne de Boulogne en 1849; Aran, l'année suivante, confirma cette des-
cription ; il en apportait onze observations : ces auteurs considé-
raient ces amyotrophies comme des lésions primitivement musculaires.
Cruveilhier en 1853 remarqua les altérations des racines antérieures, et
Luys en 1860 lit connaître l'atrophie des cellules des cornes antérieures.
Prévost et David en 18(H) localisèrent même la lésion de l'amyotropbie
Ducbenne-Aran au niveau des cellules antérieures des VIIe et VIIIe
segments cervicaux, c'est-à-dire au niveau des segments médullaires qui
fournissent surtout l'innervation aux petits muscles delà main. Dès lors,
il fut admis sans conteste qu'il s'agissait d'une lésion primitive et systé-
matique des cellules radiculaires des cornes antérieures, d'une polio-
myélite antérieure chronique ; et Duchenne de Boulogne lui-même
adopta nettement cette conception en 1872.
Elle ne varia plus jusqu'en 1893. Entre temps certains auteurs
avaient bien signalé la syphilis dans les antécédents de certains amyo-
tropbiques, mais sans y attacher aucune importance : pour presque tous
il n'y avait là qu'une coïncidence ; seuls Hammond, Niepce et Four-
nier ' indiquèrent une relation possible de causalité entre la syphilis et
l'amyotropbie.
Cette relation de causalité fut établie par le professeur Raymond - eu
1893 : il signala quelques cas d'atrophie musculaire à marche progres-
sive « chez des syphilitiques » et parla prudemment des relations
« éventuelles » de la syphilis avec l'évolution de la maladie. Ces rela-
tions étaient appuyées sur des constatations anatomiques de première
importance : Raymond avait vu (pie la lésion ne consistait pas en une
atrophie simple et essentielle des cellules des cornes antérieures, mais
bien en unv méninyo-myélile diffuse à point de départ vasculaire ; les
altérations vasculaires étaient occasionnellement systématisées au\ cornes
antérieures et déterminaient secondairement l'atrophie de leurs éléments
cellulaires.
Raymond ne considérait ces amyotrophies syphilitiques que comme
1. Hammond Traité des maladies »lu système nerveux, 1879.— Nibpcb. Atrophie mus-
culaire progressive chez un syphilitique. Union médicale, 1853, Fournies. Affections
parasyphili tiques.
2 Raymond. Soc. médie. dethàpit., 1893.
LES ATROPHIES MUSCULAIRES SYPHILITIQUES 261
t
des cas exceptionnels ; la conception de la poliomyélite primitive n'en
conservait pas moins toute son importance.
Cette importante publication de Raymond n'eut pas grande répercus-
sion. Dans les années qui suivirent on continua à signaler un certain
nombre de cas où la syphilis existait dans les antécédents d'amyotro-
phicpies et était peut-être enjeu dans la pathogénie de l'affection ; cer-
tains, comme Lannois et Lévy, parlèrent d'une atrophie musculaire
syphilitique « simulant » l'amyotrophie Aran-Duchenne. Entre temps,
l'idée même d'une entité morbide consistant en une poliomyélite anté-
rieure chronique primitive, défendue par Dejerine l et par Jean Char-
cot 2, avait été mise en doute par Pierre Marie en 1897 3.
En 1903*, nous avons pu observer en un temps relativement res-
treint six sujets atteints d'amyotrophies progressives de type spinal :
tous les six étaient des syphilitiques. Deux autopsies nous montrèrent
toutes deux des lésions de méningo-myélite vasculaire diffuse analogues
à celles observées par Raymond.
Une recherche rapide dans la littérature nous révéla immédiatement
35 cas où la s\rphilis existait pertinemment dans les antécédents
d'amyotrophiques. Dans une trentaine d'autres cas, des amyotrophies
exactement analogues s'étaient produites au cours de deux affections
aujourd'hui dûment reconnues syphilitiques, le tabès et la paralysie
générale. Dans quelques cas, le traitement antisyphilitique avait pro-
duit un résultat favorable. Enfin, dans nombre d'autopsies les auteurs
avaient observé non pas seulement des lésions systématiques des
cellules radiculaires antérieures, mais bien des altérations vasculaires
très manifestes et des lésions diffuses de la moelle ; ces lésions occu-
paient, outre la substance grise, des parties variables et plus ou moins
étendues des cordons blancs.
Cet ensemble de faits nous fit admettre que les amyotrophies progres-
sives sont d'origine syphilitique non pas exceptionnellement, mais ordi-
nairement ; autrement dit, la syphilis est la cause de beaucoup la plus
fréquente des lésions spinales qui déterminent les amyotrophies pro-
gressives.
Cette conception a été généralement adoptée, car depuis lors de très
nombreux exemples d'amyotrophies syphilitiques ont été signalés dans
1. De.h-.iune. Soc. de Biologie. 1895.
2. J. Charcot. Thèse de Paris. 1893.
3. Pierre Marie. Revue Xeurol., 1897.
4. André Léri. Atrophies musculaires progressives spinales et syphilis. Congrès des
aliénisteset neurologistes, Bruxelles, 1903.
262 I \ /'/.'/ i i ni
tous les pays. En 1913, nous avons relevé avec Lerougc ' plus de
Si» observations d'amyotrophies progressives pures d'origine spéci-
fique, plus de 180 cas si nous y joignons ceux où l'amyolrophie était
associée à an tabès ou à une paralysie générale. D'autres cas ont été
rapportés depuis cette date, niais actuellement la notion est devenue
banale, on ne publie plus les observations d'ainyotropbies syphili-
tiques, qui sont courantes.
Les chiffres que nous venons de donner n'auraient par eux-mêmes
aucune valeur, si on ne les comparait à ceux où la syphilis a été sérieu-
sement recherchée et n'a pas été retrouvée dans les antécédents ou
l'examen des amyotropbiques : or le nombre de ces cas est infime. De
sorte que nous pouvons affirmer aujourd'hui (pie Vamyolrophie progres-
sive spinale de l'adulte est une maladie syphilitique presque au même titre
que le labes. Il y a bien des exemples de tabès authentiques où la re-
cherche de la syphilis s'est montrée négative, tant par l'étude des anté-
cédents et l'examen objectif des maladesque par les recherches de labo-
ratoire : ce n'est pas une raison pour ne pas admettre que le tabès
est une affection syphilitique. lien est à peu prés de même pour l'amyo-
trophie progressive spinale.
Voyons maintenant, Messieurs, sous quelles formes cliniques se
présentent ces amyotrophies progressives syphilitiques.
Les cas les plus typiques répondent à la description de Duchenne :
c'est la main dite a" A r an- Duché une qui les caractérise. Vous savez com-
ment se présente cette main classique: on constate d'abord an apla-
tissement et un effacement des éminences thénars et hypothénars ; il
existe un méplat à la base du pouce, et celui-ci tend à se porter en
arrière et à se mettre sur le même plan que les autres doigts : c'est ce
qu'on appelle la « main de singe » (fig. 3). L'atrophie de l'hypothénar
se voit sur la face palmaire, et mieux encore quand on regarde la main
par sa face dorsale : au lieu d'être saillant, le bord cubital devient
concave.
L'atrophie des interosseux détermine des dépressions verticales entre
les métacarpiens ; la dépression est particulièrement accentuée au ni-
1. ANDRÉ Lkhi et LerouqE. Les atrophies musculaires progressives syphilitiques 1 H
« myélite syphilitique amyotrophique ». Gaz. dit hop., 17 mai 1913. — Linon. i. Thèse
Paris, 1913.
LES ATROPHIES MUSCULAIRES SYPHILITIQUES
263
veau du premier interosseux, entre le pouce et
l'index. Les doigts se fléchissent à angle droit clans
leur deuxième phalange et, à un moindre degré,
dans la troisième, alors que la première phalange
reste étendue sur le métacarpe : c'est la « main en
griffe » (fig. 1).
Plus tard, par suite des progrès de l'atrophie,
tous les os apparaissent extrêmement saillants ;
par le fait de l'atrophie des fléchisseurs des doigts
ceux-ci se redressent ; par suite de l'atrophie des
extenseurs de la main et des doigts la main
devient tombante et ballante : c'est la «. main de
squelette ».
A ce moment, l'affection a gagné les muscles de ^^w-Wfiï^.ï
l'avant bras (fi°\ 2), Duchenne de Boulogne).
les masses épicondy-
liennes et épitrochléennes sont rempla-
cées par des méplats. Puis les muscles
de l'épaule, le deltoïde, les sus et sous-
épineux, les pectoraux sont pris à leur
tour et parfois, plus tardivement, les mus-
cles du bras, triceps, biceps et brachial
antérieur. Dans certains cas seulement
on constate l'atteinte tardive des muscles
des membres inférieurs.
Toutes ces amyotrophies présentent
deux des caractères essentiels des amyo-
trophies spinales : les contractions fibril-
laires sur les muscles en voie de dépé-
rissement et la réaction électrique de
dégénérescence.
Mais, en fait, la main d'Aran-Duchenne
est bien loin d'être spéciale aux amyotro-
phies syphilitiques ; elle ne constitue
qu'un syndrome, commun à toute une série
d'affections et dénotant simplement une
Fig. 2. — Atrophie musculaire progrès- ] é s î o n des cornes antérieures au niveau
tive par méningo-mvélite syphilitique. »T»i ttttt • Cil
Mains d'Aran-Duchenne, atrophie des des \ I Ie et \ IIIe Segments CCrVICaUX. tAlC
avant bras ; atteinte tardive des mem- ,. , ,- . , 1_„_ 1_
bres inférieurs. est particu 1 lèrement Ircqueute dans la
syringomyélie et surtout dans la sclérose
264
i \ mu: LÉRl
latérale amyotrophique : le malade que je vous présente comme un
t\|>r de main d'Aran-Duchenne est, en réalité, atteint de sclérose
latérale amyotrophique. Les sujets chez qui ce type de main s'observe
pur, par amyotrophie progressive, indépendamment des troubles
spasmodiques de la sclérose latérale ou sensilifs de la syringomyélie,
ne sont pas exceptionnels; ils sont pourtant relativement raies.
Les} cas que l'on pourrait dire atypiques, en ce sens qu'ils ne pré-
Fig. 3. — Mains du même malade. Atrophie des éminences thenars et
hypothénars, surtout à gauche. Tendance au « pouce de singe ». Dépres-
sion des espaces interosseu*.
sentent pas la main classique d'Aran-Duchenne, sont presque la régie
dans les amyotrophies syphilitiques. Celles-ci offrent une grande
variabilité dans leur localisation : les deux malades que j'ai amenés
devant vous en sont des exemples.
L'un est un homme de 60 ans, qui présente une Forme d'amyotrophie
que l'on peut appeler type radial (fig. 4), par opposition à la main
d'Aran-Duchenne qui mériterait plutôt la dénomination de tijpe cubital ;
cette forme paraît particulièrement fréquente, si l'on consulte les rela-
tions des auteurs. Comme vous le constate/, il y a bien chez ce malade
une atrophie évidente des éminences thénaret hypolhénar et (les inter-
OSSeux, atrophie plus prononcée à la main droite (fig. 5] ; l'écartement
et le rapprochement des doigts se l'ont sans grande force, mais les
doigts ne sont pas en griffe. Ce n'est pourtant pas par les petits muselés
de la main que l'amyotrophie a débuté : avant tout autre signe, il y a
LES ATROPHIES MUSCULAIRES SYPHILITIQUES 265
Fig. 4 — Amyotrophie syphilitique à « type radial ». Mains pendantes, le malade est
incapable de les relever. Atrophie des avant-bras, spécialement du coté des extenseurs.
Cette atrophie simule, à première vue, une double paralysie radiale.
Fig. 5. — Mains du même malade Mains plates, demi-succulentes. Atrophie des émincnces
thénars, surtout à droite. Pas de déformation en griffe.
266 » \i>ni: i ÉR1
deux ans, progressivement, mais rapidement, il a vu ses mains tomber,
à droite d'abord, plus tard à gauche, el il a été incapable de les relever;
en même temps l'abduction du pouce est devenue impossible ; il a
pris l'attitude d'un bomme atteint d'une paralysie radiale bilatérale-
Ces mains tombantes sont, en outre, plates, molles, demi- succulentes,
les doigts sont allongés, en fuseaux ; non seulement l'extension des
doigts est impossible quand on relève le poignet, mais leur flexion est
très réduite, surtout pour l'index et le médius. En somme, mise à part
l'attitude tombante de la main radiale, chaque main de ce malade rap-
pelle l'aspect de celles, dont nous avons vu tant d exemples pendant la
guerre, qui dénotent une blessure simultanée du médian et du cubi-
tal.
L'amyotrophie remonte maintenant tout le long des membres supé-
rieurs. Elle envahit les avant-bras qui sont atrophiés en masse, autant
du côté des muscles épieondyliens extenseurs que des épitrochléens
fléchisseurs ; le long supinateur est remarquablement conservé et forme
une corde d'autant plus saillante que la musculature avoisinante est plus
déprimée et plus inerte. Les bras sont atrophiés dans leurs muscles
antérieurs, et la flexion de lavant-bras se fait sans force, surtout à
droite ; l'extension de l'avant- bras résiste assez bien aux efforts de
flexion passive, mais on voit sans peine que le triceps est pourtant for-
tement diminué de volume. Le deltoïde apparaît nettement atrophié,
ainsi que le grand pectoral droit. Les sus et sous-épineux, les trapèzes
et sterno-cléido-mastoïdiens paraissent à première vue normaux.
Des contractions librillaires s'observent surtout sur certains muscles
modérément ou peu atrophiés, comme le deltoïde ou le sous épineux
droit. Tous les réflexes tendineux des membres supérieurs (radial,
cubito pronateur. olécranien, radio-fléebiseur des doigts) font com-
plètement défaut.
L'autre malade est un bomme de 53 ans ; il présente une localisation
de l'amyotrophie que l'on peut appeler type brachial (fig. 6 et 7). Les
mains sont, en effet, à peu près indemnes : c'est à peine si l'on constate
une dépression peu sensible de l'éminence tliénar à gauche et si, à
droite, l'écartement et le rapprochement des doigts se font avec quel-
que faiblesse. L'extension cl la flexion de la main s'exécutent assez, bien,
sauf pourtant en Ce qui concerne l'extension du médius droit : ce doigt
reste à demi pendant, de sorte cpie le malade (t fait les cornes », non pas
à la façon d'un saturnin avec le 2e et le 5° doigt, mais avec- le '2 et le 4*".
Les avant-bras présentent une atrophie modérée qui porte mil- les
épitrochléens et, à droite, sur les épieondyliens.
LES' ATROPHIES MUSCULAIRES SYPHILITIQUES
267
Fig. 6 et 7. — Amyotrophie syphilitique à « type brachial « . Les mains sont presque indemnes, les
avant-bras sont peu touchés. les bras et les muscles de la ceinture scapulaire sont très atrophiés.
II y a, à première vue. une certaine ressemblance avec la myopathie à type scapulo-huméral, mais
la lésion est indiscutablement spinale et non myopathique.
268 • l \hi;i I l ■■/;/
Mais ce qui domine surtout chez ce sujet, c'est l'atrophie considé-
rable tics bras, tout à fait disproportionnée avec le volume des segments
distaux : les bras ont l'air de manches à balai auxquels sont appendus
des avant-bras relativement indemnes et des mains intactes.
A gauche, l'atrophie du bras est à peu près totale ; elle porte sur le
biceps et le brachial antérieur, le long supinateur y participe, et le
malade est tout à l'ait incapable de fléchir son bras ; elle porte aussi sur
le triceps, et seule la conservation d'une partie du vaste interne permet
au malade d'étendre lavant-bras. La tète numérale fortement saillante
roule sous la peau par suite de la disparition du deltoïde. Les fosses
sus et sous-épineuses sont fortement creusées. L'atrophie du trapèze
détermine en haut un méplat de la nuque à gauche de la ligne mé-
diane, en bas un écartement de l'omoplate que le malade ne peut rap-
procher de sa colonne vertébrale.
A droite, l'atrophie est différemment localisée, et vous voyez là un
exemple remarquable d'un des caractères fréquents des amyotrophies
syphilitiques, à savoir une grande inégalité d'un côté à l'autre et une
grande irrégularité de distribution. L'atrophie est moindre à droite qu'à
gauche sur le biceps et surtout sur le long supinateur, de telle sorte que
le malade peut légèrement fléchir son avant-bras ; elle est moindre sur
le deltoïde, qui matelasse légèrement la tète numérale ; elle est moindre
sur le grand dentelé, de sorte que le bord interne de l'omoplate n'est
pas décollé à droite comme à gauche. Au contraire, elle est plus accen-
tuée à droite sur le triceps brachial, au point que le malade est tout à
fait incapable de faire la moindre extension de l'avant-bras droit ; elle
est plus marquée sur les pectoraux, et le creux sus-claviculaire est pro-
fondément déprimé.
Des contractions fibrillaires continues et très intenses dessinent
sous la peau une ondulation permanente, un remous de vagues, notam-
ment sur le deltoïde droit, sur le grand pectoral ou le triceps gauche, et
le malade a en partie conscience de ces frétillements sous-cutanés. Les
réflexes tendineux sont tous abolis aux membres supérieurs, à l'excep-
tion pourtant du radial droit.
Les deux malades avouent leur syphilis : chez l'un, elle date de
10 ans, l'amyotrophie a commencé il y a 2 ans, c'est-à-dire huit ans
après ; chez l'autre, elle remonte à .">;> ans, l'amyotrophie semble avoir
débuté, malgré quelques réponses divergentes, il y a environ 8 ans,
c'est-à-dire 25 ans après le chancre. Ce sont des termes nor-
maux ; l'amyotrophie des syphilitiques survient en gênerai de / à
15 OU 20 ans après l'accident initial. Liant donné ce que nous savons
LES ATROPHIES MUSCULAIRES SYPHILITIQUES 269
actuellement des rapports de la syphilis et des amyotrophies progres-
sives, il n'y a aucune difficulté à établir une relation de causalité qui
aujourd'hui s'impose.
Mais, si ces sujets ne reconnaissaient pas leur syphilis, sur quels
signes pourrions-nous nous baser pour dire que leur amyotrophie est
d'origine spécifique ?
Raymond, qui croyait l'amyotrophie syphilitique l'exception et la
non-syphilitique la règle, avait donné trois signes qui devaient per-
mettre de penser à une origine spécifique : c'étaient la parésie précé-
dant l'atrophie, l'existence de douleurs, l'évolution subaiguë.
Pour ce qui est de la parésie précédant l atrophie, c'est là un signe
tout théorique ; ce dont le malade s'aperçoit d'abord dans l'immense
majorité des cas, ce n'est ni d'une parésie ni d'une atrophie, c'est d'une
gène fonctionnelle ; c'est pour écrire, pour boutonner ses vête-
ments, pour cueillir une fleur qu'il se sent gêné ; il serait bien inca-
pable de dire si, à ce moment, il y a ou non un léger méplat de ses émi-
nences ou une dépression de ses interosseux. J'ai conservé le souve-
nir d'un malade, employé aux écritures, homme dune intelligence au-
dessus de la moyenne, qui présentait une atrophie extrêmement
accentuée de ses mains, presque des mains de squelette/ et qui fut fort
étonné quand nous le lui fîmes remarquerai nes'en était jamais douté !
Tout ce qu'il avait vu, c'est qu il ne pouvait presque plus se servir de
ses mains.
Des douleurs se montrent au cours de beaucoup de cas d'amyotro-
phies syphilitiques ; il serait, en effet, naturel qu'elles existent au cours
d'une myélite vasculaire diffuse, surtout quand la méninge est
atteinte, plutôt que dans des lésions systématiques des cornes anté-
rieures, au cas où semblables lésions existeraient. En fait, les amyo-
trophies par méningo-myélite syphilitique les plus avérées évoluent
souvent de façon absolument indolore ; de nos deux malades présents,
le premier a eu des douleurs dans l'épaule et le bras droit, le second
n'a jamais eu la moindre douleur.
Une évolution subaiguë ou relativement rapide de l'amyotrophie
s'observe quelquefois à la suite de la syphilis, mais non pas toujours,
tant s'en faut. Chez le premier de nos deux malades l'atrophie aurait
débuté il y a deux ans seulement, mais chez le second elle date de
8 ans et a progressé très lentement. Un de nos anciens sujets est mort
16 ans après le début de l'affection, un autre était encore parfaitement
bien portant, l'atrophie mise à part, 18 ans après.
Nous n'accordons donc guère de valeur aux trois signes signalés
270 i \hi;i LÉR1
par Raymond, basés sur l'évolution de l'atrophie, et nous croyons
«pu- dans cette évolution même aucun signe ne nous permet dé dis-
tinguer avec quelque probabilité une atrophie spécifique d'une amyo.
trophie non spécifique.
En revanche, un certain nombre de signes commencent à être
aujourd'hui bien connus, dont les uns permettent de reconnaître que
le sujet est syphilitique, les autres que la syphilis a touché son
système nerveux central.
Ainsi on peut observer chez le malade la coexistence d'accidents net-
tement spécifiques, comme des gommes par exemple (dans le cas de
Lannois et Lévy), ou des signes d'hérédo-syphilis comme une kératite
interstitielle.
Mais, quand nous nous trouvons en présence d'accidents présumés
syphilitiques tardifs, comme une amyotrophie, c'est de trois côtés sur-
tout qu'il faut toujours, de parti pris, porter notre investigntion : du
côté de la langue, du côté de l'aorte, du côté des pupilles. L aortite,
chez un malade qui n'a pas atteint l'âge de l'athérome, constituera une
grande présomption de syphilis. La lencoplasie buccale, et surtout
linguale, quand elle sera nettement accentuée, en sera un signe
presque certain L'examen des pupilles nous fournira un élément
d'appréciation de plus ; il nous permettra souvent d'affirmer non seule-
ment que le malade est syphilitique, mais encore que la syphilis a
touché son système nerveux central. MM. Babinski et Charpentier,
ont, en effet, montré que le signe dWrgijlt-liobertson, c'est-à-dire
l'abolition du réflexe pupillaire à la lumière avec conservation du
réllexe à la distance, n'est pas, comme on le croyait, un symp-
tôme de tabès, mais seulement un signe de syphilis du système
nerveux central, signe souvent précoce et cliniquement unique,
accompagné d'ailleurs de lymphocytose du liquide céphalo-rachi-
dien.
Pour en revenir à nos deux malades, l'un d'eux seulement, le malade
à l'amyotrophie type brachial, présente simultanément une leucoplasie
très marquée et une grosse inégalité pupillaire avec signe d'Argyll :
ce serait plus qu'il n'en faut pour affirmer que son système nerveux
est touché par la syphilis et que, malgré 1 absence absolue de douleurs,
malgré la lente évolution de son amyotrophie, celle-ci est presque Cer-
tainement d'origine syphilitique.
Mais nous sommes aujourd'hui en possession d'épreuves de labora-
toire qui nous permettent souvent, elles aussi, de reconnaître soit que
le sujet est simplement syphilitique, soit qu'il l'est dans son système
LES ATROPHIES MUSCULAIRES SYPHILITIQUES 271
nerveux central : nous voulons parler de la réaction de Wassermann
et de la lymphocytose céphalo-rachidienne.
La réaction de Wassermann est positive dans le sérum sanguin de
notre premier malade ; elle est négative chez le second, dont l'infection
date de beaucoup plus longtemps ; mais on sait qu'une réaction néga-
tive n'a pas de valeur contre la présomption de syphilis, et c'est
précisément chez ce second malade que nous avons constaté deux
signes cliniques, leucoplasie et signe d Argyll, dont la concomitance,
même en l'absence de tout antécédent reconnu, nous permettrait d'af-
firmer la syphilis.
D'ailleurs, chez l'un et l'autre de nos malades, nous avons constaté
une abondante lymphocytose céphalo-rachidienne. Assurément la
lymphocytose n'a pas la valeur d'un signe certain de syphilis ner-
veuse, mais, en dehors de la syphilis, on ne l'observe guère que dans
certaines affections d'évolution toute différente, comme la méningite
tuberculeuse ou comme quelques tumeurs cérébrales. Elle prend une
valeur que l'on peut dire absolue quand, en même temps, la réaction
de Wassermann est positive dans le liquide cérébro-spinal : or, c'est
précisément ce qui se produit chez nos deux malades, même chez celui
dont la réaction est négative dans le sérum sanguin.
Je dois ajouter que, si la lymphocytose céphalo-rachidienne est la
règle au cours delà myélite ou de la méningo-myélite vasculaire diffuse
de la syphilis productrice des amyotrophies progressives, elle n'est
pourtant pas constante ni obligatoire ; il y a des amyotrophies pro-
gressives spinales syphilitiques sans lymphocytose ; l'étude anato-
mique nous montrera que cette apparente anomalie peut tenir soit
à l'existence d'une lésion vasculaire purement intra-médullaire et
non méningée, soit à la sclérose tardive d'une méningite à caractère
d'abord inflammatoire.
J'ai jusqu'ici négligé l'un des signes cliniques qui peut permettre
souvent d'affirmer qu'une amyotrophie progressive est d'origine syphi-
litique : c'est Yassociation de cette amyotrophie à des symptômes de
tabès ou de paralysie générale . De nombreuses théories ont été émises
sur l'origine des amyotrophies dans le tabès ; en fait, ces amyotro-
phies, très dissemblables les unes des autres, semblent bien tenir à
des causes diverses. Mais on observe au cours du tabès certaines
amyotrophies progressives qui ne diffèrent en rien des amyotrophies
progressives pures, sans signes de tabès ; il n'y a pas de raison
clinique qui permette de leur attribuer des origines différentes. Or,
anatomiquement, ni le tabès ni l'amyotrophie progressive ne sont
l VDRÉ LÊRl
aujourd'hui considérés comme des affections étroitement systéma-
tiques des cordons postérieurs OU des cornes antérieures ; l'un et
l'autre paraissent être des localisations occasionnellement systéma-
tisées d'une méningo-myélite plus ou moins diffuse et d'ordre plus ou
moins purement vasculaire ; l'un et l'autre ont pour commune étio-
logie la syphilis. 11 semble donc légitime de considérer leur conco-
mitance comme résultant de la localisation simultanée du même
processus spécifique sur deux régions de la moelle, celle des racines
et des cordons postérieurs et celle des cornes et des racines anté-
rieures.
Nos deux malades ne présentent pas, à proprement parler, de signes
de tabès : ils n'ont ni douleurs fulgurantes, ni crises viscérales,
ni incoordination, ni même les petits troubles urinaires minimes,
gouttes précoces ou retardataires ou mictions retardées, qui sont pres-
que constants dès le début du tabès. Mais l'un et l'autre n'ont plus
aucun réflexe tendineux aux membres inférieurs ; les réflexes rotuliens
et achilléens sont chez tous deux complètement absents. Il en est
d'ailleurs de même chez un grand nombre de sujets atteints d'amyo-
trophie syphilitique. Est-ce une raison suflisante pour admettre que ces
amyotrophiques sont des tabétiques, qu'ils présentent un tabès
monosymptomatique, réduit au signe de Westphal ? Nous ne le croyons
pas, en ce sens que nous ne pensons pas qu'ils soient forcémentvoués
à l'évolution progressive plus ou moins fatale d'un tabès vulgaire.
Mais assurément cette aréflexie nous paraît reconnaître même cause
que le signe de Westphal, à savoir la méningite postérieure syphi-
litique et la radiculite qui en est la conséquence Ce sont, si l'on
veut, des tabétiques « en puissance », mais dont l'affection, surprise
dès ses débuts par suite même de la concomitance de l'amyotrophie,
peut être jugulée et rester cliniquement limitée à l'abolition des
réflexes.
Nombre de ces signes, on le voit, prouvent que le système nerveux
est touché par le virus syphilitique et indiquent que l'amyotrophie
spinale ne survient pas seulement « chez des syphilitiques », mais
parle fait même de la syphilis, qu'elle est d'origine syphilitique.
Pas un seul de ces signes n'est constant, il est vrai, tous peuvent
faire défaut, et aucun n'est rigoureusement pathognomonique de la
syphilis amyolrophique ; mais presque toujours l'un un l'autre de ces si-
gnes existe dans les amyotrophies à évolution progressive : il suffît de
songer à le rechercher pour le découvrir.
Et c'est précisément parce qu'il est exceptionnel que, par l'examen
LES ATROPHIES MUSCULAIRES SYPHILITIQUES 273
soigneux d'un an^'otrophique pratiqué de parti pris, on ne décèle
pas quelque signe de syphilis et souvent de syphilis nerveuse centrale,
et aussi parce qu'aucun signe ne distingue dans son allure et son
évolution une amyotrophie syphilitique d'une amyotrophie progressive
soi-disant primitive et de cause mystérieuse, que nous croyons l'a-
myotrophie progressive spinale une affection toujours ou presque
toujours syphilitique.
Je ne vous ai parlé jusqu'ici, Messieurs, que des atrophies progres-
sives localisées aux membres supérieurs ; ce sont de beaucoup les
plus fréquentes. Je vous ai dit pourtant que parfois, tardivement,
les membres inférieurs sont atteints à leur tour. Mais il n'en est pas
toujours ainsi, et dans certaines observations c'est précocement que les
membres inférieurs sont touchés. Deux cas peuvent se présenter dont
nous avons vu des exemples.
Parfois les membres inférieurs sont atteints dès le début, les membres
supérieurs le sont plus tard. Un de nos malades, par exemple, actuel-
lement âgé de 77 ans, est entré dans l'amyotrophie il y a douze ans
par une atteinte progressive de la musculature des membres infé-
rieurs, du membre inférieur droit principalement ; l'atrophie a frappé
de façon intense les muscles antéro-externes de la jambe et ceux du
mollet, et plus encore le quadriceps crural et les fessiers. Ilyaôou
6 ans seulement, les membres supérieurs ont été touchés à leur tour ;
l'atrophie s'y présente surtout sous la forme du « type radial » ; les
petits muscles des mains sont peu touchés, il y a seulement une
légère atrophie des hypothénars ; mais les mains sont tombantes, le
sujet ne peut qu'incomplètement relever ses mains et ses doigts, et des
deux côtés il « fait les cornes » ; l'atrophie est très marquée au niveau
des avant-bras, des triceps brachiaux et des pectoraux. Ce malade ne
reconnaît pas la syphilis, et nous n'avons trouvé chez lui ni réaction
de Wassermann positive ni lymphocytose céphalo-rachidienne. La
syphilis nous aurait certainement échappé si, en l'examinant de parti
pris, nous n'avions trouvé une leucoplasie linguale prononcée et un
signe d'Argyll-Robertson, association de symptômes qui ne peut guère
laisser de doute sur l'étiologie spécifique.
D'autres fois les membres inférieurs sont atteints seuls, et dans ce
cas l'amyotrophie rappelle beaucoup le type Charcot-Marie. Un soldat de
32 ans (fig.8 , par exemple, nous fut adressé pendant la guerre au Centre
CONFÉR. NEUROL. 18
274
i \ />/,-/• i.iîm
neurologique delà IIe armée ' pour une amyotrophie qui avait débuté
progressivement, environ deux ans auparavant. L'atrophie était très
accentuée au membre inférieur droit;
elle occupait à la fois les muscles
antéro-externes de la jambe et ceux
du mollet ; la jambe était en pilon,
avec mollet de coq, le pied était
fortement cambré, les orteilsen griffe,
leurs premières phalanges en hyper-
extension.
Comme le malade avait reçu, six
mois avant le début, quelques mottes
de terre sur le cou-de-pied droit à
l'occasion d'une explosion d'obus,
on pensa à une atrophie réflexe,
d'origine traumatique. Mais le trau-
matisme avait été bien léger, de
l'aveu même du malade, et il n'avait
pas interrompu son service. De plus,
nous nous aperçûmes que le membre
inférieur gauche n'était certainement
pas intact : la jambe était atrophiée
et cylindrique, le pied était presque
aussi creux et en griffe que du côté
droit ; l'atrophie remontait d'ailleurs
des deux côtés, légèrement, sur le
quart inférieur de la cuisse, un peu
à la façon des atrophies « en jarre-
- Amyotrophie syphilitique à « type tière » du tvpe Charcot-Marie. Nous
peromer » pouvant simuler I amyotrophie " r
Charcot Marie. pensâmes à celle variété d'amyotro-
phie, mais eette idée ne cadrait guère
avec le début tardif et la progression lente de l'altération ; le malade
ne reconnaissait d'ailleurs aucun antécédent héréditaire ou familial
similaire.
Bien qu'il niât la syphilis et n'en présentai aucun stigmate clinique,
nous crûmes devoir faire de parti pris uu examen du sang et du liquide
cérébro-spinal. La ponction lombaire nous montra une lymphocytose
1. \\m;i I.r.m. Amyotrophie syphilitique a type péronier simulant l'amyotrophie
Charcot-Marie. Nouo. Iconogr. delà Salpétr., 1918.
LES ATROPHIES MUSCULAIRES SYPHILITIQUES 275
considérable (55, 4 lymphocytes par millimètre cube) et le Wassermann
avec le sérum sanguin fut complètement positif. Le diagnostic s'imposait
donc de façon presque absolue. Armé d'arguments nouveaux, nous re-
prîmes l'interrogatoire et obtînmes l'aveu d'une ulcération de la verge
survenue dix ans auparavant et soignée par un pharmacien, aveu que
sans doute le malade, soi-disant blessé de guerre, avait jugé de son
intérêt de reculer autant que possible !
Ce cas n'est sans doute pas unique, et, dans la très belle thèse que
notre collègue et ami Sainton a consacrée en 1899 à l'amyotrophie
Charcot-Marie, nous avons trouvé une observation où cette affection
était survenue chez un adulte, indemne de tout antécédent d'amyo-
trophie héréditaire ou familiale ; or, ce sujet avait eu 22 ans aupara-
vant un chancre et il mourut hémiplégique à 56 ans. N'est-il pas
assez vraisemblable qu'il s'agissait moins d'une amyotrophie Charcot-
Marie que d'une amyotrophie syphilitique qui avait pris l'aspect du
type Charcot-Marie ?
Il nous paraît donc avéré que dans certains cas, peut-être rares il est
vrai, l'amyotrophie syphilitique peut frapper les membres inférieurs non
pas seulement tardivement, mais de façon soit précoce, soit exclusive.
lue processus anatomo-pathologique, quels que soient le mode de début
et l'évolution, est le même ; comme nous l'avons dit, il ne s'agit pas
d'une poliomyélite antérieure systématique, mais d'une méningo-
my élite vasculaire diffuse.
La lésion essentielle des cellules des cornes antérieures est l'atrophie
pigmentaire, caractérisée successivement par l'éiat poussiéreux des
grains chromatophiles, l'excentration du noyau, la surcharge pigmen-
taire et la disparition progressive de tous les éléments normaux de
la cellule. D'autres fois il y a atrophie simple ou dégénération avec
tuméfaction trouble. Mais on trouve toujours côte à côte les diffé-
rents degrés évolutifs de cette dégénérescence, et presque toujours
aussi, même dans les périodes avancées de la maladie, on voit, à côté
de débris informes, quelques cellules éparses qui ont conservé une
structure et un aspect quasi normaux. Par ce seul fait déjà, on
pourrait penser qu'il ne s'agit pas d'une altération systématique des
cellules radiculaires antérieures.
La méninge est généralement épaissie, plus ou moins louche ou
276
ANDRÉ l I 1:1
opaque, bourrée delymphocy tes, qui Forment parfois, surtout au niveau
des racines antérieures, de véritables nodules ; à part l'absence de
toute dégénérescence, ces nodules rappelleraient parfois de véritables
gommes miliaires.
Les vaisseaux qui pénètrent dans la moelle, soit directement dans les
e%> 4' > ,
•o
Fig. 9. — Méningo-myélite syphilitique s'étant manifestée cliniquement par une atrophie
musculaire progressive type Aran-Duchenne. Durée de la maladie : 16 ans.
Région cervicale. — Enorme épaississement et infiltration lymphoeytique des
méninges ; manchons lymphocytiques très nets autour des vaisseaux. Disparition
presque complète des cellules des cornes antérieures. Méthode de Nissl.
cordons antéro-latéraux ou postérieurs, soit par la voie du sillon
médian antérieur dans les cornes antérieures, sont entourés de gai-
nes lymphoegtaires ; leur paroi interne est épaissie et leur lumière
rétrécie. Vous voyez très nettement ees lésions d'endo et surtout de
périvascularite à caractère inflammatoire sur figure que je vous pré-
sente (fig. 9).
A une période plus tardive, les vaisseaux peuvent se scléroser, ils
apparaissent sous forme de nodules fibreux, à lumière étroite et
souvent presque obturée ; ils sont alors dépourvus de gaines lympho-
cytaires. II en est de même pour la méninge, qui ne Forme plus qu'un
LES ATROPHIES MUSCULAIRES SYPHILITIQUES 277
épais manchon fibreux sans lymphocytes. On comprend ainsi que,
comme nous l'avons dit, il puisse parfois n'y avoir pas de lympho-
cytose céphalo-rachidienne dans les cas les plus avérés de méningo-
myélite syphilitique.
i ■■■*:.
m
Fig. 10. — Même cas que la figure précédente. Région dorsale. Les lésions sont beaucoup plus anciennes
dans cette région : les méninges très épaissies sont sclérosées, les lymphocytes ont disparu, les vais-
seaux, plus abondamment prolifères que dans la région cervicale, ne sont plus entourés d'un manchon
lymphocytique ; les cellules radiculaires antérieures, quoique très frappées par le processus, restent
cependant en plus grand nombre ; elles présentent des degrés divers d'atrophie et de dégéné-
rescence
Fait d'ailleurs intéressant, les deux stades du processus peuvent se
trouver réunis sur la même pièce, et la coupe que je mets sous vos
yeux (fig. 10) vous représente la moelle dorsale du même sujet dont vous
avez vu tout à l'heure la moelle cervicale : sur la moelle dorsale, où les
lésions sont plus anciennes, méninges et vaisseaux sont épais et
fibreux, et dépourvus de tout lymphocyte ; sur la moelle cervicale, la
méninge et les vaisseaux étaient infiltrés d'innombrables lympho-
cytes.
Il y a donc des lésions inflammatoires évidentes et très diffuses,
mais à localisation souvent prédominante sur les branches de l'artère
ANDRÉ II RI
ulco-com raissiirale <|iiî se rendent aux cornes antérieures : elles
caractérisent ee que l'on peut appeler la « myélite syphilitique amyo-
trophique ». Il n'y a pas, assurément, dans cette description une
seule lésion qui soit véritablement et sûrement spécifique, mais il y
a une série d'altérations cpii constituent, comme le disent Lannois
et Porot ', un « portrait anatomique », une « expression morpholo-
gique », qui lait reconnaître la syphilis presque d'emblée à un œil
tant soit peu exercé.
Les lésions dégénératives sont d'ailleurs loin d'être limitées
aux cornes antérieures, et l'on observe dans la plupart des cas
des altérations scléreuses des cordons blancs très diversement locali-
sées.
Tantôt elles siègent sur les cordons postérieurs et sont particulière-
ment intenses sur les cordons de Goll : on comprend ainsi que ces
lésions, qui ont tout à fait l'aspect et très certainement la pathogénie
des lésions tabétiques, puissent déterminer cliniquement les symptômes
les plus variés du tabès. Très souvent, elles se manifestent seule-
ment par la diminution ou l'abolition des réflexes tendineux, de
ceux des membres inférieurs notamment ; cette abolition paraît
être le premier signe de la méningite lombaire postérieure ; si elle
a sans doute même origine que le signe de Westphal des tabétiques,
du moins ne semble-t-elle pas en avoir le pronostic, en ce sens que
les symptômes semblent pouvoir se limiter à la seule aréflexie, sans
que se produisent une sclérose accentuée des cordons postérieurs et
tous les troubles qui en résultent.
Tantôt on trouve de la sclérose des cordons antéro-latéranx. Cette
sclérose est fréquemment annulaire, immédiatement sous-jacente à
la méninge ; parfois elle s'observe surtout autour de la corne anté-
rieure, parfois aussi dans une petit zone intermédiaire à la corne
antérieure et à la périphérie de la moelle, dans le « faisceau supplé-
mentaire » décrit par Pierre Marie comme formé de fibres nées des
« cellules du cordon latéral ».
Cette sclérose peut pénétrer plus ou moins profondément et atteindre
le faisceau pyramidal : il peut en résulter une paraplégie à tendance
spasmodique. Chez certains sujets, sans qu'il y ait paraplégie véri-
table, il peut y avoir exagération des réflexes tendineux, ainsi que
l'avait déjà vu Raymond, ou réflexe des orteils en extension, comme
1. Lannois et Poitor. Hevue de Médecine, li)0(>.
LES ATROPHIES MUSCULAIRES
nous l'avons nous -même signalé ' et
comme plusieurs auteurs, Souques et
Vallery-Radot entre autres -, l'ont
observé. Dans ces différents cas, l'asso-
ciation de l'amyotrophie et des symp-
tômes pyramidaux rappelle plus ou
moins le tableau de la sclérose latérale
amyotrophique ; mais l'évolution de la
maladie est lentement progressive, la
spasmodicité est tardive, et il est assez
vraisemblable que certains cas de soi-
disant sclérose latérale amyotropbique
de durée extraordinairement prolongée,
comme ceux qui ont été signalés dans
la thèse de Florand 3, sont en réalité des
myélites syphilitiques amyotrophiques
ayant atteint successivement les cornes
antérieures et les cordons latéraux.
Sur la lésion des muscles eux-mêmes,
nous n'avons rien à dire, sinon qu'elle
consiste, comme pour toutes les amyo-
trophies, non dans une atrophie primi-
tive et simple des fibres musculaires,
mais en une véritable myosite à carac-
tère inflammatoire. Le premier acte est
constitué, en effet, par une prolifération
des noyaux ; il est bientôt suivi de la
multiplication des granulations protéi-
ques de la substance contractile, qui
l'orme la « tuméfaction trouble » . Plus
tard seulement cette substance se sub-
divise en revenant à l'état indifférent,
de sorte que le faisceau musculaire se
trouve être composé d'amas de noyaux
1. Andrk Léri. Article Atrophie musculaire
progressive spinale, in Traité de Médecine Charcot-
Bouchard, tome IX.
2. Socques et Pasteur Vallery-Radot. Soc. de
iVeuro/., mars 1913.
3. Florand. Thèse de Paris. 1836-87.
Fig. 11. — Atrophie de la musculature vis-
cérale (André Leri . — Portion de V intestin
grêle. — Hernies multiplesde la muqueuse
à travers la musculeuse complètement
atrophiée. Pour rendre aux hernies la
forme quelles avaient au moment de
l'ouverture de l'abdomen, cette portion
d'intestin a été remplie d'eau et liée à ses
deux extrémités On voit les hernies qui
font saillie tout le long du hord adhérent,
dédoublent le mésentère et repoussent les
portions voisines du péritoine.
WDRÉ LfilU
entourés d'une mince lame protoplas-
mique. C'est une véritable régression
cellulaire, un retour du tissu muscu-
laire à l'étal embryonnaire, qui suc-
cède au stade inflammatoire.
Une lésion intéressante, qui n'a pas
été jusqu'ici signalée par les auteurs
et que nous avons constatée à l'autopsie
de deux cas d'amyotrophie syphiliti-
que, est Yamyolrophie viscérale. Elle
se manifestait dans nos cas sous
forme de hernies disséminées au nom-
bre de plusieurs centaines le long du
bord adhérent de l'intestin (fig. 11); ces
hernies étaient dues au passage de la
muqueuse à travers la musculeuse ;
comme le montre la figure que je vous
présente (fig. 12\ la muqueuse restait
intacte avec ses valvules conniventes
jusqu'au fond de chaque hernie où elle
s'appliquait directement à la séreuse.
A l'examen histologique, on pouvait
suivre les différents stades de l'atro-
phie musculaire ; sur les bords de la
hernie la musculeuse était progressi-
vement remplacée par des amas de
cellules rondes, elle faisait tout à fait
défaut au fond de l'invagination. La
vessie présentait quelques hernies tout
à fait analogues (fig. 13). Il en existait
enfin, dans l'un de nos cas, sur le
cœur lui-même, et la musculature du
viscère était si amincie que l'on aper-
cevait extérieurement les colonnettes
de sa surface interne à travers la
paroi de l'oreillette droite, réduite à
Fig-. 12. — Intestin vu intérU'urfmenl. —
voit les orilices des hernies rangées en lile
est très variable, en rapport avec le volume
les valvules conniventes jusque dans le fond
donc nullement à l'atrophie. (Amhu I i RI
L'intestin a été ouvert II l<>»c; de son bord libre ; on
le long du bord adhérent : la dimension de Ml Orificea
des herniei dane letquellei ds oonduiaent ; on aperçoit
de certaines de CM licïni.s, l.i muqueUM ne participe
Repue NeuroL, 15 mai 1902 Id ,80 uillet l'.UM ï
LES ATROPHIES MUSCULAIRES SYPHILITIQUES
281
l'épaisseur et à la consistance d'une mince lamelle parcheminée.
Il est probable que ces amyotrophies viscérales ne sont pas pour
f
'
Fig. 13. — Atrophie de la musculature viscérale. — Vessie. — La vessie a été remplie d'eau après
ligature des uretères et de l'urètre. Deux grosses hernies font saillie sur le bord gauche et la face
antérieure.
rien dans quelques symptômes qui accompagnent parfois les amyotro-
phies progressives, comme certaines rétentions ou incontinences, et
notamment dans les soi-disant « crises bulbaires » qui les terminent
fréquemment.
ANDRÉ LÉR1
Nous avons parlé jusqu'ici, Messieurs, des amyotrophies syphiliti-
ques progressives ; il existe aussi des amyotrophies spécifiques non
progressives, qui peuvent rester notamment localisées aux petits muscles
de la main et qui ont été décrites avec grand soin par MM. Pierre Marie
et Foix !.
Examinez, par exemple, la malade que je vous présente. C'est une
femme de 40 an s qui est venue nous consulter parcequ'elle avait de plus
en plus de difficultés à coudre, à écrire, même à boutonner ses vête-
ments. En fait, ses doigts s'appliquent mal les uns contre les autres ;
en particulier, l'opposition du pouce est très défectueuse, il ne peut
s'étendre contre l'index sans que sa deuxième phalange se fléchisse, et la
malade ne peut tenir solidement un journal entre son pouce et son
index sans fléchir le pouce ; il existe une ébauche du signe que Fro-
ment nous a appris à connaître dans les paralysies des muscles inner-
vés par le cubital. Les doigts peuvent être mis au contact les uns des
autres, mais sans aucune force, la moindre traction passive les écarte,
surtout l'auriculaire droit.
Mais tous ces troubles pourraient être considérés comme d'origine
purement fonctionnelle si, en examinant attentivement les mains, on ne
constatait un certain degré, d'ailleurs modéré, d'atrophie des éminences
thénars et des premiers espaces interosseux, atrophie un peu plus
accentuée du côté gauche. Il y a donc une lésion organique indiscutable.
Quelle est cette lésion ?
Les réflexes tendineux sont sensiblement normaux et égaux des deux
côtés ; il n'y a aucun trouble de la sensibilité objective. Mais, quand on
examine les pupilles, on constate un signe d'Argyll, et l'examen du
sérum sanguin donne une réaction de Wassermann nettement posi-
tive. Le liquide céphalo-rachidien présente une légère augmentation du
nombre des lymphocytes (6,4 par millimètre cube) et la réaction de
Wassermann s'y montre positive. C'est plus qu'il n'en faut pour nous
permettre de faire le diagnostic d'amyotrophie spécifique. Mais, par
ce que nous savons à la suite des travaux de Pierre Marie et Foix,
nous nous garderons d'en conclure qu'il s'agit du début d'une
amyotrophie progressive ; il est plus probable qu'il s'agit, au con-
1. Pibrrb Marie et Foix. Nouv. Iconogr. de la Salpitr., 1912.
LES ATROPHIES MUSCULAIRES SYPHILITIQUES
283
traire, d'une atrophie qui restera isolée dans les petits muscles de la
Au point de vueanatomique, ces atrophies isolées semhlent répondre
à un petit ramollissement complet ou plus souvent incomplet d'une
corne antérieure au niveau surtout du septième ou du huitième segment
cervical, avec une sorte d'effondrement uni ou bilatéral de cette corne
antérieure, ainsi que vous pouvez le constater sur la figure 14. Ce ra-
mollissement de la corne grise, cette « téphromalacie », est dû à une
artérite syphilitique.
■
Fig. 14. — 8e segment cervical de la moelle dans un cas d'atrophie syphilitique isolée des petits
muscles de la main. Ramollissement et effondrement de la corne antérieure droite. Ecrasement
d'ensemble de ce côté de la moelle, encoche du bord antérieur.
(Figure empruntée au mémoire de Pierre Marie et Foix.)
Il y a entre les lésions de l'amyotrophie progressive et celles de l'a-
trophie localisée une sorte de fonds commun qui est représenté par la
méningo-myélite syphilitique, plus ou moins diffuse, mais toujours
d'origine vasculaire. Si dans le second cas la lésion vasculaire est plus
étroitement localisée, elle ne l'est pourtant pas exclusivement, et l'on
retrouve sur le reste de la moelle des lésions méningées, vasculaires et
scléreuses, qui rappellent celles que nous avons constatées dans l'a-
myotrophie spécifique progressive.
Ces amyotrophies syphilitiques isolées d'origine médullaire ne sont
pas toujours localisées aux petits muscles de la main ; et, de même que
nous avons vu des amyotrophies progressives coïncider avec le tabès, de
même on connaît dans bien des cas de tabès des amyotrophies locali-
sées dont l'origine médullaire est aujourd'hui bien démontrée. Nous
citerons simplement les hémiatrophies de la langue, à l'autopsie des-
184
l \ nid. LÊR1
quelles Pierre Marie et Koch * ont trouvé des lésions des noyaux de
l'hypoglosse. Certaines atrophies des masticateurs ont pu être rappor-
tées également à des lésions des noyaux du trijumeau. De même
Raymond et Philippe - ont établi l'origine nucléaire de certaines
amyotrophies des membres inférieurs.
Il n'est pas sans doute jusqu'à certaines amyotrophies à évolution
aiguë qui ne puissent être rapportées à la syphilis. C'est ainsi que nous
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Fi},' 15. — Poliomyélite antérieure à début aigu chez un syphilitique (cas d'André Léri et S. A k.
Wilson). - 5* segment lombaire. Foyer» symétriques dans les deux cornes antérieurs, ayant 1 aspect
de véritables « tious ° dans la moelle : disposition « en lorgnon » Au cintre de l'un d'eux, on voit
nettement le vaisseau dont l'obturation a déterminé la lésion.
avons publié autrefois avec S. A. K. Wilson :; un cas de poliomyélite
antérieure aiguë de l'adulte, au cours de laquelle unv aniyotrophie mas-
sive d'emhlée avait rapidement succédée une paralysie à forme ascen-
1. Koch et Piehue Marii . Revue de Médecine, 1888.
2. Raymond el Philippe. .Soc de Neurol,, décembre 1902.
■ Ki l.i m el S, A. K. Wilson. lconogr.de la Salpitr., 1904, a* 8.
LES ATROPHIES MUSCULAIRES SYPHILITIQUES 285
dante et quadriplégique. A l'autopsie, faite plusieurs années après, nous
avons constaté de grosses lésions en foyers dans les cornes antérieures
lombaires et cervicales, telles qu'on en observe à la suite des paralysies
infantiles. Ces foyers, à caractères infectieux, avaient déterminé de
véritables « trous » plus ou moins symétriques, en lorgnon, dans les
cornes antérieures des renflements lombaire et cervical (fig. 15).
Il s'agissait d'un cas jusque-là tout à fait exceptionnel, et seulement
comparable à une observation antérieure de Van Gehuchten '. Les
constatations qui ont été faites depuis lors chez l'adulte à propos des
épidémies de poliomyélite nous empêchent d'affirmer que la syphilis
était en jeu dans la détermination de la lésion chez notre malade ; mais
cette relation nous parait pourtant bien vraisemblable, car le malade
était syphilitique, il fut frappé dans la cinquième année de l'affection et
il mourut huit ans plus tard ; or, à l'autopsie, on constata des lésions
de méningo-myélite de caractère inflammatoire et d'origine vasculaire,
telles que nous sommes habitués à les constater à une période aussi
tardive dans les affections syphilitiques et non à la suite des poliomyéli-
tes aisuës.
Nous voyons donc qu'il existe toute une série de variétés d'amyotro-
phies syphilitiques d'origine spinale, les unes chroniques, les autres
aiguës, les unes progressives, les autres localisées : toutes sont recon-
naissables par certains caractères qui permettent de localisera la moelle
les causes de l'amyotrophie, distribution de l'atrophie elle-même, con-
tractions fibrillaires, réaction de dégénérescence, etc., et par leur
association aux symptômes de syphilis, et spécialement de syphilis du
système nerveux central, sur lesquels nous avons insisté.
Mais là ne se bornent pas encore les amyotrophies spécifiques ; i7 en
est qui ne sont pas d'origine médullaire. Telles sont certaines amyotro-
phies d'origine méningo-radiculaire qui touchent, entre autres, de façon
dissociée et associée, les muscles innervés par la branche externe du
spinal. Telles sont encore les amyotrophies névritiques du tabès qui
frappent de façon diffuse les membres inférieurs et qui se caractérisent
par le « pied bot tabétique » flasque décrit par Joffroy. Telles sont éga-
lement certaines amyotrophies dues à une lésion osseuse spécifique de la
colonne cervicale. Ces amyotrophies n'ont guère été signalées jusqu'ici,
1. Vax (ïkiiuciiten Congrès des aliénisles et neurolog. Bruxelles, 1903.
286 i VJDJ? Ê LÉR1
elles sont parfois malaisées à distinguer des amyotrophies spinales, et
seule la radiographie nous en permet le diagnostic.
Un de nos malades, par exemple, examiné en 1920, a eu la syphilis en
1878, il y a V2 ans. Il présente depuis un an et demi une amyotrophie
localisée des deux côtés aux éminences thénars et hypothénars et aux
interosseux, lui même temps il accuse des douleurs le long du bord
cubital des deux avant-bras. Mais nous constatons aussi que le réflexe
rotulien droit et les deux achilléens sont complètement absents, sans
qu'il y ait d'ailleurs aucun autre signe de tabès.
Nous pensons donc à la méningo-myélite syphilitique, mais nous
constatons que la tète est projetée en avant et que la mobilité active et
passive du cou est très diminuée, en particulier l'inclinaison latérale
qui est le mouvement essentiel des vertèbres cervicales inférieures.
Une radiographie, faite par le D' Chabry, nous montre une ostéite
spécilique très nette des 5*' et G" vertèbres cervicales, un peu à droite
de la ligne médiane. Le siège de cette lésion correspond à la distribu-
tion de l'amyotrophie et des douleurs.
Si l'abolition des réflexes des membres inférieurs ne nous permet
donc'pas d'éliminer l'idée d'une méningite spécifique, du moins pouvons-
nous dire que la lésion essentielle dont souffre notre malade et qui a
déterminé son amyotrophie est une ostéite cervicale d'origine syphi-
litique. Le fait peut être d'importance, car les ostéites spécifiques sont,
parmi les lésions tardives, celles qui peut-être rétrocèdent le plus faci-
lement sous l'influence du traitement. Et qui sait si l'application du
traitement antisyphilitique, destiné avant tout à cette lésion osseuse,
ne va pas arrêter les graves conséquences possibles d'une méningite
chronique qu'elle aura permis de déceler précocement ?
Un autre malade a depuis huit mois des douleurs accentuées dans la
nuque, la partie inférieure du cou et l'épaule, surtout à droite, avec
irradiation jusque sur le côté interne du bras et de l'avant-bras. Les
espaces interosseux sont profondément atrophiés aux deux mains,
surtout à la main droite, et les éminences hypothénars sont légèrement
déprimées. En outre, les membres supérieurs sont quelque peu
parésiés dans leur ensemble, et les réflexes tendineux (cubito-pro-
nateurs, olécraniens, radio-fléchisseurs des doigts) y font défaut, à
I exception des réflexes radiaux. Aux membres inférieurs il existe un
certain degré de parésie spnsmodiquc, et les réllcxcs tendineux v sont
très vifs.
lin même temps, on constate que le COU est immobilisé dans h- sens
de l'inclinaison latérale;;'! la nuque, au niveau de la cinquième cervi-
LES ATROPHIES MUSCULAIRES SYPHILITIQUES 287
cale, on peut enfoncer le doigt d'une façon excessive, et les mouve-
ments provoqués de flexion et d'extension déterminent des craquements
que la main perçoit nettement. Une radiographie, faite par le Dr Mé-
nard, montre une lésion nette des 5e et 6e vertèbres cervicales avec
écrasement et bascule de la 6e sur la 5e.
La nature de cette lésion osseuse est décelée par une kératite à répé-
tition dont la nature syphilitique apparaît infiniment probable à
l'ophtalmologiste ; et le malade, qui niait tout antécédent spécifique
et dont la réaction de Wassermann était négative, reconnaît alors avoir
eu il y a un an 1/2 une ulcération génitale dont il n'avait pas voulu par-
ler, sous le prétexte qu'un pharmacien consulté lui avait affirmé qu'il
ne s'agissait pas de S3rphilis II subsistait un doute : l'action rapidement
favorable du traitement antisypbilitique sur l'ensemble des symptômes,
et particulièrement sur l'amyotrophie, apporta au diagnostic la confir-
mation nécessaire.
Les lésions vertébrales spécifiques peuvent coïncider, semble-t-il,
plus souvent qu'on ne l'a pensé jusqu'ici, avec des lésions méningo-mé-
dullaires de même nature, et le diagnostic causal des amyotrophies
n'est pas toujours simple. Le premier des deux malades dont je viens
de. vous résumer l'histoire en est un exemple. Le malade que je vous ai
présenté tout à l'heure comme atteint d'amyotrophie progressive à type
surtout radial en est un autre : on a constaté en effet chez lui, peu de
temps après le début de ses troubles, un enfoncement et un tassement
rapide du cou, et une radiographie faite par le Dr Ménard a montré un
certain degré d'écrasement des vertèbres C5 et C°.
En résumé, même si nous mettons à part les amyotrophies syphili-
tiques d'origine non médullaire que nous avons tenu à citer pour
mémoire, on voit combien s est progressivement et considérablement
étendu le domaine des atrophies musculaires dues à la syphilis. D'une
façon générale, les formes cliniques delà syphilis spinale se bornaient
jusqu'ici à la paraplégie, symptomatique de la lésion des cordons laté-
raux, et au tabès, révélateur de la sclérose des cordons postérieurs. A
priori, il n'était pas logique, avouons-le, qu'une affection à détermina-
tion aussi fréquemment médullaire (pie la syphilis laissât indemne les
cornes antérieures : la description des amyotrophies spinales syphili-
tiques comble cette lacune.
En dehors du tabès et de la paraplégie spàsmodique, il y a donc une
288 i \ /)/.'/•: I.lltl
forme amyotrophique de la syphilis spinale, et celle-ci est très fréquente.
Elle se révèle comme une affection progressive, sous la dépendance
d'une « myélite syphilitique amyotrophique », d'origine vasculaire et
de distribution diffuse, avec localisation occasionnellement et partielle-
ment élective sur les cornes antérieures. Ou bien, elle se manifeste
sous l'aspect d'une affection non progressive, localisée soit aux petits
muscles de la main, soit à tout autre groupe musculaire. Elle est alors
encore l'expression d'une lésion syphilitique vasculaire, de telle sorte
que dans l'ensemble on peut considérer que l'amyotrophie, progressive
ou non, répond à un véritable syndrome vasculaire syphilitique des cornes
antérieures '. Ce syndrome peut d'ailleurs être associé ou non au syn-
drome spécifique des cordons postérieurs ou des cordons latéraux.
La notion de l'origine étiologique de ces amyotropbies n'est pas
seulement d'intérêt théorique, elle a une importance pratique : c'est
elle qui doit diriger le traitement.
Le traitement antisyphilitique des amyotropbies a déjà produit, en
effet, des résultats particulièrement favorables, du temps même où la
valeur de l'arsenic n'était pas connue et où le mercure et l'iodure
faisaient seuls les frais de la cure.
Dans certains cas, il y eut arrêt de l'atrophie : nous citerons par
exemple les malades de Graves, de Hammond, de Lannois et Lévy, de
Nonne -.
Dans d'autres cas, il y eut une amélioration appréciable. Telle l'auto-
observation d'un médecin signalée par Niepce en 1853, chez qui une
cure à Allevard détermina une véritable réactivation cutanée d'une
syphilis ancienne et fut un trait de lumière qui lit découvrir la cause d'une
amyotrophie déjà très prononcée des membres supérieurs, du tronc et
du cou ; moins d'un an après l'amyotrophie avait déjà diminué de plus
de moitié, sous l'influence d'un traitement spécifique. Semblable rétro-
cession d'une atropine musculaire par un traitement spécifique a été
signalée aussi par Scberb, par Lannois et Porot, par Fournier, par
Vix, par Raymond, par Hénoch, par Gardié :l.
1. Andiu': Léri. Lesyndroinc vasculaire syphilitique des cornes antérieures. Congres
de Médecine, Londres, 1913.
2. Guavks. Clinictd Lectures, 181)5. — Hammond. /oc. cit. — Lannois et Li'vv. Echo
médical de Lyon, 1900, — Nonne. Syphilis und Nervensystem, 1909..
3. Lannois et PoROT, toc. cit. — ScHBRB, Hecttc S'eurol., 1S99. — FoORNIBR, foc. Ctf. —
Vix. Archiu. /'. Psyçh., 1910. — Gardié, Thèa» l'uris. 1899.
LES ATROPHIES MUSCULAIRES SYPHILITIQUES 289
Enfin le résultat fut parfois plus favorable encore et amena une gué-
rison totale ou presque totale : il en fut ainsi pour les malades observés
par Goldflamj par Rodet, par Seeligmuller, par Michell Clarke !.
Nous avons vu nous-mème avec Lerouge une amyotropbie spécifique
très marquée de l'éminence thénar droite et des extenseurs de l'avant-
bras disparaître d'une façon presque complète en quelques mois par des
injections mercurielles.
Vous voyez donc l'intérêt que peut avoir ce traitement, et pourquoi
il importe absolument que vous recherchiez de parti pris, dans toute
amyotrophie dont la cause n'est pas évidente, si la syphilis ne peut pas
être enjeu. Il conviendra d'appliquer longuement le traitement, car si
dans quelques cas favorables l'amyotrophie se répare avec une rapidité
vraiment surprenante, il faut bien savoir que souvent la régression ne
peut être que très lente. Vous aurez en tout cas la conscience de n'être
jamais nuisibles, car c'est seulement quand il existe des symptômes de
spasmodicité que le traitement spécifique semble pouvoir être nocif, et
le fait est rare, hors certains cas que nous avons signalés, au cours des
amjrotrophies spécifiques.
Même dans les cas où la syphilis sera douteuse, en tenant compte de
l'extrême fréquence de l'étiologie spécifique des amyotrophies, il con-
viendra de tenter le traitement d'épreuve. Rien ne vous empêchera de
l'associer au traitement classique des amyotrophies, strychnine, mas-
sage, électrisation, etc., et vous éviterez ainsi d avoir fait perdre à votre
malade un temps peut être précieux. Vous obtiendrez parfois de cette
façon les résultats les plus inespérés
N'y comptez pas toujours pourtant ; certaines anvyotrophies syphili-
tiques se sont montrées rebelles au traitement, par exemple chez des
malades de Raymond, de Rendu -. Mais comme la thérapeutique habi-
tuelle des amyotrophies est particulièrement décevante, vous n'aurez
pas de ressource meilleure et plus sûre que le mercure ou l'arsenic.
Aussi je tiens, Messieurs, à ce que vous reteniez de cette leçon que,
en présence d'une amyotrophie dont la cause vous échappe, il faut que
vous n'oubliez pas de penser tnijours à la syphilis : vous la trouverez sou-
vent soit par un interrogatoire circonstancié, soit par quelque signe
clinique ou quelque examen de laboratoire ; même si vous ne la décou-
vrez pas, c'est parfois le traitement d'épreuve qui vous forcera à l'ad-
mettre, et vous aurez encore rendu service à vos malades
1. Rodet. Union méd , 1859 - Seeligmullek, Maladies de la moelle et du cerveau,
1887. — Goldfi.am, Wiener Klin. medic, 1893 — Clarke, Lancet, 1894.
2. Raymond, Rendu. Soc Méd. des hôp , 1893
CONFKR. NEUROL. 19
DIXIÈME CONFÉRENCE
PAR
Paul SAINTON
Médecin de l'Hôpital Tenon.
LE GOITRE EXOPHTALMIQUE
Messieurs,
Il y a quelque vingt ans, le goitre exophtalmique était considéré par
la plupart comme un type de névrose ; il figurait dans les traités
de pathologie à côté de l'hystérie, delà chorée, de la paralysie agitante.
Ne suffisait-il pas, d'ailleurs, de jeter un regard sur les malades qui
en étaient atteints pour les voir toujours agités, toujours frémissants
et trémulants, mobiles et instables pour renforcer cette idée dans l'es-
prit de l'observateur, à une époque où le trouble fonctionnel suffisait à
expliquer une grande partie de la pathologie nerveuse ?
Déjà, cependant, commencent à se faire jour les trois notions qui
ont contribué à modifier la conception ancienne. La première est celle
des accidents survenant à la suite de l'ablation de la glande thyroïde et
constituant le myxoedème et de leur opposition frappante avec les
symptômes du goitre exophtalmique bien vue par Mœbius. La seconde
notion, due à Pierre Marie et Mœbius est la possibilité de la transfor-
mation d'un goitre simple en goitre exophtalmique. La troisième,
encore due à Pierre Marie et Mœbius, est le rôle que joue l'infection
dans la provocation des maladies nerveuses ou considérées comme
telles.
En même temps, sous l'influence de Brown-Séquard, naissait la
notion de la sécrétion interne et de son rôle : actuellement l'importance
de l'action qu'exerce le corps thyroïde sur la morphogénèse, sur la nu-
trition, sur la circulation et sur le système nerveux n'est plus mise en
doute par personne. Grâce à cette évolution des idées, le goitre
exophtalmique fait désormais partie de la pathologie thyroïdienne.
295
P. SA1 V /o \
LE GOITRE EXOPHTALMIQUE EST UIM SYNDROME PHYSIOLOGICO
CLINIQUE
Les traits classiques du goitre exophtalmique sont connus de tous :
vous n'avez aucune peine à les évoquer ; vous vous les rappelez, ces
rig. 1.
Collection île M. le Piofes eur Pierre Marie
malades, des femmes, habituellement, aux yeux saillants, au Faciès bos*
tile et tragique, à l'éclat singulier du regard qui s'allume plus vive-
ment à l'occasion d'une émotion. Vous avez tous le souvenir de cette
agitation, de cette palpitation musculaire incessante qui s'objective
dans leurs mouvements, dans leurs gestes, dans leur parole, dans leur
LE GOITRE EXOPHTALMIQUE
293
écriture. Leur col exagérément remonté cache avec soin un corps
thyroïde volumineux, saillant, qui fait paraître le cou plus long etàcôté
duquel les jugulaires dessinent leurs sinuosités frémissantes ; la tête
elle-même est secouée à chaque systole par les hattements des caro-
Fig. 2.
(Collection de M. le Professeur Pierre Marie)
tides (signe de Musset). Prend-on le pouls ? il hat à 180-140, exagéré
encore par l'appréhension de l'examen. La région précordiale se soulève
avec force et la palpation fait percevoir les battements forts et rapides,
témoins d'un éréthisme cardiaque. Au moral ces malades sont mélan-
coliques, inégales, désagréables pour leur entourage. Leur aspect est
S "M P. SA1 \ l<>\
cachectique ; amaigries, parfois squelettiques, elles semblent s'ache-
miner vers une mort prochaine.
A côté de celte forme où le goitre exophtalmique s'épanouit au
grand complet, combien n'y a-t-ilpas de formes frustes ! Tachycardie,
goitre, exophtalmie, tremblement, troubles de la nutrition, modifica-
tions du psychisme caractéristiques du goitre exophtalmique s'y mon-
trent tour à tour prédominants.
Si les termes de l'expression clinique sont précis, existe-t-il la même
certitude lorsqu'on examine l'origine de la maladie ? Y a-t-il une ma-
ladie de Basedow vraie et, à coté d'elle, des syndromes basedowiformes,
ou le goitre exophtalmique n'est-il qu'un vaste syndrome, comme on
en rencontre tant d'exemples en pathologie? Ne pourrait- il pas en quel-
que sorte être comparé au diabète, qui parait résulter de causes
si diverses ?
Roussy, dans son très remarquable rapport au Congrès des aliénistes
et neurologistes (Strasbourg 1920), croit avoir trouvé dans l'anatomie
pathologique la solution de la question et défend avec un grand talent
la thèse d'une individualité basedowienne opposée aux syndromes base-
dowiformes. Pour lui, dans le goitre exophtalmique vrai, il y a des
lésions spécifiques qu'il décrit ainsi :
1° Des lésions d'hyperplasie épithéliale des cellules cylindriques avec
état végétant des acini, des modifications de la matière colloïde. Ces
lésions sont comparables à celles observées chez les chiens qui ont subi
une section partielle de la glande et dans le corps thyroïde desquels on
trouve des réactions d'hypertrophie compensatrice.
2° Des lésions d'atypic cellulaire banales avec présence d'ilôts
éosinophiles qui ne se rencontreraient que dans la vraie maladie de
Basedow.
3° Des lésions de néoformation lymphoïde dans 14 cas sur 15, avec
reviviscence du thymus et adénite cervicale.
Ces lésions sont-elles spécifiques ? Elles nous semblent n'avoir
qu'une valeur relative. Ni l'éosinophilie, ni les lésions d'hyperplasie
épithéliale, ni les réactions lymphoïdes ne nous paraissent suffisantes
pour étayer sur elles une entité anatomo-clinique. Elles constituent un
mode de réaction dont nous essaierons plus loin île trouver l'origine,
et qui n'a rien de vraiment spécifique.
Le syndrome de Basedow n'est pas un syndrome anatonio-elinique.
c'est un syndrome physiologico-clinique dont la bise est l'hyperplasie
thyroïdienne, quelle qu'en soit l'origine ; ainsi conçu, il n'est qu'une anti-
thèse du myxoedème, qui peut résulter aussi bien d'un acte chirurgi-
LE GOITRE EXOPHTALMIQUE 295
cal que d'une agénésie congénitale ou de lésions scléreuses acquises.
C'est un syndrome dont la base est l'hyperthyroïdisation : n'y a-t-il
qu'exagération de la sécrétion thyroïdienne ? Y a-t-il en même temps
adultération ? La question est difficile à trancher, elle est d'autant plus
complexe que par l'intermédiaire du milieu sanguin, le corps thyroïde
fait partie d'un système et a des connexions physiologiques avec toutes
les autres glandes endocrines. Quelle est la note que donne chacune
d'elles dans le syndrome basedowien ; quelle part y prennent la
surrénale, le thymus, l'hypophyse, l'ovaire, les parathyroïdes qui ont
été tour à tour mises en causedans sa production ? Quel est aussi le rôle
qu'il ne faut point méconnaître du système sympathique si intimement
intriqué dans le système endocrinien ? Ce sont des problèmes qui sont
longs à résoudre, mais qui ne doivent point faire méconnaître le rôle
capital de riiyperthyroïdation, base physiologique du syndrome.
LES CAUSES DU SYNDROME BASEDOWIEN
Sous quelles influences se produit l'altération de la sécrétion thj'roï-
dienne ?
On eût répliqué, autrefois sans hésiter : sous l'influence d'une émo-
tion brusque ou d'émotions répétées. N'a-t-on point cité des cas, où un
individu tombé subitement à l'eau était retiré avec tous les symptômes
d'un goitre exophtalmique, qu'il n'avait pas auparavant? Ces faits de-
mandent revision ; d'ailleurs Roussy n'a-t-il point montré la rareté du
goitre exophtalmique après une guerre qui n'a point été sans soumettre
à des émotions multiples un grand nombre de sujets? L'émotivité est
un effet, sans doute, au lieu d'être la cause.
Certains individus d'ailleurs ont une prédisposition congénitale à
l'hyperactivité thyroïdienne, ce sont ceux qui sont atteints de basedo-
wisme congénital et chez lesquels une émotion minime crée temporai-
rement, pour quelques minutes, parfois pour quelques secondes, un
état basedowien (saillie des globes oculaires, tachycardie, tremble-
ment) ; l'autre variété de prédisposition tient à une épine, l'altération
antérieure du corps thyroïde, universellement connue dans les régions
go i tri gènes
Enfin l'état du système génital a une grosse influence sur le dévelop-
pement du goitre exophtalmique : d'après une série de recherches faites
avec Gastaud et Delestre, l'aplasie génitale a été à tort considérée
comme la conséquence de la maladie, alors qu'elle lui préexiste. Chez
les basedowiennes il y a deux variétés bien nettes de lésions ovariennes :
1" chez les jeunes les signes d'hypoovarie sont manifestes à l'époque
/'. SA/A TÇ \
pubérale et continuent au delà, le corps thyroïde est et demeure volu-
mineux ; 2° chez les femmes plus âgées, les lésions utéro-annexielles
sont acquises et retentissent sur le corps thyroïde, surtout si la malade
avait antérieurement un petit goitre. Survient une cause provocatrice
quelconque : le goitre exophtalmique éclate.
Parmi les agents basedowigènes, le plus puissant est l'infection :
toutes les maladies infectieuses peuvent être à l'origine d'un goitre
exophtalmique en provoquant une réaction thyroïdienne : la fièvre
typhoïde, la grippe, le rhumatisme, etc., ont été incriminés. Garnier,
sous l'inspiration de Roger, a montré les réactions qu'elles amènent
dans la glande. Mais parmi les grandes infections, deux passent au
premier plan, la tuberculose et la syphilis. De même que la tuberculose
produit sur la glande surrénale des réactions d'hypo-épinéphrie, d'addi-
sonisme, de même elle provoque des réactions dans un sens contraire
dans la glande thyroïde en produisant l'hyperthyroïdisme, si fréquent
chez les sujets porteurs de lésions bacillaires plus ou moins torpides,
adénopathies multiples, tumeurs blanches, lésions pleuro-pulmonaires.
C'est au goitre exophtalmique tuberculeux qu'il faut rapporter les
formes fébriles ; c'est à l'infection tuberculeuse qu'il faut attribuer les
pleurésies hémorrhagiques qui constituent parfois un épisode de l'évo-
lution de la maladie.
Quant à la syphilis, comme nous l'avons signalé après Abrahams,
Penzoldt, elle joue un rôle insoupçonné. Schullmann a réuni dans sa
thèse la plupart des observations: il suffit de jeter un regard sur le
tableau suivant qui lui est emprunté, pour voir comment voisinent dans
une même famille les accidents basedowiens et nerveux d'origine
spécifique.
TABLEAU I
(ïoitre exophtalmique familial d'origine syphilitique Th. de Schulmann .
Famille P... 11 knfants.
1 et 2. — Morls en bas âge.
3. — Lucie. Morte à 12 ans d'une affection de la moelle épinière.
4. — Léon. Mort à 49 ans, à Ivry. Aveugle, ataziqae avec ulcérations ans jambes.
Exophtalmie ?
5. — Victor, 50 ans.Tabétique. Ezophlalmie 1res légère. Tachycardie (85 très légère
6. — Marthe, 46 ans. Non vue.
7. — Louis, 3<S ans. Exophlalmie l'as de goitre. Légère tachycardie (90). Tremble-
ment léger, niais net l.cucoplasie buccale. Réaction de Wasscrinann positive.
8. — Hélène, 36 ans. Gros goitre Ëxophtalmie Tachycardie 120. Tremblement. Ré-
• trognathisme. Réaction de Wassermann positive.
9. — Louise, 33 ans. l'as de goitre Légère exophtalmie Léger tremblement. Tachj
cardie minime (100). Nérvosisme. Surdité de l'oreille droite. Grosse hydai
throse idiopathique bilatérale. Réaction de Wassermann positive.
LE GOITRE EXOPHTALMIQUE 297
10. — Marguerite, 31 ans. Pas de goitre Tachycardie 110 Exophtalmie. Tremble-
ment. Rhumatisme chronique. Rétrognathisme. Grosses déformations den-
taires. Réaction de Wassermann positive.
11. — Fernande, 26 ans Pas de goitre. Exophtalmie. Tachycardie marquée. Trem-
blement (130). Plaque de leucoplasie. Rétrognathisme. Réaction de Wasser-
mann positive.
La syphilis en effet esta la base des goitres exophtalmiques familiaux,
des goitres exophtalmiques conjugaux et de la plupart de ces syndromes
associés pour lesquels on avait si grand'peine autrefois à établir un
lien entre le syndrome thyroïdien et le syndrome nerveux (épilepsie,
myasthénie, tabès, sclérose combinée, etc.). Ce sont sans doute des
syphilitiques héréditaires, ces basedowoïdes de Stern, qui ont toutes
les tares des dégénérés, ne guérissent jamais, mais n'arrivent aussi
jamais au syndrome complet. La syphilis héréditaire ou acquise est
un des grands facteurs basedowigènes chez l'homme, chez lequel l'évo-
lution de la maladie est souvent si grave ; elle coïncide souvent d'ailleurs
avec une lésion aortique Les goitres exophtalmiques postsyphilitiques
comprennent deux catégories: les syndromes de la période secondaire,
facilement réductibles, et les syndromes tertiaires, plus tenaces.
Ce rôle si longtemps méconnu de la syphilis et de la tuberculose dans
le syndrome de Basedow ne demande-t-il pas à être médité ? Lorsqu'on
le rapproche des constatations anatomiques si intéressantes de Roussy,
n'est-on point tenté de conclure que les réactions lymphoïdes et
l'éosinophilie qu'il nous décrit sont la manifestation d'une action de
l'une ou l'autre de ces infections qui ont une si grande affinité pour le
tissu lymphoïde.
A un âge plus avancé, une troisième infection, le cancer, ne doit
point être méconnue ; il est souvent la cause de ces goitres exophtal-
miques à marche rapide que n'enraye aucun traitement.
LES SYMPTOMES
La symptomatologie du goitre exophtalmique est tellement touffue
qu'il est impossible d'exposer ici toute l'histoire clinique de ce syn-
drome. Il ne sera donc question dans cette conférence que de points
nouveaux ou contestés qui ne sont point suffisamment exposés dans
les livres classiques.
Parmi les symptômes circulatoires, la tachycardie est bien connue;
elle est des plus variables, peut aller de 105 à 130 et même 170 pulsa-
tions à la minute. Van Hœsslin, Gallavardin ont attribué une certaine
valeur à la fréquence matutinale du pouls, qui serait au-dessus de la
fréquence vespérale ; les recherches systématiques faites sur un cer-
298 /'. S Al \ TO \
tain nombre de mes malades sont en contradiction avec cette opinion;
le pouls pris par la même personne est plus fréquent le matin (pie le
soir ; j'ai souvent remarqué que la visite du matin était pour les ma-
lades une cause d'émotion qui pouvait fausser l'appréciation et qu'il y
avait lieu de ne pas accepter eette accélération matutinale comme
ayanl une valeur diagnostique quelconque. Une malade de mon service
avait, au moment où l'on s'approchait de son lit le matin, une exacer-
bation générale des symptômes, exophtalmie, tremblement et tachycar-
die, qui eessait alors que s'éloignait la visite.
En même temps (pie la tachycardie, existe souvent de l'arythmie ;
celle-ci a des caractères particuliers, elle peut évoluer pendant de
longues années sans s'accompagner d'oedème, les malades s'en plaignent,
mais elle ne s'accompagne pas d'impotence fonctionnelle, la période
de décompensation ne survient pas comme dans les affections cardia-
ques. Elle parait dans certains cas comparable aux symptômes
d'asynergie musculaire, qui sont l'apanage de la" maladie de Basedow et
reconnaît une origine nerveuse ; il y a lieu de se demander quelle part
y prend le système nerveux intracardiaque et le bulbe. La pression
artérielle, d'après les recherches de Liau, est en général supérieure à
la normale ; elle n'est jamais excessive.
L'aorte chez les basedowiens est souvent un peu plus volumineuse
que chez des sujets de même âge d'après les examens radioscopiques
les plus récents que nous ayons pratiqués, il est bien entendu qu'il ne
saurait s'agir des cas où il y aurait une aortite concomitante.
Comment réagissent dans le goitre exophtalmique les nerfs qui ont
sous leur dépendance la régulation cardiaque? La tachycardie base-
dowienne fait penser que les réactions sympathiques l'emportent sur
l'action vagotonique. Les premières recherches faites pour examiner le
mode de réaction des sujets atteints de goitre exophtalmique sont dues
à Falta, Rûdinger et Hess. Pour cela ils avaient recours à deuxépreuves,
la première était l'injection de solution de pilocarpine, augmentant le
tonus du vague et manifestant son activité par île la salivation, des
sueurs, de la rougeur de la peau, des mouvements péristaltiques ;
la seconde était l'épreuve inverse : injection d'une solution d'a-
drénaline au millième (épreuve de Gœtsch), donnant lieu à île la
polyurie, de la tachycardie et de la glycosurie. Le résultat de ces
épreuves varie suivant les sujets ; les uns sont réfractaires à l'une et
sont sensibles à l'autre, d'autres réagissent aux deux, de sorte qu'il y
aurait des basedowiens vagotoniques, sympathicoloniques, ou neutres
Une épreuve plus simple, moins pénible pour les malades et sulli-
LE GOITRE EXOPHTALMIQUE
299
santé dans la pratique, est celle du réflexe oculo-cardiaque. Si l'on com-
prime les globes oculaires et que l'on compte le nombre des pulsations,
trois éventualités peuvent être réalisées : 1° le sujet réagit par un ralen-
tissement du pouls supérieur à 10 pulsations, ce qui signifie une pré-
dominance du système vague, il y a hypervagotonie provoquée ;
Fig. 3. — Exophta'.mie bilatérale, élargissement de la lente palpébrale.
2° le sens de la réaction est l'inverse du précédent, il y a sympathico-
tonie ; 3" le réflexe est absent, soit qu'il y ait lésion des conducteurs,
soit que l'action frénatrice du vague et l'action accélératrice du sym-
pathique s'égalisent ; 4° enfin il peut y avoir variation du sens du
réflexe chez le même sujet.
Par un paradoxe singulier, les résultats de cette exploration sont
inattendus. L'épreuve de Yhypervagotonie provoquée est positive clans
60/100 des cas, il y a inversion du réllexe, par conséquent lujpersijm-
pathicotonie provoquée dans 10/100 des cas, le réflexe est normal clans
300
P. SAIN TON
30 100; tes chiffres sont très voisins de ceux publiés par le Pr Mara-
non. Enfin, chez plusieurs sujets à réaction hypervagotonique habi-
tuelle, il y a au moment des règles une accélération, témoignage dv
l'instabilité vagO-sympathique ou thyroïdienne signalée par Léopold
Lévi. Le syndrome de Basedow est un de ceux où le rellexc oculo-car-
diaque est le plus marqué. Il peut y avoir des ralentissements de
Exophtalmie uniialé
52 pulsations : ce ralentissement s'accompagne en général d'une élé-
vation de l'indice oscillométrique.1L& pression des globes oculaires modi-
fie non seulement la tachycardie, mais encore le tremblement, comme
l'ont montré Achard et Binet.
Les signes oculaires sont nombreux ; leur étude détaillée serait
très longue, mais j'ai pensé qu'il y avait lieu de les grouper dans un
tableau d'ensemble qui les résume : rappelons que leur fréquence est
très variable. L'exophtalmie se rencontre dans 71 100 des cas, elle est
plus prononcée du coté de l'hypertrophie thyroïdienne, le signe de
de Graefe dans 71/100 des cas, le signe de Mubius el h' signe de
LE GOITRE EXOPHTALMIQUE 301
Stellwag dans 17/100, les troubles pupillaires sont rares, même lors-
qu'on les recherche par l'épreuve de la mydriase provoquée de Can-
tonnet.
TABLEAU II
SIGNES OCULO-PALPÉBRAUX
I. Signes oculaires (globe de l'œil) :
Exophtalmie uni ou bilatérale.
Enoplitalmie (exceptionnelle).
II. Signes de dyssynergie motrice oculo-palpébrale ou oculaire :
! Absence de la contraction du frontal dans le
Signe du frontal regard en haut (Joffroy). Retard de cette con-
' traction (Sainton).
ç. , , r f ( Asynergie des mouvements de la paupière supé-
I rieure et du globe de 1 œil.
t.. , „ , i ( Tremblement des paupières fermées. Signe du
Signe de Rosenbach ] ,. r r
( clignement.
Signe de Mœbius Défaut de convergence des axes oculaires.
Secousses nystagmiques (horizontales ou verticales).
III. Signes de déficit musculaire :
Signe de Stellwag
(, Rareté et inachèvement de la fermeture involon-
( taire des paupières.
Paralysies oculaires (rares). . . vie, me, ive paire.
IV. Signes de spasmodicité :
«■'•' j *-••.« j t Rétraction spasmodique de la paupière supé-
Siqne de Gifford {. l n lr
f rieure.
Mydriase, 7 0/0.
Myosis, 2 0/0
Anisocorie. 4 0/0.
Inégalité pupillaire à bascule (Sainton et Rathery '
V. Signes pupillaires. : . . . < ' ,• ,,
exceptionnelle
, Contraction par à-coups de la
Signe de Goivers \ pupille au réflexe moteur con-
' sensuel.
( Névrite optique
VI. Signes de lésion du nerf optique. . ( Ambiopie thyroïdienne.
VII. Signes conjonctivaux :
i (Vaso dilatation se traduisant par 4 stries étoilées
Signe de Topolanski ■' ou en croix et par congestion de deux veines
f juxtacornéennes.
VIII. Signes pigmentaires palpébratjx :
Signe de Jellineck-Teillais. . . . Pigmentation palpébrale et périorbitaire.
En regardant ce tableau, on est frappé de l'importance des symptômes
de dyssynergie : le signe du frontal, le signe de de Graefe, le signe de
Mœbius, les secousses nystagmiques, le signe de Rosenbach, comme
102 P. SAINTOh
d'ailleurs le tremblement, ne sont que des troubles syncinétiques. En
les groupant comme nous l'avons fait, il est une réflexion qui s'impose :
c'esl leur similitude avec ceux de l'encéphalite léthargique ; ils sont
parcellaires, ils sont variables, et lorsqu'on veut mettre en cause tel ou
tel groupe musculaire on est embarrassé. Ce rapprochement veut dire
simplement (pie le poison basedowien a une action élective sur le
mésocéphale, qu'il a, comme le virus de l'encéphalite léthargique, ten-
dance à s'y fixer. L'amblyopie et la névrite optique ont été réalisées
expérimentalement. Quant aux paralysies localisées, qui sont d'ailleurs
très rares, elles doivent être rattachées à une syphilis nerveuse con-
comitante d'un syndrome basedowien syphilitique.
Le troisième symptôme, le goitre, sera étudié au point de vue du dia-
gnostic thérapeutique et je n'insiste point, sur lui non plus que sur le
trem blement à rythme moyen étudié dans la thèse de Pierre Marie et
sur lequel aucune notion nouvelle n'a été apportée.
Après la tachycardie, après l'exophtalmie, après le tremblement,
après le goitre, le cinquième symptôme, le plus important, est le trouble
profond du métabolisme qui existe chez les basedowiens.
Le métabolisme . — Un des sj'mptômes qui fait partie du signale-
ment des basedowiens est leur maigreur C'est qu'en effet l'amaigris-
sement est un des signes initiaux de la maladie ; il en précède souvent
de longtemps les manifestations évidentes. 11 fait considérer les base-
dowiens comme des tuberculeux, des dyspeptiques, des entéritiques,
des neurasthéniques, jusqu'au moment où l'augmentation de volume du
cou ou la prorusion du globe oculaire fixent l'attention.
Parfois l'amaigrissement survient par crises ; en quelques semaines
les malades perdent 5 à 6 kilos, puis la crise cesse, l'état général s'amé-
liore jusqu'à ce (pie survienne un nouvel accident. Le plus souvent,
l'amaigrissement est progressif, il évolue parallèlement avec les autres
symptômes de la maladie et s accompagne de troubles digestifs et de
diarrhée profuse considérée autrefois comme d origine nerveuse.
Toutes les recherches modernes concordent à démontrer que ces
troubles nutritifs sont la conséquence d'une intensité anormale des
processus oxydatifs. Les premières recherches faites en Allemagne à
l'aide de l'appareil de N'oit Pettenkœffer ont montré que le processus
basedowien, aussi bien d'ailleurs que le thvroïdisme alimentaire, accé-
lère les échanges nutritifs dans une proportion qui peut atteindre jus-
qu'à 80/100.
Aux Etats-Unis, où le goitre exophtalmique est plus grave et plus
LE GOITRE EXOPHTALMIQUE
303
fréquent qu'en France, l'étude du métabolisme basai à l'aide de l'appa-
reil de Benedickt suivant la méthode de Dubois est employée comme
moyen d'investigation du degré de l'intoxication basedowienne. Qu'il
me soit permis de rappeler, avant d'aller plus loin, la définition du
métabolisme basai, mesuré par la méthode calorimétique indirecte.
TABLEAU III
I. Repos.
III. Radiothérapie.
IV. Thyroïdectomie.
II. Repos
B. de quinine.
Diagramme emprunté à Means et Aub indiquant l'effet des divers traitements sur le métabolisme.
Les colonnes montrent dans quelles proportions le métabolisme avant et après le traitement dépasse
le métabolisme d un individu normal ; les bandes noires indiquent que le sujet est au repos complet,
les bandes mi-ombrées indiquent qu'il est au lepos partiel, les bandes claires qu'il est laissé à ses
occupations.
I" Colonne. Repos. A1* avant le traitement ;
B) 1 à 3 semaines après.
II' Colonne. Repos -f- Bromhydrate de quinine ;
A) avant le traitement ; B) 1 à 3 semaines après.
III. Radiothérapie. A) avant le traitement ; B) 4
à 5 semaines après l'exposition aux rayons et
avec 1 à 3 séances ; C) 5 mois après et avec
1 à 5 séances; D) 13 mois après et avec G à
7 séances ; E) 24 mois après et avec 10 séances
et plus ; F) 2 à 3 ans.
IV''. Thyroïdectomie. A) avant le traitement ;
B) 1" quinzaine après l'opération : C) 2' quin-
zaine après l'opération ; D) 3 à 4 mois après
1 opération ; E) 4 à 5 mois après 1 opération ;
F) 10 à 24 mois après l'opération ; G) 3 et
4 ans.
C'est la production minima de chaleur d'un organisme mesurée 12 ou
18 heures après l'ingestion d'aliments, l'organisme étant au repos
musculaire complet '. Cette production minima de chaleur peut être
déterminée directement au moyen du calorimètre ou indirectement en
calculant hi production de chaleur d'après l'analyse des produits
terminaux résultant de l'oxydation de l'organisme ou plus spéciale-
ment de l'apport d'oxygène utilisé et du chiffre correspondant d'acide
carbonique produit, comparé à l'azote total éliminé par les urines.
1. Voir Waltheh Bootiiley et [rêne Sandiford : Laboratory Manuel of the techiiic of
basai metabolic rate détermination. Philadelphie et Londres, 1920.
304 P. SAI \ I 0 \
Pour les auteurs américains, parmi lesquels nous citerons Means et
Aub, Mac Caskey, Sistrunk, Christie, il y aurait non seulement un
moyen pratique de reconnaître l'intoxication thyroïdienne, mais
encore d'en mesurer le degré et de se rendre compte de l'efficacité
tles divers traitements. Je ne puis mieux faire à cet égard que de
reproduire le tableau, emprunté à Means et Aub, qui montre
l'efficacité des divers traitements employés : repos, traitement
quinique, traitement chirurgical. En le lisant, on voit comment un
métabolisme basai de 80 p 100 peut être réduit sous l'influence du
traitement par la quinine, du traitement radiothérapique ou du
traitement chirurgical.
Si l'on admet ces théories, le basedowien serait un prodigue qui
absorbe et dépense sans compter.
On doit se demander si le problème posé n'est pas plus complexe
et si, non content de dépenser, le basedowien utilise bien ce qu'il apporte
dans son organisme. En d'autres termes, chez ces malades l'assimila-
tion est-elle troublée ?
Le métabolisme des matières azotées est modifié ; d'après Lueders,
il y aurait dans l'excrétion urinaire des basedowiens augmentation
de l'azote total, de l'ammoniaque. Il y a désaccord sur l'élimination de
la créatinine, qui serait augmentée pour les uns, normale pour les
autres. Les recherches expérimentales montrent en effet que l'admi-
nistration d'extrait thyroïdien amène chez les animaux de la polyurie
avec azoturie et perte de poids. On peut cependant se demander si
cette action de l'extrait thyroïdien est spécifique ou si elle n'est pas
la conséquence de la polyurie.
De même l'assimilation des graisses parait troublée : il en est de
même des échanges phosphores d'après Scholtz, qui signale une forte
déperdition phosphorée par le tube digestif, manifestée par une aug-
mentation de la proportion du phosphore dans les selles.
Quant au métabolisme des hydrates de carbone, son étude mérite
qu'on s'y arrête longuement. Depuis longtemps les associations du
diabète et du syndrome de Basedow sont connues ; d'après la thèse
faite par le D1 Gastaud, sous mon inspiration le diabète se montre
dans environ 3 p. 100 des cas 11 revêt deux formes : 1° le type de
diabètegrave, assez rare; 2° une forme légère et transitoire. Pour Marcel
Labbé, les poussées diabétiques seraient parallèles aux exacerba-
lions basedowiennes et coïncideraient avec des crises de tachycardie,
de diarrhée, de fatigue et de polyurie : le coma n'est pas excep-
tionnel ; l'acidose est constante et serait d'ailleurs indépendante du
LE GOITRE EXOPHTALMIQUE 305
trouble gluco-régùlateur. Cette association avec le diabète a fait penser
que l'hyperthyroïdisme ou le basedowisme jouait un rôle dans sa
provocation et a incité à faire chez les basedowiens l'épreuve de la
glycosurie alimentaire. Or celle-ci est très inconstante et très iné-
gale. Dans une série de recherches faites avec Schullmann et
Justin-Besançon, nous avons étudié la glycémie normale, et la glycé-
mie provoquée par l'injection de glucose, par l'injection d'extraits glan-
dulaires, comme l'extrait hypophysaire, l'extrait thyroïdien, et enfin
d'adrénaline (épreuve de Gcetsch, etc.). Les résultats obtenus avec la
méthode de Folin et Wuhien, qui utilise les procédés colorimétriques,
pour le dosage du sucre, montrent que la glycémie n'est jamais très
supérieure à la normale, que l'intensité de la glycémie provoquée n'est
nullement en rapport avec le degré du goitre exophtalmique et que le
rôle gluco-régulateur de la glande thyroïde est sous la dépendance
d'autres glandes. On peut accuser successivement le foie, l'hypophyse,
la surrénale et les parathyroïdes.
Il y a lieu de soulever aussi l'hypothèse d'un processus étiologique
unique, agissant sur plusieurs glandes à la fois . On sait le rôle de
la syphilis dans la production du goitre exophtalmique : Pinard et
Velluot lui attribuent une part non moins importante dans la pro-
duction du diabète, si bien qu'il y a lieu de poser la question de
l'existence des deuxsyndromessous l'influence d'un agent causal unique
qui serait le tréponème.
Les troubles nerveux et le psychisme. — Ils seront très briè
veinent signalés. La plupart des troubles moteurs signalés chez les
basedowiens, à part le tremblement, n'appartiennent pas en propre
au syndrome : le dérobement des jambes, la paraplégie, l'hémiplégie,
doivent être rapportés à la syphilis.
Dans l'étude du psychisme des basedowiens, il y a lieu de distin-
guer, avec Laignel-Levastine, un fond mental et des psychoses sura-
joutées 4. Qu'il me suffise de rappeler, en ce qui concerne le fond
mental, l'émotivité des sujets, leur angoisse, leur irritabilité, leur ins-
tabilité, leur activité incessante, désordonnée comme leurs gestes, la
mobilité de leurs idées et de leurs sentiments.
Les troubles pigmentaires cutanés sont fréquents dans le
goitre exophtalmique, ils sont intéressants à étudier aussi bien au
1. Voir dans ce volume la conférence de M. Laignel-Lavasline sur les psychoses
thyroïdiennes.
CONFÉR. NKUROL. 20
/*. SAIA m\
point de vue clinique qu'au point de vue de la pathogénie. A côté
du signe de Jellineck Teillais, se montrent diverses variétés de pigmen-
tation que j'ai étudiées avec Ghéronnet .
Ce sont souvent des pigmentations diffuses des organes génitaux,
du mamelon, des plis articulaires et des replis cutanéo-muqueux.
Parfois il y a mélanoderinie généralisée, sans pigmentation des
muqueuses ; enfin il y a des cas où le syndrome addisonien s'étale
au grand complet, avec présence de plaques pigmentaires de la
bouche, avec asthénie, hypotension, ligne blanche de Sergent et
frilosité. Dans un cas personnel, la mélanodermie fit place au
vitiligo.
La coexistence chez un même individu d'un syndrome de Basedow
et d'un syndrome d'Addison va tout à fait à l'encontre des théories
de l'école de Vienne, qui font de l'hyperadrénalémie et de l'hyperé-
pinéphrie le pivot du syndrome de Basedow ; il y aurait stimulation
du système chromaffine se traduisant par la sécrétion exagérée
d'adrénaline et excitation du pancréas. La présence d'adrénaline en
excès dans le sang est plus que problématique chez les basedowiens ;
car la clinique nous montre l'hyperthyroïdie voisinant avec l'in-
suffisance surrénale. Les faits sont plus faciles à expliquer si l'on
met en cause une action double sur la glande thyroïde et la glande
surrénale, due le plus souvent à la tuberculose, peut-être parfois à la
syphilis.
Il est impossible de traiter des troubles cutanés sans signaler les
œdèmes : ils sont variés ; parfois l'œdème est aigu, du type Quincke,
avec bajoues, comme Chauffard en a cité un bel exemple ; parfois ils
sont d'origine cardiaque. Enfin il y a toute la catégorie de ces œdèmes
que l'on a qualifiés de myxœdèmes chez les basedowiens, dont quelques
cas relèvent du trophœdème et dont les ai très mériteraient une
longue discussion. La sclérodermie, l'alopécie, la chute du système
pileux, ont été signalés dans les goitres exophtalmiques syphili-
tiques.
LE DIAGNOSTIC DU GOITRE EXOPHTALMIQUE DANS LES FORMES
FRUSTES, LES EXAMENS DE LABORATOIRE ET LES TESTS
Le diagnostic de goitre exophtalmique s'impose à première vue chez
un grand nombre de malades ; mais à côté des formes à symptomato-
logie tapageuse, existe toute une série de formes frustes, qui vont en
s'estompant jusqu'au basedowisme, au cœur goitreux et aux thyréo-
toxicoses cardiaques ; aussi depuis longtemps, médecins et chirurgiens
LE GOITRE EXOPHTALMIQUE 307
cherchent-ils un critérium qui permette de distinguer, dans les cas
incertains, ceux qui doivent être considérés comme d'origine base-
dowienne. La clinique étant insuffisante, on s'est adressé au labora-
toire et aux épreuves physiologiques.
Trois méthodes ont été préconisées pour éclairer le diagnostic :
examen du sang et du sérum, emploi de tests biologiques ou chimiques,
épreuves du métabolisme basai.
L'examen du sang, an point de vue de la teneur en globules blancs,
a été considéré pendant quelque temps comme un guide sûr. Le profes-
seur Kocher pensait que la formule caractéristique consistait dans la
leucanémie avec leucopénie neutrophile, lymphocytose absolue et
relative. Cette formule cadrait ainsi avec l'hypertrophie lym-
phoïde.
Ces caractères hématologiques ont été retrouvés par un certain
nombre d'observateurs : d'autres, Giordano, Roussy, Folley et Leprat,
et nous-mêmes, considèrent qu'elle est loin d'être constante : il semble
que la lymphocytose se rencontre de préférence dans les goitres
exophtalmiques infectieux, surtout dans ceux qui ont pour origine
la tuberculose. D'ailleurs la formule leucocytaire n'est pas fixe chez
un même sujet, elle subit des variations très notables chez les base-
dowiennes an moment de la menstruation.
L'examen cytologique ne fournissant point des renseignements
suffisants, quelques observateurs se sont adressés à l'étude des modifi-
cations du sérum.
Lampué et Fuchs ont pratiqué Yépreuve de la dialyse suivant la
méthode d'Abderhalden et ont obtenu des résultats positifs ; il ne
faut point oublier que la technique en est difficile et sujette à erreur,
en raison de sa grande sensibilité.
De même la déviation du complément (Roseo, MarinescoetPapazoglu)
a été employée avec succès, en se servant comme antigène de glande de
basedowien.
L'épreuve de Ihyperadréiudinémie, qui consiste à évaluer la teneur
du sérum en adrénaline, a été effectuée par des méthodes physiolo-
giques, soit en recherchant l'action du sérum sur l'utérus de lapine
(Franckel), soit en étudiant la mydriase provoquée sur l'œil de grenouille
(épreuve d'Ehrmann). Elles sont toutes deux basées sur l'action de
l'adrénaline sur les fibres lisses ; elles sont d'une application peu
pratique : rien n'est moins démontré que la constance de l'hyperadré-
nalémie dans le goitre exophtalmique.
Enfin les tests préconisés récemment consistent soit en l'absorption
i>. smx r<>.\
de substances pharmaco-dynamiques, soit dans l'injection d'extraits
glandulaires.
Le test de Bram ou test an bromhydrate de quinine est hase sur la
tolérance, que cel auteur considère comme démontrée, des malades
atteintes de goitre exophtalmique, à la quinine et particulièrement à son
sel, le bromhydrate, soitqu'il exerce une action neutralisante sur la toxine
thyroïdienne, soit qu'il augmente le métabolisme basai, soit qu'il agisse
sur l'instabilité vaso-motrice. Les recherches entreprises par nous pour
vérifier ce test ont été négatives, et si les basedowiens sont réfractaires
à la quinine, il s'agit le plus souvent de sujets exceptionnels.
Le test hypophysaire de Claude, qui avec ses élèves Baudouin et
Porack a étudié l'action des tests glandulaires, mérite d'être employé
pour différencier les tachycardies basedowiennes ; mais il est néces-
saire (pie l'on ait entre les mains un extrait bien préparé et actif.
Si l'on injecte 1/2 ou 1 centimètre cube d'extrait alcoolique de
lobe postérieur d'hypophyse desséché, on obtiendrait chez les base-
dowiens une bradycardie marquée qui serait due à l'absence de
réaction des accélérateurs sympathiques et à l'action frénatrice de la
dixième paire.
Quant à l'étude du métabolisme basai, on sait quels sont les services
qu'elle peut rendre à la clinique.
COMMENT DOIT-ON TRAITER LES GOITRES EXOPHTALMIQUES ?
Cette question doit être posée, puisqu'elle est le corollaire pratique
de cette conférence.
Alors que le diagnostic de goitre exophtalmique est certain chez,
un malade, le point essentiel, avant d'indiquer un traitement, est d'en
préciser la variété. Il faut palper avec soin le corps thyroïde, examen
facile en apparence, difficile en réalité. Avant d'admettre l'existence
d'un kyste thyroïdien, par exemple, il faut examiner le malade longue-
ment, car il existe souvent, à l'examen digital, de fausses sensations
de rénitence ; on croit sentir un kyste qu'on ne retrouve pas à un
Second examen et tpii s'évanouit lors de l'intervention.
Ces causes d'erreur évitées, plusieurs cas peuvent se présenter'
1° Le goitre est consistant, cirrhotique, lobule, quelquefois ficelé J
il faut penser à an syndrome d'origine syphilitique tertiaire 11 faut alors
rechercher dans les anamnestiques s'il existe une infection possible, exa*
miner l'aorte à la percussion, à fauscultation et à la radioscopie, inter-
roger les réflexes tendineux, pratiquer une- réaction tic Wassermann.
LE GOITRE EXOPHTALMIQUE 309
Il ne faut point négliger le traitement d'épreuve, injections intra-
veineuses de cyanure d'hydrargyre ou d'arsénobenzol à doses mo-
dérées. Il sera la meilleure démonstration de la nature de la malade.
Le traitement par l'iodure de potassium peut aussi servir de pierre
de touche ; dans quelques cas il nous a donné des résultats inat-
tendus, alors qu'il était appliqué avec une certaine prudence, par
crainte d'une aggravation due à l'action de l'iode. Cette variété est justi-
ciable du traitement antisyphilitique habituel.
2° Le goitre est-il kystique? Il se rencontre alors chez des originaires
de région goitrigène ; la tumeur existe depuis longtemps, elle a subi-
tement grossi ; le syndrome basedowien a apparu progressivement.
Le traitement d'emblée est le traitement chirurgical, le kyste cons-
tituant l'épine irritative, cause du syndrome.
3° Le goitre est-il vasculaire ? Deux cas peuvent se présenter.
A. Le goitre est peu volumineux, avec des battements peu marqués à
symptomatologie discrète. Son origine demande à être précisée.
Apparaît-il au voisinage de la période pubérale ou chez une
femme jeune, insuffisante ovarienne aux règles peu abondantes,
inégalement espacées? Il faut recourir à l'opothérapie ovarienne
longtemps prolongée. La tumeur thyroïdienne survient-elle à la
ménopause ? La même médication peut être employée ; mais ici un
examen gynécologique minutieux s'impose : il révélera souvent l'exis-
tence d'une tumeur fibreuse, d'une salpingite, d'une lésion utéro-ova-
rienne qui doit être traitée avec soin. Ces formes discrètes peuvent
s'observer dans les périodes peu avancées delà syphilis (basedowisme
secondaire), dans la tuberculose, dans les syndromes d'origine infec-
tieuse.
Le traitement delà cause locale ou générale est indispensable. Au
point de vue symptoma-tique, l'hémato-éthyroïdine, les humeurs
d'animaux éthyroïdés ont une influence heureuse ; le salicylate de
soude compte des succès à son actif. Beaucoup plus inconstante est
l'action de la quinine. Si ces moyens sont insuffisants, il faut
s'adresser à la radiothérapie.
B. Le goitre est volumineux, vasculaire, turgide et pulsatile ; il
faut avoir recours d'emblée à la radiothérapie (Béclère), qui constitue
le traitement de choix, en diminuant l'activité des éléments cellu-
laires hvperplasiés. Deux méthodes sont en présence, celle des faibles
intensités fréquentes et répétées, celle des intensités fortes et plus
rares ; il ne faudra jamais négliger d'irradier la région thymique en
même temps que la région thyroïdienne.
310 /'. SA1 \ TO \
Dans les cas extrêmes, la chirurgie peut rendre des services, soit que
l'on pratique la ligature des artères thyroïdiennes ou mieux l'hémithy-
roïdectomie. Dans les goitres plongeants basedowifiés, l'intervention
doit se taire d'urgence.
4° Le goitre est-il petit, aodulaire ou fibreux ? C'est encore au
traitement chirurgical qu'il faudra recourir pour enlever le nodule
adénomateux ou fibreux. Mais si la sclérose thyroïdienne est diffuse,
il faut éviter et l'intervention et le traitement radiothérapique, qui
peuvent être dans ce cas particulier suivis de myxœdème. Les trai-
tements électrothérapiques, galvano-faradisation, sont alors indiqués
et donnent de bons résultats.
5° Enfin il peut y avoir cancer thyroïdien. Son évolution est en
général très rapide : la radiothérapie et même la radium thérapie peu-
vent donner quelque soulagement, si l'étendue de la tumeur contre-
indique toute intervention.
Quelle que soit la méthode thérapeutique à laquelle ils soient soumis,
les basedowiens doivent faire une cure de repos et de calme. Le
séjour dans une station thermale (Bourbon-Lancy, Bourbonne, Ussat,
Salies-de-Béarn, Néris, Plombières) est indiqué comme complément
de la convalescence.
Les considérations, qui viennent d'être exposées, sont bien incom-
plètes ; elles sont suhisantes cependant pour concevoir l'évolution
qui s'est faite dans la conception du syndrome basedowien. Nombre
de données classiques jusqu'ici demandent à être revisées ; le nombre
des problèmes posé par l'étude du goitre exophtalmique est considé-
rable, le rôle du corps thyroïde apparaissant comme de plus en plus
important, aussi bien au point de vue du métabolisme en général
qu'au point de vue de l'équilibre endocrinien et des connexions qu'il
peut avoir avec le sympathique. Les inconnues de ces problèmes sont
tout au moins posées et les chercheurs savent dans quelle voie ils
doivent se diriger pour les résoutire.
ONZIÈME CONFÉRENCE
J.-A. SICARD,
Professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris,
médecin de l'hôpital Necker.
LES ALGIES ET LEUR TRAITEMENT
Messieurs,
Permettez-moi de remercier tout d'abord M. le professeur Pierre
Marie, de la confiance qu'il m'a témoignée en me demandant de
vous entretenir des algies et de leur traitement.
C'est là une question pratique au premier chef.. Notre devoir n'est-
il pas, à nous médecins, de nous efforcer, dans la mesure du pos-
sible, d'adoucir, d'apaiser, de guérir la souffrance, la douleur phy-
sique ?
Je ne vous parlerai ni de la douleur au sens de la finalité causale,
delà protection de l'individu ou de l'avertissement du danger suprême,
celle-là appartient aux philosophes ; ni de la douleur morale qui
est du domaine des poètes ou des littérateurs ;
Souffre et abstiens-toi.
Douleur, tu n'es pas un mal, a dit le poète.
Il est bien vrai cependant que toute douleur physique, pour peu
qu'elle soit aiguë et durable, impressionnera tôt ou tard l'état moral,
et quand je vous parlerai de ces malheureux névralgiques de la face dont
les crises sont d'une acuité extrême, vous les verrez vivant dans la
crainte, l'appréhension et l'angoisse du lendemain douloureux.
Il est bien vrai encore qu'il existe des algies dites psychiques, dites
mentales, sous la dépendance du xoivos, de la sensibilité générale,
telles les algies des cénestopathes. Mais ces cénestalgies ne relèvent-
elles pas, et avec quelque raison, de la psychiatrie ? Elles s'associent
toujours à un état mental prédominant d'anxiété, d'idée fixe, d'obses-
sion. Elles sont parfois le marchepied des états paranoïaques. Méfiez-
J.-A. Sli ARD
vous de ces malades. Us peuvent se comporter en revendicateurs
inconscients, irresponsables. Ce sont eux qui accusent les médecins
île n'avoir pas su les guérir. Leurs fausses interprétations arment
leur bras, et pour ne vous rappeler que des homicides récents, je vous
citerai les meurtres de Guinard et de Pozzi.
En face des névralgiques vrais, se dressent donc les cenestalgi-
ques. Ne confondez pas ces deux groupes morbides entre eux. Evolu-
tion et traitement sont différents du tout au tout.
Je voudrais vous dire encore un mot d'une troisième classe d'algies,
qui, si le terme était plus euphonique, mériterait la dénomination de
« sympalhicalgies ». L'algie se double ici d'un appoint sympathique
indéniable, et la participation des fibres sympathiques s'accuse
surtout sur les extrémités du corps, tète et membres. La causalgie de
guerre est un exemple typique de ces sympathalgies.
Au cours de cette conférence, je m'efforcerai de dégager les carac-
tères différentiels des algies simples et des sympathalgies. Là aussi,
évolution et traitement ne doivent pas être confondus.
C'est au tissu nerveux qu'est dévolue la fonction de sensibilité. Sans
fibres sensitives, pas d'algies. Dans la hiérarchie des êtres, ce sont ceux
qui sont le plus richement dotés en fibres sensitives qui possèdent le
triste apanage de réagir le plus facilement à la douleur.
Les fibres sensitives s'éparpillent, s'essaiment sur tout notre tégu-
ment, sur nos muqueuses, dans l'intimité de nos viscères, fibres sen-
sitives simples et également fibres sensitives sympathiques qui s'agrip-
pent plus particulièrement à nos vaisseaux, aux troncs vasculaires et
aux troncs nerveux.
Au niveau de certains appareils récepteurs sont enregistrées les
impressions sensitives des téguments. Je ne veux pas vous rappeler
ici les différentes modalités de la sensibilité et les discussions tou-
jours ouvertes à leur sujet. Qu'il me suffise de vous dire que les
impressions sont transmises de la périphérie aux, centres par les
conducteurs nerveux, puis transformées par le cortex cérébral en sen-
sations, avec répercussivité motrice, vaso-motrice, trophique, etc.
Lorsque sur un trajet quelconque des libres conductrices îles sensi
bilités, il y a irritation, lésion, adultération, la douleur est créer, cl
la sensation anormale douloureuse aussitôt élaborée par la cortiealitc
cérébrale.
LES ALGIES ET LEUR TRAITEMENT 313
En présence d'une algie vraie (qui n'est pas une cénestalgie), la solu-
tion clinique tient dans cette double formule :
1° Diagnostic du siège de l'algie :
a) Périphérique ; b) central, et dans ce dernier cas, médullaire, céré-
bral ;
2° Diagnostic de la cause.
I.- DIAGNOSTIC DU SIÈGE
Quel est le point de départ de l'algie ? Quel est le segment sensitif lopo-
graphiquement responsable ?
Initialement, faut-il rendre responsable de l'algie le nerf périphé-
rique, le plexus, la racine, la moelle, le cerveau ?
Problème souvent très complexe. La fixité ou la prépondérance de
la douleur dans une région n'est pas un signe suffisant de lésion ner-
veuse sous-jacente. Toute algie à point de départ central, médullaire ou
cérébral, est en effet reportée faussement, par le malade, à la périphérie.
Ne sait-on pas que le tabétique interprète périphériquement au niveau
de son membre inférieur ou de ses orteils l'algie qui prend cependant
naissance dans les racines sacrées? Il en est de même pour le zosté-
rien ou l'amputé de membre. Celui-ci ne localise-t-il pas les réactions
douloureuses de ses renflements névromateux au segment distal qu'il a
pourtant perdu ?
Il serait également d'un puissant intérêt diagnostique de pouvoir in-
terroger, d'après les qualités d'une douleur, d'après sa tonalité pour
ainsi dire, le système sensitif qui en est responsable, etsurtoutles seg-
ments nerveux tributaires, originels de l'irritation douloureuse. Existe-
t-il, par exemple, une qualité dolorifique différente attribuable à l'irri-
tation du nerf périphérique, du ganglion rachidien, de la racine médul-
laire, du thalamus, du cortex cérébral ? Malheureusement la réponse
est négative. Il n'est pas de tonalité douloureuse propre à chacun de
ces territoires, mais il existe, à vrai dire, des nuances dont il faut savoir
tenir compte dans l'ensemble symptomatique. De fait, les douleurs
du sympathique ont des caractères spéciaux d'hyperesthésie, de brû-
lure, de susceptibilité hygrométrique et surtout de continuité que ne
paraissent pas posséder au même degré les nerfs périphériques propre-
ment dits. L'irritation des nerfs cutanés provoque plus volontiers du
prurit, celle du nerf périphérique des fourmillements. La réaction dou-
loureuse du ganglion ou de la racine s'accuse sous forme d'élancé
;i i J.-A. SICAHD
ments, de constrictions, de fulgurations. Dans le syndrome thalamique
les douleurs sont profondes, continues et parfois d'une acuité extrême
(mésocéphalite épidémique). Elles sont plus ouatées avec sensation de
distension pénible, et perte des sensibilités profondes, dans les excita-
tions du cortex cérébral. Mais, je vous le répète, ce sont là dans l'en-
semble des nuances trop variables, pour que vous puissiez tabler sur
elles et escompter un diagnostic de certitude.
Voici résumées quelques données topographiques moins incer-
taines :
Algies du nerf périphérique (névralgies). — La douleur est vive,
à allure paroxystique, réveillée par certaines attitudes du membre, et
surtout partout acte moteur intempestif. Elle est calmée dans laposition
de relâchement du nerf et exacerbée, au contraire, par la pression, la
palpation, l'élongation, le tiraillement du tronc nerveux responsable.
L'algie se superpose au trajet périphérique du nerf. Il n'existe ni con-
tracture paravertébrale, ni modification du liquide céphalo-rachidien.
Vous verrez tout à l'heure pourquoi je mentionne déjà ici la contracture
paravertébrale.
Algies du plexus (plexalgie). — Les douleurs s'irradient, se dif-
fusent à l'ensemble du membre. Le réveil algique est facilement provo-
qué par la palpation locale du plexus (région sus et sous-claviculaire
pour le plexus brachial, région abdominale, toucher rectal, toucher
vaginal pour le plexus lombo-sacré). Il peut exister un certain degré
de contracture paravertébrale à cause du voisinage rachidien des
plexus, mais cette contracture est toujours légère et le liquide céphalo-
rachidien reste normal.
Algies du funiculus (funiculalgies du trou de conjugaison ou funi-
culites). — La contracture paravertébrale de voisinage est ici la règle
absolue. Elle immobilise le rachisen attitude antalgique et lui imprime
des courbures anormales plus ou moins persistantes mais non défini-
tives : scoliose alterne ou homologue.
La percussion et la palpation de la région paravertébrale incrimi-
née est douloureuse. Le liquide céphalo-rachidien présente souvent
une légère augmentation du taux de l'albumine. La radiographie Ver-
tébrale donne des renseignements utiles.
Ces algies du « funiculus » doivent nous arrêter un moment. J'ai
proposé ce ternie de « funiculus » (petite corde, cordelette) pour dis-
tinguer un segment de fibres nerveuses qui s'étend du ganglion raehi-
LES ALGIES ET LEUR TRAITEMENT
315
dien au plexus et qui chemine au travers du trou de conjugaison (voir
schéma). La funiculite vertébrale est l'inflammation du funiculus. Elle
se décèle par des réactions douloureuses associées à de la contracture
musculaire de voisinage. N'oublions pas qu'en cette région du rachis
" Névrite des
nelihi branches.
Fig. 1. — Les différentes étapes des conducteurs nerveux de la périphérie à la moelle.
(La sciatique ordinaire est une luniculite du trou de conjugaison.)
existe un véritable carrefour de la douleur. Funiculus ou racine de
plexus, trou de conjugaison, ganglion rachidien, racine postérieure de
la moelle, méninges dures, méninges molles, tout cet ensemble con-
court par la qualité des fibres sensitives, leur groupement, ou la
possibilité plus grande de leur compression ou de leur tiraillement, à
la réaction douloureuse facile de ce carrefour.
Ce ne sont pas là des considérations d'ordre simplement spéculatif.
Elles ont une portée pratique considérable, quand il s'agira, par
exemple, pour vous, de prendre la responsabilité d'un acte opératoire
816 ./.-A. SIC IRD
et de guider le couteau du chirurgien. L'opération doit-elle rester
extraméningée ? La section de la dure-mère est-elle inévitable ? En un
mot le segment intraméningé ou extra-méningé est-il responsable de
l'algie ".'
Anssi, je vous demande la permission d'insister sur ces conceptions
nouvelles et d'opposer devant vous la notion des funiculites à celle
des radiculites.
A considérer les nombreux trous, canaux ou échanerures qui, dans
l'organisme, défendent les conducteurs nerveux contre les injures
extérieures et le jeu parfois trop brutal des mouvements articulaires,
on se demande s'il n'est pas, en effet, légitime d'attribuer à ces seg-
ments du système nerveux périphérique une certaine indépendance
anatomique et pathologique.
Et comme le long de la colonne vertébrale il existe un chapelet
bilatéral de canaux osseux creusés aux dépens des pédicules verté-
braux, nous avons pensé que ces trous de conjugaison avaient leur
pathologie spéciale conditionnée par des signes cliniques et humo-
raux. C'est par le trou de conjugaison que s'échappe le cordonnet
nerveux (funiculus, cordonnet) intermédiaire entre la racine médul-
laire et le plexus. Le funiculus s'étend du confluent radiculaire jus-
qu'à l'origine du plexus. La funiculite est la réaction du funiculus,
l'étranglement du funiculus dans le trou de conjugaison ou à sa sortie
immédiate. La funiculite ressortit au groupe des névrodocites. La funi-
culite s'oppose à la radiculite.
La radiculite est un syndrome, dit Dejerine, sensitif ou sensitivo-
moleur déterminé par une inflammation des racines rachidiennes dans leur
trajet intraméningé.
La funiculite est un syndrome algique ou sensitivo-moteur déterminé
par une réaction des cordonnets nerveux extraméningés dans leur trajet
ganglio-plexien.
Le segment radiculaire, englobé dans le sac sous-arachnoïdien, est
baigné par le liquide céphalo-rachidien. Le segment funiculaire est
situé, au contraire, en dehors de tout espace liquide.
A part le tabès, le zona et certaines séquelles de méningites aiguës,
les radiculites, génératrices d'algies, sont l'exception.
Les arguments qui étayent cette fréquence des funiculites, au détri-
ment des radiculites, sont d'ordre anatomique, cliniqueet humoral.
Il suffit de considérer le carrefour spécial où le tronc radiculaire
mixte (origine du funiculus) enserré dans h' lion de conjugaison, au
voisinage intime des articulations apophvsaires, est expose aux
LES ALGIES ET LEUR TRAITEMENT
317
inflexions vertébrales, aux réactions rhumatismales avoisinantes, pour
le sentir plus vulnérable que la racine abritée derrière le sac méningé
et baignant dans son liquide protecteur.
C'est, du reste, au niveau des trous de conjugaison des 4e et 5e lom-
baires, trous de conjugaison qui supportent le pivotement du rachis,
que les algies sont les plus fréquentes (névralgie sciatique banale).
RfiOfihyse êninease
... iï/io/ifiyôe articulaire
\>Troii5a<-
conjuoaison
Troujcte
rach ice/z/'èjeX"^
/
Fig. 2. — Les trous de conjugaison dans leurs rapports ave: les apophyses
articulaires, transverses et épineuses.
L'unilatéralité de l'algie plaide encore en faveur de cette thèse. On
comprend mal (en dehors bien entendu du zona, affection de nature
toxi-infectieuse spécifique) la localisation d'une irritation radiculaire
intraméningée de nature indéterminée se cantonnant dans le liquide
céphalo-rachidien d'un seul côté et à quelques racines, alors que
l'unilatéralité algique s'explique plus naturellement dans la conception
exlraménincjée du type funiculaire.
Deux signes, du reste, sont caractéristiques de la funiculite verté-
brale et fixent l'histoire clinique de ce syndrome, apportant des argu-
ments diagnostiques entre la funiculite et la radiculite. C'est d'abord le
syndrome de contracture des muscles vertébraux de voisinage avec ou
318 J.-A. SIC \m>
sans tendance scoliotique. C'est ensuite, mais cependant d'une façon
moins constante, l'aggravation de l'algie (algie potitique, par exemple)
sous l'influence des inflexions rachidiennes.
Dans le tabès ou dans le zona, qui sont des affections typiques des
racines, et quelle que soit l'intensité des douleurs des tabétiques ou
des zostériens, on ne note pas de contracture des muscles des gout-
tières et l'on sait également cjue les sujets radiculaires se prêtent fort
bien aux divers mouvements de la colonne vertébrale sans que ces
manœuvres exercent d'influence sur les algies.
La contracture de voisinage liée aux réactions articulaires des trous
de conjugaison obéit à la loi générale qui veut que toute articulation
douloureuse s'immobilise en altitude antalgique, grâce à l hypertonie et au
blocage des muscles tributaires.
Les pleurésies à localisation prédominante latéro-vertébrale s'ac-
compagnent de contracture des muscles vertébraux (Ramond) par
réaction des funiculi de voisinage. Dans ces conditions, la racine ne
peut être incriminée. La même pathogénie conditionne la contracture
musculaire lombaire liée à certaines formes de lithiase rénale.
Vous verrez plus tard que la sciatique banale avec association si
fréquente de scolioses homologue ou croisée et de contractures
dorso-lombaires n'est autre qu'une funiculite des trous de conjugaison
(3e, 4e, 5e lombaires et lre sacrée) d'origine rhumatismale, goutteuse ou
arthritique. Le lumbago est une funiculite rhumatismale bilatérale des
2e, 3e et 4e lombaires.
La syphilis préfère la racine, la tuberculose et le cancer le funi-
culus.
La guerre nous a montré un assez grand nombre de traumatismes
vertébraux avec algies vives de la région dorsale ou lombaire s'accom-
pagnant de plicature antérieure ou latérale avec contracture des muscles
vertébraux et qui reconnaissent une origine funiculaire et non radieu-
laire (exception faite des réactions névropathiques).
On peut nous objeeler que les méningites aiguës cérébro-spinales,
dont l'évolution est cependant intraméningée, s'accompagnent de con-
tracture, mais il existe là un élément toxi infectieux global exerçant
son action irritative sur le cerveau et la moelle et provoquant une
excitation du faisceau pyramidal. Le signe de Babinski est souvent
présent. D'ailleurs après l'orage méningé, les séquelles radiculaires
laissées par les germes infectieux méningococciques ou autres obéis
sent à la même règle que les radiculites du zona et du tabès el se dif-
férencient nettement des funiculites.
LES ALGIES ET LEUR TRAITEMENT
319
A côté des signes cliniques précédents se place un signe humoral
d'une précision diagnostique également rigoureuse et qui s'appuie sur
l'examen chimique et cytologique du liquide céphalo-rachidien.
A la radiculite appartient la lymphocytose. A la funiculite, l'augmen-
tation du taux de l'albumine sans hypercytose, c'est la dissociation
albumino -cytologique que nous avons mise en évidence avec Foix.
Or, pour ne prendre qu'un exemple, au cours des sciatalgies, l'ab-
Fw.
Trous de conjugaison thoiaciques. Echappée des funiculi vertébro-intercostaux.
sence de lymphocytose est la règle, la présence d'un certain degré
d'hyperalbuminose dosé au rachialbuminimètre, suivant la technique
que nous avons préconisée avec Cantaloube, est par contre de constata-
tion habituelle. Cette hyperalbuminose est due à la gène apportée dans
la circulation veineuse de retour par la réaction compressive du trou
de conjugaison.
De tels signes cliniques et humoraux, quelque précis soient-ils, ne
doivent cependant pas faire négliger les résultats de la radiographie
vertébrale non plus que la recherche des troubles objectifs de la sensi-
bilité à topographie évidemment radiculaire, puisque le segment funi-
culaire est situé en deçà du plexus, les modifications trophiques et
sympathiques et les troubles des réflexes tendineux. La radiculite
abolit la réflectivité tendineuse, la funiculite a tendance, au contraire,
à L'exalter dans certains cas (sciatiques spasmodiques).
J.-A SICARD
Cette conception clinique tle la « funiculite vertébrale » opposée à
la « radiculite médullaire » est sanctionnée par la thérapeutique médi-
cale et chirurgicale, comme je vous le montrerai en vous parlant du
traitement.
C'est ainsi que les radiculites reconnaissent, soit un traitement mé-
dical d'ordre général ou encore local par les injections intra-raehi-
Trous de
Fig. 4. — Traversée dans le canal de conjugaison du luniculus vertébral
(Le luniculus s'étend du ganglion racliidien au plexus.)
diennes, soit un acte chirurgical portant sur la racine ou le gan-
glion.
Les funiculites, au contraire, sont justiciables tantôt du procédé
épi durai que nous avons l'ait connaître, tantôt de l'injection directe
sédative cocaïno-salicyclée pratiquée dans les muscles contractures ou
de l'acte chirurgical portant sur le trou de conjugaison.
Retenez, Messieurs, de cette longue digression, que vous pourrez
diagnostiquer à coup sûr une localisation vertébrale du trou de conju
gaison ou du voisinage du trou de conjugaison quand vous aurez cons-
taté une contracture nette d'un segment vertébral, accompagnant l'al-
gie, Ne prononcez pas trop facilement h' nom de radiculites. Pour ma
part, je suis persuadé que le plus grand nombre des algies dites essen«
LES ALGIES ET LEUR TRAITEMENT 321
tielles ou spontanées du membre supérieur du thorax, du membre infé-
rieur, ou du coccyx (névralgies brachiales, intercostales sciatiques,
coccygodynie), sont des funiculites. Je vous développerai plus tard cette
notion que les sciatiques hautes « dites arthritiques ou essentielles »
ne sont pas, dans la grande majorité des cas, des radiculites comme on
l'a soutenu jusqu'ici, mais des funiculites.
Algies de la racine médullaire (radiculalgies, rhizalgies, radicu-
lites). — La douleur est spontanée, non réveillée par la palpation ou
la percussion vertébrale. Parfois la secousse de toux ou d'éternuements
provoque un retentissement douloureux. Mais en tout cas, un signe
négatif de grande importance est l'absence de toute contracture para-
vertébrale. Le liquide céphalo-rachidien est souvent modifié dans ses
réactions chimiques ou biologiques.
Algies du parenchyme médullaire (médullalgie). — L'algie
d'origine médullaire, dont le point de départ serait cordonal postérieur
et probablement aussi corniculaire postérieur, est une hypothèse
légitime (zona, tabès).
Algies mésocéphaliques. — Les douleurs sont vives, continues,
s'accompagnent de troubles de la sensibilité profonde, de parésie des
membres correspondants et souvent de mouvements choréo-atéto-
siques. Ce sont là les signes rencontrés habituellement au cours du
syndrome thalamique et de certaines modalités d'encéphalite épidé-
mique à prédominance thalamique.
Algies corticales cérébrales. —Elles s'accompagnent d'autres
signes localisateurs : hémiplégie, troubles aphasiques, épilepsie
jacksonienne, etc.
En résumé, le diagnostic de la localisation algique sera conditionné :
par le contrôle des douleurs à la palpation, à la percussion ou à l'élon-
gation du tronc nerveux périphérique ; par l'étude de la sensibilité
objective et des modalités de dissociation sensitive ; par la recherche
de la contracture paravertébrale localisée ou de la raideur rachidienne
plus ou moins généralisée (diagnostic différentiel entre les radiculites
et les funiculites) ; par la constatation des symptômes additionnels
d'ordre central, signes d'excitation du faisceau pyramidal, tremblement
choréo-atétosique, etc. ; enfin parla radiographie, l'examen du liquide
céphalo-rachidien et l'étude des réactions électriques.
CONFÉB. NEUHOL. 21
./.-.t. SIC. \lil>
II. — DIAGNOSTIC CAUSAL
Toute algie reconnaît évidemment une cause. Il peut donc sembler
illogique de parler d'algie essentielle. Et cependant, pour la clarté
nosologique et surtout pour le pronostic, une distinction s'impose
entre l'algie sine maleria, sans cause tangible, et l'algie secondaire.
La névralgie « essentielle », par définition même, est celle qui ne
reconnaît aucune étiologie précise.
Les termes d'algie rhumatismale, goutteuse, diathésique, neuro-
arthritique dont on qualifie parfois de telles algies ne servent qu'à
masquer notre ignorance étiologique.
L'algie essentielle a des caractères principaux négatifs, tels que :
l'absence d'anesthésie totale, de troubles vaso-moteurs ou trophiques
sévères, d'extension à des brandies nerveuses de voisinage, de modi-
fications radiographiques et de perturbations des réactions électriques.
Son pronostic est favorable.
L'algie secondaire est celle qui survient d'une façon tangible à la
suite, par exemple, d'un traumatisme, d'une blessure, d'une fracture
ou qui reconnaît une cause endogène : abcès, tumeur, anévrisme,
kyste, néoplasme, production tuberculeuse, syphilitique, etc. Son
pronostic est lié au facteur causal.
L'algie secondaire s'accompagne, le plus souvent, de signes posi-
tifs : empiétement, diffusion, extension de l'algie à des branches des
plexus voisins ; paralysie motrice ; troubles anesthésiques ; réactions
anormales de l'examen électrique. 11 existe souvent des modifications
radiographiques. Le liquide céphalo-rachidien dans les algies secon-
daires à localisation rachidienne est le plus souvent pathologique.
NÉVRALGIES ET NÉVRITES ALGIQUES
On a attribué, sous l'influence de Landouzy, une grande importance
au diagnostic différentiel entre la névralgie et la névrite. Sans doute
la névralgie est constituée par l'élément douloureux subjectif isole,
sans signes ou avec un minimum de signes objectifs contrôlables. La
névrite, au contraire, s'affirme en dehors de la douleur, par l'abolition
de la réflectivité tendineuse, l'anesthésie, l'atrophie musculaire, les
troubles des réactions électriques, les modifications radiographiques
avec ostéites ou poroses osseuses, etc.
Mais en dernière analyse, et tout au moins à la première étape évo-
lutive de la maladie névralgique ou névritique, — étape qui peut se
maintenir longtemps prolongée, le diagnostic différentiel entre la
LES ALGIES ET LEUR TRAITEMENT 323
névralgie et la névrite, basé sur un ou plusieurs des caractères cliniques
que nous venons d'analyser, n'a pas un grand intérêt.
Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, peu nous importera, en
matière de sciatique, que le réflexe tendineux achilléen soit ou ne soit
pas aboli ou que l'atrophie musculaire soit plus ou moins prononcée.
Le diagnostic causal et de localisation, seul, devra nous préoc-
cuper.
Messieurs,
Il n'est pas de nerf mixte sensitivo-moteur de l'organisme et à plus
forte raison de nerf sensitif qui ne soit susceptible de réagir doulou-
reusement à des excitations diverses. Aussi ne pourrai-je, dans le
temps limité de cette leçon, vous décrire respectivement chacune des
algies. Je me contenterai de vous parler de quatre d'entre elles : la né-
vralgie faciale, la névralgie sciatique, l'algie post-zostérienne, la cau-
salgie de guerre.
Si j'ai choisi ces quatre modalités algiques, c'est que chacune dans
son genre, illustre d'une façon particulière les considérations générales
sur lesquelles je viens d'insister et que chacune d'elles également se
prête à des déductions thérapeutiques pratiques d'ordre différent.
I
Névralgie faciale. — (Prosopalgie, irposo/Tcov, visage).
A tout seigneur, tout honneur. Lorsqu'elle affecte une forme paroxys-
tique avec crises fréquemment répétées, la névralgie faciale est l'algie
la plus atrocement douloureuse que l'on puisse observer. Elle n'a de
comparable que l'algie de la compression vertébrale cancéreuse, et
encore celle-ci, grâce à l'affaiblissement de l'état général et à la ca-
chexie rapide due à la néoplasie, a-t-elle une évolution plus rapide, les
crises pouvant être calmées, du reste, sans arrière-pensée, par la mor-
phine.
Vous connaissez la crise de névralgie faciale dite «essentielle ».
Un jour, sans cause connue, survient un élancement douloureux,
vif, explosif, au niveau de la lèvre supérieure, du nez, de la lèvre
inférieure, des dents. Souvent l'origine dentaire est incriminée, à tort
du reste, et c'est inutilement que l'on pratiquera des avulsions suc-
cessives, Chez ces malheureux édentés, l'algie ne fait que s'accroître,
s'aggravant jusqu'à la crise paroxystique.
C'est alors qu'à l'occasion d'un acte quelconque de déglutition, de
J.-A. SICABD
mastication, de parole, à la plus petite secousse de toux ou d'éter-
nuement, au plus léger attouchement facial, va se déchaîner la crise
paroxystique .
Soudain, une douleur déchirante se fixe en un point déterminé de
l'hémi-face. Rapidement elle s'accompagne d'irradiations fulgurantes.
Le patient s'arrête immobilisé, angoissé par la violence de l'algie. Il
porte la main à son visage et cherche, par une compression éner-
gique, à atténuer le mal. Mais sa tentative est vaine et bientôt la
crise, restée jusqu'ici uniquement sensitive, se double d'un élément
moteur.
Le nerf facial jouera le second acte. Localement se dessinent des
frémissements, des trémulations sur certains muscles de prédilection,
comme le risorius, l'élévateur de la lèvre supérieure, le mentonnier,
puis toute l'hémiface, participant à cette agitation musculaire, sera
secouée d'une véritable grimace clonique. L'hyperesthésie doulou-
reuse sera à son apogée. C'est bien la névralgie épileptiforme, « le
tic douloureux» de Trousseau (ou mieux: le spasme douloureux^.
Mais l'orage se calme. En deux, trois minutes, la détente se produit
avec l'entrée en scène du sympathique.
C'est le troisième et dernier acte. Des phénomènes vaso-moteurs
apparaissent, le tégument facial rougit, se congestionne, l'œil s'in-
jecte, l'hvpercrinie s'étend aux muqueuses lacrymale, nasale, buccale.
L'apaisement est bientôt complet. Le calme est revenu. Seule subsiste
l'angoisse de la récidive, de la crise future et souvent rapprochée que
le malade sait inévitable.
Ces malheureux névralgiques usent de maints subterfuges pour éloi-
gner, atténuer la crise paroxystique. Certains laissent leur visage se
recouvrir d'une épaisse séborrhée. Leur incurie est volontaire. Us
craignent le plus léger attouchement facial. La plupart encerclent leur
tète sous des voiles protecteurs et marchent lentement, avec un
masque facial impassible, dans une attitude céphalique soudée, rigide,
pour éviter tout heurt. Tel de ces malades ne se sert que de semelles
caoutchoutées pour amortir le choc des pas. Tel autre s'est imposé un
mutisme absolu, l'accalmie entre les crises ne se prolongeant qu'au
prix d'un repos musculaire facial total. Par écrit seulement, il répondra
à vos questions.
Ces prosopalgiques vivent dans la crainte perpétuelle d'un mouve-
ment intempestif de déglutition, île mastication. L'heure îles repas est
poureux un supplice. Les aliments liquides sont seuls acceptes, et
encore avec quel luxe de précautions !
LES ALGIES ET LEUR TRAITEMENT 325
Eh bien, ces crises prosopalgiques essentielles sont toujours guéries
au moins pour une période de une à quelques années et même parfois
définitivement, par les injections locales d'alcool, à condition que le
traitement soit méthodiquement et strictement appliqué et que le dia-
gnostic du type « essentiel » soit dûment établi. L'alcoolisation locale
ne saurait s'appliquer qu'à cette forme de névralgie. Trop de médecins
ignorent encore cette vérité. Le traitement par l'alcool est non seule-
ment inutile, mais peut exacerber les douleurs, s'il est pratiqué au cours
des névralgies faciales secondaires (tumeurs, zona, etc.) ou du névral-
gisme facial à élément douloureux continu.
Aussi voici quelques postulats qui vous permettront de vous guider
dans ce diagnostic différentiel des prosopalgies essentielles ou secon-
daires :
Névralgie faciale essentielle. — Sera qualifiée d'essentielle toute
prosopalgie qui présentera les caractéristiques suivantes :
a) Son début. Jamais en deçà de la vingtième année, avec un maximum
de fréquence au delà de la cinquantième année.
b) Son unilaléralité. Limitation à l'hémiface. La névralgie faciale
essentielle bilatérale est l'extrême exception.
c) Sa localisation initiale à une ou deux branches de la Ve paire,
voisines entre elles, par exemple à la fois à l'ophtalmique et au maxil-
laire supérieur — ou maxillaire supérieur seul — ou concomitamment
au maxillaire supérieur et au mentonnier. — Toute névralgie faciale
qui d'emblée, dès ses débuts, intéresse les trois branches du trijumeau
n'est pas une névralgie faciale essentielle.
d) Sa discontinuité. Toute névralgie faciale dont l'élément douleur se
traduit d'une façon continue, sans jamais de phase d'accalmie franche,
n'est pas une névralgie faciale « essentielle » ;
e) Son intégrité de sensibilité objective. Toute névralgie faciale qui,
non déjà traitée chirurgicalement ou par les injections locales, s'ac-
compagne d'anesthésie cutanée ou muqueuse, n'est pas une névralgie
faciale « essentielle ». L'hyperesthésie est la règle au cours de l'algie
faciale essentielle ;
g) Son maintien strict au nerf trijumeau. Toute névralgie faciale qui,
antérieurement à toute intervention, présente des signes associés d'ex-
citation ou de paralysie d'autres nerfs crâniens, comme, par exemple,
trismus, diplopie, paralysie faciale, hémiatrophie linguale, etc., n'est
pas une névralgie faciale «essentielle ».
Névralgies faciales secondaires.— Les névralgies faciales secon-
326 J.-A. SIC \i;i>
daires sont celles qui reconnaissent une cause définie locale. Suivant que
le point de départ de l'algie faciale secondaire siège en dehors ou en
dedans du crâne, l'algie reconnaîtra une étiologie exo ou endocraiiienne.
Une production tuberculeuse, syphilitique, cancéreuse, actinomy-
cosique, etc., delà base interne cranio-cérébralè, un projectile ayant
lésé ou continuant à irriter la zone pétro-mésocéphalique trigémellaire,
ce sont !à autant de causes endo crâniennes.
Les types exocraniens peuvent être réalisés par des néoplasies
analogues, mais à envahissement des espaces pré ou postptérygoï-
diens ou des tissus osseux de la région faciale. Une carie dentaire, un
abcès dentaire, une sinusite, et surtout, en temps de guerre, les pro-
jectiles frappant, fracturant le massif osseux de la face peuvent égale-
ment créer ce type exocranien.
On a encore classé parmi les névralgies faciales du type secondaire
certaines algies d'ordre diathésique survenant, par exemple, dans le
diabète, ou d'ordre toxi-infectieux, se révélant au cours du paludisme.
Nous n'avons pas eu l'occasion d'étudier un seul de ces cas parmi le
grand nombre de nos malades paludéens de guerre venus de Salonique.
La névralgie faciale paludéenne, décrite par tous les auteurs, me
semble bien problématique.
L'atteinte endo crânienne du trijumeau par une tumeur, ou un pro-
cessus destructeur quelconque, peut se révéler par des douleurs trigé-
mellaires d'une acuité extrême, ou par la seule anesthésie indolore cuta-
née et muqueuse de la Ve paire. Cette anesthésie quasi indolore est, à
notre avis, un signe précieux de localisation endocranienne. Elle permet
de situer la lésion initiale en arrière de Iazonegassérienne, au niveau de
la racine, ou mieux, de la région nucléo-radiculaire du trijumeau. La
réaction du ganglion de Gasser, ou de ses branches efférentes vis-à-vis
d'un processus lent de destruction, est toujours douloureuse. La
réaction de la racine bulbo-gassérienne ou du noyau de la Ve paire est
le plus souvent indolore.
Névralgisme facial. — En dehors de ces deux groupes : algie
faciale « essentielle » et algies faciales secondaires, il est nécessaire de
réserver une place à part au «névralgisme facial ». Cette dénomination
comprend les douleurs vagues, diffuses, souvent, bilatérales de la lace,
du type des « douleurs d'habitude » de Brissaud, se rapprochant parfois
des réactions cénesthopatiques de Dupré.
En règle générale, de tels sujets atteints de névralgisme facial SOnl
très prolixes. Ils abondent en détails sur le siège, la nature, les varia-
LES ALGIES ET LEUR TRAITEMENT 327
tions des douleurs ressenties : «J'ai constamment, dit l'un d'eux, une
sensation de froid sur une joue, mais cela bout quand même, puis me
tire l'œil, passe à la nuque et derrière la tète » (réaction associée de
l'ophtalmique et du nerf occipital d'Arnold).
Un autre encore : « Je suis tiraillé tout le temps de derrière la tête
jusqu'à la joue. J'ai delà toile amidonnée que l'on me presse des deux
côtés de la figure. Je suis moins tiraillé quand je mastique, et surtout
quand je bois chaud, ou quand je bois de l'alcool. » On reconnaît bien
à ces descriptions les réactions paresthésiques, diffuses, continues, du
névralgisme, très différentes des douleurs de la névralgie essentielle qui
sont explosives, localisées, intermittentes, paroxystiques, exacerbées
par les attouchements et les mouvements faciaux.
L'attitude de ces sujets est souvent spéciale, leur ton est geignard,
leurs gestes toujours les mêmes, la description des sensations éprouvées
interminable, sans que l'on puisse cependant parler de simulation ou
même d'exagération. Rien ne peut les distraire de leurs préoccupa-
tions algiques, ni jeu, ni travail. Ils demandent sans cesse à être réexa-
minés par les spécialistes des nerfs, des yeux, des oreilles, du nez. Les
troubles algiques débordent parfois le cadre de la face et s'essaiment à
toute la tète, au cou, à l'épaule, témoignant de la parenté que pré-
sentent ces états paresthésiques avec les états cénesthopathiques.
L'idée obsédante peut se fixer. Le névralgisme cède la place à la cénes-
thopathie. Des interventions opératoires sont réclamées, et si un méde-
cin, non prévenu, acquiesce et surtout tente une médication à allure
chirurgicale, alcoolisation, piqûres locales, pointes de feu, vésîcation
profonde, il sera dès lors harcelé. L'obsédé deviendra un revendica-
teur, parfois agressif, comme je vous le disais au début de cette
leçon.
Ainsi, le traitement de la névralgie faciale ne saurait être univoque.
Quand vous serez assurés de votre diagnostic étiologique, et pour cela
vous aurez été parfois obligés de contrôler l'état des sinus, des yeux,
des oreilles, du rhino-pharynx, de la cavité buccale, des dents
(contrôle radiographique), du sang, de l'urine, etc., alors seulement
vous pourrez à juste titre orienter votre thérapeutique.
Beaucoup d'entre vous sont déjà au courant de l'utilisation des injec-
tions d'alcool. Je n'insisterai pas sur leur technique.
Les petites seringues en verre usuellement maniées, les aiguilles de
platine de calibre ordinaire, mais de longueurs variables de 2à5 cen-
timètres, sont suffisantes. Le titre de l'alcool à employer est de 90° à
95°. Le principe de la méthode est la destruction des branches ner-
J.-A. SK.Mil>
veuses responsables de l'algie par la solution alcoolique. Il est donc de
toute rigueur de porter cette substance destructrice au sein même du
tronc nerveux. Plus la destruction est profonde, plus longue sera la
guérison. Il n'est qu'un seul témoin de l'injection bien réussie, c'est
l'anesthésie complète dans le territoire cutané ou muqueux tributaire
de la branche nerveuse alcoolisée.
Il faut éviter d'injecter l'alcool dans un vaisseau sous peine de voir
apparaître des réactions locales sphacéliques de la peau et même des
plans sous-jacents (ostéites) du palais, du maxillaire supérieur, chutes
dentaires, tous incidents qui sont du reste exceptionnels. Il peut sur-
venir également des paralysies oculaires d'une durée de quelques
semaines ou de quelques mois après injection au niveau du trou grand
rond ou ovale, surtout quand les précautions topographiques profondes
ne sont pas suffisamment prises ; mais ces paralysies restent l'extrême
rareté (un demi pour cent dans notre statistique) et toujours curables.
L'érysipèle consécutif est un incident également des plus rares.
Sans doute, l'alcool, dans la grande majorité des cas, ne tue les
branches nerveuses que pour un temps, plusieurs mois, plusieurs
années, et la nécessité d'une reprise thérapeutique est la règle. Cepen-
dant, au fur et à mesure de la répétition des cures, les accalmies devien-
nent plus longues et il n'est pas rare d'observer la guérison définitive
après la cinquième ou sixième cure neuroly tique.
Le traitement chirurgical concernant l'ablation du ganglion de Casser
paraît actuellement délaissé, à cause des difficultés d'extraction gassé-
rienne, des dangers opératoires et des troubles trophiques de l'œil. On
a tendance à lui substituer une intervention portant sur la racine
bulbo-gassérienne. L'acte opératoire doit ici viser la découverte de la
racine immédiatement en arrière du ganglion. Il faut éviter l'arrache-
ment radiculaire susceptible d'ébranler les noyaux de voisinage bul-
baire, et s'adresser à la section radiculaire (Cushing, de Bœck, de
Martel, Robineau). Cette intervention chirurgicale de radicotomie
comporte moins d'aléas que la gasserectomie. Elle met souvent, mais
non toujours comme nous avons pu nous-mème nous en rendre compte,
à l'abri des ulcérations trophiques oculaires. L'opération chirurgicale
peut être discutée et parfois conseillée chez les algies jeunes résistants.
L'alcoolisation locale reste la règle chez les sujets âgés ou déprimés.
IL — Névralgie sciatique.
Vous vous efforcerez pour les sciatiques de résoudre de la même
façon le problème diagnostique entre les formes essentielles dites encore
LES ALGIES ET LEUR TRAITEMENT 329
rhumatismales, arthritiques, goutteuses et les formes secondaires. Il
n'est pas besoin d'insister sur le pronostic favorable de la sciatique
banale, commune, qui résume à elle seule toute la maladie et l'épi-
sode sciatalgique secondaire, symptomatique d'une lésion initiale qui
peut être d'une extrême gravité, au cas de compression néoplasique
par exemple.
Le sciatique, comme tout nerf périphérique des membres, est formé
défibres sensitives, motrices et sympathiques.
Mais tandis qu'au cours des blessures de guerre, les fibres motrices
paraissent plus vulnérables que les fibres sensitives, par contre l'élé-
ment sensitif est toujours frappé avec plus d'électivité au cours de la
sciatique banale dite médicale. Il en est de même de l'atteinte des
fibres sympathiques. Les troubles vaso-moteurs, œdémateux, unguéaux
appartiennent aux lésions traumatiques du sciatique beaucoup plus
qu'à l'affection sciatique commune.
La sensibilité douloureuse conditionne la symptomatologie de la
sciatique médicale. Or, nous avons montré que le point de départ de
ces algies (névrodocites) pouvait se trouver à des étages différents du
cordon nerveux et qu'il était nécessaire, à cet égard, de diviser les
différents types de sciatique médicale en : 1° sciatique totale, dans
lequel le nerf paraît intéressé dans sa totalité ; 2° sciatiques hautes :
région paravertébrale, entre le trou conjugué et le plexus ; 3° scia-
tiques médianes : gouttière ischio-trochantériennes et grande échan-
crure ; 4° sciatiques basses (creux poplité et jambe).
L'ensemble symptomatique de la sciatique médicale gravite autour
du test douleur. Il n'y a pas de sciatique sans algie, du moins dans la
première phase de la maladie. C'est la douleur qui conditionne les
différentes attitudes prises par le malade, attitudes transitoires ou
permanentes qui méritent le nom d'antalgiques. C'est sur le réveil de
la douleur, sur la provocation douloureuse à la pression, à l'étirement,
à l'élongation, sur la vigilance et la permanence musculaires, que sont
basées les principales directives du diagnostic.
Il est des attitudes ou des réactions antalgiques transitoires.
Toutes ont pour but de détendre la corde de l'arc, de mettre le tronc
sciatique dans la position du relâchement (signe de Lasègue, de Bon-
net, deNeri, de Roussy, etc.): ce sont là des attitudes transitoires de
défense contre la douleur provoquée.
Il est des attitudes antalgiques fixées pour une période de temps plus
ou moins longue, et dont la scoliose est son corollaire : l'ascension, la
discordance talonnière, que j'ai étudiées, en sont les représentants les
J.-A. SIC IRD
plus nets. Vous me permettrez d'insister sur la pathogénie si discutée
de cette scoliose et de vous dire ee que je pense à sou sujet.
La scoliose de la sciatique. — Toute sciatique clans sa forme
scoliotique imprime à l'architecture vertébrale dorso-lombo-sacrée une
altitude de translation latérale telle qu'elle lui est tout à fait spéciale.
Cette attitude particulière de scoliose ne se voit pas au cours des
parasciatiques (radiculites, Pott, néoplasies rachidiennes). Sous l'in-
fluence créée par une réaction défensive spéciale des trous de conju-
gaison, de l'articulation sacro-iliaque ou de la gouttière ischio-trochan -
térienne, certains muscles vont s'immobiliser dans un tonus fixe, impri-
mant à la statique vcrtébro-coxale des attitudes typiques.
La scoliose est homologue ou alterne. Dans l'un ou dans l'autre cas,
elle peut s'accompagner d'un certain degré de cyphose. La scoliose
homologue est à concavité inclinée du côté malade el à épaule homo-
logue abaissée. La scoliose est dite croisée ou alterne quand elle est à
concavité, penchée vers le côté sain et avec épaule croisée abaissée. La
courbure de compensation se fait classiquement dans la région rachi-
dienne plus élevée.
Mais pourquoi cette vigilance musculaire s'exerce-t elle dans des
directions opposées ? Pourquoi, dans tels ou tels cas, en apparence
semblables, tant au point de vue de l'âge du sujet que de la durée de
la maladie et de l'intensité de l'algie, note-t-on ici une scoliose homo-
logue, là, au contraire, une scoliose croisée ? Il a paru difficile de
solutionner ce problème clinique. Il nous semble cependant que la
scoliose homologue a surtout pour but de maintenir, autant que pos-
sible, dans le relâchement, le nerf sciatique et son plexus (type scia-
tique tronculaire prédominant). Il y a détente de la corde de l'arc. La
scoliose croisée surviendrait, au contraire, pour ouvrir le trou de
conjugaison et relâcher l'articulation sacro-iliaque quand il y aurait
arthrite localisée et unilatéralisée de cette articulation et des trous con-
jugués (type prédominant de sciatique funiculaire). L'hypertonie de la
masse sacro-lombaire opposée s'exercerait alors dans un but défensil
d'écartement des trous de conjugaison avec immobilisation pour s'op-
poser aux heurts douloureux des surfaces articulaires entre elles.
Dans toute sciatique avec scoliose on note une h\ pertonie perma-
nente de la masse- sacro-lombaire homologue ou croisée, tandis que la
niasse musculaire fessière est plutôt en hypotonie.
L'affaissement plantaire (pied plat) ou hypotonie tendino-ligamen-
teuse n'est pas rare, comme je l'ai montré. Chirac a décrit le « signe de
LES ALGIES ET LEUR TRAITEMENT 33t
la pointe », c'est-à-dire la difficulté pour le sciatalgique de se tenir sur
la pointe du pied du côté algie. Ce signe de la pointe serait en rapport
avec la parésie des muscles soléaires, jumeaux, long péronnier latéral
et plantaire.
L'exploration du réflexe achilléen est importante (Babinski). Tantôt
celui-ci est normal, tantôt diminué, tantôt au contraire aboli. C'est
du 5e au 8e jour après le début de l'algie sciatique qu'il commence à
diminuer et sa disparition est dès lors rapide (en 24 ou 48 heures).
Après la guérison de l'algie, le réflexe achilléen peut rester aboli. Nous
avons observé un certain nombre de sujets qui avaient conservé l'abo-
lition du réflexe achilléen, douze et vingt ans après la guérison de
leur sciatique, alors que cette guérison s'était maintenue complète
sans la moindre ébauche de récidive douloureuse. Ces laits ont leur
intérêt. Ils peuvent, pour un observateur non prévenu, prêter à erreur.
L'abolition delà réflectivité tendineuse achilléenne, même unilatérale,
peut, en effet, être faussement considérée comme le témoin d'une réaction
syphilitique, d'un épisode par exemple de la série tabétique, alors qu'une
sciatique banale de date très ancienne sera seule responsable de cette
perturbation réflexe persistante. Il ne faudrait pas conclure, non plus,
de l'absence persistante du réflexe à une prolongation évolutive indé-
finie de la sciatique.
Il existe souvent de l'atrophie globale des muscles de la jambe et
du pied, notamment du muscle pédieux au niveau de son insertion
astragalo-calcanéenne (Barré). Le pédieux conserve cependant au
cours de la sciatique ordinaire son excitabilité ordinaire. Nous n'avons
jamais constaté d'œdème, de mal perforant plantaire au cours des
sciatiques classiques. La recherche des réactions électriques montre
assez souvent des troubles quantitatifs d'hypo ou d'hyperexcitation,
mais il n'existe jamais de D. R. dans la sciatique essentielle.
Evolution. — Les douleurs vives du début s'apaisent, laissant place
en l'espace de quelques semaines à de l'engourdissement, à de la pesan-
teur du membre inférieur. Puis, peu à peu, le patient se risque à mobi-
liser sa jambe en dehors de la position horizontale. Il met pied à terre,
cherche à s'entraîner, et en l'espace de six semaines à deux à trois mois,
la guérison est complète.
Parfois, cependant, la sédation n'est pas franche. Une marche un
peu longue, un faux pas, un heurt inopiné, des intempéries de saison,
réveillent la douleur. La rechute éclate aussi intense que la crise du
début ou plus atténuée et entrecoupée de périodes d'accalmie. Parlois
encore, après une guérison de plusieurs mois ou de plusieurs années,
.I.-A SICARD
il y a récidive et la crise sciatalgique réapparaît sur le même nerf
avec les mêmes caractères que son aînée, calquée pour ainsi dire sur
celle-ci.
Formes. — La sciatique essentielle se rencontre le plus souvent
sous les trois modalités suivantes : sciatiques hautes, médianes, basses.
Les sciatiques hautes (trou de conjugaison et région paravertébrale
Funiculaire entre le trou conjugué et le plexus) ;
Les sciaticpies médianes (cuisse, gouttière ischio-trochantérienne,
grande échancrure) ;
Les sciaticpies basses (creux poplité et jambe).
Aux sciatiques hautes appartiennent les douleurs lombo-sacrées,
les contractures unilatérales para vertébrales, les scolioses alternes
et l'ascension talonnière. Ces réactions sensitivo-motrices s'associent
souvent, dans les sciaticpies hautes, aux autres signes constatés dans les
sciaticpies du type médian.
Les sciatiques médianes sont parmi les plus fréquentes. Elles ont
pourpoint de départ la grande échancrure sciatique et la gouttière
'schio-trochantérienne. Leurs symptômes fréquents sont : l'atrophie
musculaire globale de la jambe, le signe de Lasègue, le réveil très
douloureux à la palpation de la région ischio-trochantérienne et de
l'échancrure, le clonusdu muscle fessier sous l'influence du choc digital,
la présence de contractions fibrillaires des muscles du mollet, l'abolition
du réflexe achilléen et la scoliose homologue.
Les sciatiques basses ont pour caractéristiques : une algie localisée
aux nerfs sciatiques poplités interne et externe (névrodocite des aponé-
vroses poplitées ou de la face externe de la tète du péroné). Elles s'ac-
compagnent de réveil douloureux à la pression des régions médio-plan-
taire, achilléenne et sus-achilléennes ; plus rarement, d'atrophie muscu-
laire ou d'abolition du réflexe tendineux achilléen.
Pronostic des sciatiques primitives. — Jusqu'ici, la sciatique névrite
était considérée comme la forme grave, rebelle, prolongée, et la
sciatique névralgique comme la modalité légère, relativement loi
curable.
A notre avis, l'atrophie musculaire et l'abolition du réflexe achilléen
sont des signes bien infidèles dans l'appréciation d'un pronostic. Nous
avons vu souvent des algies sciaticpies présenter une évolution bénigne
et guérir rapidement, malgré l'abolition du réflexe achilléen et la longue
persistance de cette abolition après guérison, tandis cpie, au contraire,
la maladie et les douleurs s'éternisaient dans des formes dites névral-
giques.
LES ALGIES ET LEUR TRAITEMENT 333
Il est bien difficile de se prononcer sur le diagnostic des sciatiques
primitives et de fixer une échéance de guérison dès le début de l'algie.
En règle générale, cependant,, la constatation de contractures lombaires
avec scoliose homologue ou croisée implique une forme plus sévère et
une évolution plus longue.
Sciatiques secondaires. — Diagnostic avec la scialique essen-
tielle.— Les sciatiques secondaires sont celles qui reconnaissent une ori-
gine concrète, tangible, décelable par la palpation directe, l'exploration
du vagin, du rectum, l'examen du liquide céphalo-rachidien, la radio-
graphie, etc. Elles reconnaissent une origine rachidi»nne (sacralisation,
mega-apophysite transverse lombaire, mal de Pott, tuberculose, cancer,
etc.) ou un point de départ au niveau du petit bassin, endopelvien
(abcès froid, néoplasme, etc.), ou exopelvien (ostéosarcome de la tête
du fémur, ostéite gommeuse, syphilitique, tuberculeuse, etc.).
Il importe donc de pouvoir cliniquement soupçonner cette origine
secondaire d'une sciatique avant toute apparition de lésion grossière.
Or, à ce point de vue, voici quelques règles diagnostiques que vous
pourrez prendre pour guide, comme dans la névralgie faciale :
1° Toute sciatique qui s'accompagne d'irradiations douloureuses per-
sistantes au niveau des organes génito-rectaux ou de troubles sphincté-
riens n'est pas une sciatique « essentielle » ;
2° Toute sciatique qui s'accompagne d'irradiations douloureuses per-
sistantes dans la région abdominale et inguinale, n'est pas une sciatique
« essentielle » ;
3" Toute sciatique qui s'accompagne de gros troubles vaso-moteurs,
de mal perforant plantaire ou d'œdème de la jambe (en dehors de
varices dûment constatées, d'applications intempestives médicamen-
teuses ou d'un état général responsable), n'est pas une sciatique essen-
tielle ;
4° Toute sciatique qui s'accompagne de paralysie motrice ou même de
steppage, n'est pas une sciatique essentielle ;
5° Toute sciatique qui s'accompagne de troubles qualitatifs électri-
ques de D. R. dans les muscles tributaires, n'est pas une sciatique essen-
tielle ;
6° Toute sciatique qui survient chez un enfant avant l'âge de 12 à
15 ans, n'est pas une sciatique essentielle;
7° La sciatique essentielle, dans son type scoliotique, imprime à la
masse musculaire lombo-sacrée une contracture avec attitude consé-
cutive du corps qui lui est spéciale.
J.-A. SICARD
8° Tout liquide céphalo-rachidien riche en albumine, en lympho-
cytes, el à plus forte raison avec B.-W. positif, n'appartient pas à la
sciatique essentielle. Le liquide céphalo-rachidien peut présenter un
certain excès d'albumine dans les sciatiqués essentielles hautes, celles
qui dépendent d'une arthrite du trou de conjugaison, mais nous n'avons
jamais note de lymphocytose vraie.
La sciatique vulgaire, classique essentielle, n'est pas fonction de
syphilis. Le liquide céphalo-rachidien dans la sciatique essentielle ne
présente jamais une réaction positive de Bordet-Wassermann.
Traitement. — Les sciatiqués secondaires reconnaissent pour cha-
cune d'elles une thérapeutique appropriée (traitement de la syphilis,
du diabète, traitement chirurgical des tumeurs compressives, etc.).
Par contre, s'adresse-t-on à la thérapeutique de la sciatique ordi-
naire, il faut reconnaître qu'il n'est pas d'affection ayant suscité un aussi
grand luxe de médications. Les thérapeutiques les plus diverses ont
été proposées, et toutes ont eu leurs prosélytes fervents.
En règle générale, le repos doit être conseillé. La marche, les mou-
vements musculaires exacerbent le mal. On donnera les cachets usuels
analgésiques, à la base d'antipyrine, d'aspirine, de pjTramidon, etc.
Mais la crise algique se prolonge. Les douleurs ne cessent pas ou
reviennent dès que le malade essaie de marcher ou s'assied un peu lon-
guement. Dans ce cas, il faut avoir recours aux moyens plus énergi-
ques : l'alcoolisation locale et l'injection épidurale.
L'alcoolisation locale est faite en dehors du nerf sciatique, dans son
voisinage, à quelques centimètres (3 à 6 centimètres environ) de la
grande échancrure ou de la gouttière de passage. Il faut se garder de
l'alcoolisation directe du nerf. La neurolyse du sciatique par l'alcool
engendrerait des troubles paralytiques. On pratique, dans une même
séance, en des points voisins, l'encerclement par l'alcool soit de la
grande échancrure du sciatique, soit de la gouttière isehio-troehante-
rienne. On abandonne, en ces régions, trois à quatre injections de 2 à
.'i centimètres cubes d'alcool à 90°. L'alccol a été au préalable antipyriné
à 20 centigrammes d'antipyrine par centimètre cube. On injectera donc
au total 8 à 10 centimètres cubes d'alcool à 90° et 2 grammes environ
d'antipyrine. L'injection sera répétée, dans les mêmes conditions, tous
les deux à trois jours jusqu'à guéri son.
L'alcool n'a aucune vertu spécifique et agit simplement à titre- de
révulsif profond, comme le ferait du sérum salé hypertonique, île
l'eau distillée, une solution simple d'antipyrine, de strychnine, d'iodure
ou de mercure, etc. Parmi ces substances, nous avons donne la préfé-
LES ALGIES ET LEUR TRAITEMENT 335
rence à l'alcool, liquide qui se conserve aseptique et jouit d'une grande
puissance de révulsion. L'alcool intra-musculaire agit de la même façon
que le ferait un révulsif vésicant appliqué dans la profondeur. Il est
doué d'un pouvoir réactionnel intensif. Déposé à une certaine distance
du tronc nerveux, il aide de manière efficace à sa libération. Il le dégage
des éléments tissulaires congestifs qui l'engainent, le compriment, et
sont générateurs des douleurs.
Si l'alcoolisation locale est insuffisante pour la guérison, on aura
recours aux séances suivantes à l'injection épidurale que j'ai fait con-
naître. L'aiguille est enfoncée dans l'hiatus sacro-coccygien, après
anesthésie novocaïnique successive des plans de pénétration, et l'on
pousse dans l'espace épidural sacré 10 à 20 centimètres cubes d'eau
chlorurée isotonique, additionnée au total de 2 à 3 centigrammes de
novocaïne, stovaïne, ou cocaïne. L'injection épidurale est d'une techni-
que délicate. Souvent est commise l'erreur suivante, qui consiste à
injecter le liquide non dans l'espace épidural sacré, mais simplement
sur la face postérieure du sacrum. L'injection épidurale est renouvelée
en moyenne deux fois par semaine.
Les petits lavements associés (dans les jours intercalaires à l'alcooli-
sation ou à l'injection épidurale) sont à conseiller avec deux cuillères à
soupe d'eau bouillie, 50 centigrammes de pyramidon et quelques
gouttes noires anglaises.
Nous n'insisterons pas sur les méthodes physiothérapiques qui trou-
vent à certaines périodes évolutives de la sciatique leurs indications
spéciales : radiothérapie, électrothérapie, massage, bains chauds, bains
résineux, bains de soleil, air chaud, boites chauffantes, lumière bleue,
cures thermales d'Aix-les-Bains, de Dax. de Lamalou, de Bourbonne,
etc.
Il y a plus. Dans les sciatiques hautes irréductibles s'accompagnant
de lumbarthrie, entraînant, par la quasi-immobilisation qu'elles provo-
quent, à peu près l'arrêt de toute vie sociale et professionnelle, et à
évolution de vieille date (deux trois ans environ), nous avons proposé
une intervention chirurgicale bénigne, la laminectomie décompressive,
qui a pour but de dégager les trous de conjugaison et d'assurer de nou-
veau la mobilité de la colonne vertébrale.
L'opération portera sur le segment lombaire, de la 12'' dorsale à la
4e vertèbre lombaire environ. Dans trois cas nous avons, avec mon
interne Forestier, obtenu, grâce à celte intervention chirurgicale
(Dr Robineau), un succès complet et durable.
./.-.». SICABD
III. — L'Algie zostérienne.
Voici une troisième modalité d'algie : l'algie zostérienne. La cause ori-
ginelle du zona nous est inconnue. On n'a pas su isoler encore le germe
infectieux qui lui donne naissance, mais par contre le mécanisme patho-
génique du zoster a été nettement précisé. La lésion du zona est loca-
lisée à cette région dont je vous ai entretenu maintes fois déjà au cours
de cette conférence, à la région sensitive radiculo-ganglionnaire. L'in-
flammation zostérienne déborde même souvent cette zone nerveuse et
frappe des départements du voisinage, le cordon postérieur, la corne
postérieure, et le système sympathique proche. Ces atteintes variables de
segments sensitifs différents accroissent les difficultés diagnostiques
d'une localisation lésionnelle stricte et compliquent singulièrement la
décision chirurgicale à prendre quand il y a lieu de discuter celle-ci.
Vous verrez pourquoi dans un instant.
L'algie du zona est fonction en général de l'intensité de l'éruption,
de sa localisation prédominante sur telle ou telle région du névraxe
(zona du trijumeau, zona intercostal, zona des membres), mais surtout
fonction de l'âge.
Je n'ai pas encore observé d'algie résiduelle zostérienne chez les sujets
jeunes, avant la trentième année. Il y a là vraisemblablement une qua-
lité histologique du tissu vasculo-névroglique ou parenchymateux qui
est au seuil de la réaction algique persistante et qui ne paraît se mani-
fester que chez le sujet vieux par l'âge.
La douleur de zona au cours de la période de début, de la période
aiguë, évolue assez spontanément vers la guérison. Mais lorsque l'algie
a persisté pendant des mois il est bien rare qu'elle ait des chances de
rétrocession.
Après plus d'une année de continuité algique on peut prévoir la chro-
nicité de la douleur.
L'algie résiduelle zostérienne s'accompagne de douleurs à caractères
quelque peu spéciaux: douleurs vives, intenses, paroxystiques, mais qui
évoluent sur un fond continu de cuisson, de brûlure, avec sensation de
« tégument déchiré », « dénudé ». L'hyperesthésie est la règle. Tout frô-
lement, toute irritation légère de la peau, détermine un réveil de la dou-
leur. La compression large, ample et profonde, l'atténue au con-
traire.
Localement, toutes les thérapeutiques médicales échouent dans de
tels cas, que l'on s'adresse aux applications dermatologiques les plus
variées OU aux moyens physiques (massage, électricité, rayons \,
LES ALGIES ET LEUR TRAITEMENT 337
radium, air chaud, bainsde soleil, bains de lumière rouge, violette, etc ).
Seuls cependant les bains de lumière rouge ou violette et les douches
locales d'air chaud provoquent un bien-être indéniable, mais passager.
Nous avons essayé sans succès les injections d'alcool, d'antipyrine,
de salicylatede soude faites soit sur le trajet douloureux sous-cutané,
soit, en cas d'algie zostérienne intercostale, dans la gouttière osseuse
à l'émergence du nerf vertébro-intercostal. Ces échecs s'expliquent aisé-
ment, puisque le nerf périphérique n'est pas en cause, et que la lésion est
haut située, au voisinage ou dans l'intimité des centres nerveux.
Pourtant l'injection sous-cutanée, pratiquée au niveau des points
douloureux, d'une solution de thiosinamine cocaïnée et antipyrinée
nous a donné de bons résultats sédatifs.
Lorsque, lassés par l'intensité et la persistance delà douleur, lesalgi-
ques zostériens demandent dans quelle mesure l'acte chirurgical pourra
leur être bienfaisant, il est délicat de leur donner un conseil opéra-
toire. Pour ma part, j'ai eu recours à l'intervention chirurgicale dans
huit cas de zona. Le bilan n'est pas très brillant. Pour les zona inter-
costaux trois guérisons, deux insuccès, deux morts.
Il est intéressant de se demander pourquoi, après une même opéra-
tion comme la radicotomie, la section des racines responsables étant
pratiquée à leur issue médullaire, on observe tantôt la guérison de
l'algie, tantôt au contraire l'absence de toute sédation et la persistance
des douleurs. La réponse me paraît être la suivante.
L'inflammation zostérienne peut frapper les quatre segments de sensi-
bilités dolorifiques : ganglion rachidien, racine rachidienne; cellules de
la corne postérieure ; ganglion sympathique et système sympathique
de voisinage intra-médullaire et para-médullaire. Or, la réaction inflam-
matoire et sa cicatrice consécutive peuvent léser ou respecter, avec plus
ou moins d electivité, un ou plusieurs de ces segments. Si la cellule de la
corne, ou si les branches sympathiques participent, en première place,
au processus zostérien, on comprend que 1 acte opératoire, qui ne peut
efficacement s'exercer que sur le ganglion rachidien ou la racine,
demeure insuffisant et inefficace et laisse subsister l'algie. Dans le cas
contraire, le succès est acquis et les douleurs cèdent. Malheureusement
il n'est pas possible actuellement de distinguer la part de la responsa-
bilité algique des différents territoires de ce carrefour de la douleur.
C'est à cette dissociation des algies d'origine sympathique, ganglio-
radiculaire ou cellulaire cornu-postérieure, que nos efforts cliniques
Boivent tendre, afin d'être mieux à même d'orienter et de préciser les
indications opératoires.
CONFER NlilHOI..
./. l. SICARD
Peut-être deux signes : la continuité de L'algie sans trêve ni repos,
et la pigmentation rapide et marquée des cicatrices zostériennes, sont-
ils en faveur d'une prépondérance localisât riee au sympathique et
contre-indiquent-ils l'opération, puisque le chirurgien ne saurait
atteindre les ganglions sympathiques pré-vertébraux.
IV. — La causalgie.
Les blessures des troncs nerveux peuvent engendrer certaines dou-
leurs que les blessés comparent à des brûlures cuisantes, et que,
depuis Weir-Mitchel, on désigne sous le nom de causalgie (causalgia,
xaucTixoç, mordant, cuisant).
La douleur peut débuter immédiatement après la blessure et se main-
tenir avec ses caractères d'acuité extrême presque indéfiniment. Le
plus souvent, au contraire, elle n'atteint son apogée que quelques jours,
une ou deux semaines après le traumatisme. Ces formes à début non
immédiat, mais retardé, obéissent le plus favorablement au traitement
par alcoolisation locale.
Ce sont les nerfs médian (Pierre Marie' et sciatique qui sont surtout
prédisposés à de telles réactions douloureuses. La sensation de cuisson
naît dans la pulpe des doigts et la paume de la main, mais se localise
avec une intensité extrême au niveau du pouce, de l'index et de la région
palmaire.
Les causalgiqucs du sciatique fixent leurs douleurs au niveau de la ré-
gion plantaire et des orteils. Les blessés comparent ces algies à des
piqûres profondes d'épingles, à l'application d'un fer rouge, à une trans-
fixion, à un arrachement des chairs, à un broiement. Presque toujours,
ils les décrivent comme pulsatiles, revenant par ondées assez fréquentes
(Meige et A. Benisty).
La douleur souvent s'exaspère sous des influences hygrométriques
ou des réactions psychiques. C'est ainsi que l'exposition à l'air, au soleil,
à la chaleur déterminent le paroxysme ; c'est ainsi encore que toute
émotion, crainte d'une chute, les bruits, les rires de voisinage exaspè-
rent la douleur.
Deux éléments sont caractéristiques de la causalgie : d'une part, la
continuité de l'algie; d'autre part, sa tonalité spéciale faite d'hyper*
esthésie exquise, qui rappelle la douleur sympathique, l'appoint anxieux
de la sympathalgie.
it que la causalgie est une douleur d'origine sympathique. Let
ûbres sympathiques intrinsèques du tronc nerveux, pins que celles
LES ALGIES ET LEUR TRAITEMENT 3391
accolées aux parois des troncs vaseulaires (Leriche), sont vraisembla-
blement responsables de cette douleur particulière (Meige et Benisty).
La guérison spontanée est exceptionnelle. Quand les blessés se sont
lassés du repos prolongé et des enveloppements humides qui n'appor-
tent qu'un soulagement passager, l'opération chirurgicale est réclamée.
La technique opératoire qui nous a paru donner les meilleurs résultats
sera, sousanesthésie générale, la toilette du tronc nerveux et sa libéra-
tion de la gangue scléreuse qui l'enserre. Puis on procède à l'alcoolisa-
tion du nerf à 4 à 5 centimètres au moins au-dessus du siège lésionnel
tronculaire. L'alcool sera poussé directement en pleins fascicules ner-
veux. Il titrera 75° environ et sera injecté à dose suffisante pour pro-
voquer une bonne distension du nerf, 1 ou 2 centimètres cubes environ.
C'est à cette méthode que nous avons dû le plus grand nombre de
succès. Elle a été confirmée par les nombreux faits cliniques apportés
par MM. Pitres et Marchand.
Il est malheureusement impossible d'affirmer que l'alcoolisation
locale assurera dans tous les cas la guérison définitive. Certains causal-
giques se montrent réfractaires à ce procédé. Si l'amélioration ne sur-
vient pas après l'alcoolisation totale, on peut prévoir que toute la série
des autres moyens proposés restera à peu près sans résultats. C'est
ainsi que nous avons toujours vu échouer, dans les formes rebelles, le
hersage, l'engainement du nerf dans une enveloppe caoutchoutée, aussi
bien que la ligature au catgut (Lortat-Jacob), et la dénudation des
artères du voisinage ou nourricières de la région causalgiée (Leriche)
dans le but de détruire les filets sympathiques péri-artériels.
Une autre thérapeutique peut alors être proposée : la section du
tronc nerveux, à condition que la lésion nerveuse soit suffisamment
grave pour que l'on ne puisse pas escompter la régénération spontanée
du tissu nerveux. La section ou la résection du nerf est le plus sou-
vent efficace lorsque toutes les autres thérapeutiques ont échoué. Elle
ne permet cependant pas d'assurer avec certitude la guérison. L'algie
peut persister à peu près aussi douloureuse qu'auparavant. Cet échec
partiel, après section, montre bien que la lésion des fibres nerveuses
n'est pas seule en jeu, et que les fibres sympathiques ont leur grande
part de responsabilité dans la pathogénie de la causalgie. Les fibres
sympathiques ne se groupent pas en un tronc unique comme les fibres
sensitives ou motrices. Elles s'essaiment, s'éparpillent, ou seulement
dans l'intimité du nerf, mais dans les gaines des vaisseaux avoisinants.
Elles échappent, par conséquent, en grande partie, à la section du tronc
nerveux. C'est leur multiplicité et leur dissémination qui leur confèrent
340
./.-.». SIC. Mil)
ce triste privilège d'assurer la perpétuité de l'algie, en leur permettant
de se dérober à l'acte chirurgical.
Lorsque la chirurgie périphérique est impuissante, une dernière
ressource peut être envisagée, la radicotomie postérieure. Dans deux
cas que nous avons publiés à la Société de Neurologie, la radicotomie
postérieure des racines tributaires a été suivie de guérison qui parait
définitive.
TRAITEMENT
Ainsi ces quatre modalités cliniques d'algies nous ont permis de
discuter un certain nombre d'applications thérapeutiques sédatives
bien différentes entre elles.
a) Dans les névralgies faciales : neurolyse par alcoolisation locale ;
traitements physiques divers dont la radiothérapie; opérations de
petite chirurgie ou de grande chirurgie, telle que la radicotomie gas-
sérienne.
b)Dans les sciatiqnes : injections locales à titre de révulsion profonde
sans neurolyse ; injections d'air ; injections épidurales ; traitements
physiques dont la radiothérapie ; interventions opératoires sur la
colonne vertébrale ou les racines postérieures.
c) Dans l algie zoslérienne : inutilité de l'alcoolisation ; inutilité des
injections locales ; échec des traitements physiques. Radicotomie à
discuter sans que l'on puisse certifier la guérison post-opératoire.
d) Dans la cansalgie : alcoolisation avec neurolyse ou section du nert,
ou radicotomie.
Un dernier mot à propos de l'acte chirurgical vertébro-médullaire.
Lalaminectomie simple sans ouverture de la dure-mère qui a pour but
la décompression médullaire ou la décompression des trous de conju-
gaison estime opération bénigne, avec un minimum de risques. Je n ai
jamais vu, pour ma part, sur une trentaine de laminectomies simples
que j'ai eu l'occasion de faire pratiquer, notamment par Robineau, un
seul accident grave.
La radicotomie postérieure, c'est-à-dire la section de trois, quatre à
cinq racines postérieures superposées, comporte l'ouverture de la dure-
mère et l'issue du liquide céphalo-rachidien. 11 s'agit toujours là d'une
opération sérieuse, et dont la gravité est plus ou moins grande, sui-
vantle segment en jeu, et l'unilatéralilé ou la bilatéralile des sections,
La radicotomie pratiquéeàla légion cervicale expose toujours à cer-
tains aléas sévères, à cause du \oisinage du spinal el du phremque.
LES ALGIES ET LEUR TRAITEMENT 341
La radicotomie faite à la région intercostale est relativement
bénigne.
La radicotomie de la région lombo-sacrée est d'ordinaire également
bien supportée.
Mais il s'agit là de sections unilatérales des racines: Par contre,
n'autorisez jamais une radicotomie bilatérale, c'est-à-dire une section
des racines pratiquée symétriquement de chaque côté d'un même seg-
ment médullaire, à moins qu'il ne s'agisse de la région intercostale.
La radicotomie bilatérale de la région cervicale est presque un arrêt
de mort, puisque les nerfs spinaux et phréniques sont issus du segment
cervical. N'oubliez pas non plus que la section bilatérale des racines
lombo-sacrées va perturber fatalement le jeu vésico-rectal, avec ses
corollaires ordinaires, la nécessité du sondage vésical, l'infection
urinaire, l'escarre sacrée, etc.
Méfiez-vous enfin, Messieurs, de toute intervention chez les cénesto-
pathes. Vous aggraveriez leurs algies, en donnant un aliment de plus à
leur mentalité faussée et à leurs interprétations délirantes.
DOUZIÈME CONFÉRENCE
O. CROUZON,
Médecin des hôpitaux de Paris.
LES MALADIES FAMILIALES ATYPIQUES
DU SYSTÈME NERVEUX
Messieuhs,
Le but que je me propose dans cette conférence est de vous faire
connaître les maladies familiales atypiques du système nerveux.
Mais il m'a paru indispensable, avant de vous parler de ces cas qui
sont, somme toute, l'exception, de vous montrer d'abord quelques
exemples de maladies familiales, de bien définir avec vous les caractères
des maladies familiales et de dresser le bilan des maladies familiales
typiques. Lorsque nous aurons parcouru successivement ces diffé-
rentes étapes, je vous montrerai des malades atteints d'affections fami-
liales atypiques, nous chercherons à les comparer aux cas classiques,
et à en faire une classification, et enfin nous chercherons à établir
les relations qui peuvent exister entre les cas typiques et les cas atypi-
ques.
Je vous présenterai tout d'abord deux frères atteints d'une affection
familiale des plus classiques, je n'irai pas jusqu'à dire qu'elle est la
plus classique, mais elle est, en tout cas, une des plus anciennement
connues.
Ces deux frères sont atteints de maladie de Friedreich ; ils sont
jumeaux et âgés de 16 ans ; ils ont une ressemblance physique remar-
quable, à tel point qu'on les prend souvent l'un pour l'autre, et vous
verrez qu'à cette ressemblance physique s'est ajoutée une ressem-
blance pathologique aussi marquée. Ils font partie d'une famille de
sept enfants issus de parents turcs cousins germains ; eux-mêmes
sont nés, par hasard, à l'île de la Trinité et ont été élevés en France.
:;i i
0. CR01 Z0 \
Il existait, dans la famille, dois sœurs et quatre frères. Nos deux
malades, vers l'âge de «S uns, alors qu'ils allaient à l'école, ont
ressenti des troubles des jambes et leurs camarades se moquaient
d'eux, en raison de leur maladresse : ils avaient également (le la difli-
eullé de la parole, et,
vers l'âge de 10 ans,
leurs mains sont deve-
nues malhabiles. Vous
voyez, en examinant la
démarche de l'un et de
l'autre, qu'ils ont une in-
coordination marquée :
il s'agit d'une ataxie,
constatation qui est cor-
roborée par l'abolition
des réflexes rotuliens.
Nous avons donc affaire
à une ataxie familiale.
A ces premières cons-
tatations s'en ajoutent
deux autres : d'abord,
cette ataxie a quelques
caractères qui lui don-
nent une allure céré-
belleuse et il existe aussi
des mouvements des
membres supérieurs et
de la tète qui révèlent
une instabilité choréi-
forme; d'autre part, l'é-
tude des réflexes cuta-
nés nous montre, chez
les deux hères, mais plus spécialement chez l'un d'eux, du côté
gauche, un réflexe plantaire en extension. Il ne s'agit donc pas d\\n
tabès banal, mais d'une affection caractérisée non seulement par des
signes de tabcs (e'est-à dire de sclérose des cordons postérieurs), mais
aussi par un signe de Babinski, indice de lésion pyramidale et de
sclérose des cordons latéraux. Il s'agit donc d'une sclérose combinée
familiale; d'autre part, la constatation des signes cérébelleux et de
l'instabilité choréiforme nous amène aussi à cette conclusion qu'il s'agit
Fig. 1. — Deux frères jumeaux atteints do maladie de Friedreich.
(Famille Mén...) : Collection de M. le Professeur Pierre Marie
MALADIES FAMILIALES AT Y P 101 ES
345
de toute autre chose que d'un tabès vulgaire, ce qui était du reste en
opposition également avec l'âge des sujets. Il ne peut s'agir alors que
de deux affections ou d'une maladie de Friedreich, ou d'une hérédo-
ataxie cérébelleuse de Pierre Marie.
Sans m 'arrêter sur les signes différentiels de ces deux affections, je
retiendrai simplement que l'abolition des réflexes tendineux et le début
précoce sont en faveur de la maladie de Friedreich. Il s'agit bien
d'une maladie de Friedreich dont les lésions sont celles de la sclérose
combinée que j'ai mentionnée
plus haut et que vous trouve-
rez représentée sur les plan-
ches reproduites plus loin
(fig. 16 et 17).
Les deux frères que je vous
présente et qui sont atteints
de maladie de Friedreich ne
semblent pas avoir été les
seuls atteints dans leur fa-
mille, et un de leurs frères a
été atteint, vers l'âge de 14
ans, d'une affection à peu près
semblable à eux, disent ils,
et est mort de la grippe. Le quatrième fils était indemne ; quant aux
trois sœurs, elles sont indemnes, deux d'entre elles sont mariées et leurs
enfants sont bien portants Les parents étaient absolument indemnes
d'après les dires des enfants et, somme toute, nous ne trouvons dans
la famille que les deux frères qui soient atteints delà maladie.
Vous venez devoir, Messieurs, un exemple typique chez deux frères
jumeaux, d'une des maladies familiales les plus caractéristiques, la
maladie de Friedreich.
Il me paraît indispensable, avant de poursuivre plus loin mes con-
sidérations sur les maladies familiales typiques, de vous donner la
définition des maladies familiales, leur place dans l'hérédité morbide
et les principaux caractères qu'elles peuvent présenter1.
Les maladies familiales et leur place dans l'hérédité mor-
bide. — Tout d'abord, quelle est la place des maladies familiales dans
Kig.
- Tableau généalogique de la famille Mon.
atteinte de maladie de Friedreich.
1. Voir à ce sujet: Apert. L'hérédité morbide, 1919. — Apert, Les maladies familiales
et comjénitales, Paris, 1907.
346 0. CROl ZO \
V hérédité morbide ? 11 me semble nécessaire de définir cette situa-
tion, car on est quelquefois tenté de confondre maladie familiale et
maladie héréditaire.
L'hérédité morbide comprend un grand nombre de maladies héré-
ditaires qui ne sont point familiales. En effet, l'hérédité morbide
est un trouble de la santé dont l'origine est imputable à l'état de
maladie d'un ou plusieurs des ascendants, mais ce trouble de la santé
peut se manifester de deux façons. Il peut s'agir d'une hérédité
morbide dissemblable, c'est-à-dire différente chez les ascendants et
chez les descendants, ou d'une hérédité morbide similaire ou
ancestrale, c'est-à-dire semblable, dans sa forme, dans toute la des-
cendance.
L'hérédité morbide dissemblable ne doit pas nous retenir, elle com-
prend un grand nombre de maladies héréditaires que je ne ferai que
vous énumérer, qui sont rangées, soit sous la rubrique d'hérédité
arthritique (goutte, migraine, etc.), soit sous la rubrique d'hérédité
nerveuse, variable dans ses manifestations (névropathie, aliénation
mentale, dégénérescence, etc.) ; soit sous forme d'autres hérédités qui
revêtent alors plutôt le caractère de maladies incidentes venant trou-
bler l'hérédité naturelle : je veux parler des hérédo-infections, telles
que la syphilis, telles que la tuberculose qui transmettent, soit le
germe microbien de l'ascendant au descendant, soit une dystrophie
causée par l'infection de l'ascendant ; telle est enfin l'hérédité des
intoxications (alcoolisme, etc.), qui, de l'ascendant, influe sur le des-
cendant.
Mais à côté de l'hérédité morbide dissemblable, Vhêréditè morbide
similaire est beaucoup plus intéressante. C'est ce groupe qui constitue, à
proprement parler, les maladies familiales, et en passant, je vous
fais remarquer que ce mot de « familiales » doit être exclusivement
réservé et ne doit pas s'appliquer à certaines maladies de famille,
telles que les maladies de famille éruptives et épidémiques, telles que
la syphilis quand elle frappe une famille entière.
Les maladies familiales peuvent se manifester sous l'apparence de
malformations familiales ou de tempéraments familiaux (tels que la
cholémie, l'hémophilie), mais c'est surtout le groupe des maladies
familiales du système nerveux qui nous retiendra ici, non seulement
parce qu'il est dans le cadre de ces Conférences de Neurologie, mais
aussi parce qu'il est de beaucoup le plus important.
Quels sont les caractères nécessaires pour affirmer qu'on se trouve
en présence d'une maladie familiale ?
MALADIES FAMILIALES ATYPIQUES 347
Depuis Charcot, depuis Pauly et Bonne, on admet qu'une maladie
familiale :
1° Frappe de nombreux sujets d'une même famille de la même géné-
ration et dans des générations successives ;
2° Affecte dans cette même famille une forme et une évolution pres-
que identiques ;
3° Se manifeste comme la conséquence d'une tare originelle du
germe par un trouble de développement, indépendamment d'une
affection et d'une influence extérieures, d'une maladie acquise ou d'un
accident de la vie intra-utérine.
Dans cette définition, vous pouvez remarquer le caractère fonda-
mental que je vous indiquais tout à l'heure et qui consiste dans la
forme et l'évolution presque identiques de la maladie dans la famille.
Vous voyez que cette définition élimine également les hérédo-infections,
les influences extérieures ou les accidents de la vie intra-utérine qui
sont, à proprement parler, des maladies fœtales, mais non originelles,
alors que les maladies familiales sont essentiellement originelles.
Les maladies familiales, comme les maladies fœtales, peuvent,
l'une et l'autre, exister à la naissance et par conséquent être congénitales,
au sens chronologique du mot, puisque le caractère congénital vise
tout ce qui dépend de l'organisation de l'individu, telle qu'elle est au
moment de sa naissance, et, en cela, les maladies congénitales s'oppo-
sent aux maladies acquises ou aux maladies tardives. Mais il y a lieu
de ne pas confondre les maladies familiales et les maladies congéni-
tales, puisque les maladies familiales peuvent survenir tardivement,
comme vous venez d'en voir un exemple chez les deux frères jumeaux
que je vous ai présentés
Dans quelques cas, la maladie familiale est caractérisée dans le
deuxième terme de sa définition, non seulement par une forme et une
évolution presque identiques, mais quelquefois aussi par le caractère
homochrone, c'est-à-dire qu'elle apparaît aux mêmes âges chez les dif-
férents sujets de la même famille. C'est le cas chez nos deux frères
jumeaux atteints de la maladie de Friedreich, mais ce caractère n'est
pas constant dans toutes les maladies familiales.
Les maladies familiales peuvent présenter enfin un certain nombre
de caractères que je dois vous définir aussi, puisque vous les entendrez
souvent énoncer, que vous les retrouverez chez certains des malades
que je vais vous présenter, ou à la lecture des observations auxquelles
je vous renverrai.
En cela, les maladies familiales sont soumises aux mêmes règles que
0. CR01 Z0 \
toutes les autres variétés d'hérédité morbide et ses définitions s'appli-
quenl aussi bien à l'hérédité morbide dissemblable qu'à l'hérédité
morbide similaire qui, comme vous venez de le voir, est cependant la
tonne la plus parfaite de l'hérédité morbide.
L'hérédité directe est celle qui se transmet directement des ascen-
dants aux descendants pendant une ou plusieurs générations, mais elle
peut être continue et frapper différentes générations sans interruption ;
elle peut être, au contraire, discontinue et sauter une ou plusieurs géné-
rations : on la dit alors discontinue ou atavique, onde retour, ou alter-
nante.
Au contraire, l'hérédité peut être indirecte, et dans ce cas elle va,
non plus du père au fils, par exemple, mais frappe la famille dans ses
collatéraux ; il existe même dans cette hérédité indirecte ou collatérale
une hérédité qui est quelquefois exclusivement homosexuelle, ne frap-
pant que des sujets de même sexe, frères ou cousins, et quelquefois
même par des conducteurs hétérosexuels qui eux-mêmes ne sont
pas touchés en un excellent exemple ; telle est l'hérédité matriarcale,
dans laquelle la maladie est transmise uniquement aux mâles par les
femmes qui. elles-mêmes, ne sont pas touchées: une telle hérédité
sobserve dans l'hémophilie.
Enfin, un dernier caractère que vous pourrez observer dans les
maladies familiales est le caractère dominant ou récessif Ce caractère
dominant a été établi d'après les travaux de Mendel. Gregor Mendel
était un moine autrichien dont les recherches de génétique furent faites,
en 1865, sur les végétaux et en particulier sur les pois Ces recherches,
continuées sur les animaux, ont révélé que les caractères normaux ou
certains caractères anormaux se reproduisaient, suivant certaines
règles, dans les croisements. Far le croisement de sujets anormaux avec
des sujets normaux, on peut, dans certaines espèces, retrouver chez les
descendants delà première génération 50 °/0 de sujets ayant un carac-
tère morbide et 50 °/0de sujets qui, en apparence, sont normaux, mais
qui, en réalité, sont des hybrides de sujets normaux et anormaux. Les
sujets anormaux de la première génération donneront toujours dis
sujets anormaux ; quant aux hybrides (en apparence normaux) de la
première génération, ils fourniront à la deuxième génération et, dans
les générations ultérieures, un certain nombre de sujets eux aussi
anormaux. Aussi, après plusieurs générations, le nombre des sujets
anormaux l'emportera sur le nombre des sujets normaux. On dira
alors, dans ces cas, que le caractère anormal est dominant, Par contre,
quand le caractère anormal n'est pas prépondérant sur le caractère
MALADIES FAMILIALES ATYPIQUES 349
normal, il deviendra du moins fréquent dans les générations ulté-
rieures et on dit alors qu'il est récessif.
Ces notions, qui sont connues également sous le nom de lois de
Mendel, comportent un grand nombre de déductions dont l'exposé
mériterait plus d'une conférence. J'ai tenu simplement à vous les
signaler et à vous montrer l'importance qu'elles peuvent avoir. En
particulier, en nous plaçant uniquement au point de vue des maladies
familiales, elles pourraient être d'une utilité considérable pour la
prophylaxie et pour l'extinction de ces maladies ; malheureuse-
ment, si les règles ont été établies soigneusement pour les végétaux,
nous sommes loin d'avoir pour les caractères morbides chez l'homme
la même précision ; nous ne sommes même pas en mesure, à l'heure
actuelle, de dresser un tableau complet et précis des malades ayant
un caractère dominant ; tout au plus, quelques-unes présentent-elles
ce caractère d'une façon incontestable, telle est la chorée de Huntint»'-
ton1. Il est nécessaire en effet d'étudier un grand nombre de cas sur
un grand nombre de générations pour poser des règles précises.
Peut-être, dans l'avenir, cette précision sera-t-elle possible ? Conten-
tons-nous actuellement de mentionner ces caractères de dominance
ou de récessivité pour les rechercher dans les maladies familiales qui
pourraient se présenter à nous.
Classification des maladies familiales typiques du système
nerveux. — Puisque nous connaissons maintenant la définition et
les caractères des maladies familiales, je vais tenter devant vous la
classification des principales maladies familiales typiques du système
nerveux et vous en présenter quelques exemplaires, tant dans les
projections photographiques que par les malades que je vais vous
présenter également.
J'ai établi, d'une façon un peu schématique, une classification qui
vous permettra de vous retrouver dans le groupe, important déjà, des
maladies familiales typiques :
1° Maladies familiales dans lesquelles les lésions jusqu'ici constatées sont
à prédominance encéphalique : maladies mentales familiales, idiotie
1. Voir CitorzoN. Recherches sur l'application des principes de Mendel dans l'héré-
dité de certaines maladies humaines et en particulier dans les maladies du système
nerveux. Quatrième conyrès international de génétique, Paris, Masson, 1911.
O. Cltol ZO \
amaurotique de Tay-Sachs, maladie de Wilson, diplégies cérébrales
(type Freud, type Pesker, type Cestan et Guillain), atrophie cérébel-
leuse (type Bonraeville-Crouzon), hérédo-ataxie cérébelleuse de Pierre
Marie.
2° Maladies familiales dans lesquelles les lésions jusqu'ici constatées sont
à prédominance spinale : maladie de Friedreich, paraplégie spasmo-
dique (Strumpell-Lorrain), amyotrophie Ghareot-Marie.
3° Névrites hyperlrophiques familiales (type Gombaut-Dejerine et
Sottas, type Pierre Marie-Boveri).
1" Maladies musculaires : myopathies, maladies de Thomsen,myotonie
atrophique, paralysie périodique familiale.
5° Chorées (Huntington), tremblements, myoclonies (Unverricht).
6° Œdèmes familiaux (maladie de Quincke, trophœdème de Meige).
7° Affections oculaires familiales (paralysies oculaires, nystagmus,
atrophie optique, atrophie papillaire, rétinite, etc.).
8° Maladies familiales des glandes endocrines, des viscères et des os
ressortissant au système nerveux ou retentissant sur lui (dysostose cléi-
do-cranienne de Pierre Marie et Sainton, maladie de Basedow, etc.).
9° Maladies du système nerveux exceptionnellement familiales (chorée
de Sydenham, neurofibromatose, épilepsie, etc.).
Je ne peux pas songer aujourd'hui à vous présenter un exemple
de chacune de ces maladies familiales '.
Je me contente de vous présenter une famille qui a bien voulu se
mettre à notre disposition, dont une des malades est actuellement
hospitalisée dans le service de M. le Professeur Pierre Marie, dont les
autres ont été observés par M. Béhague et par moi, et dont l'obser-
vation a été mentionnée dans les Bulletins et Mémoires de la Société
médicale des hôpitaux de Paris du 12 mars 1920. Cette famille avait,
du reste, déjà été étudiée par MM. Ghaillous et Pagniez dans la
Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière en 1905. Nous avons com-
plété son histoire, tant au point de vue clinique qu'au point de vue
anatomique. Comme vous pouvez le voir dans le tableau généalogique
de cette famille, trois générations sont atteintes el présentent la
même affection : ophtalmoplégie congénitale.
Dans les trois générations, ['ophtalmoplégie se présente avec le
1. Voir Croczon. Les maladies familiales du système nerveux, în Traité êe pathologie
médicale et de thérapeutique appliquée (Sbagent, Ribaubau -Dumas, Basokkeix),
MALADIES FAMILIALES ATYPIQUES
351
même type. Il y a un ptosis très accentué, avec attitude renversée
de la tête en arrière ; il y a paralysie du droit supérieur dans tous
les cas ; il y a paralysie du droit inférieur également chez tous les
sujets ; le releveur de la paupière est paralysé dans tous les cas, mais
d'une façon inégale ; les droits internes et externes sont paralysés
chez la grand'mère et respectés ou partiellement touchés dans les
autres cas. Quant aux obliques, ils ne sont que peu ou pas atteints,
?| ■ MADAME L ■ I f |
rien I ^OPHTALMOP^ \0 i
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|y/?/c/v| \oRl£fi\ WftaPHTrm |o/?7f/v I PÂ/ë/v \ Païen \
Fig. 3. — Tableau généalogique de la famille Forg..., atteinte d'ophtalmoplégie congénitale familiale.
sauf chez la grand'mère ; enfin le nystagmus existe dans tous les cas.
La musculature interne est intacte, comme il est de règle dans les
ophtalmoplégies familiales. Cette affection présente donc tous les
caractères d'une ophtalmoplégie héréditaire familiale congénitale et
complexe.
Dans nos recherches, nous avons pu, non seulement mettre au point
l'histoire clinique de cette famille, mais nous avons pu faire l'autopsie
d'un malade appartenant à la deuxième génération. Cette autopsie,
publiée par nous, a été étudiée ensuite avec Trétiakow et les
résultats en ont été publiés clans les Bulletins et Mémoires de la
Société médicale des hôpitaux de Paris (séances du 25 juin 1920 et
du 3 décembre 1920). Nous avons constaté, au cours de cette étude
pathologique, une atrophie des deux nerfs oculo-moteurs communs :
le gauche n'avait plus qu'un tiers de son épaisseur normale, tandis
que le droit, beaucoup plus mince encore, atteignait à peine le calibre
1 ig I el 5. Famille Forg.. . atteinte d'ophtalmopléifie familiale : m uaul l'aïeule
en baa une Bile avec ion enfant,
MALADIES FAMILIALES ATYPIQUES
353'
d'un nerf pathétique de la même malade sensiblement normal. L'examen
histologique montrait un enchevêtrement des fibres et un état pous-
siéreux de la myéline. Dans le noyau de la troisième paire, nous
Fig. 6 et 7. — Les 2 autres enfants atteints.
Fig. 8. — Vingt ans après, la fillette de la lig. 5.
n'avons trouvé qu'une diminution du nombre des cellules nerveuses
portant seulement sur le groupe médian : dans ces cellules du groupe
médian, quelques-unes étaient en état de chromatolyse centrale,
comme on l'observe à la suite de l'arrachement d'un nerf (réaction
de Nissl). Enfin, il existait, à la base du cerveau, une méningite
fibreuse ancienne, un défaut de développement de la faux du cerveau
23
CONFÉR. NEUROL.
A
0. CBOl /<> V
et un état vermoulu ilu cerveau. Il nous a été difficile d'élucider l'ori-
gine «li- l'atrophie des nerfs oculo-moteurs communs : nous avons pu
cependant émettre l'hypothèse que la méningite chronique de la base
était peut-être la lésion essentielle qui déterminait celle des nerfs
oculo-moteurs communs. Pour le moment, nous devons nous contenter
de nos constatations anatomiques sans insister sur notre hypothèse,
qui ne pourra être vérifiée (pie par l'étude de faits nouveaux et, en
17^H I? r.en |
\p rien | |9 r|en [
Fig 9.
Tableau généalogique dune deuxième famille atteinte d ophtalmoplégie familiale,
i, Crouzon et lîéhague.)
particulier, d'une constatation anatomique nouvelle dans cette famille.
Je n'insisterai pas davantage sur l'histoire des ophtalmoplégies
familiales dont nous avons pu présenter encore un nouvel exemple
avec M. Béhague dans les Bulletins et Mémoires de la Société
médicale des hôpitaux de Paris du 1(3 avril 1920.
La famille de notre malade répondait au tableau généalogique ci-
dessus (fig. 9).
Pour les autres maladies familiales typiques dont je viens devons
montrer la classification, je me contenterai maintenant d illustrer le
tableau que je vous ai présenté, par quelques projections qui sont em-
pruntées à La collection que M. le Professeur Pierre Marie a réunie
avec tant de patience dans ses services de Bicêtre et delà Salpètrière et
qu'il met toujours si libéralement à notre disposition.
Vous saisirez ainsi quelques exemples typiques : une îles maladies
MALADIES FAMILIALES ATYPIQUES
355
de la thèse de Pesker 1 dans la diplégie cérébrale ; quelques photogra-
phies de maladies de Friedreich : voici un pied bot, qui complète la
description clinique succincte que j'ai essayé de vous faire sur nos ma-
lades (fig. 10).
Fig 10. — Le pied de Friedreich (dessin de Paul Kichcr).
Voici des exemples d'hérédotaxie cérébelleuse de Pierre Marie dans
lesquels vous remarquez la démarche si spé-
ciale avec traînement des jambes que l'on
rencontre chez ces malades comme dans
les scléroses combinées, démarche qui
résulte à la fois d'une paraplégie et d'une
ataxie2(fïg. 11).
Voici des exemples curieux d'amyotro-
phie des extrémités : l'atrophie des jambes
en jarretière, spéciale à l'amyotrophie Char-
■cot-Marie ; les atrophies multiples de la né-
vrite hypertrophique familiale du type
Pierre-Marie-Boveri (amyotrophie si spé-
ciale où les nerfs sonttellementhypertrophiés
qu'ils peuvent être perçus et palpables : le
cubital au niveau du coude, le plexus cervical
superficiel dans la région sus-claviculaire).
Voici des exemples très curieux de la
Fig. 11. — Hérédoataxie cérébel-
leuse. Démarche avec traîne-
ment des jambes (Collection de
M. le Professeur Pierre Marie )
1. Pesker, Thèse de Paris, 1900.
2. Pierre Marie et Croczox, Société de Neurologie, 5 mars 1903 : Crouzon, Thèse de.
Paris, 1904.
356
0. CROl ZO \
myopathie primitive progressive, exemples recueillis pour la plupart
par M. Pierre Marie, à L'hospice de Bicêtre, dans son service de
Sibérie (fig. 12).
Fig. 12. — Myopathie primitive progressive : forme atypique
avec ptosis et paralysie des masticateurs (Pierre Marie).
Voici un exemple de la maladie de Thomsen, cette affection si
curieuse observée par Thomsen sur lui-même et dans sa famille, et
caractérisée par une lenteur de la décontraction d'une part, et, d'autre
part, par une hypertrophie considérable des muscles. Voici enfin un
exemple d'une affection curieuse : un œdème familial, le trophœdème
familial de Meii^e.
LES MALADIES FAMILIALES ATYPIQUES
Vous êtes maintenant en possession de notions suffisantes pour com-
prendre l'intérêt de la famille que je vais vous présenter.
Cette famille a été étudiée par M. Bouttier et par moi dans le service
di- M. Pierre Marie, el nous avons publié sur elle un mémoire à la
Société médicale des hôpitaux de Paris (séance du 19 novembre 1919 .
Comme vous le voyez, sur le tableau généalogique île cette famille, les
MALADIES FAMILIALES ATYPIQUES
357
trois malades que je vous présente sont les trois sœurs et les seuls en-
fants d'un couple que nous avons examiné et que nous avons trouvé
absolument normal. Aucune autre personne dans la famille ne paraît
avoir été atteinte.
Les trois sœurs ont respectivement, à l'heure actuelle : Hélène,
34 ans ; Sarah, 28 ans, et Anna, 26 ans. Elles sont atteintes d'une
variété singulière et complexe de maladie familiale. Le début, pour
P P
9 9 P
ô ô ô
? ? ?
Fig. 13. — Tableau généalogique de la famille Ichs .. atteinte
d'une maladie familiale atypique. (Crouzon et Bouttier.)
l'aînée, s'est fait à l'âge de 14 ans par des troubles des jambes ; chez la
deuxième, il s'est fait à 22 ans par des troubles des jambes ; chez la
troisième, il s'est fait à l'âge de 12 ans par des troubles de la
parole.
Je vous exposerai, d'après notre mémoire de la Société médicale des
hôpitaux de Paris où nous avons publié nos observations in extenso, un
résumé de l'histoire de chacune de nos malades.
1° La plus typique et la plus complète est celle d'Hélène.
Les symptômes observés chez cette malade peuvent être classés en
trois groupes :
a) Les premiers présentent un caractère encéphalique : ce sont les
troubles de la parole, si particuliers, et sur lesquels nous reviendrons
dans la discussion du diagnostic, parole spasmodique, soufflée, hale-
tante, expiratoire, qui rend l'articulation des mots très mauvaise et leur
compréhension très difficile pour l'entourage. La modification de
tonicité des muscles de la face, la déformation ovalaire de la cavité
buccale entrouverte, le tremblement et l'instabilité ehoréiforme sont
évidemment aussi des symptômes d'ordre central.
b) Le deuxième groupe de symptômes peut être rangé dans la caté-
gorie amyotrophique : l'amyotrophie scapulo-humérale, l'atrophie des
muscles sus- et sous-épineux, du grand dentelé avec ébauche descapuhv
0. CR01 ZQN
alaise rappellent les localisations de l'atrophie musculaire dans la myo-
pathie.
L'examen de la force musculaire segmentaire conduit aux mêmes
conclusions : alors que les troubles moteurs sont nuls ou très peu
marqués au niveau de l'extrémité distale des membres supérieurs, ils
sont très accentués au niveau de leur extrémité proximale et de la cein-
ture scapulaire. Enfin la motilité du tronc est elle-même très affaiblie,
surtout en ce qui concerne le mouvement de flexion du tronc.
Fig. 14. — Ichs... (HéJène), atteinte d'une maladie Familiale atypique. (Crouzon et Bouttier.)
Le caractère un opathique de ces localisations et de ce déficit moteur
est donc révélé par le simple examen clinique : il est confirmé par
l'étude des réactions électriques qui, pratiquée par M. le Dr Bourgui-
gnon, a montré une ébauche de réaction myotoniqueau niveau du tra-
pèze cervical gauche. En dehors de ces troubles à caractère myoto-
nique, les réactions électriques au niveau des membres supérieurs sont
sensiblement normales.
c) Le troisième groupé de symptômes est d'ordre neurotique ou myé-
lopathique : l'atrophie musculaire, dont rend compte la photographie,
l'attitude des pieds, la prédominance des troubles moteurs au niveau
de l'extrémité distale des membres inférieurs, l'abolition des réllexes.
tout plaide en faveur d'une lésion polynévritique. Ici encore, cette [m-
MALADIES FAMILIALES ATYPIQUES
359
pression clinique est confirmée par les résultats de l'examen électrique :
l'électrodiagnostic révèle des troubles très importants du type péri-
phérique, portant en particulier sur les branches terminales du nerf
sciatique, mais intéressant aussi le nerf crural.
2° Dans la deuxième observation (Sarah), on retrouve, à un degré
Fig 15. — Iseh (Hélène), maladie familiale atypique : pieds
tombants du type névritique. (Crouzon et Bouttier.)
fruste, les mêmes troubles que dans la première de nos observations,
mais ils sont très considérablement atténués.
a) Les symptômes d'ordre encéphalique sont, en particulier, moins
marqués : la parole est sensiblement normale; toutefois on note quel-
ques ébauches de spasme au niveau des muscles de la face et un trem-
blement, d'ailleurs fruste, des extrémités.
6) Les symptômes d'ordre amyotrophique se retrouvent chez elle; on
360 0. CROl ZO \
note la même prédominance des troubles moteurs au niveau de la cein-
ture scapulaire du muscle grand dentelé et des muscles du tronc ; la
Flexion du tronc est, de même que chez, sa sœur, plus atteinte que
l'extension.
11 existe enfin, comme chez sa sœur, des troubles moteurs impor-
tants au niveau des membres inférieurs : leur topographie est un peu
différente ; en effet, les muscles de l'extrémité proximale sont touchés
autant et peut-être davantage chez elle que les muscles de l'extrémité
distale. L'examen électrique révèle enfin une réaction myotonique du
biceps gauche fait par M. le Dr Bourguignon.
c) Enfin, il existe aussi des modifications importantes, compa-
rables, mais atténuées, des réflexes tendineux.
3° La troisième observation, celle d'Anna, met en évidence des trou-
bles légers sans doute, et cependant indiscutables.
a) On y retrouve les manifestations d'origine encéphalique: ce sont les
modifications de la parole dont les caractères et le rythme se rappro-
chent beaucoup de ceux que nous avons signalés dans la première de nos
observations (Hélène). L'ouverture de la cavité buccale est manifeste-
ment asymétrique, sans qu'il existe toutefois de paralysie faciale. La
résistance aux pulsions est mauvaise, surtout en arrière et latéralement.
b) Les troubles amyotrophiques sont beaucoup moins accusés que dans
les observations précédentes ; néanmoins la malade signale spontané-
ment la gène qu'elle éprouve à gravir les marches d'un escalier ou
à faire avec la main certains mouvements fins. L'examen de la force
musculaire segmentaire montre une diminution très nette de la flexion
et de l'extension des doigts. Par contre, on ne note aucun trouble mo-
teur au niveau de l'extrémité proximale du membre supérieur.
c) L'examen électrique met en évidence une réaction de dégéné-
rescence au niveau des membres inférieurs, une R. D. légère dans le
facial supérieur des deux côtés, enfin une réaction myotonique au
niveau du trapèze gauche, sans atteinte du biceps des deux côtés.
Il s'agit évidemment d'une maladie familiale : les caractères de la
maladie se trouvent au complet chez Hélène ; les deux autres observa-
tions n'en sont que des formes plus ou moins atténuées.
Ainsi (pie nous venons de le voir, cette maladie familiale est carac-
térisée :
1° Par des symptômes d'ordre encéphalique troubles de la parole
et modification des muscles de la l'ace, tremblement et instabilité-
choréiforme] ;
MALADIES FAMILIALES ATYPIQUES • 361
2° Par des symptômes d'allure amyotrophique (atrophie musculaire
et troubles moteurs prédominant au niveau de la ceinture scapulaire
avec ébauche de réaction myotonique) ;
3° Par des symptômes d'allure polynévritique ou myélopathique
(amyotrophie des membres inférieurs, abolition des réflexes tendineux
et troubles des réactions électriques à caractère névritique).
Il est important maintenant de discuter rapidement la valeur séméio-
logique de chacun de ces symptômes et de montrer que le tableau cli-
nique offert par ces trois malades est différent de celui que l'on a cou-
tume d'observer dans les amyotrophies familiales.
Les troubles de la parole se rapprochent de ceux qu'on observe dans
l'hérédo-ataxie cérébelleuse. On les a comparés souvent au caractère
explosif de la parole dans la sclérose en plaques ; en réalité, la parole
est dans nos observations, comme dans l'hérédo-ataxie cérébelleuse, plus
hésitante, plus haletante, plus expiratoire, plus difficilement percep-
tible aussi et moins scandée que dans la sclérose en plaques. La malade
fait, pour articuler, les plus grands efforts et n'arrive à rendre que très
difficilement intelligible l'articulation des mots ; aussi s'aide-t-elle
souvent de gestes et complète-t elle par des modifications variées de sa
mimique l'insuffisance de son mode d'expression verbale.
L'instabilité choréiforme qui se rencontre au maximum dans notre
observation I est comparable à celle qui fait partie du tableau clinique
de la maladie de Friedreich. Notre malade a les mêmes mouvements
involontaires de la tête et du cou, des membres supérieurs, les mêmes
secousses brusques au niveau de la face décrits par Soca sous le nom de
« nystagmus de la face ». Enfin, elle a un constant besoin de mobilité,
et son visage, très expressif, reflète plus souvent une expression d'in-
quiétude qu'il ne traduit un sentiment de joie ou même de satisfaction.
La langue aussi est instable, animée d'un mouvement antéro-postérieur
et non atrophique. Ainsi est complété, chez notre malade, le caractère
d'instabilité choréiforme commun à sa maladie et à la maladie de Fried-
reich classique.
Ces deux symptômes, troubles de la parole et instabilité choréi-
forme, qui rapprochent nos observations de l'hérédo-ataxie cérébel-
leuse et de la maladie de Friedreich, sont donc en faveur d'une locali-
sation haute des lésions et méritent, à ce titre, d'être particulièrement
soulignés.
Bien différents, quant à l'interprétation, sont les signes d'aspect myo-
0. CR01 Z0 S
pathique que nous avons noies. La prédominance des troubles moteurs
et de l'atrophie musculaire au niveau de la ceinture dorso-scapulaire et
même, dans deux de nos observations, au niveau de la ceinture iliaque,
l'ébauche «le réaction myotonique révélée par l'électrodiagnostic rap-
prochent évidemment nos observations de certains cas de myopathie.
Mais le mode de début, l'évolution, l'existence surtout d'autres symp-
tômes de caractère central ou au contraire neurotique, séparent net-
tement ees faits de la myopathie et ne permettent pas de les faire ren-
trer dans ce cadre nosologique. Il est d'autant plus intéressant de
constater l'existence de quelques caractères communs à nos observa-
tions et à la myopathie familiale.
Enfin, l'atrophie des membres inférieurs, l'abolition des réflexes ten-
dineux, le caractère névritique des réactions électriques donnent bien
l'impression d'une localisation myélopathique ou polynévritique. Le
tableau clinique est si différent dans les deux affections que nous ne
discuterons pas le diagnostic avec l'amyotrophie Charcot-Marie où la
localisation des troubles se fait exclusivement au niveau des extrémi-
tés. Enfin la conservation des mouvements, en dépit de l'amyotrophie,
s'oppose, dans le type Charcot-Marie, à l'impotence absolue que nous
constatons chez notre première malade (Hélène).
L'absence d'hypertrophie des troncs nerveux, de déviation verté-
brale et de troubles sensitifs, permet d'éliminer le diagnostic de
névrite hypertrophique familiale.
Nous ferons observer que les troubles des membres inférieurs d'allure
polynévritique ne peuvent être uniquement imputés à la station cou-
chée. Cette hypothèse pourrait être invoquée seulement chez Hélène
qui est grabataire. Mais ces troubles moteurs existent au niveau de la
racine du membre aussi bien qu'à ses extrémités distales ; ils ont été
d'emblée très accentués, et surtout des troubles de même ordre, vérifiés
par l'examen électrique, ont déjà l'ait une apparition très nette chez Sara h
et chez Anna, alors que ces deux derniers malades mènent encore
une vie normale.
L'absence de signe de Babinski dans les deux cas OÙ la réponse du
gros orteil peut se faire, les caractères des réactions électriques, la topo-
graphie surtout des troubles moteurs et de l'amyotrophie au niveau
de la ceinture dorso-scapulaire, l'absence de déviation vertébrale.
l'absence de nystagmus, séparent nettement ces Faits de là maladie de
Friedreich et de l'hérédo-ataxie cérébelleuse classique.
Il est évident que les troubles d'origine centrale et d'aspect myopa-
thique séparent avec non moins de rigueur ces mêmes observations
MALADIES FAMILIALES ATYPIQUES 363
du cadre des affections simplement myélopathiques ou polynévri-
tiques.
On ne peut donc faire aucune superposition des cas que nous rappor-
tons aux maladies classiques dont nous avons rappelé tout à l'heure
les principaux caractères; il nous semble s'agir là, d'une façon indis-
cutable, d'une maladie familiale amyotrophique nouvelle, en ce sens
qu'elle emprunte à des types nosologiques très divers les principaux
éléments de sa propre séméiologie. L'affection présentée par ces trois
soeurs est donc une maladie familiale atypique du système nerveux.
Enumération des maladies familiales atypiques.
Nous avons recherché dans la littérature s'il existait des maladies
familiales susceptibles d'être comparées à celles que nous vous présen-
tons aujourd'hui et nous avons constaté qu'il existait un nombre assez
considérable d'affections qui sont considérées comme des formes de
transition entre les diverses variétés myopathiques, spasmodiques ou
ataxiques des maladies familiales héréditaires, c'est-à-dire des formes
associées ou combinées des différents types cliniques, ou enfin qu'il
existe des formes familiales absolument atypiques.
Tout d'abord, Jendrassik, dans un article extrêmement documenté
du Traité de Lewandowski, a rassemblé 24 exemples de formes de
transition ne rentrant pas dans les cadres cliniques, et ces 24 formes
de transition répondent environ à 40 cas :
1° Paralysie spinale spastique avec troubles de la vue : Jendrassik, cas 2 el 3 de la
première publication.
2° Paratysie spinale spastique avec troubles de la parole, faiblesse des muscles des
yeux. n}Tstagmus : cas de Dreschfeld, Peliza-us, Hodemaker, Bernhardt, famille 2 de
la première publication de Jendrassik, Kollarits.
3° Paralysie spinale spastique avec tremblement et atrophie des nerfs optiques :
Freud.
4" Paralysie spinale spastique avec idiotie : Homen, Bouchard, Pribram.
5° Paralysie spinale spastique avec incoordination: Menzel, Nonne, Haushalter (dans
le cas de ce dernier, il y avait idiotie et atrophie des nerfs optiques ; cas premier de
la deuxième publication de Jendrassik.
6° Myoclonie et atrophie optique : Unverrichl.
7° Maladie de Friedreich et idiotie : Pritzsche.
8° Maladie de Friedreich avec dysirophie : famille 15 de la troisième publication de
Jendrassik examen auatomique de Kollarits .
Cette combinaison est aussi discutée anatomiquement dans le cas de Baûmlein.
9° Héi-édo-ataxie spino-cérébelleuse avec dystrophie (examen anatomique de Bing).
10° Atrophie musculaire neurotique avec idiotie, amaurose, troubles bulbaires : Ber-
lolotli.
11 Paralysie spinale spastique avec dysirophie musculaire, nystagmus et tremble-
ment : famille 2 de la troisième publication de Jendrassik (examen anatomique de
;.,i 0. CR01 /<> \
Kollarils] ; cas cliniques plus anciens de Maas, Seeligmulier, Hoffmann (le dernier
avec imbécillité^.
12° Dystrophie avec pseudo-nyslagmus : famille G de la troisième publication de
Jendrassik.
13° Dystrophie avec hypertonie, tremblement, troubles de la parole et faiblesse de la
vision : famille 7 de la troisième publication de JendrassiU.
14° Paralysie oculaire avec perte des réflexes rotuliens : famille 7 de la troisième
publication de Jendrassîk.
15' N'ystagmus, tremblement intentionnel» ataxie cérébelleuse, phénomènes spas-
tiques, contracture, artériosclérose : 3 observations de Kollarits.
16° NystagtnUS, ataxie, bradylalie, paralysie spastique des extrémités inférieures :
Merzbacber.
17° Atrophie optique, paralysie oculaire, perte des réflexes oculaires : 14 observa-
tions de Kollarits.
18° Microcéphalie, Iroubles de l'intelligence, scoliose, perte des réflexes oculaires avec
Babinski, dystrophie des muscles el des os : 3 familles par Kollarits, 1" publication.
19° Imbécillité, achondroplasie, scoliose : Kollarits, 2e publication.
20' Paralysie périodique familiale avec dystrophie : Bernhardt.
21° Maladie de Friedreich avec chorée de Huntington : Kollarits.
22" Dystrophie, idiotie, paralysie des muscles des yeux, atrophie optique : Bac.
23° Idiotie, atrophie optique, phénomènes spastiques. épilepsie : Pesker.
24° Atrophie cérébelleuse familiale : Bourneville et Crouzon, décrite d'autre part
par Sterzner.
Soit 40 cas réunis par Jendrassik.
D'autre part, Rheins {Journal ofnervous and mental diseuses, 1916), à
côté de la paraplégie spasmodique familiale pure, décrit six groupes de
paraplégies familiales associées : 1° à des troubles mentaux ; 2° à des
troubles cérébelleux ; 3° à des troubles bulbaires ; 4° à des atrophies
musculaires ; 5° à des signes de sclérose en plaques ; 6° à des troubles
des membres supérieurs.
En outre, il existe vin certain nombre de cas épars de maladies
familiales combinées ou associées ou atypiques dont voici rénumé-
ration :
Myotonie progressive avec myoclonie familiale de Purves-Stewart.
Paraplégie ataxique amaurotiquc familiale de Purves-Stewart (Review
ofNeurology and Psychiatry, 1912).
Dysgénésie pyramido-cérébelleuse familiale de Paulian (Revue neuro-
logique, 1919).
Affection bulbo-spinale spasmodique familiale (Ballet et Rose, Société
de Neurologie, 2 mars 1905).
Paralysie glosso-phurynyée progressive familiale avec ptosis (Ta\lor,
Journal of nervous and mental diseases).
Paralysie bulbaire progressive infantile cl familiale (Charcot, Brissaml,
Pierre Marie et Londe).
Paraplégie familiale transitoire (Lenoble).
MALADIES FAMILIALES ATYPIQUES 365
Sclérose diffuse infantile familiale (Knud-Krabbe, de Copenhague ;
Rheins, juin 1916).
Enfin M. Bouttier et moi nous avons étudié dans ees derniers temps
une curieuse affection familiale caractérisée par une rigidité spasmo-
dique d'apparence striée ou sous-striée, accompagnée de signe de Ba-
binski, qui succomba avant que nous puissions la présenter à la Société
de Neurologie et chez laquelle nous trouvons à l'heure actuelle des lé-
sions singulières dont l'étude sera particulièrement intéressante quand
elle sera plus avancée. C'est vous dire que les recherches de tous les
jours peuvent amener à trouver des maladies familiales nouvelles.
Si nous revenons maintenant à l'affection familiale dont je vous ai
présenté trois exemples chez les trois sœurs, trouvons-nous dans les
exemples de maladies familiales atypiques mentionnés, des cas qui
puissent lui être comparés ?
Nous n'avons trouvé que peu de cas qui puissent se rapprocher dans
une certaine mesure de cette famille que nous venons de décrire. Dans
les cas rassemblés par Jendrassik, il existe un cas de maladie de Frie-
dreich avec symptômes myopathiques, étudié anatomiquement par
Kollarits. Cette association de symptômes se retrouve encore dans le
cas étudié anatomiquement par Baùmlein. Il existe aussi un cas d'hé-
rédo-ataxie cérébelleuse avec signes myopathiques, étudié anatomi-
quement par Bing. Enfin, nous trouvons aussi dans le tableau de Jen-
drassik un cas, qui lui est personnel, de myopathie avec hypertonie,
tremblement, troubles de la parole, faiblesse de la vue. Nous ne pouvons
pas dire cependant qu'il y ait analogie entre ce cas et ceux que nous
venons de vous exposer.
Signification nosologique des maladies familiales atypi-
ques. — Comment devons-nous comprendre, du reste, cet immense
groupe de maladies familiales atypiques que Jendrassik considère
comme des formes de transition ? Suivant une opinion formulée par
Raymond, on peut admettre qu'il existe des formes variables, frustes
ou hybrides des diverses maladies familiales, formes qui sont intermé-
diaires entre les affections familiales myopathiques et les affections
myélopathiques. Raymond a dit, à ce propos, que le fossé était comblé,
qu'il y avait un trait de jonction entre les affections myopathiques et
les affections myélopathiques, et il soutenait, en particulier, que l'amyo-
trophie Werdnig-Hoffmann servait de transition entre les deux types.
Raymond, se basant aussi sur l'interprétation de certaines observa-
o. CROl ZO \
lions (Lenoble et Aubineau, Menzel, Ferrier et Chassin, Bauer et
(i\ ), admettait également un rapport étroit entre la maladie de Frie-
dreich et l'hérédo-ataxie cérébelleuse, dette doctrine uniciste ou uni-
taire admettait aussi des intermédiaires entre la maladie de Frie-
dreich et la paraplégie familiale, et, d'une façon générale, entre les
maladies héréditaires d'origine cérébelleuse et les maladies héré-
ditaires d'origine médullaire. Tous ces cas de maladies familiales
9«* .
/ A
V
Fig. 10. — Lésions comparées de l'hérédoataxie cérébelleuse et de la maladie de Friedreich
(Foix et Trétiakoffi :
à gauche : maladie de Friedreich avec sa sclérose à droite : hérédoataxie cérébelleuse
antérolatérale gowersienne ; avec sa sclérose postérolalérale.
seraient reliés par des intermédiaires comme les anneaux d'une
même chaîne, suivant l'expression de Raymond, et suivant l'opinion
du même auteur, par un singulier retour, l'atrophie musculaire pro-
gressive de Duchenne de Boulogne, qui avait été démembrée par la
description des maladies familiales diverses, se trouvait reconstituée
sur une base nouvelle qui lui semblait inébranlable.
Une telle opinion ne nous parait pas devoir être adoptée. Kt c'est
ainsi qu'il y a lieu, à notre avis, de distinguer très nettement chaque type
nouveau de maladie familiale qui joint des caractéristiques anatomiquea
à des caractéristiques cliniques, ('/est ainsi (pie la maladie de Frie-
dreich et l'hérédo-ataxie cérébelleuse sont deux affections distinctes.
C'est là la doctrine dualiste adoptée par Brissaud et Pierre Marie,
corroborée par les recherches analomiqnes récentes de Foix et Tretia-
kolï * dont nous reproduisons les schémas si démonstratifs | ligures lt>
1. Foix et Trétiakoff, 30 juillet 1920, Soc. mid. Hép. de Paria.
MALADIES FAMILIALES ATYPIQUES
3G7
et 17), et, suivant l'opinion de Pierre Marie, nous pouvons dire que
les deux maladies sont peut-être dues à un même processus héréditaire
frappant dans le névraxe des systèmes analogues, mais distincts.
Fig. 17. — Schéma montrant les lésions comparées de l'hérédoataxie cérébelleuse (I), de la maladie
de Friedreicli (II) et de la paraplégie spasmodique familiale (III), d'après Ch. Foix et Trétiakoff.
Comment envisager alors ce groupe de maladies familiales atypiques?
Passons en revue, si vous voulez bien, le tableau ci-dessus, dans
lequel j'ai fait figurer, non seulement les cas de Jendrassik, mais aussi
les cas divers '.
Vous y verrez tout d'abord qu'il n'y a peut-être pas lieu de consi-
dérer comme des formes de transitions distinctes les vingt-quatre
groupes énumérés de Jendrassik. Il y a déjà environ six groupes qui
ont trait à des paraplégies spinales spastiques familiales qui peu-
vent être rapprochés des groupes étudiés par Rheins et énumérés aussi
plus haut. Et il nous parait excessif de faire de tous ces groupes des
maladies spéciales.
1. Pages 363, sqq.
368 0. CR01 Z0 V
Un même travail d'élimination peut être fait pour certaines autres
maladies qui figurent dans ce tableau et qui présentent d'autres carac-
tères anormaux. Certaines de ces maladies familiales atypiques pourraient
peut-être, d'autre part, être comparées entre elles même sur une hase
exclusivement clinique, pour être confondues dans un même groupe.
Toutefois il est difficile ou imprudent de faire un travail de ce genre,
avec quelque précision, à la simple lecture des observations dont certai-
nes sont déjà anciennes. Il est déjà quelquefois difficile d'obtenir un
accord entre neurologistes en présence du malade lui-même. A fortiori
peut-il subsister des divergences de vue, sans examen clinique.
D'autres cas enfin sont des maladies familiales atypiques avec un
examen anatomique comme la forme familiale infantile de sclérose fami-
liale de Knud-Krabbe. Mais les exemples n'en sont pas nombreux, et il
faut attendre la publication de nouveaux cas pour ériger une nouvelle
maladie familiale.
Comme vous le voyez donc, il y a lieu d'envisager, dans ce véritable
caput mortuum, trois groupes de maladies familiales atypiques :
1° Celles qui ne diffèrent d'un type clinique que par une particula-
rité accessoire et qui ne doivent pas être séparées des maladies typi-
ques ;
2° Celles qui sont atypiques, mais qui peuvent être comparées entre
elles au moins cliniquement et forment, si vous le voulez bien, un
groupe d'attente ;
3° Les maladies familiales atypiques possédant un substratum anato-
mique déterminé, mais dont les exemples ne sont pas encore assez
nombreux pour constituer une entité morbide définitivement classée.
Ainsi que vous pouvez le comprendre, une maladie familiale est
constituée quand elle a franchi les trois stades suivants :
1° Stade clinique : plusieurs cas similaires sont rapproches clinique-
ment les uns des autres ;
2° Stade anatomique .on a pu trouver des lésions anatomiques sem-
blables chez des malades déjà comparés cliniquement ;
3° Stade : constitution définitive de la maladie familiale : îles exemples
anatomo-cliniques répétés permettent d'en faire une entité morbide
universellement connue.
L'histoire des maladies familiales vous montrera que les maladies
familiales les plus typiques sont quelquefois sorties de ce caput mortuum
«les maladies familiales atypiques et qu'il a fallu souvent de nombreuses
années pour qu'elles puissent franchir les trois stades que je viens de
vous indiquer. Lest ainsi que Friedreich en 1861, alors professeur de
MALADIES FAMILIALES ATYPIQUES 369'
clinique à Heidelberg, a publié, au Congrès de Spire, six cas de tabès
héréditaire dans deux familles. Quinze ans se sont passés, et en 1876 il
publia cinq observations nouvelles de tabès héréditaire dont il fit alors
une maladie spéciale, caractérisée anatomiquement par une sclérose
combinée de la moelle. Mais il a fallu arriver aux leçons de Charcot en
1884, à la thèse de Brousse en 1884, pour que cette affection soit bien
identifiée sous le nom de maladie de Friedreich ; sa mise au point cli-
nique n'a été définitive qu'en 1888, dans la thèse de Soca. Il a bien fallu
23 à 27 ans pour arriver à établir ce type morbide.
Prenons maintenant la maladie de Wilson ou dégénération lenti-
culaire progressive familiale, la dernière en date. Gowers l'avait entre-
vue, en 1888, sous le nom de chorée athétoïde : et c'est en 1911 et 1912
que Wilson en a repris l'étude et en a fait une description complète, tant
au point de vue clinique qu'au point de vue anatomique. Mais il a fallu
encore plusieurs années pour que nous arrivions aujourd'hui, en 1921 >
en présence des observations répétées, à ce qu'elle soit universellement
connue sous le nom de maladie de Wilson.
Ainsi donc, cet historique, en vous montrant l'élaboration de ces
entités morbides, vous permettra de ne pas rester sur une impression
décevante devant ce groupe un peu confus des maladies familiales
atypiques, et c'est la conclusion que je vous demande de retenir de cette
leçon.
J'espère que vous ayant montré, à côté des maladies familiales typi-
ques classiques et indiscutées, un exemple de ces maladies familiales
atypiques qui sont assez répandues, comme vous le montre rémunéra-
tion que je vous en ai faite, vous ne serez pas déconcertés ni découragés
en présence de faits en apparence nouveaux.
L'étude de ces types anormaux et leur juxtaposition à des formes
atypiques déjà relatées et cataloguées dans les formes d'attente, pourra
apporter une contribution qui, dans l'avenir, enrichira sans doute le
chapitre des maladies familiales typiques, c'est-à-dire de celles qui
sont classées rigoureusement au point de vue clinique comme au point
de vue anatomique.
COXI'liH. NEUl'.OI
24
TREIZIÈME CONFÉRENCE
LE D> POULARD
Ophtalmologiste de l'Hôpital Necker et des Enfants Malades.
LES MODIFICATIONS DE LA PUPILLE
Messieurs,
Les mouvements de l'iris sont assurés par deux ordres de filets ner-
veux :
l°Des filets irido-constricteurs qui partent des noyaux du moteur
oculaire commun et viennent à l'iris par la voie du M. O. C. lui-même
en passant par le ganglion ophtalmique. (Fig. 1.)
2° Des filets irido-dilatateurs qui partent de deux centres séparés :
a) un centre bulbaire dans le noyau du trijumeau ; b) un centre spinal,
dans la moelle cervicale. Les fibres d'origine bulbaire prennent la voie
du trijumeau ; les fibres d'origine spinale suivent d'abord la voie du
sympathique cervical, mais rejoignent bientôt le ganglion de Gasser.
Réunies en ce point, les fibres des deux centres gagnent ensemble l'iris
par la voie de l'ophtalmique, branche du trijumeau.
La paralysie de l'appareil nerveux irido-constricteur produit l'irido-
dilatation (mydriase paralytique), son excitation provoque l'irido-cons-
triction (myosis spasmodique).
La paralysie de l'appareil nerveux irido-dilatateur amène l'irido-
constriction (myosis paralytique) son excitation donne l'irido-dilatation
(mydriase spasmodique).
La dilatation pupillaire peut donc être une mydriase paralytique
(M. O. C)ou une mydriase spasmodique (sympathique) ; le rétrécis-
sement pupillaire peut donc être un myosis spasmodique (M. O. C.) ;
ou un myosis paralytique (sympathique). Il est possible de distinguer
les unes des autres ces différentes formes de mydriase et de myosis, par
le seul examen de la pupille, sans qu'il soit nécessaire d'utiliser des
troubles nerveux concomitants.
Il n'est même pas utile, en pratique clinique, de distinguer toutes les
l'ul I.Mlh
formes, spastiques et paralytiques, de la mydriase. On peut laisser de
côtelés distinctions entre le myosis spasmodique et le myosis paraly-
tique, et se contenter de distinguer la mydriase paralytique, très fré-
quente et très importante au point de vue séméîologique, delà mydriase
spasmodique, beaucoup plus rare et d'une valeur séméiologique bien
moindre. Cette distinction peut être faite par la simple observation du
réflexe pupillaire.
Dans la mydriase paralytique, le réflexe constricteur est absent, à la
convergence comme à la lumière.
Dans la mydriase spasmodique le réflexe constricteur existe, à la
lumière comme à la convergence.
Avec ces notions simples, on est capable d'interpréter, correctement
et avec précision, toutes les modifications pupillaire s qu'on rencontre
dans la pratique médicale.
DILATATION PUPILLAIRE
(Mydriase).
Symptômes. — La mydriase pathologique est ordinairement unilaté-
rale, du moins dans les premiers temps de son existence. Quand elle
existe aux deux yeux, c'est, presque toujours, d'une manière inégale à
droite et à gauche. Souvent, presque toujours même, les réflexes pupil-
laires sont en même temps modifiés : disparus ou affaiblis. C'est seule-
ment dans la mydriase spasmodique, variété rare, que les réflexes de-
meurent intacts.
La pupille présente quelquefois de légères déformations, elle n'est
plus parfaitement ronde, comme à l'étal normal.
Ce sont ces signes annexes (modifications réflexes, déformations,
unilatéralité) qui permettent de reconnaître qu'une mydriase est patho-
logique.
Il faut se garder de croire que certains sujets aux pupilles dilatées,
égales et mobiles, sont toujours atteints de mydriase pathologique.
('.lie/ les sujets normaux la grandeur des pupilles est très variable.
Placés dans des conditions d'éclairage identiques, deux personnes
saines peuvent présenter les différences notables, et même considéra-
bles, dans les dimensions de leurs pupilles.
Il importe donc, avant de conclure à son origine pathologique, de
rechercher les signes habituellement annexés à la mydriase : inégalité
des pupilles, modification des réflexes, altération de la forme circulaire.
Il est rare, d'ailleurs, que la mydriase pathologique soit isolée, elle
s'accompagne souvent d'autres troubles oculo-moteurs.
LES MODIFICATIONS DE LA PUPILLE 373
Très souvent l'accommodation est prise en même temps, il y a paraly-
sie de toute la musculature intrinsèque du globe. Le M. O. C. dont
dépend l'innervation pupillaire est souvent parésié ou paralysé, en
partie ou en totalité, donnant lieu à de la diplopie, du strabisme ou du
ptosis.
La dilatation pupillaire paralytique, du fait qu'elle persiste à la lumière
vive, devient une cause d'éblouissement ; elle produit une gène plus
ou moins accentuée, mais réelle, quand il faut se tenir au grand
jour, et, surtout, quand on passe d'un lieu sombre dans un endroit
clair.
C'est là le seul trouble visuel auquel la mydriase donne lieu par
elle-même. Mais, en général, la vue est troublée par des lésions con-
comitantes dues à la paralysie de l'accommodation ou d'une des bran-
ches oculo-motrices extrinsèques.
Causes : A rencontre de ce qui a lieu pour l'accommodation, l'âge
n'exerce aucune influence sur les mouvements de la pupille ; toute
mydriase doit être considérée comme pathologique, chez les jeunes
comme chez les vieux.
La dilatation pupillaire peut résulter d'une affection du globe oculaire:
un traumatisme, un glaucome, une cécité binoculaire. Ces causes sont
faciles à retrouver, car, en ce cas, le globe oculaire présente des lésions
évidentes, le malade accuse un trouble visuel concomitant, et donne
des renseignements précis sur les circonstances dans lesquelles sur-
vinrent les lésions de l'œil.
Chacun sait que certaines substances chimiques comme l'atropine, l'ho-
matropine, la duboisine, l'hyoscyamine, la scopolamine, donnent une
dilatation pupillaire paralytique, tandis que la cocaïne produit une
mydriase spasmodique.
Le chloroforme agit sur les pupilles d'une façon différente aux diver-
ses périodes de l'anesthésie. Au début, se produit une mydriase spas-
modique avec conservation des réflexes ; plus tard la pupille se rétrécit
en myosis paralytique (paralysie sympathique) ; enfin, s'il y a danger
de mort, la pupille se dilate à nouveau, mais, cette fois, il s'agit d'une
mydriase paralytique (paralysie du M. O. C.) avec perte du réflexe
pupillaire.
Les infections générales ou intoxications susceptibles de donner une
dilatation pupillaire ne sont pas très nombreuses. La syphilis est de
beaucoup la cause la plus fréquente de mydriase paralytique. On la
rencontre souvent seule, mais elle peut, souvent aussi, s'accompagner
d'une paralysie de l'accommodation (paralysie intrinsèque totale), ou
374 l'Oit \/;h
d'une paralysie des nerfs oculo- moteurs extrinsèques. Au contraire, la
diphtérie touche l'accommodation sans atteindre l'iris, c'ést-à-dire
la pupille ; l'accommodation est prise des deux côtés en même
temps, mais les pupilles restent intactes des deux côtés et conservent
tous leurs mouvements physiologiques. Certaines intoxications alimen-
taires (botulisme) produisent des dilatations paralytiques, d'ordinaire
associées aune paralysie de l'accommodation. La mydriase paralytique
se rencontre quelquefois dans l'encéphalite épidémique ou névraxite.
Elle s'y présente avec des caractères assez particuliers. Les pupilles ne
sont cpie modérément atteintes, légèrement paralysées. On n'y voit
pas, comme dans la syphilis, une pupille large et immobile ; on ne s'a-
perçoit de la parésie que par une légère dilatation et une dimi-
nution des réflexes. D'autre part, les deux pupilles sont souvent
touchées en même temps, d'une manière égale ou inégale. Il y a une
parésie pupillaire bilatérale, analogue à la parésie bilatérale des
paupières qui produit ce ptosis incomplet si fréquent dans certaines
formes de névraxite. Ce sont là, du moins, les observations qu'on a pu
faire dans les récentes épidémies ; il est possible que ces manifestations
se montrent différentes dans d'autres épidémies. Dans la névraxite, les
modifications pupillaires, parce qu'elles sont moins fréquentes ou
moins frappantes, attirent moins l'attention que le ptosis, la diplopie,
ou même la paralysie de l'accommodation, mais elles n'en existent pas
moins.
La paralysie de l'accommodation, une paralysie ou parésie double,
se présente avec les mêmes caractères que dans la diphtérie, un peu
moins pure, cependant, car il existe souvent d'autres troubles moteurs
(diplopie, ptosis ou parésie des pupilles), et un peu moins complète que
dans la diphtérie. Il n'en est pas moins vrai (pie ce syndrome (paraly-
sie bilatérale de l'accommodation) qui ne se voyait (pie dans la diphtérie,
peut, maintenant, se trouver aussi dans la névraxite épidémicpie.
La caractéristique des paralysies de l'encéphalite épidémique. c'est
de revêtir le type bien connu des paralysies dissociées d'origine nu-
cléaire. Ainsi s'explique leur dissémination, en apparence capricieuse,
sur les diverses fonctions motrices des deux yeux. Les lésions attei-
gnent non pas les troncs nerveux, mais les noyaux et leurs fonctions
nucléaires.
Beaucoup d'affections du système nerveux sont capables d'atteindre la
pupille, h' excitation du sympathique cervical (compression) fait appa-
raître une mydriase spasmodique souvent accompagnée d'autres
symptômes d'excitation sympathique : élargissement de la lente palpe-
LES MODIFICATIONS DE LA PUPILLE 375
brale, exophtalmie, pâleur et refroidissement de la moitié correspon-
dante de la face.
La paralysie du M. O. C. produit, au contraire, une mj-driase para-
lytique. Cette mydriase peut être accompagnée de la paralysie de tout
ou partie du M. O. C (ptosis, strabisme, diplopie), mais elle peut
exister seule, localisée à la portion pupillaire du M. O. C.
Un grand nombre de maladies nerveuses systématisées, et surtout celles
qui viennent de la syphilis, comme le tabès et la paralysie générale, pré-
sentent souvent, parmi leurs manifestations, une mydriase paralytique.
Une mydriase unilatérale ou inégale, peut se voir au début ou au
cours des méningites, des abcès du cerveau, des tumeurs cérébrales.
Une mydriase spasmodique bilatérale peut être observée dans un
assez grand nombre de circonstances : dans les névroses, l'hystérie,
l'épilepsie, particulièrement au moment des accès ; dans certaines
maladies mentales aux périodes d'excitation. On la voit aussi dans
l'urémie convulsive, certains accès de d3Tspnée, dans les efforts violents
de vomissement ; dans certaines névralgies de la tète, dans l'excitation
pathologique ou expérimentale des nerfs sensitifs périphériques.
Dans la pratique, il faut suivre les règles suivantes :
La mydriase paralytique (qui n'est pas due à une aïïection du globe
ou à 1 instillation d'une substance mydriatique) permet de dire
d'une manière ferme, indiscutable, qu'il existe une lésion sérieuse du
système nerveux.
L'existence d'une mydriase paralytique nous oblige à rechercher
immédiatement d'autres signes d'une lésion organique du système ner-
veux. Habituellement, on trouvera le tabès, la paralysie générale, assez
souvent une autre lésion de l'encéphale : tumeur ou méningite. Quel-
quefois, souvent même, on ne trouve aucune affection nerveuse systé-
matisée. Cela ne diminue pas la valeur séméiologique de la mydriase
paralytique, car elle est souvent le premier symptôme d'une lésion
nerveuse qui va s'étendre et aboutir au tabès, à la paralysie générale
ou à une autre forme de syphilis cérébro-spinale.
Par suite de sa fréquence dans la syphilis, la m}rdriase paralytique ne
constitue pas seulement un signe certain de lésion nerveuse, mais encore
un signe presque certain de syphilis.
RÉTRÉCISSEMENT PUPILLAIRE
(Myosis).
Symptômes. — Le rétrécissement des pupilles comme leur dilatation
présente à l'état normal de grandes variations ; des sujets bien por-
376 POl l \l;i>
tants ont les pupilles étroites ou des pupilles larges, sans qu'on puisse
trouver à ces différences une raison pathologique valable.
Le rétrécissement pupillaire bilatéral ne permet donc pas, à lui seul,
d'affirmer avec certitude la nature pathologique du myosis.
Cependant, si le rétrécissement bilatéral est très accentué, si les pu-
pilles rétrécies ne se dilatent pas ou se dilatent à peine dans l'ombre, on
rsl en droit de considérer le myosis comme pathologique.
Très souvent, le myosis n'est pas isolé; il présente certaines particu-
larités surajoutées ou quelques symptômes associés qui dénotent sa
nature pathologique.
Il peut être unilatéral ou inégal, c'est-à-dire plus accentué d'un côté
que de l'autre, donnant ainsi une inégalité pupillaire.
Le myosis d'un côté peut être associé à une mydriase de l'autre œil ;
il en résulte encore une inégalité pupillaire marquée.
Enfin, il est fréquent de constater en même temps des troubles
réflexe de la pupille, par exemple, la perte du réflexe à la lumière
| signe d'Argyll-Robertson).
D'une manière générale, quand le myosis est pathologique, le jeu des
réflexes de la pupille est nul ou très faible. La pupille, petite àla lumière
vive, reste petite dans l'ombre ou dans l'obscurité. Cette fixité de la
pupille, qui reste en myosis aux divers éclairages, démontre la nature
pathologique du rétrécissement pupillaire.
Le myosis est quelquefois si accentué que les pupilles sont comme
un petit point noir (punctiformes) ; malgré cela, le trouble visuel qui
en résulte n'est guère appréciable. Il est certain que la lumière pénètre
moins facilement dans l'œil et que les objets extérieurs paraissent
moins lumineux, mais, d'une manière générale, les malades ne se plai-
gnent pas.
Causes. — Quelques affections duglobe oculaire, Yiv'itis, lessynéchies ou
adhérences de l'iris à la faceantérieurc du cristallin peuvent mettre la
pupille en rétrécissement ou l'y maintenir (synéchies). Mais, il est tou-
jours facile de voir l'iritis et les adhérences iriennes sur le pourtour
pupillaire (fig. 2).
L'instillation dans l'œil de certaines substances chimiques, comme la
pilocarpine et l'ésérine, donnent un rétrécissement pupillaire ; d'autres
substances, introduites dans L'organisme, comme la nicotine et l'opium,
produisent aussi du myosis.
Dans le sommeil chloroformique, de même que dans le sommeil nor-
mal, les pupilles sont rétrécies.
Au cours ou à la suite de certaines infections on intoxications gêné-
LES MODIFICATIONS DE LA PUPILLE
377
raies, il peut se produire un myosis bilatéral. Cela se voit dans l'urémie,
l'intoxication par le tabac ou l'opium.
La syphilis peut aussi donner un myosis ; c'est ce qu'avait constaté
A ,oq
w- —
\
. Voies constrictives
"""" * "*~ Voies irido-dilatatrices
— " *"" * Voies vaso-motrices
Fig. 1. — Schéma pour expliquer le mécanisme des mouvements pupillaires : A, pédoncules céré-
braux ; C, protubérance ; B, bulb» : M, moelle ; GS, ganglion sympathique cervical ; GG, ganglion
de Gasser et origine des trois branches du trijumeau ; S, branche ophtalmique du trijumeau ; M,
moteur oculaire commun ; V, carotide ; GO, glanglion ophtalmique ; I, iris, avec, c, le constricteur
et, d, le dilatateur.
Argyll-Robertson, dont le signe est constitué par des pupilles rétrécies
ne réagissant pas à la lumière, tandis qu'elles restent mobiles dans
l'acte de l'accommodation.
Dans un grand nombre d'affections du système nerveux, on observe
du myosis.
Le syndrome classique de la paralysie du sympathique cervical est
caractérisé par un myosis paralytique, souvent accompagné de rétré-
cissement de la fente palpébrale, d'énopbialmie modérée, et de con-.
gestion de la moitié correspondante de la face.
La syphilis cérébro-spinale sous ses formes diverses (tabès, para-
lysie générale, etc.), est, parmi les maladies nerveuses, la cause la plus
fréquente du myosis.
INÉGALITÉ PUPILLAIRE
L'inégalité pupillaire, facile à constater quand elle est accentuée, peut
passer inaperçue si elle est peu accusée, et si on n'a pas soin d'examiner
les pupilles dans des conditions d'éclairage différentes (lumière du
jour, lumière artificielle, chambre noire).
Quand les pupilles sont immobilisées en mydriase ou en myosis, ces
examens à divers éclairages n'ont pas d'utilité. Mais, si les deux pu-
pilles réagissent à la lumière, si l'une d'elles réagit tandis que l'autre
reste immobile, ou encore, si, mobiles l'une et l'autre, elles réagissent
inégalement, la différence entre les deux pupilles, imperceptible à un
378 POl l IRD
éclairage donné, peut devenir appréciable à un éclairage moindre ou
plus grand.
Supposons, par exemple, (pie nous examinions un malade ayant
l'œil droit sain et l'œil gauche en mydriase moyenne et fixe. A une
lumière faible la pupille droite moyennement dilatée devient égale à la
gauche ; à un vif éclairage elle sera plus petite et donnera une inégalité
pupillaire évidente ; à un éclairage nul, à l'ombre de la chambre noire,
elle sera plus grande, d'où une nouvelle inégalité pupillaire en sens
inverse de l'inégalité produite à la lumière vive.
Les causes de l'inégalité pupillaire sont les mêmes que celles de la
mydriase et du myosis lorsque la mydriase et lemyosis se montrent sur
un seul œil ou sur les deux inégalement.
Il y a longtemps qu'on a eu l'idée d'explorer, comparativement, la
motilité des pupilles en instillant dans les deux yeux un mydriatique ou
un myotique. C'est une idée ingénieuse, une méthode qui, perfectionnée,
servira, peut-être, un jour. Mais, pour le moment, il convient de ne
l'utiliser qu'avec réserve. J'ai, moi-même, il y a longtemps, cherché à
tirer parti de ce procédé d'exploration. Mais j'ai dû l'abandonner
parce que, sur les sujets normaux, on obtenait des dilatations inégales
en rapidité comme en dimension.
Il en sera sans doute autrement le jour où on pourra doser exacte-
ment la substance chimique instillée dans les yeux et en assurer l'ab-
sorption simultanée des deux côtés.
IMMOBILITÉ PUPILLAIRE
(Fixité, rigidité des pupilles.)
On rencontre des pupilles complètement immobilisées à des degrés
variables de dilatation, plus souvent dans un état de dilatation
moyenne. La pupille s'est pour ainsi dire fixée, figée, dans cette posi-
tion d'inertie. Aucun mouvement ne se produit sous l'influence de la
lumière ou de l'accommodation, ni constriction ni dilatation. Ces pu-
pilles sont souvent déformées ; le bord pupillaire n'est plus parfai-
tement circulaire, il est un peu ovalaire ou polycyclique, sans pointes
aiguës comme dans les synéehies de l'iritis. Ces déformations de la
pupille viennent d'altérations dans la structure de l'iris.
Cette immobilité pupillaire se distingue de la mydriase paralytique.
Celle-ci résulte d'une paralysie du sphincter de l'iris; la pupille est
bien immobile à toutes les excitations, mais elle l'est du seul fait de la
paralysie sphinctérienne, l'iris n'est le siège d'aucune altération de
structure, il est intact ; et, si le filet nerveu\ irido-moteur se régé-
LES MODIFICATIONS DE LA PUPILLE
379
nère, la motilité pupillaire revient, complète. D'ailleurs, on ne voit
jamais, dans la simple paralysie, la déformation pupillaire qui est habi-
tuelle dans l'immobilisation pupillaire.
L'immobilisation pupillaire s'accompagne donc d'altérations de la
substance même de l'iris ; et l'on comprend que la fixité, la rigidité qui
en résultent soient définitives puisqu'elles proviennent d'un change-
ment dans la structure même de l'iris.
Je n'ai pas besoin de faire remarquer la grande différence qui existe
entre le signe d'Argyll-Robertson et l'immobilisation pupillaire.
L'iris qui présente le signe d'Argyll-Robertson a conservé sa sou-
plesse et son élasticité, puis-
qu'il se contracte quand l'œil
regarde de près, et se dilate
quand l'œil regarde au loin. Il
estintactdansle signe d'Argyll-
Robertson, tandis qu'il présente
des lésions indéniables dans
l'immobilisation pupillaire ; le
signe d'Argyll-Robertson est
un trouble purement nerveux
siégeant sur l'arc réflexe photo-
moteur. C'est donc une erreur
de dire qu'un œil présente le
Signe d'Argyll-RobertSOn quand Fig. 2. - /Hn'.s- (photographie). La pupille est irré-
i .ii i -i. , . gulière, déformée, mal limitée sur les bords. L œil est
la pupille, immobilisée, ne rea- d'ailleurs rouge, enflammé. On voit autour de la
tfît ni ô In lmniprp ni -i l'nr- cornée un anneau de vascularisation perikératique,
glt, ni a la lUllliere, ni a I ac ainsi que des vaisseaux nombreux cheminant sur la
COmmodation surface blanche du globe oculaire.
Valeur séméiologique. — Une
immobilisation pupillaire complète d'ailleurs différente de celle que je
viens de décrire, peut se rencontrer dans certaines affections du globe
oculaire.
Le glaucome, à une période avancée de son évolution, donne une dila-
tation pupillaire avec perte de tous les mouvements de l'iris ; souvent
même, il existe une déformation du bord pupillaire qui devient régu-
lièrement circulaire ; de plus, on note d'ordinaire, en même temps, un
changement d'aspect de l'iris qui témoigne d'une altération dans sa
structure. Il existe toujours, en ce cas, des signes de glaucome évidents,
même pour le médecin non spécialisé.
Dans Viritis (fig. 2), le bord pupillaire peut présenter dans toute ou
presque toute son étendue, des adhérences au cristallin ; la pupille se
380
POl I Mil'
trouve ainsi fixée, incapable de se rétracter ou de se dilater. Mais, en ce
cas, des signes particuliers permettent de reconnaître Facilement que
l'iris est simplement retenu par des adhérences inllammatoires.il existe
ou il a existé peu de temps auparavant une inflammation du globe ; les
adhérences du bord pùpillaire se voient à la simple inspection ; fré-
quemment, le champ pùpillaire est le siège de petites taches, exsudats
de l'iris D'ailleurs, il est souvent facile de constater que l'iris n'a pas
perdu sa mobilité ; si on fait l'éclairage de l'œil, le bord pùpillaire
adhérent reste bien immobile, mais l'iris bouge, on voit à sa surface
apparaître des contractions fibrillaires au moment où la lumière frappe
l'œil. Enfin, si on soumet l'œil
à l'épreuve de l'atropine, on
voit, dans l'immobilisation d'o-
rigine nerveuse, la pupille se
dilater, tandis qu'elle reste
étroite dans l'adhérence par
iritis. Si elle se dilate dans
l'iritis, c'est d'une façon irrégu-
lière et seulement dans les en-
droits où le bord de l'iris n'est
pas attaché au cristallin ; la
pupille prend alors un aspect
_. _ _, , irrégulier avec des pointes ren-
r'8- o — Mydriase traumatique (photographiée La .
pupille est dilatée et on perçoit sur le bord pùpillaire trailtcS aillUVeaudeS SVlléehieS
de petites encoches qui sont des ruptures de l'iris. /(. ., ,
(fig- !)•
Une immobilisation pùpil-
laire peut encore se produire à la suite de contusions violentes du globe
amenant une rupture du sphincter (mydriase traumatique) ; mais, en
ce cas, outre les commémoratifs de traumatisme, il existe d'ordinaire
de petites encoches ou incisures sur le bord pùpillaire, marque de
rupture (fig. 3).
Il suffit d'être prévenu de ces immobilisations pupillaires dans cer-
taines affections du globe oculaire pour les distinguer facilement des
immobilisations pupillaires d'origine nerveuse qui sont indépen-
dantes de toute affection du globe oculaire lui même.
Une immobilisation pùpillaire d'origine nerveuse signifie qu'il existe,
à coup sûr, une lésion organique (\i\ système nerveux ; je crois même
qu'on peut ajouter : une lésion nerveuse d'origine syphilitique. Elle a
une valeur égale au signe d'Argyll-Kobertson pour diagnostiquer une
lésion nerveuse et sa nature spécifique. Il est rare d'ailleurs qu'elle
LES MODIFICATIONS DE LA PUPILLE
381
existe à l'état isolé ; presque toujours on retrouve facilement d'autres
signes de syphilis cérébro-spinale (abolition ou exagération des ré-
flexes, signe de Romberg, douleurs fulgurantes déjà passées, troubles
mentaux).
DÉFORMATION PUPILLAIRE
La déformation pupillaire est un signe assez fréquent de lésion ner-
veuse de l'œil ; elle présente d'ailleurs des caractères assez particu-
liers.
Elle accompagne presque toujours l'immobilisation pupillaire. La
Fig. 4.
Colabome congénital de l'iris (photographie). La pupille en forme de poire conserve
sa mobilité normale.
pupille, plus ou moins dilatée, d'ordinaire en dilatation moyenne, est
inerte, sans réaction aucune, pas plus à la lumière qu'à l'accommoda-
tion ; elle prend une forme ovaïaire, ou polycyclique, mais ne présente
jamais de pointes ou d'angles rentrants aigus comme on en voit dans
les déformations pupillaires à la suite d'iritis ; la courbe qui borde ht
pupille présente bien quelques ondulations, mais toujours peu accen-
tuées et très douces.
roi i. Min
Cette déformation de la pupille, jointe à son immobilisation (absence
de réflexe), est un signe de lésion nerveuse syphilitique, elle s'accom-
Fig 5. — Leucome adhèrent (photographie) L'œil a été perfora dans le point où l'on voit une
tache blanche (cicatrice), un leucome. L'humeur aqueuse s'est échappée entraînant l'iris dont le
bord est venu adhérera l'orilice de perforation. De là une déformation particulière de la pupille.
pagne presque toujours de troubles plus ou moins accentués dans le
reste du système nerveux.
Des déformations pupillaires se rencontrent dans plusieurs affections
du globe oculaire, mais, le plus souvent, la motilité pupillaire est con-
Fig 6. Désinsertion </<• l'irip ou irldoiialgse (photographie). A la suite d'une contusion du g'obe
oculaire I iris s'est déùnséré à s:i périphérie Dans la partie correspondante « celte dés nserlion, le
bord pupillaire a glissé vers le centre île la pupille, donnant ainsi une déformation tiesp.uti
culière de la pupille.
LES MODIFICATIONS DE LA PUPILLE 383
servée (déformations congénitales, fig. 4; enclavements de l'iris, fig. 5 ;
synéehies à la suite d'iritis, fig. 2 ; glaucome ; traumatismes, fig. 3 et
fig. 6). Cependant, dans certains glaucomes anciens, la pupille peut être
complètement immobile ; il en est de même dans quelques iritis avec
adhérence complète du bord pupillaire au cristallin ; enfin, de fortes
contusions du globe, en rompant le sphyncter irien, et en désinsérant
l'iris sur un point de son pourtour (iridodialyse), peuvent donner une
déformation avec immobilisation complète de la pupille Mais, toutes
ces déformations à la suite d'affections du globe oculaire peuvent être fa-
cilement reconnues et diagnostiquées. (V. Immobilisation pupillaire )
TROUBLES RÉFLEXES DE LA PUPILLE
Les pupilles normales sont en mouvement continuel ; leurs dimen-
sions varient d'un instant à l'autre, elles se dilatent et se contractent
alternativement sous des influences diverses : la lumière, l'obscurité,
l'accommodation, la convergence, une sensation cutanée agréable ou
pénible, une émotion, une pensée.
Tous ces mouvements se font sans l'intervention de la volonté, par le
mécanisme inconscient du réflexe.
Le jeu normal de ces réflexes est souvent altéré sous des influences
pathologiques variées, et, particulièrement, dans un grand nombre de
maladies touchant le S37stème nerveux. On conçoit toute l'importance
séméiologique de ces modifications dans les mouvements pupillaires,
non seulement à cause de leur fréquence, mais encore en raison de
leur précision et de la facilité avec laquelle on peut les mettre .en évi-
dence. Parmi ces réflexes, il en est dont la valeur séméiologique est
moindre ; je les laisse de côté, pour limiter mon sujet à l'étude du
réflexe à la lumière et du réflexe à l'accommodation.
Réflexe à la lumière. •
Chaque fois que la lumière est projetée dans 1 œil normal, la pupille
se rétrécît ; elle se dilate à nouveau quand l'éclairage de l'œil cesse
et que l'œil se retrouve dans l'ombre. C'est là le réflexe à la lumière. Il
se produit en même temps dans les deux yeux, même si la lumière
n'atteint qu'un seul œil ; c'est ce qu'on exprime en disant que le réflexe
est consensuel.
Signification. — La perte du réflexe lumineux est, presque toujours, la
conséquence d'une lésion du système nerveux. Toutefois, ainsi que nous
t'avons vu à propos de la mydriaseet du myosis, on peut observer la
perte du réflexe lumineux dans certaines affections du globe oculaire
184
POl I.AHl)
même, quand l'iris est altéré directeme nt (iritis, glaucome etc.) ou par
suite de [action de certaines substances chimiques, comme l'atropine qui
met la pupille en my-
driase paralytique. Les
lésions nerveuses qui
modifient le réflexe
lumineux siègent en
un point variable de
l'are réflexe lumineux,
dont la voie centripète
est formée par la ré-
tine, le nerf optique,
le chiasma et les ban-
delettes, le centre ré-
flexe par les noyaux
du mésocéphale, et la
voie centrifuge par le
M.O. C. (Fig. 7.)
L'étude du réflexe à
la lumière, en se ba-
sant sur ces notions
anatomiques et phy-
siologiques, nous four-
nit des renseignements
précis pour localiser
les lésions cérébrales.
Si, par exemple, il
existe une cécité com-
plète, avec persistance
des réflexes pupillaires
à la lumière, on doit
admettre que la cécité
vient d'une lésion des
voies optiques en ar-
rière de lare réflexe.
au delà des noyaux
réflexes du mésocé-
rig. 7. — Schéma des voies optiques et de lare réflexe. N. nerf
optique; R, noyaux réflexes du mésocéphale ; GO, ganglion ophtnl- pltalc, Cil t l'C CCUX-C1 et
inique. En trait plein : voies optiques de gauche. 1, 2, :>, l. Fibres ., i î
d'association entre les noyaux réflexes et les noyaux d'origine des I eCOrCe Cérébrale.
nerfs oculo moteurs. 5 et G, Fibres oculo-motricei , i, iiis ; . . ■
c, corps ciliaire. Quand, au contraire,
LES MODIFICATIONS DE LA PUPILLE 385-
l'aveugle n'a plus de réflexes, on en conclut que la lésion siège sur l'arc
réflexe, sur la portion centripète de cet arc (rétine, nerf optique,
chiasma, bandelettes).
On conçoit que l'examen des réflexes puisse encore permettre de
distinguer une cécité réelle par lésion organique des voies optiques
pré-mésencéphaliques, d'une cécité simulée ou d'une amaurose hysté-
rique.
Les réflexes pupillaires manquent dans la cécité par lésion des voies
optiques en avant des noyaux réflexes du mésocéphale (rétine, nerf
optique, chiasma, bandelettes). Les réflexes pupillaires persistent dans
la cécité par lésion des voies optiques en arrière du mésocéphale
(cécité corticale), affection assez rare, venant d'une double hémianop-
sie ; ils persistent encore dans la cécité simulée et dans l'amaurose
hystérique.
On peut, cependant, sans qu'il existe aucune lésion apparente de la
voie optique centripète (nerfs optiques) ou centrifuge (M. O. C), cons-
tater l'absence isolée du réflexe à la lumière, sans que l'iris cesse de se
contracter normalement pour toute autre excitation (convergence, accom-
modation, irritation cutanée). La voie centripète est intacte, puisque le
sujet voit normalement ; la voie centrifuge paraît l'êtreaussi, puisque la
pupille, toujours mobile, se contracte pour toute excitation autre que
l'excitation lumineuse.
On a donné de ce fait des explications théoriques sans grande valeur
réelle. Mais, quoique encore inexpliquée, cette perte, isolée et exclu-
sive, du réflexe à la lumière, constitue un signe classique important
décrit sous le nom d'Argyll-Robertson.
Signe d'Argyll-Robertson. — Malgré ses caractères précis, il ne semble
pas que tous les médecins aient une notion exacte du signe d'Argyll-
Robertson. Il n'est donc pas inutile de le définir une ibis de
plus.
Le symptôme décrit par Argyll-Robertson était caractérisé par une
pupille en myosis, mobile à 1 accommodation et immobile à la lumière.
Le myosis faisait partie du syndrome. Avec raison, ce syndrome a été
étendu à tous les cas où, sans myosis. la pupille, mobile à l'accommo-
dation, reste immobile à la lumière. Le signe d'Argyll-Robertson ainsi
amplifié, serait donc constitué par la perte du réflexe pupillaire à la
lumière, tandis que le réflexe à l'accommodation est intégralement con-
servé
Dans le signe d'Argyll-Robertson, la pupille n'est donc point para-
lysée, l'iris conserve toute sa souplesse et toute sa mobilité, il réagit
CONFÉn. NEUUOL. 2j
186 POULARD
(l'une manière normale à l'accommodation et aux autres excitations
réflexes ; seule, la lumière laisse la pupille indifférente.
Dans la mydriase paralytique, et dans l'immobilisation pupillaire, la
pupille ne réagit pas à la lumière, mais elle ne réagit pas non plus à
l'accommodation, elle ne bouge sous aucune influence; ce n'est donc
pas un signe d'Argyll-Robertson.
Beaucoup d'erreurs dans les discussions et dans l'interprétation des
observations viennent de ce que le signe d'Argyll-Robertson est mal
compris ou mal observé. (L'est au point (pie, lorsqu'une observation
signale le signe d'Argyll-Robertson on est obligé de se demander ce
cpie l'observateur entend par ce signe ; quand un auteur rapporte un
cas de guérison du signe d'Argyll, il convient de rester dans le doute,
et de se demander si l'observateur a bien constaté ce signe dans son
premier examen. Je suis d'ailleurs fortement porté à croire qu'il n'existe
aucun cas de guérison du signe d'Argyll-Robertson, et que les cas rap-
portés sont des erreurs d'observation.
Quoi qu il en soit, le signe d'Argyll présente une valeur séméiolo-
gique considérable, il est une des manifestations les plus précises du
tabès, de la paralysie générale, et autres formes de syphilis cérébro-
spinale. C'est un signe de syphilis nerveuse.
Je n'ai jamais rencontré ce signe en dehors de la syphilis nerveuse,
mais il n'est pas impossible que d'autres maladies nerveuses puissent le
produire. Si le signe d'Argyll se présente en dehors de la syphilis
nerveuse, il doit subir un double contrôle :1e premier consiste à préci-
ser les caractères du signe constaté, à ne pas se contenter dédire « Signe
d'Argyll » ; le second consiste à éliminer entièrement la syphilis par
des moyens plus valables que les réactions actuelles du sang ou du
liquide céphalo-rachidien. Sans ces deux garanties on ne peut tenir
compte de l'observation.
Réflexe à la vision proche.
(Réflexe à l'accommodation.)
Chaque fois que les yeux passent de la vision lointaine à la vision
proche, les pupilles se contractent ; l'inverse se produit quand le regard
passe de la vision proche à la vision lointaine : la pupille se dilate.
On donne encore à ce réflexe le nom de réflexe à l'accommo-
dation OU réflexe à la convergence. Pour le mettre en évidence,
on demande d'abord au malade de regarder au loin, puis on l'in-
vite à porter rapidement son regard sur un objet rapproché (30 ou
10 cm.), par exemple le ne/. OU le menton de l'obseï \ atcur. On voit alors
LES MODIFICATIONS DE LA PUPILLE 387
les pupilles se rétrécir ; elles se dilatent à nouveau quand les yeux ces-
sent de fixer le nez de l'observateur pour regarder au loin.
Ce réflexe fait défaut dans tous les cas de « mydriase paralytique » et
dans tous les cas « d'immobilisation pupillaire ». Il peut exister dans
certains cas où la pupille ne régit plus à la lumière. C'est cette disso-
ciation qui constitue le signe d'Argyll-Robertson.
Il est possible que le réflexe à la vision rapprochée puisse manquer
sans qu'il y ait paralysie complète de l'iris, alors que l'iris réagit
encore à la lumière, constituant une dissociation analogue au signe
d'Argyll, mais en sens inverse
Je n'en sais rien ; je n'ai jamais vu semblable manifestation, et je
ne crois pas qu'on l'ait jamais rencontrée. Mais ce que je sais
bien, c'est que ce signe que l'on donne dans les traits classiques,
comme une caractéristique de la diphtérie nerveuse, ne s'y voit
jamais.
La rectification d'une pareille erreur vaut la peine que je m'ex-
plique. Chaque fois que le regard passe de la vision lointaine à la
vision proche, les yeux convergent pour se diriger vers l'objet fixé, ils
s'accommodent pour se mettre au point sur ce même objet. Dans le pas-
sage à la vision proche, trois phénomènes se produisent en même
temps dans les yeux : la contraction des pupilles, la convergence des
yeux et l'accommodation, c'est-à-dire la mise au point de l'appareil
dioptrique de l'œil. Cette dernière fonction, l'accommodation, n'a aucun
rapport avec l'iris ; elle résulte d'une contraction du muscle ciliaire et
d'une augmentation de courbure du cristallin, ce quia pour effet de
mettre au point l'appareil dioptrique de l'œil.
Bien qu'ils se produisent en même temps dans l'acte de vision
proche, ces trois phénomènes restent indépendants les uns des autres ;
ils sont d'ailleurs produits par des organes contractiles différents et
nettement isolés les uns des autres ; la contraction des pupilles dépend
du sphincter de l'iris ; l'accommodation, du muscle ciliaire ; et la con-
vergence, des muscles adducteurs des globes. Il n'est donc pas étonnant
que ces trois fonctions puissent être atteintes séparément.
La convergence, seule, est en défaut dans un grand nombre de stra-
bismes divergents. L'accommodation est atteinte, isolément, particuliè-
rement dans la diphtérie. La contraction des pupilles cesse de se pro-
duire dans toutes les circonstances qui donnent la « mydriase paraly-
tique » « ou l'immobilisation pupillaire».
Si j'insiste sur ces faits, et, particulièrement, sur l'indépendance de
ces phénomènes, c'est pour en arriver à détruire une erreur classique,
388 POU LARD
que les traités reproduisent sur la foi les uns des autres et que les
lecteurs admettent sans discussion.
Ne dit-on pas que la diphtérie donne lieu à un symptôme qui est
l'inverse du signe d'Argyll-Robertson : dans le signe d'Argyll la pupille
ne se contracte pas à l'accommodation; dans la diphtérie, c'est l'inverse ,
la pupille se rétrécit à la lumière, mais ne se rétrécit pas à l'accommoda-
tion. C'est faux ; jamais ce signe n'a existé dans la diphtérie.
Dans la diphtérie, il se produit une paralysie de l'accommodation, par
atteinte des nerfs et des musles accommodateurs (muscles ciliaires) ;
mais l'iris est intact, il se contracte à tous les réflexes et même à celui
de la vision rapprochée, qu'on appelle encore réflexe à l'accommodation.
L'accommodation peut être complètement paralysée, le réflexe se produit
quand même ; car, ce n'est pas la mise en jeu de l'accommodation qui
déclanche la contraction pupillaire.
L'accommodation est paralysée dans la diphtérie, mais rien autre n'est
atteint autour d'elle ; l'iris est intact et tous ces mouvements se font
admirablement. Il ne saurait donc être question de la perte du réflexe
pupillaire à l'accommodation, ni à toute autre excitation d'ailleurs. Le
trouble de l'accommodation, si caractéristique dans la diphtérie, n'a
aucun rapport avec l'iris, ni aucune influence sur lui, c'est même là sa
caractéristique principale.
La diphtérie, en atteignant l'accommodation, ne produit donc pas des
troubles pupillaires qui seraient « l'inverse du signe d'Argjll-Robert-
son » ; elle donne une paralysie de l'accommodation, et cette paralysie
ne se manifeste que subjectivement, par un trouble de la vision rappro-
chée (lecture) : jamais par un changement dans les contractions pupil-
laires.
QUATORZIÈME CONFÉRENCE
PAR
Ch. foix
médecin des hôpitaux de Paris.
L'AUTOMATISME MÉDULLAIRE
Messieurs,
Je ne sais si vous vous rappelez, de vos études philosophiques, l'hypo-
thèse de ce philosophe anglais, Love, je crois, qui pensait qu'à côté
du moi conscient, il existe un moi inconscient, sorte de frère inférieur
qui accomplit ses actes dans le silence et l'obscurité.
Les philosophes sont parfois comme nos cérébelleux, ils ont un peu
de dysmétrie cérébrale, mais si leurs théories viennent alors à s'élargir
à l'infini, il est rare qu'elles ne contiennent pas au moins une part de
vérité.
Il en est ainsi de l'hypothèse qui nous occupe : à l'individualité près,
le « moi inconscient » existe, ou plutôt il existe une foule de « moi »,
inconscients ou subconscients, dont les actes automatiques se super-
posent et se marient aux actes volontaires commandés par le cerveau
conscient.
C'est ainsi que, pour ne parler que de ce que nous connaissons déjà,
il existe un automatisme médullaire dont nous analyserons aujour-
d'hui les effets, un automatisme cérébelleux, surtout lié à l'équilibre et
à la coordination des mouvements, un automatisme strio-thalamique,
ou mieux strio-thalamo-sous-thalamique, un automatisme sympa-
thique, etc.
Si nous examinons maintenant chacun de ces systèmes du point de
vue de son action sur la motilité, nous verrons que cette action se traduit
au moins par trois ordres de phénomènes :
Des mouvements réflexes proprement dits ;
Des mouvements associés syncinétiques ;
Des modifications du tonus.
Prenons comme exemple le cervelet : nous trouvons dans son fonc-
390 '.'//. F01X
tionnement moteur les mouvements réflexes proprement dits : les divers
réflexes d'équilibration par exemple ; les mouvements associés synci-
nétiques : les contractions syncinétiques qui assurent la synergie des
mouvements dans l'équilibre et la coordination ; les modifications du
iiuius qui se traduisent pathologiquement par l'hypotonie et la passivité
cérébelleuse.
Il en est de même de la moelle : elle présente ses réflexes proprement
dits, ses mouvements associés syncinétiques, les modifications du
tonus. Tout l'ensemble est en rapport avec ses grandes synergies pri-
mordiales et constitue à proprement parler l'automatisme médul-
laire.
Que cet automatisme vienne à s'exalter dans certaines conditions
pathologiques aboutissant à une libération de la moelle, et nous obser-
verons des réflexes, des syncinésies, une contracture d'automatisme
médullaire.
Ils constituent la division naturelle de cette leçon et nous les étu-
dierons successivement.
1° Réflexes d'automatisme médullaire. — Ce sont essentielle-
ment des mouvements coordonnés complexes, comportant la mise en
œuvre de groupes musculaires fonctionnellement synergiques, mais
anatomiquement distants et tendant à réaliser les mouvements pri-
mordiaux de l'automatisme médullaire.
Ces mouvements comportant non seulement la contraction de cer-
tains groupes musculaires, mais encore l'inhibition de leurs antago-
nistes. Ils sont caractéristiques de l'automatisme de la moelle, qu'il
s'agisse de réflexes, de syncinésies, de contracture. Ce sont, par exemple,
pour le membre inférieur, la synergie de raccourcissement, la syner-
gie d'allongement, la synergie d'allongement croisé.
Tenons-nous-en pour le moment aux mouvements réflexes.
Les réflexes d'automatisme, latents à l'état normal, s'exaltent et
deviennent apparents dans les états pathologiques, hémiplégiques ou
paraplégiques, qui s'accompagnent de lésions du faisceau pyramidal.
On les observe surtout au niveau des membres, et c'est aux membres
inférieurs qu'ils sont les plus fréquents et les plus marqués.
Nous retrouvons à ce niveau trois phénomènes correspondant aux
trois grandes synergies primordiales : le phénomène des raceourcis-
seurs, le phénomène des allongeurs, le réflexe d'allongement croise. Je
vais vous les démontrer successivement.
Voici un petit malade atteint de paraplégie, paraplégie grave par
L'AUTOMATISME MÉDULLAIRE 391
blessure de la moelle avec section incomplète. Chez lui les réflexes
d'automatisme sont développés à un point tel qu'ils se produisent à
propos du moindre attouchement, de l'effleurement des couvertures,
parfois spontanément. Pour s'en rendre maître, il est obligé d'attacher
ses jambes dans son lit à l'aide d'un système de bandages.
Provoquons chez lui le phénomène des raccourcisseurs par la
manœuvre que nous avons décrite avec notre maître M. Pierre Marie :
la flexion forcée passive des orteils. Vous voyez que rien n'est plus
facile et que le membre est ramené avec une grande force.
Analysons de plus près le phénomène. Il consiste essentiellement en
un mouvement synergique de triple retrait : du pied sur la jambe, de la
jambe sur la cuisse, de la cuisse sur le bassin. Le membre passe ainsi
de l'allongement au raccourcissement complet par flexion de ses trois
segments l'un sur l'autre.
Le phénomène se déclenche souvent d'un seul coup. Quand il se déve-
loppe progressivement il se propage à la façon d'une onde, commen-
çant par la flexion dorsale du pied pour se continuer par la flexion de la
jambe sur la cuisse et de la cuisse sur le bassin. Il varie quelque peu
dans sa forme, suivant le malade et suivant le point excité ; il s'accom-
pagne le plus souvent d'extension des orteils. Son aspect de triple
retrait est essentiel et caractéristique.
Le phénomène des raccourcisseurs peut être provoqué par des excita-
tions superficielles ou profondes : le pincement pour la sensibilité
superficielle, la flexion forcée passive des orteils ou la pression trans-
versale du tarse pour la sensibilité profonde. Les deux méthodes
doivent être employées, car leurs résultats ne sont pas toujours abso-
lument identiques. Nous préférons cependant les excitations portant
sur la sensibilité profonde parce que, aussi longtemps qu'on les pro-
longe, le réflexe subsiste semblable à lui-même et peut être ainsi facile-
ment distingué des mouvements volontaires de retrait.
La zone réflexogène du phénomène des raccourcisseurs s'étend
jusqu'au 1/3 supérieur de la cuisse en avant, jusqu'à la fesse en
arrière. Au-dessus on arrive dans la zone réflexogène du phénomène des
allongeurs Mais tandis qu'il est exceptionnel de provoquer dans la
zone inférieure un autre phénomène que celui des raccourcisseurs, on
peut voir celui-ci se produire pour des excitations portées beaucoup
plus haut. Il y a dans ce cas superposition des deux phénomènes dans
la même zone et une même excitation provoque tantôt l'un, tantôt
l'autre, pour des raisons difficiles à préciser.
Chez ce malade on observe généralement un phénomène des allon-
i il. FOIX
geurs 1res nel pour une excitation portant sur la partie inférieure de
l'abdomen ou la partie supérieure delà cuisse. Je reproduis ce mouve-
ment devant vous.
Vous voyez qu'il s'agit encore d'un mouvement coordonné complexe
portant sur les trois segments du membre. Il en détermine ici rallonge-
ment.
Ce phénomène des allongeurs est beaucoup moins fréquent que le
phénomène des raceourcisseurs. Il se produit souvent sans grande
force. Aussi son intérêt est-il avant tout théorique.
Il en est de même du réflexe d'allongement croisé, réflexe dont la
réalisation complète est assez rare, bien qu'il soit fréquemment esquissé,
et dont l'observation est souvent délicate.
Ce réflexe est complet et net chez ce malade. Il consiste essentielle-
ment en ceci : L'excitation d'un des membres inférieurs produit non
seulement le raccourcissement du membre excité, mais encore l'allon-
gement du membre du côté opposé. Il en résulte un mouvement asymé-
trique, mais synergique : raccourcissement du côté excité, allongement
du côté opposé, attitude du pédalage qui se retrouve dans la
marche.
Je vous ai dit que si le réflexe d'allongement croisé était assez rare-
ment complètement réalisé, on l'observait assez souvent à l'état d'é-
bauche. Il faut en effet, croyons-nous, considérer comme une esquisse
de ce phénomène les cas où l'excitation du pied d'un côté, soit par la
recherche du réflexe plantaire, soit par la flexion forcée passive des
orteils, provoque l'allongement du pied du côté opposé, ou même sim-
plement la flexion contralatérale des orteils.
Cette flexion contralatérale, en effet, ne s'observe que dans les cas
pathologiques, lorsque l'excitation directe provoque une extension. Elle
correspond donc bien à l'allongement croisé. On peut l'observer par-
fois pour des excitations éloignées delà plante portant sur la cuisse par
exemple (Guillain) ou même sur l'abdomen.
Tels sont les trois principaux réflexes d'automatisme que l'on peut
observer au membre inférieur On peut les voir se modifier quelque
peu. On peut observer des réflexes analogues au membre supérieur,
MM. Claude, Oppenheim les ont signalés les premiers. Youssave/. d'autre
part quelle est leur valeur séméiologique. Mais je désire anjourdhui
m'en tenir strictement à ce qui en eux se rapporte à l'automatisme
médullaire, et je passerai doue dès l'abord à leur signification physiolo-
gique.
Vous connaissez tous, Messieurs, l'expérience de la grenouille décapi-
L'AUTOMATISME MÉDULLAIRE 393
tée. Cette grenouille, si on la touche, elle saute comme une grenouille
normale ; si on irrite sa peau, elle porte sa patte à l'endroit irrité ; si on
la plonge dans l'eau, elle est capable de nager. Chez cet animal inférieur
l'automatisme médullaire apparaît très développé et les réflexes d'auto-
matisme permettent de reproduire la plupart des mouvements habi-
tuels.
Chez les animaux supérieurs il n'en est pas tout à fait de même, et
c'est aux travaux du physiologiste anglais Sherrington cpie nous devons
le plus grand nombre des notions que nous possédons sur la ques-
tion.
Sur l'animal ayant subi une transsection haute de la moelle, sur le
chien spinal, l'excitation de la patte ou de la cuisse provoque un mouve-
ment de triple retrait, le « flexion reflex » — ; l'excitation de l'abdomen
ou de la queue provoque un triple allongement, « l'extension reflex » — ;
en outre, une excitation appropriée provoque à la fois le raccourcisse-
mentde la patte excitée et l'allongement del'autre, c'est-à-dire le ^crossed
extension reflex ». Faisons un pas de plus. Sur l'animal convenable-
ment suspendu uneexcitation appropriée provoquera non seulement le
« crossed extension reflex », mais toute une série alternative de mouve-
ments asymétriques et bilatéraux d'allongement et de flexion. C'est le
<( mark time reflex » qui reproduit tout simplement les mouvements de
la marche.
Est-ce à dire que le chien spinal sera susceptible de marcher? Non,
car il s'effondrera par terre. Pour que la marche devienne possible, il
tant une section plus haute, une section susmésocéphalique ou mieux
sous cérébrale déterminant ce que Sherrington a appelé la rigidité décé-
rébrée. L'animal alors se tient debout (« standing reflex») et son «mark
time reflex » se trouve transformé en « stepping, walking, running
reflex », en marche, en course véritable.
Il n'en est pas moins vrai que ce qui s'observe chez l'animal spinal
est une partie de ce qui s'observe chez l'animal décérébré, que le
«mark time reflex » est essentiellement un mouvement démarche, et
que les flexion, extension, et « crossed extension reflex » sont eux-
mêmes des ébauches du « mark time reflex » et doivent être rattachés
au même mécanisme.
Ce sont donc essentiellement des réflexes d'automatisme, très ana-
logues au fond à ceux de la grenouille décapitée, et tendant à réaliser
lune des fonctions à l'exécution automatique de laquelle la moelle con-
court le plus : la marche.
Si nous rapprochons maintenant ces réflexes expérimentaux de nos
.:•'! Cil. FOIX
réflexes pathologiques, nous voyons que la flexion a reflex » est l'équi-
valent de notre phénomène des raccourcisseurs, que l'extension
« reflex » rst l'équivalent du phénomène des allongeurs, que le « erossed
extension reflex » est le réflexe d'allongement croisé.
Ainsi donc se trouve élucidée la signification de cet ensemble de
phénomènes. Ce sont les mêmes phénomènes que l'on observe chez la
grenouille et chez le chien, ils représentent l'automatisme de la moelle et
méritent bien le nom de << réflexes d'automatisme ».
On a fait à cette manière de voir deux objections principales. La
première invoque le caractère « défensif » de ces mouvements. Ce
caractère défensif peut être invoqué avec quelque apparence de raison
quand on provoque le phénomène des raccourcisseurs par l'excitation
du pied, mais comment expliquera-t-on alors que le même mouvement
puisse être provoqué par l'excitation de la cuisse? Comment expliquera-
t-on l'allongement du membre ? Comment expliquera-t-on surtout les
réflexes contralatéraux et le réflexe d'allongement croisé ?
Chez certains malades l'envie d'uriner provoque ces phénomènes ;
voilà certes une singulière défense. Un de nos malades ayant des cal-
culs de la vessie présente des mouvements alternatifs de marche quand
l'un de ces calculs s'engage dans son urèthre, etc.
Nous ne multiplierons pas les exemples à l'infini ; l'identité des phé-
nomènes observés chez l'homme et chez le chien impose l'identité de
l'interprétation. 11 est possible que l'automatisme de défense entre pour
une part dans la pathogénie de ces réflexes, mais pour la majeure part,
ils se rattachent à l'une des fonctions essentielles de la moelle, c'est-à-
dire à l'automatisme de marche.
Il existe d'ailleurs, chez l'animal tout au moins, d'autres réflexes d'au-
tomatisme ; réflexes de nage chez la grenouille, de vol chez le pigeon,
de grattage chez le chien, des réflexes d'accouplement, etc. Le terme de
réflexes d'automatisme est donc seul suffisamment eompréhensif pour
exprimer l'ensemble des phénomènes.
Cette démonstration est complétée par l'existence chez l'homme de
réflexes rythmiques tout à l'ait analogues au « mark time reflex ».
Ces réflexes rythmiques que nous avons observés et étudiés en
collaboration avec M. Strohl, de Strasbourg, qui a publié sur l'ensemble
de la question des réflexes d'automatisme une thèse extrêmement
remarquable, peuvent être obtenus soit du côté excité, soit du côté
opposé (réflexe rythmique homolatéral, réflexe rythmique contracte-
rai).
Leur cadence est sensiblement la même que celle d'un homme au
L'AUTOMATISME MÉDULLAIRE
395
pas militaire dit « cadencé » (60 doubles pas par minute) et comporte,
ainsi que le montrent les tracés ci-contre, un temps de repos égal à la
REFLEXES RYTHMIQUES.
1* Réflexe rythmique homolatéral (paraplégie par compression médullaire)
2° Rétlexe rythmique contra-latéral (diplégie cérébrale infantile) .
période de mouvement. Il en est de même dans la marche, ainsi que
l'a démontré Marey.
La deuxième objection faite à notre manière de voir est que ces
réflexes d'automatisme sont supprimés dans les sections complètes de
'a moelle et qu'on ne peut donc parler de « réflexes de la moelle libé-
rée ».
Il en était bien ordinairement ainsi (avec des exceptions d'ailleurs
démonstratives), dans les sections complètes d'avant-guerre dues à de
gros traumatismes déterminant vraisemblablement des lésions dif-
fuses.
Mais il n'en a pas été de même dans les sections complètes trop
nombreuses de la guerre. Celles-ci évoluent comme l'a montré M. Lher-
mitte, dont vous connaissez sur ce sujet l'importante monographie, en
deux phases : phase de shock, phase d'automatisme. Dans cette
deuxième phase, les réflexes d'automatisme existent, exaltés.
Cette dernière objection tombe donc d'elle-même, et il reste que l'en-
semble des phénomènes réflexes dont nous venons de parler expriment
bien, selon l'opinion jadis émise par M. Pierre Marie et par nous, à l'au-
tomatisme delà moelle libérée. Ils tendent à reproduire lesactes d'habi-
tude, devenus automatiques par leur incessante répétition, ceux aux-
quels la voie a été le plus souvent frayée et dont les mouvements de
marche constituent chez l'homme le type le plus important.
Il me resterait, pour être complet, à vous parler des rapports du signe
Cil. F01X
de Babinskiavec les réflexes d'automatisme. Il en constitue pour nous
le seuil ou mieux l'ébauche. Mais c'est là une question dilîicile, con-
testée, encore insuffisamment élucidée. Nous ne nous y attarderons
pas.
2° Syncinésies d'automatisme médullaire. — J'aborde mainte-
nant le second des points que je désire traiter devant vous, c'est-à-dire
la question des syncinésies d'automatisme.
Dans le travail que nous avons consacré, avec Pierre Marie, aux
syncinésies des hémiplégiques, nous avons distingué trois grandes va-
riétés de syncinésies :1a syncinésie globale, les syncinésies d'imitation,
les syncinésies de coordination.
Ce n'est pas à dire qu'il n'existe pas d'autres variétés de syncinésies,
mais ce sont là, croyons-nous, les trois variétés principales auxquelles
se rattachent la grande majorité des faits observés.
La syncinésie globale n'est autre chose que le renforcement de la
contracture qui se produit à l'occasion d'un effort. Elle renforce l'atti-
tude générale déterminée par cette contracture. Son développement va
de pair avec cette dernière et avec l'exagération des réflexes tendineux-
Elle est surtout marquée dans l'hémiplégie banale, pyramidale.
La syncinésie d'imitation est fort différente. Comme l'indique son
nom, elle reproduit, elle imite les mouvements exécutés par le côté
sain.
Voici une malade atteinte d'hémiplégie banale. Son poing est à
l'avance fermé à demi par la contracture. Si je lui dis de serrer fort
la main du côté sain, elle serre aussi la main du côté malade. Il
semble y avoir imitation. Mais que .je lui fasse ouvrir fortement cette
même main saine, elle serrera encore la main du côté malade. Il n'y a
en réalité que syncinésie globale, renforcement de la contracture.
Voici maintenant une seconde malade, bien différente delà première.
Vous voyez qu'elle aussi est raide d'un côté, mais eette railleur est
d'un tout autre aspect. Son bras est allongé, ses doigts sont allonges et
non fléchis dans la paume, sa main présente de temps en temps des
mouvements irréguliers de l'ordre de la ehoréo-athétose. Cette malade
présente une hémiplégie infantile et très probablement une lésion im-
portante des noyaux gris centraux entraînant l'altération d'autres \ oies
(pie la voie pyramidale ici relativement indemne. Eh bien, si nous com-
mandons à eette malade de fermer sa main saine, elle fermera en même
temps sa main malade ; si nous lui commandons d'ouvrir sa main
saine, elle ouvrira en même temps sa main malade, etc. Son côté ma-
L'AUTOMATISME MÉDULLAIRE 397
lade imite réellement son côté sain. Il y a syrtcinésie d'imitation et la
syncinésie d'imitation, en effet, s'observe surtout dans les lésions non
pyramidales ou peu pyramidales du cerveau, dans celles en particulier
qui frappent les noyaux gris centraux.
Arrivons maintenant aux syncinésies de coordination. Ce sont elles
qui constituent réellement les syncinésies d'automatisme médullaire.
Elles sont essentiellement caractérisées par ce fait que, chez les
hémiplégiques et les paraplégiques, la contraction volontaire de certains,
groupes musculaires entraîne la contraction involontaire, syncinétique,
des groupes musculaires fonctionnellement synergiques.
Les syncinésies de coordination deviennent ainsi des mouvements
coordonnés complexes tendant à reproduire les grandes synergies nor-
males que nous avons déjà étudiées. Elles peuvent s'observer au niveau
du membre supérieur comme au niveau du membre inférieur Etudions-
les au niveau du membre inférieur où nous les reconnaîtrons plus
aisément.
Vous vous rappelez que nous avions distingué au niveau du membre
inférieur deux grandes synergies principales : la synergie d'allonge-
ment, la synergie de raccourcissement, auxquelles se rattachait une
synergie bilatérale et asymétrique plus difficile à mettre en lumière
chez l'homme : la synergie d'allongement croisé.
Etudions la synergie de raccourcissement. C'est toujours la plus facile
à mettre en lumière.
Voici un malade, un hémiplégique. Je le fais étendre. Je lui com-
mande de porter le pied en flexion dorsale sur sa jambe. Il ne peut pas.
Il a pourtant compris mon ordre, puisqu'il l'exécute du côté sain. Ce
n'est pas la contracture qui le gène, puisque passivement le mouvement
est réalisé sans effort de ma part. Il ne peut donc pas volontairement
porter son pied en flexion dorsale sur la jambe.
Maintenant je lui donne un autre ordre : pliez le genou. Il le fait, et
en même temps cette flexion dorsale du pied sur la jambe, qui tout
à l'heure était impossible, s'exécute avec une grande force, et vous
voyez saillir la corde du jambier antérieur. Même si je m'oppose à la
flexion du genou, la flexion dorsale du pied n'en sera pas moins
exécutée (c'est là proprement le signe de Strumpell). Tous les
mouvements du raccourcissement sont solidaires, il y a véritablement
mouvement conjugué, selon l'expression de MM. Babinski et Jarkowski,
et le mouvement volontairement impossible est involontairement et
syncinétiquement effectué.
Faisons en effet la contre-épreuve. Ordonnons au malade de fléchir
(II. FOIX
le genou ce qui entraîne dans sa position étendue la flexion de la
hanche) en gardant le pied allongé. Quoiqu'il comprenne parfaite-
ment mon ordre, il est incapable de l'effectuer. Tous les mouvements
de la synergie sont solidaires et il y a par conséquent à la fois : 1° con-
servation du mouvement automatique alors que le mouvement volon-
taire est supprimé ; 2° impossibilité de dissocier par la volonté les
éléments de la synergie d'ensemble.
Le phénomène de Strumpell, le signe de Neri sont des variétés de
eette syneinésie de raccourcissement, ainsi que la flexion combinée de
la cuisse et du tronc décrite par M. Babinski.
Une démonstration identique pourrait être faite en ce qui concerne
la syneinésie (rallongement, la syneinésie d'allongement croisée, iden-
tiques au réflexe d'allongement et aux réflexes d'allongement croisé.
Nous n'y insisterons pas, non plus que sur les syncinésies du membre
supérieur, dont la plus caractéristique est le phénomène des doigts de
Souques.
Nous pensons qu'il faut faire également rentrer dans ce cadre le
phénomène de Hoover ou de l'opposition complémentaire, le phéno-
mène de Grasset et Gaussel et les deux phénomènes de Raimiste
(abduction et adduction associées).
Mais le point sur lequel je désire surtout attirer votre attention, c'est
l'identité des synergies que réalisent les syncinésies de coordination
et les réflexes d'automatisme. Nous retrouvons ici le raccourcissement,
l'allongement, l'allongement croisé... Or ces synergies, nous avons
appris à les reconnaître. Ce sont les synergies primordiales des mem-
bres inférieurs, en rapport avec le fonctionnement automatique delà
moelle libérée. Ce sont les synergies de l'automatisme médullaire, et
les syncinésies de coordination ne sont autre chose que des mouve-
ments conjugués d'automatisme, des syncinésies d automatisme médul-
laire.
Elles existent normalement, et se marient alors harmonieusement au
mouvement volontaire. Ce n'est que par une volonté réfléchie que nous
pouvons les empêcher de s'associer au mouvement principal, en déter-
minant un mouvement différent de la synergie essentielle.
Elles s'exaltent pathologiquement et le malade devenant alors inca-
pablede les empêcher d'accompagner chacun des mouvements qui fait
partie de la synergie d'ensemble, celle-ci esi exécutée chaque fois en
totalité.
Ainsi donc-, même normalement, l'automatisme îles centres inférieurs
se marie harmonieusement à l'exercice de là motilité volontaire, et c'est
L'AUTOMATISME MÉDULLAIRE 399
cette activité latente que met en lumière et qu'hypertrophie la libéra-
ration des centres inférieurs par les lésions de la voie centrale non
seulement dans les mouvements purement réflexes, mais dans ce qui
reste de mouvements volitionnels.
. Il serait intéressant de voir les rapports de ces syncinésies d'automa-
tisme médullaire avec les automatismes plus haut placés tels que ceux
que révèlent les mouvements conjugués de la tête et des membres (phé-
nomène de Magnus et de Kleyn) ; intéressant aussi d'étudier les rap-
ports de l'automatisme des réservoirs (Goltz, M. Souques) avec l'auto-
matisme de la moelle.
Mais le temps presse, avançons.
3° Contracture d'automatisme médullaire. — C'est à mon
maître Brissaud, dont la mort prématurée fut un deuil pour la neurologie
française, que revient l'honneur d'avoir étudié le premier les contrac-
tures en flexion ; mais c est M. Bahinski qui le premier en a établi toute
l'importance en montrant qu'elles avaient une séméiologie, une signifi-
cation pathologique complètement différentes des contractures en
extension.
C'est en effet au sujet des paraplégies en flexion que M. Babinski a
établi une distinction entre les contractures tendinéo et cutanéo-réflexes
qui marque une date dans l'histoire des contractures.
Nous ne chicanerons pas ici M. Babinski sur le mot plus ou moins
heureusement choisi de cutanéo-réflexe. Il est évident que cette con-
tracture n'a rien de cutané, puisque les réflexes qui la caractérisent
peuvent être aussi bien provoqués par l'excitation de la sensibilité pro-
fonde que parcelle de la sensibilité superficielle. Il n'en est pas moins
vrai que la contracture en extension est avant tout caractérisée par
l'exagération des réflexes tendineux et la faible intensité des réflexes
d'automatisme encore appelés de défense. Tandis que la contracture
en flexion est caractérisée non seulement par l'exagération considé-
rable des réflexes d'automatisme, mais encore par la diminution ou
l'abolition des réflexes tendineux.
A cette différence de séméiologie répondent des différences profondes
d'étiologie, de pronostic, de signification physiologique.
Voici une malade qui présente précisément cette contracture en
flexion. Considérons-la un instant. Nous voyons tout d'abord quelle est
son attitude. Ses jambes sont ramassées vers elle. Examinons-la de
plus près. C'est une attitude de raccourcissement. Et ce raccourcisse-
ment comporte le triple retrait seginentaire que nous avons déjà deux fois
400 CH. FOIX
rencontré : flexion du pied sur la jambe, de la jambe sur la cuisse, de
la cuisse sur le bassin.
Poursuivons plus loin notre étude. Les réflexes rotuliens sont
faibles, il n'y a pas de clonus du pied. Par contre, ses réflexes d'automa-
tisme sont très faciles à provoquer: voici le phénomène des raccour-
cisseurs, une ébauche de réflexe d'allongement, un réflexe partiel d'al-
longement croisé. C'est bien la dissociation décrite par M. Babinski.
Comment peut-on interpréter cette séméiologie d'abord, cette atti-
tudc ensuite ?
En ce qui concerne les réflexes d'automatisme, leur intensité implique
une libération de la moelle inférieure. C'est là un fait qui n'est pas sans
importance, car il indique en général des lésions plus profondes que
celles qui s'accompagnent de contracture en extension. On voit assez
souvent la contracture en flexion se substituer à la contracture en
extension. Pendant quelque temps alors il y a lutte entre les deux ten-
dances et les deux réflectivités. Toujours la victoire de la flexion im-
plique une aggravation de l'état du malade.
Y a-t-il seulement libération de la moelle ? N y a-t-il pas en outre
irritation, exaltation de l'automatisme médullaire? C'est une chose que,
pour ma part, je crois, mais il est difficile d'en donner la preuve.
La diminution des réflexes tendineux peut s'interpréter de plusieurs
manières. En réalité, il est probable qu'elle fait partie de ces phéno-
mènes d'inhibition dont je n'ai pas eu le temps de vous parler au dé-
but. Quand sur un malade présentant du clonus du pied ou de la
rotule, on provoque l'un de ces clonus et qu'ensuite on excite la sensi-
bilité superficielle ou profonde de façon insuffisante pour provoquer un
réflexe d'automatisme, on voit cependant s'arrêter le clonus. Ainsi donc
le premier effet de l'excitation de l'automatisme médullaire est l'inhi-
bition de la réflectivité tendineuse. Il n'est donc pas étonnant devoir
disparaître cette réflectivité chez des malades chez qui l'automatisme
est exulté à un haut degré. Parfois même le choc du marteau sur le
tendon rotûlien provoque non la contraction du quadriceps, mais le
phénomène des raccourcisseurs. Cette interprétation des faits n'est
probablement pas à elle seule suffisante, elle doit à peu près certaine-
ment entrer en ligne de compte dans la diminution des réflexes tendi-
neux.
Quant à la contracture en flexion elle-même, son aspect indique
quelle en est la pathogénie. Elle n'est autre chose, en effet, qu'un phé-
nomène des raccourcisseurs fixé.
Il est donc naturel par conséquent de lui attribuer la même patho-
L'AUTOMATISME MÉDULLAIRE 401
génie. Et puisque le phénomène des raccourcisseurs exprime l'auto-
matisme médullaire, la contracture en flexion deviendra ainsi la con-
tracture d'automatisme.
Tout cadre d'ailleurs avec cette interprétation des faits : l'intensité
des réflexes d'automatisme, l'importance en général des lésions qui
déterminent la contracture en flexion, le fait qu'il s'agit habituellement
de compressions agissant sur l'ensemble de la moelle et non pas sur
tel ou tel faisceau, excitant même vraisemblablement le segment mé-
dullaire sous-jacent à la lésion. Enfin, dans quelques cas de section
complète, M. Lhermitte a vu un certain tonus réapparaître, et ce tonus
avait une tendance à réaliser une altitude en flexion.
La contracture en flexion devient ainsi la contracture d'automatisme
par libération et peut-être excitation du segment inférieur de la moelle.
Elle est à séparer complètement de la contracture en extension, sans
doute plus strictement pyramidale, puisqu'elle est réalisée par l'Hé-
miplégie.
Voici sensiblement terminé cet exposé de l'automatisme médullaire.
Vous voyez que, comme je vous l'avais annoncé, il possède ses réflexes,
ses syncinésies, sa contracture. Nul doute que les progrès de la
physiologie pathologique ne les mettent en lumière pour chacun des
autres automatismes.
Permettez-moi maintenant, avant de m 'arrêter, d'aborder quelques
derniers points relatifs à notre sujet. Je désire éviter, en effet, toute
confusion dans vos esprits.
Quelques auteurs, discutant les idées que je viens d'exposer et qui
sont celles de M. Pierre Marie et les miennes, nous ont involontaire-
ment attribué des opinions qui ne sont pas les nôtres.
C'est ainsi qu'on nous a fait dire qu'il existait sans doute dans la
moelle des centres fonctionnels spécialisés, et notamment un centre de
la marche. Nous ne l'avons jamais pensé Nous ne croyons pas à l'exis-
tence d'un centre médullaire de la marche. Ce qui est médullaire, c'est
l'association habituelle d'un ensemble de mouvements réalisant une
partie de l'automatisme de marche. A cela les centres connus et leurs
relations cordonales suffisent.
On nous a fait dire encore que la marche est une fonction exclusive-
ment médullaire. Nous ne le pensons pas non plus. Nous pensons
même le contraire. La moelle concourt à la marche en réalisant ses
synergies primordiales, mais elle ne suffit pas à l'assurer, tout au moins
chez les vertébrés. Ainsi que l'indiquent les expériences physiolo-
giques, il y faut encore de façon certaine l'action associée du cerve-
CONPÉR. NEUnOL. 26
LOS CH. FOIX
let, du mésocéphale, des noyaux de la base, (1 autres encore sans doute.
La moelle ne fournit ici qu'un canevas sur lequel travaillent les autres
automatismes.
Ceci dit, réfléchissez, Messieurs, à la nécessité de ces automatismes.
Si chacun des mouvements de notre marche devait être pensé, marcher
serait une œuvre de gymnaste qu'on réaliserait à 30 ans, et une pro-
menade de 100 mètres, un effort surhumain d'adresse et de volonté.
Heureusement les automatismes sont là que le cerveau dirige et coor-
donne un peu à la façon d'un maître d'industrie.
Réfléchissez encore à l'infinie complexité, à l'enchevêtrement de ces
fonctions automatiques. Quand vous levez un doigt, il faut que votre
cerveau commande, que votre cervelet coordonne, que vos noyaux gris
dirigent le tonus, que votre moelle actionne ses grandes synergies...
Le moindre déséquilibre dans un ces appareils engendre des troubles
considérables. Bien plus, le mouvement, à mesure qu'il se crée, engen-
dre de nouvelles sensations, déclanche de nouveaux réflexes, actionne
de nouveaux automatismes qui réagiront à leur tour en une trame
continue. ..
Ainsi s'avère à nous, dans sa vivante complexité, l'infini physiolo-
gique, aussi stupéfiant que l'infini anatomique et probablement comme
lui impénétrable en son essence.
QUINZIÈME CONFÉRENCE
M. LAIGNEL-LAVASTINE
professeur agrégé de la Faculté, médecin de l'hôpital Laennec.
LES PSYCHOSES THYROÏDIENNES
Messieurs,
Puenant comme exergue cette phrase de Claude Bernard, dans son
discours de réception à l'Académie française : « Le monde psy-
chique ne se passe point du monde physico-chimique », j'emploierai
dans cette vaste étude le procédé restrictif si de mode actuellement,
analysant, fragmentant, individualisant les faits, suivant la quatrième
règle indiquée par Descartes dans son Discours de la méthode pour
bien conduire son esprit et trouver la vérité dans les sciences, et qui con-
siste à « diviser la difficulté en autant de parcelles qu'il se pourra
pour la mieux résoudre. »
Des rapports endocrino-nerveux en général, et des rapports thyroï-
do-psychiques en particulier, nous envisagerons :
1° des rapports de coïncidence ;
2° de solidarité, démonstration de l'existence d'un complexus thy-
roïdo-endocrinien ;
3° de causalité. Dans cette troisième partie j'essaierai de démontrer
l'existence d'une dgsthymie thyroïdienne (de Suç, difficile, et Oj;j.o-,
cœur), le Oj;j.ô- formant la trilogie aristotélicienne, avec le vouç, et
l'eici Ouiua.
I. — RAPPORTS DE COÏNCIDENCE
On peut les considérer en partant de deux pôles, le pôle psychique
et le pôle thyroïdien. Je vous rappellerai très brièvement cette divi-
sion, dont je m'étais servi dans mon rapport au Congrès des aliénistes
et neurologistes de 1908, à Dijon (Troubles psychiques par perturba-
tion des glandes à sécrétion interne ').
1. Laignel-Lavastjne. Un vol. in-8 de 188 p., Masson, éd., 1908.
mi LAIGNEL-LA] iSTINl
A. — Prenons d'abord le pôle psychique, c'est-à-dire les troubles
psychiques dans les syndromes thyroïdiens. Nous les divisons en insuf-
fisance et excitation. Dans V insuffisance thyroïdienne ces troubles sont
connus depuis longtemps. Vous savez quelles sont les caractéris-
tiques de l'état mental des myxœdémateux : lenteur, inactivité,
inertie.
Ces troubles psychiques peuvent s'expliquer par des lésions histo-
chimiques, qui ont été mises en évidence par MM. Pierre Marie et
Trétiakoff, dans un mémoire sur l'infiltration par des sels ferriques
des gaines péri- vasculaires de l'encéphale chez les myxœdémateux
{L'Encéphale, novembre 1920).
Après viennent les troubles psychiques des syndromes frustes
d'hypothyroïdie, série décroissante commençant par Y infantilisme
thyroïdien avec puérilisme. Y arriération physique et mentale, le syndrome
d'Hertoyhe ou hypothyroïdie bénigne chronique (lenteur, apathie, som-
nolence, difficulté de fixer l'attention), pour se terminer par le tempé-
rament hypothyroïdien : individus bouffis, somnolents, au nez humide,
aux extrémités froides, aux sourcils rares, etc., et la neurasthénie
hypothyroïdienne, caractérisée par la céphalée, la lenteur de l'idéation,
la fatigue matinale, etc.
Après les syndromes d'insuffisance, voyons les syndromes d'excita-
tion. Mais il semble bien que dans beaucoup de manifestations d'exci-
tation thyroïdienne il y ait plus que de l'hyperthyroïdie, et qu'il
existe des perturbations de la glande, de la dyslhyroïdie, et même des
modifications d'autres glandes endocrines.
Ce sont d'abord les troubles psychiques des basedoiviens, aujourd'hui
classiques. Inutile d'y insister. Mais on doit y distinguer deux ordres
de manifestations : ou bien des troubles psychiques, en quelque
sorte nécessaires, répondant au fond mental normal du basedowien,
caractérisé par l'hyperémotivité, l'instabilité, l'irritabilité, au point
que Trousseau disait que le goitre exophtalmique était un état de colère
perpétuelle.
Le plus souvent les manifestations psychiques arrivent à s'indivi-
dualiser assez pour constituer un syndrome indépendant, OÙ existe
un véritable état de manie avec agitation, hyperactivité, hvperémo-
tivité et facilité des manifestations coléreuses. Ou bien éclatent des
psychoses thyroïdo-toxiques, où l'on voit l'exagération des manifesta-
lions maniaques ; enfin la Fréquence de l'hystérie est depuis long-
temps notée.
Il faut ensuite passer en revue 1rs troubles psychiques delà série
LES PSYCHOSES THYROÏDIENNES 405
hyper thyroïdienne : ceux du goitre basedowifié du professeur Pierre
Marie, ceux des manifestations d'hyperthyroïdie chronique bénigne
avec yeux brillants et saillants, dyspnée, tachycardie, angine de poi-
trine vaso-motrice, instabilité du pouls, palpitations, instabilité delà
pression artérielle, troubles gastriques et gastro-intestinaux, constipa-
tion ou diarrhée séreuse, polyurie, sueurs profuses ; enfin ceux du
tempérament hyperthyroïdien, correspondant à la description magis-
trale donnée par le professeur Dupré de la constitution hyperémo-
tive.
En troisième lieu il convient d'envisager les troubles de Y instabilité
thyroïdienne, dont la première description est due à MM. Léopold
Lévi et Henri de Rothschild ] (1911), développement de leur premier
travail sur la neurasthénie thyroïdienne (1907, Congrès des aliénistes
et neurologistes français, Genève-Lausanne).
Parmi ces manifestations d'instabilité Léopold Lévi et H. de
Rothschild ont décrit la psycholepsie, ou chute de la tension psycho-
logique, qui paraît liée dans certains cas à la colloïdoclasie, cette
modification dans l'équilibre physique des humeurs, capable de se
déclancher sous l'influence de l'introduction dans le milieu intérieur
d'albumines hétérogènes, ou même sous l'influence des émo-
tions.
Il est intéressant de voir comment, dans l'instabilité thyroïdienne,
des états de psycholepsie sont des manifestations d'endocrinolepsie
par l'intermédiaire de la colloïdoclasie.
B. — J'arrive maintenant au pôle thyroïdien des rapports de coïn-
cidence.
Un fait remarquable, et qui n'est en somme que l'exagération en
psychiatrie d'une formule clinique de Landouzy, c'est la dualité de
la pathologie selon les sexes. Les services de psychiatrie masculine sont
essentiellement fournis par l'alcoolisme et la syphilis. Au contraire,
les exemplaires féminins se distinguent par la variété, la multiplicité
des manifestations morbides, tenant à l'existence d'un organe, l'ovaire,
dont les modifications périodiques ont un retentissement psychique
tel qu'il illumine véritablement toute la psychologie féminine.
Les débiles mentales ont assez souvent des manifestations thyroï-
diennes (myxœdème).
Les délirantes confudonnelles présentent quelquefois des goitres ou
des symptômes de dys ou d'hyperthyroïdie.
1. Lkopold Lévi et H. de Rothschild. Endocrinologie. Doin, 1911.
106 LAI GNEL-LAV ASTI \i
Très souvent, c'est chez des remines, qui ont simplement des
modifications de leur ton affectif, qu'on trouve des altérations thyroï-
diennes.
Ainaldi, en 1898, avait remarqué la très grande fréquence des
lésions thyroïdiennes chez les aliénées.
Une thèse de Lyon, due à Moncry, montrait, en 1903, l'augmen-
tation considérable de la teneur en iode des thyroïdes chez les mania-
ques.
En 1904, Latarget, sous l'inspiration du professeur Poncet, remar-
quait la fréquence des manifestations goitreuses chez les maniaques
et proposait de leur faire une thyroïdectomie partielle pour les
améliorer.
Chez les mélancoliques, Biros, en décembre 1904, insiste sur la
fréquence des troubles thyroïdiens. Dide et Perrin de la Touche
avaient remarqué l'importance des lésions thyroïdiennes chez les
mélancoliques et les maniaques ; de sorte que je me croyais autorisé,
dès 1908, dans mon rapport, à affirmer que « les troubles psychiques
basedowiens apparaissent surtout dans le ton maniaque ou mélan-
colique. Ce fait peut être interprété dans certains cas comme une
confirmation des idées de Krœpelin sur l'unité nosologique de la
manie et de la mélancolie constituant la psychose maniaque dépres-
sive.
On peut même se demander avec Parhon et Marbé si certains cas
de cette psychose ne relèvent pas d'une perturbation thyroïdienne.
La prédominance de la mélancolie d'involution et de la psychose
maniaque dépressive chez la femme, précisément comme le
myxœdème et le goitre exophtalmique, permettrait peut-être de le
penser d ».
Ce que j'émettais à titre d'hypothèse en 1908 est devenu une réalité
dans les conclusions du rapport du professeur Parhon-, de Bucarest,
en 1910, sur les troubles glandulaires chez les aliénés, où il pose
nettement cet axiome, que la psychose maniaque dépressive est en
rapport avec les perturbations du corps thyroïde.
Comment interpréter ces faits? Ils sont de trois groupes, au point de
vue thyroïdien et psychique :
1. Laignei.-L.wastine. Des tr. psychiques par perturbât. îles glandes a secret, iut ,
11)08. Masson, p. 148.
'2. C. Parhon. C.ercetari asupra gîandelor in sécrétions interna in raportul lor tu pato-
logiu mentala. Bucarest, 1910, 450 p.
LES PSYCHOSES THYROÏDIENNES 407
1° Myxœdème, dépression, mélancolie ;
2° Basedow, excitation, manie ;
3° Instabilité thyroïdienne, inquiétude, anxiété.
On peut dire qu'il existe des rapports neuro-thyroïdiens, et parti-
culièrement psycho-thyroïdiens. Les uns sont fonction de lésion orga-
nique, soit par agénésie (myxœdème), soit par perturbation du méta-
bolisme. Ou bien ce sont des rapports purement fonctionnels, physio-
génétiques, réactionnels à des troubles ovariens, ou psychogénétiques,
secondaires à des émotions1.
II. — RAPPORT DE SOLIDARITÉ
Cette coïncidence s'explique, dans la plupart des cas, par un rapport
de solidarité.
Je vais me limiter aux psychoses thyroïdiennes non confusionnelles
et non déficitaires, sans troubles intellectuels, caractérisées par des
modifications du ton de l'humeur, ce qu'on appelle à l'étranger les
psychoses affectives. Nous passerons en revue un certain nombre de
critères : critères cliniques, anatomo-palhologiqiies, expérimentaux,
thérapeutiques.
1° Critère clinique. — Déjà les statistiques d'asiles montrent un
rapport très étroit entre les deux ordres de faits. Phillipps -, en 1919,
sur 200 cas de psychopathes, relève 12 % de goitreux, parmi lesquels
70 °/0 sont atteints de psychose maniaque dépressive. Pour analyser
les faits je les grouperai en trois séries : la série morphologique ; la
série physiologique (il y a une grande ressemblance entre les manifes-
tations d'hyper ou de dysthyroïdie) ; et la série psychologique : mani-
festations psychiatriques, soit maniaques, soit mélancoliques, soit
anxieuses.
Appliquons cette méthode à quelques malades.
Voici M1|e R., âgée de 28 ans. En 1918 elle a commencé par être
une anxieuse avec dépression, tristesse, agitation, désespoir même,
avec idées de persécution et de suicide. Après quelques semaines,
est apparu un goitre. Elle présentait du tremblement, une tachycardie
à 120, la tension artérielle à 19-12 au Pachon. Depuis que M. Dujar-
1. Laignel-Lavastine. Sécrétions internes et système nerveux. Iïeuue de méd., août
1914, nov. 1915. p. 602-655 et 776 789 ; et Nerv. and ment, disease monograph. Séries
n' 30, New-York, 1919, 59 p.
2. Phillipps. Goitre et psychoses. Journal of mental science, 1919, n° 65, p 235-
248.
408 LAI GNEL-LAVASTINE
rier a l'ait l'ablation de son kyste thyroïdien, elle se porte bien.
Tous les troubles du caractère avaient disparu trois mois après l'in-
tervention.
Il y a ici nettement un rapport de solidarité entre l'hyperthyroïdie
t't la psychose.
Voici M"e Georgette, âgée de 19 ans, surnommée dans le service
« la Cruche Cassée » en souvenir du tableau de Greuze aucpiel elle
ressemble. Elle présentait un corps thyroïde très gros, et en même
temps du tremblement, de la tachycardie, de la tristesse et de la
dépression avec ennui, pleurs fréquents non motivés, bouffées de
chaleurs, anorexie et amaigrissement. Cette impression d'ennui cons-
tant augmentait régulièrement dans les cinq ou six jours qui précé-
daient les règles. Nous nous sommes contentés ici des moyens médi-
caux, nous avons fait la radiothérapie de son corps thj'roïde, qui l'a
beaucoup améliorée au point de vue physique et mental, en atténuant
son syndrome de Basedow et sa mélancolie, maintenant disparue.
Je passe à un cas plus complexe : Mme Augustine rentre dans la
catégorie des persécutées mélancoliques, ou mélancoliques persé-
cutées.
Elle a un goitre depuis l'année dernière, un tremblement léger des
mains, et de la tachycardie. Au point de vue mental, elle s'aperçoit
depuis surtout deux ans qu'on la persécute, et pour échapper à ses
ennemis elle a songé au suicide. « Dans ce qui m'arrive, dit-elle, il
y a un peu de ma faute, mais il y a beaucoup plus de la faute des
autres : je suis victime un peu de moi-même, beaucoup des autres. »
Pourquoi cette association de deux syndromes ? C'est parce que cette
malade a un caractère paranoïaque '.
Comme l'a dit Falret, il faut, chez ces malades, considérer d'une
part le fond et, d'autre part, le relief. Ici le relief l'emporte sur le
fond. Le caractère paranoïaque dessine le délire qu'a préparé la
psychose affective liée aux troubles thyroïdiens.
Je pourrais multiplier ces exemples de syndromes mélancoliques,
hypomaniaques ou anxieux liés à des goitres.
Un autre type clinique, mis en évidence par A. Yigouroux, est la
dépression anxieuse posl-mênopausique, iwec hypertension et glycosurie.
C'est là un type psycho-physiologique très fréquent, où les symptômes
d'hyperthyroïdie sont de règle.
1. Il n'en est d'ailleurs pas toujours ainsi, comme vient de le montrer Ceillier,
Afin. médicopsychoL, juin-juill. 1921).
LES PSYCHOSES THYROÏDIENNES
4U'J
Aux inductions tirées des séries de faits précédents on peut
objecter :
1° Qu'il s'agit de manifestations fréquentes en pathologie et que
cette fréquence des
goitres et des psycho-
ses affectives explique
qu'on rencontre sou-
vent leur coïncidence
chez le même sujet ;
2° Que pour des
troubles thyroïdiens
pareils (augmentation
de volume), on voit
des manifestations psy-
chiques très différen-
tes ;
3° Qu'enfin, on peut
avoir des manifesta-
nts
l-'ig. 1. — Femme de 31 ans : Manie délirante, n" 886.
tlOnS thyroïdiennes , Tnyroïde : Formol, paraffine, hématéine-éosine.
sans aucun trouble Zeiss. oc. H. obj.8mm. ,.•,,., j . „
On remarque, entre des vésicules normales pleines de coiloide ehro-
DSVChiaUe. mophile à prédominance basophile, des acini avec ou sans colloïde
' ^ . bordés de cellules épithéliales cylindriques. On voit même dans
Néanmoins, nOUS Sa- une vésicule une papille épithéliale qui s'enfonce dans la lumière.
vons que pour avoir
des manifestations psychiques il faut une prédisposition mentale.
Donc, on peut concevoir que les gens qui n'ont pas eu ces réactions
psychologiques ont une résistance cérébrale supérieure. Dès (pie
celle-ci baisse, ces manifestations apparaissent.
2° Critère anatomo-pathologique. — Je vais vous projeter des
coupes, dues à mon collègue et ami M. Roussy et sur lesquelles vous
verrez les amas lymphoïdes, les groupements de cellules éosinophiles,
la prolifération de l'épithélium des vésicules qui devient cubique et
forme des papilles intravésiculaires, modifications typiques des acini
basedowiens.
Voici maintenant un cas de manie (n° 886 de ma collection) où l'as-
pect de la thyroïde est analogue aux préparations d'hyperthyroïdie
obtenues expérimentalement par ablation thyroïdienne partielle. On
voit des vésicules petites, àépithélium proliféré et qui tend à devenir
cylindrique. (Figure 1.)
Voici un cas de mélancolie délirante (n° 885 de ma collection) chez une
410
I Ah,\i:i.-I..\\ \sii\i;
femme atteinte de rétrécissement niitral, accompagné d'une sclérose
thyroïdienne telle que les vésicules ont complètement disparu sous la
sclérose et qu'entre les anneaux de celle-ci on ne voit plus que quelques
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l'ig- 2. — Femme de 54 ans. Mélancolie délirante avec asystolie terminale dune maladie mitrale.
Thyroïde : formol, paraffine, hématéine-éosine.
Zeiss. oc II. obj. 4 mm.
Sclérose thyroïdienne atrophique intense. On remarque la disparition des vésicules et la persistance de
quelques acini avec ou sans colloïde disséminés dans une sclérose conjonctive adulte considérable
qui a transformé l'organe en un bloc fibreux. Au centre de la préparation, lésion d'artéritc.
îlots de cellules acineuses limitant encore par endroits une lumière où
persiste une petite goutte de colloïde. (Figure 2.)
Voici enfin l'adénome colloïde enlevé à notre première malade. On y
remarque la grandeur des vésicules bordées d'épithélium cylindrique.
(Figure 3.)
Malgré leur diversité ces lésions ont un lieu commun : la quasi-cons-
tance de la cellule épithéliale cylindrique, qui parait être l'expression
histologique de l'hyperthyroïdie.
«î° Critère expérimental. — J'arrive au critère expérimental.
Déjà, a priori, la multiplicité des faits expérimentaux doit mettre en
garde. Il en est ici comme en thérapeutique. Lorsqu'il y a trop de
médicaments il est probable qu'aucun n'a de valeur sérieuse. De
même, plus les tests expérimentaux sont nombreux, moins il y en a de
utilement bons. Je me contenterai de vous enumérer les princi-
paux.
Lœvi a décrit \amydriase après introduction de 3 gouttes d'une solu-
tion au millième d'adrénaline dans le cul-de-sac conjonctival. Har-
LES PSYCHOSES THYROÏDIENNES
411
rower ' a signalé la tachycardie à la suite de l'administration d'extrait
thyroïdien à dose progressive pendant 3 jours ; Gœtsch, la formation
d'une aréole blanche cerclée de rose et plus tard lavande, à la suite
d'une injection sous-cutanée d'une solution au deux millième d'adré-
naline. L'aréole lavande persistant 4 heures après l'injection serait
Fig. 3. — Femme de 25 ans. Mélancolie anxieuse par goitre kystique.
Thyroïde : formol, paraffine.
I.eitz oc. IV. obj. 7.
Kyste colloïde : on remarque la grandeur des vésicules et l'épithélium cylindrique qui les borde.
caractéristique d'hyperthyroïdie. Tachaud, en 1911, a étudié l'hypergly-
cémie alimentaire après administration de 100 grammes de glycose.
Bram, de Philadelphie, a fait remarquer que les hyperthyroïdiens et les
individus en état de sympathicotonie supportent particulièrement bien
la quinine.
Baudouin et Porak et Claude ont montré le ralentissement du pouls
à la suite de l'injection d'extrait hypophysaire (test du corps pitui-
taire).
1. Harrowers monographs on the internai sécrétions. I. Hyperthyroïdism, janv. 1921,
p. 59.
i r
LAIG VEL-LAVAST1 \ /.
Des expériences faites avec mon interne, M Coulaud, n'ont pas chez
le lupin confirmé la valeur de ce dernier test. Les injections d'extraits
hypophysaires ont entraîné des variations du poids de même ordre,
aussi bien chez des lapins à corps thyroïde longuement irradié par les
rayons X que chez des lapins neufs.
De tous ces tests je ne retiendrai qu'un seul, c'est la seconde par-
tie du test de Gœtsch, V épreuve de la glycosurie ad rènali nique. Une injec-
tion intra-musculaire d'un milligramme d'adrénaline détermine sou-
(,ec .. Acromégalie
M. Vis. . Goitre. Manie
<ioup... Dépression mélancolique
Roh... Dépression mélancolique
-M. Viss... Goitre (après irradiation du corpsthyroi'Je 10H).
Vass... Dépression mélancolique (corps thyroïde irradié
15 H)
Vass... Dépression mélancolique (corps thyroïde irradié
* H). .
Vass... Dépression mélancolique (corps thyroïJe irradié
40 H)
Fig. 4.
On remarque que les quatre premières courbes, prises chez des malades, où la clinique reconnait
l hyperthyroïdie, sont caractérisées par l'hyperglycosurie, tandis que les quatre dernières courbes,
prises chez la même malade et une cliniquement analogue, traitées toutes deu\ par la radiothérapie
du corps thyroïde, sont caractérisées par l hypoglycosurie relativement au taux initial.
vent de la glycosurie. On admet que cette glycosurie se produit plus
facilement chez les individus en état d'hyperthyroïdie que chez les
autres.
J'ai fait cette épreuve chez des malades soumis à un régime constant,
très riche en hydrates de carbone.
Voici les résultats obtenus, représentés sur ces courbes. (Figure 4.) La
richesse en glucose par litre est inscrite en grammes; Chei un acro-
LES PSYCHOSES THYROÏDIENNES 413-
mégalique pris comme témoin, on trouve 2 grammes à l'origine et
5 gr. 45 après 6 heures.
Chez Coup.., une mélancolique avec tentatives de suicide, syndrome
de mélancolie intermittente, hyperthyroïdie manifestée par un peu de
tremblement et l'augmentation de la raie vaso-motrice de Vulpian, il y
avait 1 gr. 90 de sucre avant l'épreuve, et après 6 heures, 4 gr. 20.
Georgette Vass.., dite la « Cruche cassée », après avoir été soumise
aux irradiations du corps thyroïde par les rayons X, présente une
glycosurie très faible, qui commence à 1 gr. 80 et tombe après 9 heures
à 68 centigrammes.
Viss.., goitreuse avec manie, passait, avant radiothérapie d'1 gr. 0f)
à 3 gr. 20 et après radiothérapie, de 2 grammes à 1 gr. 80, c'est-à-dire
avait après irradiation thyroïdienne une courbe inversée.
Par conséquent, vous voyez que l'épreuve de la glycosurie adréna-
linique montre un rapport entre l'élimination exagérée du sucre et
l'hyperthyroïdie.
L'hyperglycosurie adrénalinique nous a donc permis de saisir un lien
entre l'hyperthyroïdie et certains syndromes affectifs, maniaques ou
mélancoliques.
Ces dosages ont été faits avec la plus grande exactitude par mon
interne en pharmacie, M. Louis de Saint-Rat ', qui a imaginé un pro-
cédé très délicat, qui est une modification de la méthode de Gabriel
Bertrand. C'est le dosage à la liqueur de Fehling et le titrage de
l'oxydule de cuivre par le permanganate de potasse, après défécation
parle réactif de Tanret (nitrite mercurique) et élimination du mercure
par la poudre de zinc. Dans ce dosage des corps réducteurs seul l'acide
glycuronique peut aussi fournir la réaction. Il suffit de connaître cette
cause d'erreur pour léviter.
4° Critère thérapeutique. — J'arrive au quatrième critère, le
critère thérapeutique. Voyons d'abord les faits chirurgicaux, puis les
faits radiothérapiques.
Un des premiers faits chirurgicaux, observé par Ballet et Delmas,
concerne une femme hospitalisée à Sainte-Anne, qui présentait un
syndrome de Basedow avec état confusionnel. Elle eut la moitié droite
du corps thyroïde enlevée par M. Quénu. Cette intervention fut suivie
d'une amélioration et même de la guérison avec disparition des mani-
festations confusionnelles.
1. L. de Saint-Rat et J. Roniaut. Sur le dosage de petites quantités de sucres
réducteurs dans les liquides de l'organisme, Bull, des se. pharnuicologiques, n° 6,
juin 1920.
Ml LAIG VEL-LAVASTINE
Un cas très analogue a été étudié par moi avec mon interne Conlaiid.
C'est cette petite anxieuse, qui avait un kyste colloïde du lobe gauche
de la thyroïde, et qui, une fois débarrassée de ce kyste, a complète-
ment guéri.
Un autre cas identique a été publié par Murphy (Surgical clin, de
Philadelphie, 1916).
Si nous envisageons maintenant les faits radiothérapiques, nous
voyons qu'une malade, qui présentait de l'hyperthyroïdie avant la ra-
diothérapie, est maintenant plutôt en état d'hypothyroïdie, présentant
une disparition de la glycosurie post-adrénalinique, et est guérie de
sa psychose.
Je crois donc qu'il existe un rapport de solidarité incontestable entre
la thyroïde et certaines psychoses. En somme, nous pouvons dire
qu'il existe un complexe thyroïdo-périodiqae, caractérisé par quatre
signes constants, et trois contingents. Les signes constants sont l'inter-
mittence, les troubles de la qualité de l'humeur, l'absence de déficit in-
tellectuel et le changement de poids. Les contingents sont la prédispo-
sition féminine, l'apparition à l'occasion des divers incidents de la vie
génitale (puberté, menstruation, grossesse, accouchement, aménorrhée,
aménopause), enfin l'extraordinaire fréquence de l'hérédité. De toutes
les psychoses, les psychoses thyroïdiennes sont les plus héré-
ditaires. Est-ce bien le fait d'une hérédité psychologique ? Il semble
plutôt que ce soit le fait d'une hérédité glandulaire. C'est par
l'intermédiaire de l'hérédité thyroïdienne que les psychoses affectives
se retrouvent dans toute une suite de générations dans les mêmes
familles.
III. — DYSTHYMIES
Parmi les psychoses thyroïdiennes, il existe des dysthymies, c'est-à-
dire des troubles de l'humeur d'origine thyroïdienne. Voyons quels
sont les caractères qui permettent d'en poser le diagnostic et le trai-
tement. Ce qui caractérise ce complexe thyroïdo-périodique, c est
d'être l'expression pathologique d'une solidurilé physio-psycho-
logique.
Le corps thyroïde peut être considéré, avec Léopold Lévi, comme la
glande de l'émotion.
Un point intéressant, mis en évidence récemment par des expé-
riences faites en Espagne et en Amérique, c'est la dissociation relati-
vement fréquente entre le syndrome physiologique de l'émotion elles
manifestations affectives.
LES PSYCHOSES THYROÏDIENNES 415
Maranon 1 et Kieley - ont constaté que, chez les hyperthyroïdiennes,
une injection de 1 à 2 milligrammes d'adrénaline détermine le com-
plexe physiologique de l'émotion, avec du tremblement, de la tachycar-
die, des yeux plus brillants, des troubles vaso-moteurs. Mais l'individu
expérimenté dit : je suis comme si j'étais ému, mais je ne le suis pas.
Ceci vient à l'encontre de la théorie de William James et de
Lange, d'après laquelle « nous sommes tristes parce que nous pleu-
rons, et nous ne pleurons pas parce que nous sommes tristes », ce qui
revenait à dire qu'il suffisait de déterminer en nous les modifications
fonctionnelles de l'émotion pour que nous arrivions à la ressentir.
Déjà, avant les expérience des Maranon, Cannon avait montré qu'il
y avait, sous l'influence de l'émotion, des modifications extrêmement
intenses du milieu organique, en particulier au point de vue de la
richesse du sang en adrénaline.
Par exemple, chez un chien qu'on effrayait, il y avait de l'hyperten-
sion artérielle, résultat du passage rapide de l'adrénaline dans le sang,
en raison de ce fait que les nerfs régulateurs des surrénales arrivent
à ces glandes sans relais.
Crile, dans son livre sur les psychonévroses, a longuement insisté
sur leur caractère physiogénétique par perturbation glandulaire.
Ceci montre que, s'il y a des nécessités physiologiques aux expres-
sions psychiques, néanmoins il existe une très grande contingence dans
les manifestations de celles-ci par rapport à leur substratum.
Par conséquent, dans cette analyse psycho physiologique, l'esprit
reprend ses droits.
Nous pouvons donc, avec Bergson, parler d'une contingence spiri-
tuelle.
J'arrive à l'analyse d'un mécanisme permettant à l'esprit de mieux
comprendre la genèse de ces états. C'est un progrès dû au professeur
Widal, qui a montré que dans beaucoup de ces cas le mécanisme n'est
pas, comme on le croyait, un mécanisme chimique, mais que très sou-
vent il s'agit d'un mécanisme physique, et que ce sont les modifi-
cations colloïdales qui se produisent dans les humeurs, soit à la suite
de chocs, soit d'une manière ps}7cho-génétique. C'est ainsi que l'émotion
détermine des modifications non seulement nerveuses, mais humorales,
qui se manifestent par des changements de l'équilibre colloïdal.
1. Maranon G. La réaction émotive à l'adrénaline, Médical Ibera, 1920, n° 145, p. 353-
357 .
2. Kieley. La théorie des émotions de James en relation avec les glandes surrénales.
Jonrn. lab. and clin. méd. St-Louis, 1920, an. in: End ocrinology, mai 1921, p. 328.
in. / UG VEL-LAVASTINE
On a montré qu'au cours des grandes émotions il y avait leucopénie,
chute de la pression artérielle, modifications de la tension superfi-
cielle, etc., ce qui justifie cette expression populaire : « J'en ai eu, les
sangs tournés ».
Ceci montre, d'autre part, (pie le rapport très judicieux que faisaient
les cliniciens entre les migraines, certaines formes d'épilepsie. certaines
urticaires, et les modifications de l'humeur, était basé sur des considé-
rations très justes.
A cet égard il faut faire ressortir l'importance des troubles
thyroïdiens dans la colloïdoclasie. Comme, dautre part, nous voyons
dans un grand nombre de cas, en psychiatrie, le corps thyroïde jouer
un rôle, et que la colloïdoclasie se rencontre dans des syndromes
connexes à la thyropathologie et la psychiatrie, je me crois autorisé
à ouvrir un vaste chapitre de psychiatrie colloïdale, dans lequel un
certain nombre de dysthymies thyroïdiennes doivent rentrer.
Vous me direz : les modifications thyroïdiennes sont multiples, et
souvent il n'y a pas de perturbations psychiques. Comment l'expliquer ?
On le peut, je crois, assez facilement,
par ce que j'ai appelé le schéma du
rectangle.
Soit un rectangle ABCD partagé par
la diagonale BD en deux triangles rec-
tangles (lig. 5).
Le triangle rectangle inférieur repré-
Fig. 5. sente la résistance cérébrale; le supé-
rieur, l'action thyroïdienne Nous aurons
au point A une action thyroïdienne énorme avec résistance cérébrale
extrêmement faible. Il sufïira de modifications thyroïdiennes très
légères pour entraîner des modifications psychologiques considérables.
Ce sera l'inverse au point B.
Ceci montre que les cas s'enchaînent et qu'il n'y a pas d'hiatus entre
les psychoses acquises et constitutionnelles.
Natura non facit salins .
Cette représentation graphique peut s'appliquer mm seulement à la
psychiatrie, mais aussi à la clinique générale, pour expliquer les rap-
ports existant entre le terrain et les actions morbides, quelles qu'elles
soient.
Diagnostic. — Il faut appliquer la grille diagnostique psychiatrique.
donc faire quatre diagnostics, celui du syndrome, celui de [affection, et
LES PSYCHOSES THYROÏDIENNES 417
celui de la maladie, comme partout ailleurs et de plus ce cpie j'appelle
le « diagnostic du concierge » ou diagnostic pittoresque, en souvenir
de « la maison de fous » représentée par Goya i
Exemple : Voici une amoureuse de médecin, variété dangereuse. Je
trouve chez elle des manifestations d'hyperthyroïdie, avec goitre, ins-
tabilité vaso-motrice, tachycardie. Un examen plus complet me révèle
une insuffisance mitrale. Je remonte dans ses antécédents, et je trouve
qu'en 1918 elle avait eu un rhumatisme articulaire aigu. J'énonce, dia-
gnostic pitlorescpie : amoureuse de médecin ; diagnostic psychiatrique:
hypomanie ; diagnostic de l'affection : hyperthyroïdie ; diagnostic de la
maladie : rhumatisme articulaire aigu.
Traitement. — Le premier point, c'est de décortiquer la malade. Il
s'agit de séparer tout ce qui est contingent, tout ce qui résulte de l'ac-
tion et de la réaction de l'entourage et des interprétations multiples
faites parla malade.
Donc, le premier traitement est le traitement psychique, la
psychothérapie. Il faudra gagner la confiance, essayer d'obtenir le calme
le plus complet.
Puis, le traitement hygiénique, l'hydrothérapie tiède, le séjour dans
un climat sédatif, en face d'horizons lointains, ce qui réussit en général
à amener une détente.
Vous y joindrez la prescription d'un régime diététique à prédomi-
nance végétarienne, la viande étant un excitant qu'il convient ici de
réduire le plus possible.
De la thérapeutique médicamenteuse vous ferez le moins possible.
Néanmoins, au point de vue du traitement de la cause (rhumatisme, etc.)
le salicylate de soude quelquefois donne d'excellents résultats, comme
l'a montré mon maître Babinski. La quinine diminue l'excitabilité du
système sympathique, ainsi que Lancereaux l'avait vu le premier. Le
corps thyroïde et l'hémato-éthyroïdine répondent à l'indication fonc-
tionnelle Puis viennent les rayons X, qu'il faudra manier avec une
main légère, car ils peuvent entraîner un déficit sans retour. Enfin le
traitement chirurgical, plus brutal, mais plus exactement limité, et
mieux connu.
Ainsi, je crois vous avoir montré qu'il existe bien, parmi les
psychoses thyroïdiennes, une variété organogénétique qu'on peut
appeler les dyslhymies thyroïdiennes.
1. L.AIGNEL- LàVASTINE. Le diagnostic en psychiatrie, l'rcssc méd., 3 juillet 1920.
CONFÉR. NEl'ROL. 27
I [8 / / t/G w 7 -/ M in/7 W.
De cette leçon je déduirai une double conclusion, théorique et pratique.
Au point de vue théorique, rappelez-vous le schéma du rectangle, les
idées nouvelles sur la psychiatrie colloïdale, le principe de la réversi-
bilité psychothyroïdienne, les manifestations thyroïdiennes secondaires
au choc émotif.
Au point de vue pratique, les grandes lois générales de la pathologie
s'appliquent en psychiatrie. Il faut donc établir la forme morbide, sa
nature et sa cause, en remontant du diagnostic pittoresque et du syn-
drome psychiatrique à l'affection et à la maladie. En second lieu il faut
aboutir aux déductions thérapeutiques : psychiques, hygiéniques, dié-
tétiques, médicamenteuses, chirurgicales ou radiothérapiques. Vous
voyez dans cette leçon la place que j'ai donnée à l'équilibre colloïdal et
aux rayons X, l'un et l'autre du domaine delà physique, si bien qu'il me
sera permis, pour terminer, de reprendre cette phrase de Claude Ber-
nard que je citais au début, mais en la modifiant légèrement, et de dire
que, si le monde psychique ne peut se passer du monde physico chi-
mique, les dyslhymies thyroïdiennes dépendent encore plus du monde
physique que du monde chimique.
SEIZIEME CONFÉRENCE
Cl. VURPAS,
Médecin aliéniste de l'Hospice de Bicêtre.
PETITS SYNDROMES MENTAUX. — L'ÉTAT MENTAL
DES OBSÉDÉS
Messieurs,
La crainte que des individus soient retenus sans raison suffisante
dans des asiles d'aliénés est une préoccupation pour les pouvoirs
publics et la magistrature et multiples sont les précautions prises
pour éviter les séquestrations arbitraires.
Cependant le nombre des sujets atteints de troubles mentaux vivant
de la vie commune est sans contredit bien plus élevé que celui des
malades placés dans les asiles . Il n'y a rien d'étonnant qu'il en soit
ainsi ; car ce sont des motifs d'utilité pratique qui décident du place-
ment des malades.
Un aliéné est avant tout, en raison de ses troubles mentaux, un dan-
ger pour les autres et pour lui-même, et ce danger explique qu'il soit
mis hors d'état de nuire. Lorsqu'il ne fait courir aucun risque, il n'y
a pas lieu qu'il soit interné. Ce n'est donc pas le trouble mental lui-
même qui conditionne le placement du\malade à l'asile, mais les réac-
tions qu'il peut provoquer.
Les différents troubles de l'esprit qu'on observe chez les malades
susceptibles de vivre au dehors constituent l'ensemble des petits syn-
dromes mentaux, c'est-à-dire la gamme des états intermédiaires entre
le psychisme normal et l'aliénation mentale. Ils peuvent, d'une façon
générale, être divisés en deux catégories, selonjque le malade est ou non
conscient de son trouble pathologique.
Chez les sujets non conscients, on rencontrera tantôt des états de petite
120 Cl V\ RPAS
confusion, tantôt des modifications de l'humeur dans un sens soit
d'exaltation, soit de dépression.
Les états de petite confusion sont fréquents dans les toxi-infections
et 1rs diverses pyrexies ; — c'est même un trouble mental qui a servi
;i désigner la lièvre typhoïde. — L'esprit s'assoupit, réalisant tantôt le
type du sommeil simple, tantôt celui du sommeil avec rêves, les rêves
étant à vrai dire les hallucinations physiologiques du dormeur.
Dans le premier cas, on assiste à l'évolution de délires doux, tran-
quilles, dans lesquels le malade est absorbé, distrait, absent, pour ainsi
dire, de son milieu ; il cause à voix hasse. tient des propos insignifiants,
reproduit les menus gestes de ses occupations courantes : on le voit
ainsi rouler une cigarette inexistante, tirer une aiguille imaginaire, boire
à une tasse absente, olî'rir du geste un siège fictif à un visiteur invisi-
ble, etc.
Dans d'autres cas s'ajoutent des hallucinations, tantôt intenses, s'ac-
compagnant de délire violent et sortant parla même du cadre de notre
sujet, tantôt peu accusées, fugaces, sans réactions dangereuses.
Un enfant atteint de tuberculose pulmonaire touche à sa fin. Il est
heureux, car il entend des belles musiques : ce sont les anges qui
viennent le chercher.
Une femme de 46 ans fait une crise de rhumatisme avec fièvre légère.
Elle voit, au milieu de la nuit, l'image d'un mannequin de bois qui,
placé à la devanture d'un magasin de confections, avait attiré son
attention quelques jours auparavant. Il lui apparaît habillé de rouge.
Elle reconnaît les personnes placées auprès d'elle, leur cause, mais voit
toujours la vision grimaçante qui se cache sous son lit, prête à s'élan-
cer sur elle. Vingt-quatre heures plus tard, l'hallucination s'était éva-
nouie et ne devait plus reparaître.
D'autres fois encore, l'hallucination fait place à la simple illusion et
le malade ébauche quelques conceptions délirantes. Un jeune homme
fatigué par la préparation d'examens difficiles fait une promenade de
trente kilomètres au soleil. Il présente la nuit suivante des maux de
tète, de l'insomnie, des cauchemars : le milieu qui l'entoure devient
brumeux : il a des illusions, prend son frère pour l'empereur d'Allema-
gne, le frappe et ne retrouve sa lucidité que huit jours plus tard.
De tels malades peuvent guérir chez, eux ou à l'hôpital et ne doivent
pas être internés.
Les modifications de l'humeur se manifestent soit par de l'exaltation
intellectuelle, soit par de la dépression mentale.
L'c\altatioii intellectuelle se traduit par une exubérance générale :
ÉTAT MENTAL DES OBSÉDÉS 421
exubérance des sentiments : euphorie, satisfaction ; exubérance des
pensées : conceptions grandioses, audacieuses ; exubérance de langage :
loquacité, bavardage, inconvenance des propos ; exubérance des actes,
entreprises téméraires, spéculations aventureuses, achats inconsidérés,
écarts de conduite, etc.
Si de tels sujets ne doivent pas encore être internés, il y a lieu de les
surveiller attentivement et d'être prêt à signer leur internement, car
l'audace de leurs propos ou l'indélicatesse de leurs actes peuvent les
conduire devant les tribunaux, de même que leurs projets hasardeux et
leurs dépenses excessives pourraient amener leur ruine et celle de leur
famille.
La dépression mentale offre le tableau inverse de l'exaltation :1e sujet,
inerte, triste, découragé, pense avec difficulté, s'exprime avec peine,
n'ose rien entreprendre, présente le type de l'aboulie ; il se croit sou-
vent incapable, indigne : dans ces conditions le meilleur remède à sa
situation lui semble être la mort ; un tel sujet ne doit donc pas être
perdu de vue, la famille doit être avertie qu'il y a lieu d'exercer à son
égard une surveillance attentive, et qu'à la moindre tentative ce malade
doit être interné, seule mesure efficace pour éviter le suicide.
Les sujets conscients de leur état pathologique viennent d'eux-mêmes
consulter le médecin. Leurs troubles sont constitués principalement par
les obsessions et les impulsions.
Le premier de ces troubles nous occupera seul ici : nous nous conten-
terons d'en ébaucher rapidement la description et nous en analyserons
plus minutieusement le fond, c'est-à-dire l'état mental des obsédés.
Voici d'abord quelques exemples de phobies et d'obsessions. Une per-
sonne — une femme le plus souvent — s'occupe à nettoyer son apparte-
ment, à épousseter ses meubles ou est assise un livre à la main. Sur-
vient une souris ; immédiatement, elle abandonne ses occupations et
monte sur une chaise ou sur une table en appelant au secours — ou
bien elle gagne rapidement la porte et s'enfuit à toutes jambes — ou en-
core reste pétrifiée surplace, la bouche grande ouverte, complètement
aphone C'est une phobie constitutionnelle. Nous disons constitution-
nelle, parce que cette femme a eu de tout temps pour les rats et les
souris une peur inexpliquée qui s'est toujours traduite par des réactions
excessives.
L'an dernier, une femme de 45 ans vient à la consultation, se préten-
122 CL. \ i RPAS
danl atteinte d'un début de paralysie. Habituellement elle allait et venait
comme auparavant, vaquait à ses occupations ordinaires sans présenter
aucun trouble. Mais'au moment de traverser une place, elle restait figée,
si-s jambes refusaient d'avancer, elle était prise alors d'oppression, de
palpitations, éprouvait un sentiment de malaise indescriptible allant
jusqu'à l'angoisse : il lui semblait qu'un malheur la menaçait, que si
elle traversait une place elle allait tomber foudroyée ou se faire écra-
ser, etc. Elle n'avait pas toujours été ainsi. Jusqu'à l'hiver de 1918, elle
n'avait jamais rien éprouvé de semblable : à ce moment, Paris étant
bombardé par les Gothas et les Berthas, elle devait, pour aller de
son domicile à la station du Métropolitain où elle était employée, se
mettre à l'abri et raser les murs. Quatre mois plus tard, elle présentait
le trouble (pie nous venons de décrire, et qui ne s'est pas modifié de-
puis trois ans. Cette femme n'est nullement, comme bien l'on pense,
atteinte de paralysie ; ce qu'elle présente est l'agoraphobie. Voilà une
phobie accidentelle — accidentelle parce qu'elle est apparue au cours
de l'existence, sous l'influence, semble-t-il, d'une cause extérieure.
Lorsque cette personne rentre chez elle, elle se livre à ses occupa-
tions habituelles, vérifie ses comptes ou commence une lecture. A ce
moment, l'idée qu'elle aura, le lendemain, à traverser de nouveau une
place revient à son esprit et s'impose à elle, provoquant les mêmes
troubles, le même malaise, la même anxiété que si elle se trouvait en
présence de la place à franchir. Ce trouble n'est plus une phobie, mais
une obsession.
L'obsession est ainsi à la phobie ce qu'est l'idée à la perception.
Une jeune femme va rendre visite à l'une de ses amies. C'est la mode
des larges chapeaux maintenus par de longues épingles dont l'extrémité
acérée devait, en vertu d'une ordonnance de police, être munie d'un
protège-pointe. Cette dame avait oublié son protège-pointe. La
visite se passe normalement et l'on se quitte en s'embrassant. A
peine de retour chez elle, cette personne se demande si elle n'aurait pas
crevé un œil à son amie : cette idée lui parait d'abord absurde, mais
revient néanmoins à sa pensée. Elle se dit (pie cet accident est impos-
sible ; elle a toujours été assise à un mètre au moins de son amie ;
elle se souvient cependant (pie cette dernière s'est approchée d'elle pour
voir de plus près la broche qu'elle portait, et à ce moment, son épingle
a pu lui piquer l'œil ; s'il en était ainsi, elle aurait crié, manifeste sa
douleur; elle se souvient alors (pie certaines personnes sont anesthesi-
ques : son amie est peut-être atteinte de ce I rouble. Mais elle le saurait,
elle en aurait entendu parler. Il est vrai que le propre de l'anesthesu-
ÉTAT MENTAL DES OBSÉDÉS 423
est d'être ignoré par celui qui en est atteint. — Peut-être son amie est-
elle dans ce cas. — - Oui, mais la piqûre de l'œil se serait traduite par
une manifestation quelconque, aurait provoqué une égratignure dont
quelqu'un se serait aperçu. — Peut-être, en l'embrassant au moment de
la quitter, lui a-t-elle piqué l'œil, et comme la porte s'est à ce moment
refermée sur elle, rien ne lui aurait traduit cet accident. — Notre malade
retourne ses idées, les discute, reconstruit la scène, se donne des expli-
cations et des arguments pour ou contre la possibilité de ce fait pen-
dant plusieurs heures, et jusqu'à la fin de la soirée elle a l'esprit
tourmenté par l'inquiétude et la crainte. Elle a envie, à un moment,
d'aller sonner à la porte de son amie pour se rendre compte si rien de
fâcheux n'est arrivé pendant sa visite, mais elle voit tout le ridicule de
cette démarche à laquelle elle n'ose se résoudre. Voilà un exemple
d'obsession avec idée de doute .
Remarquons en passant le rôle de l'activité mentale dans l'élaboration
de ces obsessions ; notre malade reconstruit la scène dans ses détails
les plus minutieux, se souvient que son amie s'est approchée d'elle pour
examinersa broche, pour l'embrasser, etc. Elle fait appel à ses souvenirs,
évoque tout ce qu'elle peut savoir, comme la connaissance de l'anesthé-
sie, fait en un mot, si l'on veut, une sorte de travail de Pénélope modifié
en ce sens qu'elle construit inconsciemment ce qu'elle essaye de défaire
volontairement.
Si nous essayons maintenant d'analyser la constitution de l'obsession,
nous voyons qu'elle se compose essentiellement de trois éléments :
a) Un élément émotif, — l'anxiété, — qui se traduit par des réactions
exagérées ;
b) Un élément intellectuel dont le caractère est d'être: 1° involontaire
(la pensée obsédante apparaissant spontanément et en dehors de la
volonté des sujets); 2° impérieux et irrésistible(l'obsession s'impose mal-
gré la volonté); 3° persistant (le malade est impuissant à chasser cette
idée qui revient sans cesse à l'esprit et dure parfois plusieurs heures,
parfois plusieurs jours et même davantage); 4° parasite (c'est un vérita-
ble corps étranger de la pensée, qui rompt le cours normal des idées
jusqu'à dissocier la personnalité ou arrêter l'acte dans son exécution) ;
c) Un élément de conscience : le sujet se rend compte de son trouble
et en reconnaît la nature pathologique.
L'obsession doit être distinguée des idées fixes, des états mélancoli-
ques ou délirants et des manifestations mentales automatiques.
i-i CL. 1 i RPAS
Les idées fixes sont normales ou pathologiques.
Les idées fixes normales, comme celles du chercheur, de l'artiste, du
savant, le doute scientifique, font essentiellement corps avec le sujet et
lui appartiennent en propre. Elles n'arrêtent pas le cours régulier des
idées, comme chez les obsédés, mais l'excitent. Elles n'entravent pas
la production de l'œuvre, mais l'exaltent. Elles ne désagrègent pas la
personnalité, mais la synthétisent. Elles ne sont pas un endettement de
la pensée, mais, au contraire, sa plus haute expression.
Les idées fixes provoquées, telles que les passions, le remords, sont
bien parasites et rompent le cours régulierdela pensée, mais l'intensité
de leur cause les justifie.
Il en est de même des idées fixes des délires systématisés ; malgré
leur intensité, elles font essentiellement corps avec la personnalité du
sujet qui, en aucun cas, n'en reconnaît l'état morbide ; malgré leur
nature pathologique, elles s'élaborent selon un processus analogue à
celui des idées normales. Ainsi en est-il, en particulier, des idées fixes
hypocondriaques, des idées d 'autoaccusation des délires mélanco-
liques, si voisins de l'obsession : le mélancolique, 1 hypocondriaque,
est convaincu du bien fondé de ses idées, alors que c'est précisément
l'incertitude et le doute qui caractérisent l'obsession véritable.
Dans les états mélancoliques, dont l'anxiété est le symptôme fonda-
mental, il n'y a pas davantage doute ou indécision ; l'idée pathologique
fait essentiellement corps avec l'état mental du sujet qui croit de toutes
ses forces à sa réalité.
D'autre part, les idées fixes post-oniriques et hystériques sont comme
des souvenirs réellement vécus, qui persistent dans la personnalité,
sans pour cela en troubler l'unité.
Chez les épilepliques, les idées persistantes, impulsives et confuses
comme les phénomènes ordinaires de la névrose, sont insuffisantes pour
éveiller l'anxiété de l'obsession.
Dans les états d'obtnsion ou d'affaiblissement intellectuel, en rais. m
de la pauvreté du fond mental, ce sont toujours les mêmes idées et
images qui reviennent automatiquement : tels, le rabâchage de l'ivrogne
on du confus, on les récits stéréotypés des débiles et des déments.
Le nombre des obsessions est infini : il y en a autant qu'il peut y
avoir d'images, de représentations- ou d'idées, allant depuis la simple
image motrice, représentation d'un mouvement, jusqu'à la pensée
abstraite traduisant un concept métaphysique ou moral compliqué.
ÉTAT MENTAL DES OBSÉDÉS 425
Certaine école avait tenté naguère de décrire à part chaque obsession
ou phobie d'après son contenu représentatif, mais n'avait abouti qu'à
individualiser sans intérêt une multiplicité de formes morbides et à
créer une longue litanie d'appellations tirées de mots grecs et se termi-
nant par « manie » ou « phobie ». Ces distinctions sont inutiles, et, quel
que soit l'objet de l'obsession. — qu'il s'agisse de phobie, de doute, de
scrupule, ou même d'impulsion, — c'est toujours la même maladie ; ce
qu'il importe de distinguer, ce n'est pas leur contenu, mais le cadre
dans lequel elles évoluent.
Tantôt l'obsession constitue à elle seule toute la maladie, tantôt elle
n'est qu'un épisode au cours d'autres affections à caractère nettement
défini.
L'obsession constitue toute la maladie. Nous venons de donner la peur
des rats et des souris comme exemple de phobie constitutionnelle. Ces
phobies sont, pourrait-on dire, monnaie courante. Elles ont même des
noms; ainsi la cynophobie ou peur des chiens, la galéphobie ou peur
des chats, etc. Certains individus ne peuvent pas voir des fleurs, des
rubans, d'autres sentir un parfum, sans manifester les réactions les
plus violentes. Des grands hommes eurent de ces petites défectuosités
mentales, et ce n'est pas trahir un secret médical de rappeler que la vue
d'un ânon faisait perdre connaissance au duc d'Epernon, amiral de
France. Wladislas, roi de Pologne, se troublait et prenait la fuite quand
il voyait des pommes; le savant philologue Scaliger, néà Padoue, frémis-
sait en voyant du cresson ; l'astronome suédois Tycho Brahé sentait ses
jambes défaillir à la rencontre d'un lièvre. Henri III, le vainqueur de
Jarnac et de Moncontour, le maréchal de Schomberg, Wellington,
Napoléon Ier, Meyerbeer. ne pouvaient supporter la vue des chats '.
D'ailleurs, depuis bien longtemps, on pouvait lire dans Montaigne :
« J'ai vu des gens fuir la senteurdes pommes plus que les arquebusades,
d'autres s'effrayer pour une souris, d'autres rendre gorge à voir de la
crème, etc. J »
Si ces manifestations mentales peuvent se rencontrer chez des hom-
mes dont la situation ou les travaux témoignent de dispositions intellec-
tuelles supérieures, comme corollaire on les voit s'atténuera mesure
que l'on descend les degrés de l'échelle intellectuelle : rares chez les
débiles, elles disparaissent chez les imbéciles et les idiots.
Les obsessions peuvent se montrer à l'état pour ainsi dire isolé. Une
1. Gélineau. Des peurs maladives ou phobies. Paris, 1894.
2. In Pitres et Régis. Les obsessions et les impulsions. Paris, Doin, 1902.
126 CL. VURPAS
idée s'imposera à l'esprit sous un motif quelconque, appelé par associa-
tion directe Ou par contraste, et durera un temps plus ou moins long; elle
sera une gêne, mais permettra néanmoins les occupations habituelles.
D'autres ibis, les obsessions revêtiront un caractère subintranl, se
succéderont sans discontinuité, se systématiseront dans une certaine
mesure, et alors on assistera à une véritable crise d'obsession.
En voici trois types: le premier a trait à une femme qui, impression-
nable et inquiète à l'excès, s'est toujours l'ait, d'après sa propre expres-
sion, « des montagnes d'un rien », voyant le côté fàcbeuxde toute chose,
et vivant dans un pessimisme constant. A la suite d'une grippe, elle
présente des accidents neurasthéniques avec crises d'obsession. Elle a
un sentiment de vide cérébral avec impossibilité de réunir ses idées, de
fixer son attention, est inapte à tout travail; tout mouvement lui est
pénible. Elle se ligure être atteinte detoutesles maladies qu'elle connaît,
désespère de guérir, et redoute une mort prochaine. A certains mo-
ments, elle se sent poussée malgré elle à se donner la mort. La vue
d'un couteau éveille chez elle l'envie de s'en frapper, celle d'une corde
l'idée de se pendre, etc., et chaque fois elle doit lutter pour ne pas don-
ner suite à son désir. Cet état dura environ trois mois et notre malade
redevint ce qu'elle était auparavant, inquiète et scrupuleuse. Depuis
lors, à quatre reprises, elle contracta des infections grippales qui chaque
fois furent suivies des mêmes manifestations d'une durée à peu près
égale.
Ces crises d'obsession semblent liées à une infection et sous sa dépen-
dance.
Le deuxième type concerne un sujet qui a toujours été phobique et
obsédé : il se fatiguait vite, était sujet à des maux de tête et se plaignait
le matin de lassitude. Enfant, il redoutait de monter en voiture, crai-
gnant toujours quelque accident, n'osait communier par crainte de con-
fessions imparfaites. Il fait sa médecine et craint alors d'être incapable
d'achever ses études et de passer sa thèse, bien que le succès couronne
tous ses efforts. La guerre arrive : on lui donne un service d'hôpital. Peu
;i|)iès, il a des douleurs de tête, avec constriction en casque, une sensation
de vide cérébral, et surtout des crises d'anxiété avec gémissements
continuels et impossibilité de rester en place. Ces troubles sont plus
accentués dans la seconde partie de la nuit et clans la matinée La domi-
nante de cet état est l'existence d'obsessions : notre sujet craint d'être.
accusé de désertion, de trahison même : il se voit déjà traduit en conseil
de guerre et condamné. La crise d'obsession s'est ici développée sans
émise bien caractérisée. — C'est le cas le plus fréquent,
ÉTAT MENTAL DES OBSÉDÉS 427
Dans le troisième exemple, il est question d'une femme de trente
ans qui a toujours été, elle aussi, phobique et scrupuleuse, s'accusant de
faire mal ce dont elle était chargée. A l'époque de sa première commu-
nion, elle fut tourmentée par la crainte d'avoir toujours oublié quelque
péché en se confessant. Plus tard elle se marie. A 28 ans, elle eut une
fièvre typhoïde grave, accompagnée d'un délire dont elle ne conserva
aucun souvenir. Un an plus tard, grossesse, normale jusqu'au cin-
quième mois. A ce moment, céphalalgie, impression de vide cérébral,
pesanteur et faiblesse des jambes, constriction céphalique en casque.
Quelques mois après l'accouchement, à ces sensations s'ajoutèrent de
l'anxiété avec gène respiratoire, angoisse précordiale, malaise indéfi-
nissable, dégoût insurmontable de la vie, apathie.
La malade aurait désiré être morte, mais ne se sentait pas poussée à
se tuer. Quelques semaines plus tard apparurent des accès d'obsessions
et impulsions au suicide. Bien qu'étant parfaitement heureuse en tous
points, elle se sentait poussée malgré elle et sans raison à se tuer, en
même temps que s'accroissait l'anxiété. Ces obsessions n'étaient d'ail-
leurs pas les seules. Se trouvant un jour avec son jeune enfant sur les
genoux, elle avait aperçu un couteau de cuisine. Cette vue avait éveillé en
elle l'idée d'enfoncer le couteau dans la poitrine de l'enfant, et ce désir
était devenu si impérieux qu'elle avait dû quitter l'appartement. Elle
eut alors la représentation mentale vive de l'acte accompli, qui lui fit
horreur et provoqua en même temps une détente. Une autre fois, au
moment de se coucher, elle éprouva l'irrésistible besoin de s'exhiber
en chemise dans la rue. Elle se dirigea vers la porte pour satisfaire ce
désir, mais la vue de ses enfants arrêta cette tentative. Elle présentait
également des impulsions : un jour, elle faillit succomber à la tentation
de lancer sans motif un bol à la tète de son mari pendant le déjeuner.
Mais l'obsession dominante était celle de suicide, et revenait environ
deux fois par mois, par périodes de huit à dix jours. Ces accès étaient
coupés par des phases d'exaltation dans lesquelles la mentalité se trans-
formait. A la tristesse succédait une gaîté exagérée, également sans
motif. La malade se reprochait d'avoir voulu se tuer et se promettait
de n'avoir plus semblable pensée : elle se sentait forte., heureuse de
vivre, s'occupait avec activité de son ménage, de ses enfants, voyait
l'avenir en rose, voulait sortir, aller au bal, au théâtre : elle chantait
la plus grande partie de la journée. Cette période d'excitation était
d'une durée à peu près égale à celle des phases de dépression avec
obsessions.
Ces différents cas sont distincts les unsdesautres. Dansle premier, les
128 CL. VURPAS
crises d'obsessions sont provoquées par une maladie infectieuse; dans
le deuxième, elles ne paraissent amenées par aucune cause bien déter-
minée; dans le troisième, au lieu d'être continues, elles revêtent le type
périodique OU circulaire, caractérisé par l'alternance de périodes d'exal-
tation et de dépression avec obsessions '.
Jusqu'ici nous avons vu que les obsessions présentaient un carac-
tère intermittent. L'obsession isolée revient de temps à autre, mais ne
persiste pas de façon continue. Les crises d'obsession n'apparaissent
qu'à certaines périodes. Existe-t-il un état mental continu plus profond,
qui conditionnerait l'éclosion de ces troubles, ceux-ci n'en étant, pour
ainsi dire, que l'exagération ? en un mot, les obsédés ont-ils un état
mental particulier?
Les dispositions mentales relevées chez eux pourraient être rappor-
tées, les unes à Y émotivité , les autres à V intelligence, d'autres enfin à
l'activité.
Le caractère principal du trouble émotif est l'exagération qui se tra-
duit par de la timidité, de Y inquiétude, un état de crainte générale, un
sentiment de dissalisfaction, d'incomplétnde.
Le sujet est timide devant les gens, devant les événements, les affaires,
devant la vie. Cette timidité envers les personnes le rend gêné, lui fait
perdre contenance, le prive de ses moyens : les impressions défavora-
bles qu'il éprouve de ce fait lui font attribuera autrui des sentiments en
rapport avec ces impressions : c'est ainsi que les gens avec lesquels il
entre en contact lui semblent désagréables et hostiles : « ce sont des
poseurs, des arrogants», etc.; il en résulte qu'il restreint déplus en
plus le cercle de ses relations. Timide devant les événements et les
affaires, il n'ose rien entreprendre, redoute toujours un malheur, une
catastrophe; il diminue son activité, réduit au minimum ses affaires et
circonscrit autant qu'il le peut le champ de ses entreprises. Il en est
de même pour toutes les autres choses de la vie : il est rebelle à toute
initiative, à tout ce qui sort de ses habitudes, de sa routine.
Il est inquiet pour lui, pour sa santé, pour sa vie, pour sa famille et
son entourage, pour ses affaires. Il vit dans un état de crainte conti-
1. La conception de l'obsession, manifestation dans certains cas de la psychose ma-
niaque dépressive, a été soutenue par MM. Drny et René Charpentier au Congrès de
Nantes (août 1909) et dans V Encéphale (octobre 1909 , « Obsessions et psychose mania-
que dépressive ».
ÉTAT MENTAL DES OBSÉDÉS 429
miellé, soit pour le présent, soit pour l'avenir, soit même pour le passé.
Dans le présent, il est tourmenté par la peur de ne pouvoir arriver à la
fin de ce qu'il entreprend : il s'imagine qu'il ne pourra jamais faire face
à la tâche qui lui incombe : L'avenir lui apparaît plein de surprises
inquiétantes et fâcheuses, il voit tout en noir et ne pense qu'aux catas-
trophes possibles, aux malheurs imprévus. Le passé lui-même le préoc-
cupe : il lui est une source à la fois de regret et d'inquiétude : il regrette
ce qu'il a fait, ce qu'il n'a pas fait, les occasions dont il n'a pas profité,
celles dont — à tort peut-être — il a pu bénéficier, le sens dans lequel
il s'est dirigé, etc.
Toujours mécontent de lui-même et des autres, il ne trouve rien de
bien : son lit est mal fait, sa table mal mise, ses comptes sont mal tenus.
Il veut toujours refaire son ouvrage ou le faire recommencer. Ce sen-
timent d'incomplé Inde domine d'ailleurs toute sa vie : il éprouve le besoin
continuel de parachever, de perfectionner ce qu'il voit et qui lui sem-
ble avant tout incomplet, aussi tous ses efforts, toutes ses aspirations
sont d'avance paralysés par ces sentiments.
Du côté de Inintelligence, la note dominante est le doute.
Le sujet n'est jamais sûr de ses sensations : il doute de lui et des
autres. Il n'est pas certain d'avoirbien compris cequ'ila entendu, ce qu'il
a vu, ce qu'il a lu, etc. Il lui faut des vérifications continuelles. Il redoute
tout de lui-même et des événements : il attend les pires conséquences
d'incidents simples en eux-mêmes. Un parent va-t-il en voyage ? il
voit le train qui remporte déraillant, la voiture versant ou tombant dans
un précipice, le bateau coulant à pic. Un orage éclate-t-il ? c'est sur sa
maison que la foudre va tomber : le vent va arracher la toiture qui ira
tuer ou blesser un passant ; celui-ci lui deviendra une charge, puisqu'il
devra lui fournir une pension, etc., etc.
Accompagné de ce pessimisme constant, le doute perpétuel, sur sa
conduite devient le scrupule. Le sujet a peur de mal s'acquitter de sa
tâche, de n'avoir pas fait tout ce qui était son devoir. Il se reproche des
négligences qui ont peut-être compromis les intérêts, la sécurité ou la
viedautrui.il revient sur son passé pour en voiries lacunes ouïes
défauts. Il en arrive ainsi à ressassertoujours les mêmesidées (véritable
rumination intellectuelle), et se confine dans un cercle presque inva-
riable de pensées (piétinement mental).
Pour sortir de cet état, une intervention étrangère est souvent néces-
saire, et ce secours d'autrui lui est parfois apporté par simple affirma-
tion, sans qu'il soit besoin de raisonnement ou Été démonstration.
Uactwité est essentiellement hésitante. L'obsédé est un indécis. Il ne
130 CL, \ i m'As
peut se résoudre à aucun parti, recule perpétuellement devant toute
initiative, même anodine.
Il résulte de tout cela que ces sujets, rompant leurs relations, restrei-
gnant leurs affaires, limitant leur activité, s'isolant de plus en plus du
monde, diminuent leur expansion, creusent un fossé entre eux et la
société, se recroquevillent sur eux-mêmes, et, comme on dit vulgaire-
ment, « rentrent dans leur coquille ».
Cet état, en lui-même, constitue une véritable maladie, moins appa-
rente cpie l'obsession elle-même, qui en est l'exagération momentanée,
véritable feu de paille flambant par intervalles. Ses conséquences n'en
sont pas moins néfastes pour l'individu, soit dans sa mentalité, soit dans
sa condition sociale.
Les diverses particularités mentales (pie nous venons de voir à
l'état permanent chez les obsédés forment, ainsi envisagées, des com-
plexes peut-être un peu vagues et imprécis.
11 semble (pie l'on puisse trouver des signes à la fois plus nets, plus
précis et plus objectifs en s'adressant aux manifestations les plus sim-
ples des fonctions soit réceptrices, soit motrices, et qui seraient la traduc-
tion extérieure de cet état mental '.
Du côté moteur, notons d'abord qu'on ne relève aucune altération
des organes musculaires ou nerveux. Le trouble apparaît dans l'exécu-
tion de certains mouvements. La première modification nous a semblé
l'exagération. Un sujet a un ruisseletà franchir : il fait un bond d'une
ampleur excessive. Un autre, ayant à transporter d'un buffet sur une
table une tasse fragile, la saisira avec beaucoup de délicatesse, l'élè-
vera très haut pour être sur de ne pouvoir rien rencontrer sur son
1. Une double remarque s'impose pour ce qui va suivie :
l°On pourrait objecter que ces manifestations, considérées comme caractéristiques
du fond mental, sont elles-mêmes en réalité des phobies et des obsessions. Sans doute,
peut-on répondre, on trouvera toujours à la hase, des altérations relevant du même
état mental, puisque l'obsession n'est que l'exagération morbide de cet état. Mais,
par définition, ces troubles ne sont pas des obsessions, au sens propre du mot, puis-
qu'ils ne s'accompagnent pas d'anxiété, et que le malade ignore leur nature patholo-
gique. C'est en effet le plus soin eut le médecin qui les lui révèle ail cours de I exa-
men
21 Le médecin consulté doit compter, pour les établir, plus sur l'interrogatoire du
malade que sur son observation directe. Cette dernière n'est en effet possihle que
lorsqu'il peut voir vivre le malade un certain temps, le suivie dans ses évolutions,
comme cela est possible à l'hôpital. On ne peut pas, en effet, déelancher à volonté
l'apparition de ces signes, comme on obtient la production d'un réflexe, et il faut les
voir quand ils se présentent.
ÉTAT MENTAL DES OBSÉDÉS 431
passage, et la déposera avec d'infinies précautions. Partout il dépasse
l'effort nécessaire.
Une autre altération porte sur la mise en train du mouvement. C'est
I hésitation du début. Tel est le sujet qui, au moment d'écrire, ou de
donner simplement sa signature, laissera quelques secondes, sa plume
immobile ou à peine animée d'un léger mouvement, avant de tracer les
traits qui, une fois commencés, se poursuivront normalement.
Une autre particularité s'observe également à la fin du mouvement,
que le sujet prolonge sans nécessité. C'est la continuation après achève-
ment. Ferme-t-ilune porte à clef? Il continuera à tourner la clef dans la
serrure, bien que cependant la fermeture soit complètement réalisée.
Doit-il éteindre une lartq^e électrique ? Il continue la pression sur l'in-
terrupteur, alors que la lumière a déjà disparu. Timbre-t-il une lettre?
II continue d'appuyer le doigt sur le timbre bien plus longtemps qu'il
n'est nécessaire pour en assurer l'adhérence.
Mais de tous les troubles moteurs, le plus intéressant et le plus fré-
quent est la répétition du mouvement. Regardons un de ces sujets faire
une malle ou ranger un placard. Il place les objets une première fois,
les ressort, les pose à un autre endroit, les reprend pour les mettre
ailleurs, les retourne, ne les trouve jamais bien placés et les met dans
divers sens ayant de les laisser définitivement. Dépose-t-il un objet sur
une table? Il le déplace, le dérange à plusieurs reprises, le tourne, le
retourne, avant d'être satisfait de sa position. Au moment de mettre
une lettre à la poste, ces sujets vérifient à plusieurs reprises l'adresse,
s'assurent que l'enveloppe est bien cachetée et s'y reprennent à plu-
sieurs fois avant de la glisser à la boîte. Ferment-ils leur porte? Ils la
poussent à plusieurs reprises pour s'assurer qu'elle est bien fermée.
Dans le domaine sensitivo-sensoriel, nous retrouvons des modifica-
tions exactement superposables à celles observées dans le domaine moteur;
on ne relève pas de troubles organiques proprement dits : les sensa-
tions et perceptions sont normales, mais dans le domaine de la repré-
sentation et de l'imagination, on note principalement, là encore,
ï exagération, la persistance et la répétition.
\J exagération s'observe dans l'exaltation des représentations men-
tales et dans celle de l'imagination évocatrice. A la vue d'une souffrance
ressentie par une tierce personne, l'individu en éprouve de la douleur
dans la même région. A un degré plus accentué, la lecture ou la des-
cription provoque les mêmes phénomènes. A la lecture d'un roman, à
la vue d'une pièce de théâtre, le sujet oublie sa propre personnalité
pour prendre celle des personnages du livre ou de la pièce* Il lui sein-
132 CL. VI m'As
hic (|u il s'agit de lui, car il s'identifie avec- les héros qui lui sont repré-
sentés.
La persistance des représentations mentales s'ajoute à cette exalta-
tion. K... Léon, musicien, assiste, dans un cirque, à la chute d'un équi-
libriste qui s'est simplement blessé. L'impression de cette scène va en
s'amplifiant, et pendant plusieurs jours, il ne peut chasser cette vision
de son esprit.
Enfin, c'est la répétition des représentations et des idées. De telles
personnes reviennent constamment sur les mêmes faits. Assistent-elles
à une discussion ou à un accident? Pendant plusieurs jours elles n'entre-
tiennent leur entourage que de cet événement. Il n'est pas nécessaire
qu'une scène impressionnante les ait frappées. Mais un incident banal
qui a fixé leur attention revient constamment à leur esprit. Elles répè-
tent toujours les mêmes choses et racontent les mêmes histoires.
11 convient d'ailleurs de ne pas confondre cet état, qui relève d'un
fond émotif, avec le rabâchage du débile ou du dément chez qui l'indi-
gence intellectuelle et la pénurie des images ramènent toujours les
mêmes à l'esprit.
11 ne faut pas davantage, dans l'ordre moteur, confondre avec ces
caractères d'exagération, de persistance, de répétition, traduisant l'état
mental des obsédés, les stéréotypies des déments, — déments précoces en
particulier, — ainsi que les gestes ou attitudes voulues de certains déli-
rants sous la dépendance même de leurs idées délirantes. Il y a donc
lieude ne pas isoler, chez les obsédés, les modifications de l'état moteur,
des manifestations des représentations mentales et de l'imagination.
La lecture est assurément le plus facile à examiner de tous les actes
dans lesquels se trouvent à la fois réunies des impressions sensitivo-
sensorielles. des incitations motrices, des opérations intellectuelles
multiples, telles que représentation, mémoire, imagination, etc. Cet
examen sera particulièrement intéressant chez l'obsédé, soit qu'on le
fasse lire devant soi, soit surtout qu'on l'interroge sur ses diverses
réactions à la lecture. Tout d'abord, au lieu délire d'un trait, avec une
certaine vitesse, il s'arrête à chaque mot, voulant en avoir la significa-
tion et la représentation complètes, ce qui coupe la phrase et rend la
compréhension plus difficile. Il revient alors sur les mots déjà lus,
décompose la phrase et arrive à perdre le fil du récit en voulant trop
le scruter et le comprendre. Ce qu'il lait pour les mots, il k- refait poin-
tes phrases, qu'il recommence à plusieurs reprises, afin d'en mieux
pénétrer h- sens, et parune trop grande minutie Au détail il n'arrive
qu'à obscurcir et embrouiller le sens gênerai (lu texte, ce qui l'oblige à
ÉTAT MENTAL DES OBSÉDÉS 433
recommencer. Il en résulte une lenteur désespérante de la lecture qui,
au lieu d'un plaisir, devient une fatigue et même un acte pénible.
Les mêmes lenteurs, dues aux mêmes hésitations et répétitions, se repro-
duisent dans les divers actes de la vie courante.
En somme, ces sujets ne manquent en général ni de vivacité ni
d'adresse, mais ce qui ralentit leurs actes, c'est la multiplicité des mouve-
ments inutiles.
L'imagination des obsédés esten général d'une richesse remarquable,
et dans certains cas elle les dessert en assombrissant les moindres
événements auxquels elle attache toujours quelques complications
fâcheuses. Dans d'antres cas, par contre, elle devient un point d'appui
pour le sujet et lui fournit parfois un moyen de lutter contre son obses-
sion, témoin cette observation rapportée par Truelle et Eissen !. Un
obsédé délirant, voulant essayer de guérir sa peur de l'obsession par
une peur encore plusviolente, imagine, — après lecture d'une histoire
analogue, rapportée par un fait divers, — qu'il était médecin à bord
d'un bateau. Ce bateau transportait des cobras dans une caisse. La
caisse s'était ouverte et tous les serpents se répandaient à travers le
navire. Pendant quinze jours, il vécut ce rêve volontaire, ne voyant
rien de ce qui se passait autour de lui, faisant abstraction du milieu
réel, et conformant sa conduite à la scène imaginée.
Nous avons vu que les particularités observées dans l'état moteur,
se manifestent surtout dans les menus faits de la vie courante. Comment
se comportent les sujets dont la vie ordinaire se compose surtout de
menus faits ?
Un teneur de livres vérifiait à tout instant ses comptes et sa caisse ;
un receveur d'omnibus et un garçon de café recomptaient constam-
ment leur monnaie, craignant toujours de s'être trompés ou de n'avoir
pas fait payer un client. Une ménagère recommençait plusieurs fois de
suite ses nettoyages. En somme, tous étaient gênés dans leurs occupa-
tions, que certains durent même interrompre pour ce motif.
Or, qu'exigent ces professions ? C'est avant tout un bon automa-
tisme. Pour qu'un comptable exerce sa profession facilement et sans
fatigue, il faut qu'il puisse faire ses comptes et sa caisse au milieu i\u
1. Truelle et Eissen, Pseudo-délire par aulo-suggestion chez un obsédé, in Annales
médico-psychologiques, mai HlliS.
CONFÉR. NEUROL. '28
i:;i CL. VURPAS
bruit du magasin el des conversations des clients. De même, pour le
receveur d'omnibus qui, tout en faisant payer ses voyageurs, peut
donner des renseignements et soutenir la conversation avec d'autres
personnes. De même le garçon de café qui, tout en recevant sa mon-
naie, parle, plaisante même avec les consommateurs. Toutes ces
occupations doivent être en quelque sorte tout automatiques. La
gène que l'on observera dans ces cas, traduira donc une défectuosité de
l'automatisme, et il semble qu'en effet, ces troubles de l'automatisme
sont précisément ceux qui forment le fond mental des phobiques et des
obsédés '.
Quelle est maintenant l'évolution de ces troubles ? La crise d'obses-
sion guérit habituellement, quitte à se reproduire après un temps plus
ou moins long, mais dans l'intervalle persistent toujours des obses-
sions isolées ou des idées obsédantes qui ne sont que l'exagération du
fond mental même, et l'on doit parler, dans ces cas, de rémissions
plutôt que de véritable guérison.
Il y a lieu de mentionner toutefois, qu'avec l'âge, les obsessions
peuvent augmenter d'intensité, aller en s'aggravant, les paroxysmes
devenir plus longs, en même temps que les intervalles qui les séparent
se raccourcissent jusqu'à passer à l'état presque continu, se rappro-
chant, par certains côtés, dans ces cas, des phénomènes délirants.
Les relations des obsessions avec les délires peuvent affecter plu-
sieurs types :
1° L'obsession est masquée par l'apparition d'un délire: confusion
mentale, délire onirique, par exemple.
2° L'obsession existe à côté des idées délirantes: un obsédé fait un
délire et conserve sa tournure d'esprit habituelle.
3° L'idée délirante prend un caractère obsédant.
4° C'est une hallucination qui prend ce caractère obsédant, et à ce
sujet nous devons rappeler les cas d'hallucinations obsédantes et
1. Sans doule, l'exercice des professions intellectuelles peut être également gêné par
les obsessions et les phobies, témoin le médecin on le prêtre, obligés d'interrompre
leur service, l'un s'accusant de la mort de ses malades, l'autre d'un état de conscience
incompatible avec son ministère. Mais là encore, la l'onction intéressée, quelle
qu'elle soit, est L'équivalent, à un degré supérieur, de celle que nous venons de saisir
dans le mécanisme le plus simple de la vie courante matérielle, les troubles moteurs
que nous avons signalés on étant l'expression apparente.
ÉTAT MENTAL DES OBSÉDÉS 435
d'obsessions hallucinatoires que M. Séglas ' a si bien mis en lumière.
5° Le sujet prend son obsession comme point de départ d'un délire
qu'échafauderont une activité mentale mal orientée et un besoin débor-
dant d'analyse. Par ce mécanisme pourront éclore des délires par ana-
lyse ou, si l'on vent, par introspection, qui prendront des tournures
différentes, suivant le sens dans lequel se dirigeront les investigations
délirantes des sujets 2.
6° Il peut arriver, dans des cas très rares, chez les obsédés délirants,
que le délire provoque la disparition des obsessions, réalisant, pour le
malade, un véritable « truc » mental. L... Clémence, 56 ans, a toujours
été une phobique, une douteuse, une obsédée. Elle doutait de la plu-
part de ses actes, s'accusait de fautes imaginaires, ne trouvait rien de
bien dans ce qu'elle faisait, et aurait toujours désiré mieux. Survient
le décès de son père qu'elle avait soigné avec beaucoup de dévoue-
ment. La veille de cette mort, l'idée que. pour lui, ce serait une déli-
vrance, lui avait traversé l'esprit. Le lendemain, elle s'imagina qu'elle
avait désiré sa mort ; huit jours plus tard, elle s'accusait de l'avoir tué
par ces trois paroles. Elle fait alors un délire d'auto-accusation, disant
qu'elle est une misérable, qu'elle a causé la mort de son père, qu'elle
est damnée et qu'elle est morte. Mille démons cruels, dit-elle, lui ont
arraché le cœur. Quelques mois plus tard, elle conservait l'idée qu'elle
était morte et damnée. Ses obsessions et ses doutes ont disparu, une
morte ne saurait avoir des obsessions ; et depuis lors, elle vit avec son
délire, complètement débarrassée de ses obsessions. Depuis plus de
vingt ans, ces troubles ne se sont pas modifiés : la malade vit calme
et tranquille, n'a aucune des réactions du délire de négation ordinaire
auquel se rapporteraient ces troubles mentaux, et l'affection n'évolue
pas vers la démence. Il semble qu'il s'agisse là d'un véritable moyen de
défense qui, une fois révélé au malade, lui sert à l'avenir pour se sous-
traire à ses obsessions.
1. Séglas, Annales médico-psychologiques, 1892, et Leçons de la Salpêtrière, 1894. —
Nous rappelons à ce sujet les descriptions remarquables et demeurées classiques que
M. Séglas a données de l'obsession etles pages importantes que M. Chaslin a consacrées
à ce sujet dans sou intéressant ouvrage : Eléments de sémiologie et clinique mentales,
Paris, 1912 ; et nous regrettons que la place limitée dont nous disposons ne nous per-
mette pas de mentionner les principaux auteurs qui ont traité de la question des obses-
sions, tels que Magnan, Pitres et Régis, Raymond et Pierre Janet, etc., etc., pour ne
parler que des modernes.
2. Vurpas, Contribution à l'étude des délires systématisés, Thèse inaugurale, Paris,
1902.
Vaschiut. et Vurpas, La logique morbide, l'analyse mentale, Paris, 1903.
I 36 CL. VURPAS
Nous sommes ainsi amenés à considérer l'obsession au cours d autres
états morbides. Cest ainsi que l'on voit des obsessions dans des états
neurasthéniques, symptomatiques de diverses affections, et même
jusque dans les troubles neurasthéniques du début de certaines para-
lysies générales. Les obsessions que l'on observe dans ces cas se rap-
portent habituellement à l'objet de la maladie, et fréquemment à la
crainte de- la syphilis et de ses conséquences. Ces obsessions ne sont
ordinairement pas très tenaces, et s'atténuent assez vite à mesure que
l'affection marche vers l'affaiblissement intellectuel. S'il arrive que
1 on en observe dans des périodes plus avancées, elles sont beaucoup
plus rares, et marquées elles mêmes du caractère profondément
démentiel de celte maladie.
Au cours d'autres affections empreintes également d'affaiblissement
intellectuel, on peut voir apparaître des obsessions. Ainsi en est-il, dans
certains ramollissements cérébraux, à la suitede traumatismes crâniens
violents, dans l'artério sclérose, ou dans la sénilité.
Dans tous ces états, les obsessions ne présentent pas de caractères
très particuliers et tirent surtout leur physionomie des troubles sur
lesquels elles évoluent.
Un fait parait digne d'attirer l'attention : c'est l'existence, chez des
artério-scléreux, de phénomènes de dépression avec crises d'obsessions
précédant d'un an ou deux l'apparition d'une hémorragie cérébrale.
Un certain nombre d'obsessions et de phobies peuvent également
s'observer dans l'hystérie et l'épilepsie. Il y a lieu de les distinguer des
idées fixes, plus fréquentes dans ces deux névroses, —où elles n'ont,
d'ailleurs, pas de caractère bien particulier.
Une place spéciale doit être faite aux obsessions que l'on observe
dans la période prodromique de la démence précoce et qui sont remar-
quables surtout par l'intensité de leurs manifestations, - extérieures du
moins, — car d une façon générale, 1 émotivite semble toujours dimi-
nuée dans ces états Un second caractère serait constitué par leur
précocité.
Des obsessions etdes phobies s observent également, — quoique plus
mobiles et plus fugaces, - dans le cours de la démenée précoce.
Toutes ces obsessions ne sont en somme que des symptômes dalïee-
tioris déterminées, dont l'évolution seule importe.
Si nous faisons abstraction de cette seconde catégorie d'obsessions
>
ÉTAT M EXT AL DES OBSÉDÉS 437
pour n'envisager que celles de la première qui ne peuvent être ratta-
chées à aucune affection précise, et qui constituent à elles seules toute
la maladie, nous pourrons dire que, d'une façon générale, l'obsession ne
conduit pas à V aliénation mentale. Les obsédés ne doivent donc pas être
internés.
D'autre part, remarquons que l'on observe les obsessions surtout
dans la période prodromique des affections au cours desquelles elles
évoluent, lorsque le malade n'est pas encore un aliéné au sens propre
du mot, ou lorsque l'intelligence est encore relativement conservée. Il
semble qu'alors il y ait rupture d'équilibre entre les éléments intellec-
tuels et automatiques, plutôt que véritable déficit intellectuel.
Si nous rapprochons ce fait de ceux que nous avons observés dans les
obsessions constituant à elles seules tout le trouble mental, nous arri-
vons à une constatation analogue. Tous les faits traduisant l'état de
l'intelligence chez les obsédés montrent, en effet, que ce ne sont pas les
fonctions supérieures proprement dites qui sont intéressées, et nous
sommes ainsi amenés à nous demander si l'obsession n'est pas simple-
ment/a réaction de l'intelligence à la défectuosité de l'automatisme.
DIX-SEPTIÈME CONFÉRENCE
GEORGES BOURGUIGNON
Chef du laboratoire dElectro-Radiothérapie de la Salpêtrière.
LA CHRONAXIE
Messieurs,
Permettez-moi d'abord de remercier bien sincèrement M. le Profes-
seur Pierre Marie de m'avoir fait l'honneur de me confier cette
leçon sur la « Chronaxie ». Je vais essayer de vous démontrer ce qu'est
la chronaxie et de vous exposer son rôle en électrophysiologie et en
électrodiagnostic, tel que l'ont établi les recherches de M. le Pr La-
picque et mes recherches personnelles.
L'électrodiagnostic passe actuellement, si je puis dire, par une crise.
Tous les électrothérapeutes savent que la loi de Dubois-Reymond,
qui est la base des mesures classiques en électrodiagnostic, est erro-
née, et cependant ils continuent à s'en servir : c'est qu'on ne change
pas du jour au lendemain ses habitudes d'esprit ni son instrumen-
tation.
Depuis 1894, les recherches d'Hoorweg, médecin électrothérapeute à
Utrecht,ontdémontré définitivement, grâce à l'emploi des décharges de
condensateurs, que la loi de Dubois-Reymond est fausse. Le professeur
Weiss, actuellement professeur de physique médicale et doyen de la
Facultéde médecine de Strasbourg, a donné, en 1901,1a loi d'excitation
qui porte son nom. Partant des recherches de Weiss, le professeur
Lapicque, actuellement professeur de physiologie à la Faculté des
sciences de Paris, a établi une mesure de l'excitabilité par un para-
mètre qu'il a appelée « Chronaxie » (1905). Mes recherches person-
nelles, commencées en 1911, ont eu pour but et pour résultat, après
quelques tentatives de Doumer et de Cluzet, d'introduire cette mesure
de l'excitabilité en électrodiagnostic et de mettre d'accord l'électro-
diagnostic et l'électrophysiologie actuelle. Ce faisant, j'ai de plus décou-
vert des lois d'électrophysiologie générale normale et pathologique.
Qu'est-ce donc que la « Chronaxie » ?
I iu G. BOURGUU, SOIS
Pour le comprendre, il est nécessaire de repasser rapidement en
revue les notions anciennes d'électrophysiologie, établies par Dubois-
Revmond.
I. Les ondes électriques employées en électrophysiologie.
— Considérons d'abord l'action sur les nerfs et les muselés du cou>-
rant électrique le plus simple, le courant continu d'intensité constante,
fourni A par une batterie de piles ou d'accumulateurs, établi ou coupé
brusquement au moyen d'une pédale, c'est-à-dire dans les conditions
dans lesquelles opérait Dubois-Reymond .
Au moment où l'on ferme le circuit, si ce circuit ne renferme aucune
bobine, c'est à-dire aucune self, le courant s'établit instantanément et
l'intensité passe instantanément de 0 à sa valeur déterminée par la loi
V
d'Ohm I = — dans laquelle I représente l'intensité en ampères, V la
ri
différence de potentiel, en volts, à l'origine du circuit, et R la résis-
tance, en ohms, supposée invariable, du circuit
Une fois cette valeur atteinte, le courant passe avec la même inten-
sité jusqu'à ce qu'on ouvre le circuit. A ce moment le courant cesse
brusquement de passer, et instantanément, son intensité tombe de la
V
valeur I == — à 0. Le temps qui s'est écoulé entre la fermeture et
R
l'ouverture du circuit'est le temps de passage du courant.
Une portion de courant, comprise ainsi entre une fermeture et une
ouverture, est ce qu'on appelle une onde électrique. Si nous faisons le
graphique de l'onde que nous considérons en portant en abscisses les
temps et en ordonnées les intensités, nous voyons que cette onde a une
forme rectangulaire. La longueur totale de l'abscisse comprise entre le
moment de la fermeture du circuit et celui de l'ouverture, mesure le
temps de passage du courant ou durée de l'onde électrique. L'intensité
étant constante, toutes les ordonnées d'intensité sont égales. La ligne
qui réunit les points est donc une droite parallèle à l'axe des abscisses.
La hauteur de cette ordonnée mesure l'intensité du courant : cette onde
a donc une forme rectangulaire ; on l'appelle une « onde rectangulaire »,
La surface du rectangle déterminée par la ligne parallèle à l'a\c des
abscisses, par cet axe et par les deux ordonnées d'intensité égales
entre elles correspondant au moment de la fermeture et de l'ouverture
du circuit (voir lig. 1 i, c'est-à-dire de rétablissement et de la rupture
brusques du courant, mesure la quantité d'électricité qui a passé :
c'est dire que, pour un courant constant, la quantité d'électricité est
LA CHRONAXIE
441
égale au produit de l'intensité du courant par le temps de son pas-
sage :
q = il.
C'est exactement la même chose que pour calculer la quantité d'eau
7êmps en secooc/és
Fig. 1.
Onde rectangulaire. (F.a surface hachée du rectangle mesure la
quantité d'électricité : q = it.)
fournie par un robinet de débit constant ; il suffit de multiplier le débit
(nombre de litres à l'heure) par le temps pendant lequel le robinet a
coulé.
Si, outre l'intensité, nous connaissons le voltage V, sous lequel le
courant a passé, nous pouvons connaître, par un calcul très simple,
l'énergie fournie par cette onde rectangulaire : l'énergie qu'on désigne
parla lettre West égale, pour un courant constant, au produit de la
quantité d'électricité multipliée par le voltage : W = qV. On écrit
aussi cette relation d'une autre manière, en remplaçant*/ par sa valeur
1/ et V par sa valeur tirée de la loi d'Ohm V = RI. On obtient donc :
W = RI X IT = RI-T. C'est la forme sous laquelle on exprime
le plus souvent l'énergie ; c'est sous cette forme qu'on calcule la quantité
de chaleur dégagée par un courant circulant dans un circuit métal-
lique dans lequel il ne se passe aucun phénomène autre que réchauffe-
ment, toute l'énergie électrique étant alors transformée en chaleur.
Quand nous connaissons l'intensité d'une onde rectangulaire, son
voltage, et sa durée, nous avons donc tout ce qu'il faut pour la définir
142
G. Bol in.i IG \n\
et connaître la quantité d'électricité et la quantité d'énergie qu'elle a
fournies.
Si maintenant nous considérons une onde de forme plus complexe,
dont l'intensité n'est pas constante, mais varie à chaque instant, telle
qu'une onde induite par exemple (voir fig. 2) ou l'onde de décharge d'un
condensateur (voir fig. 5), nous aurons toujours à considérer la quan-
tité d'électricité, représentée sur le graphique par la surface délimitée
Inducteur
Induit
v :
Temps
Fig. 2. — Courant inducteur et ondes induites de fermeture et ouvertuie. Cet oscillojïramnie
a été pris dans le Laboratoire de M. Blondel avec la collaboration de MM. Camille Uapp
et Villemin.
par la ligne qui représente la variation d'intensité entre le moment où
l'onde s'établit et celui où elle disparait et le temps de passage ou durée
de l'onde, représentée par la longueur d'abscisse comprise entre le
moment d'établissement de l'onde et le moment de sa disparition;
mais la surface ainsi délimitée est complexe ; sa forme varie à l'infini
avec toutes les ondes qu'on peut obtenir, et le calcul de cette surface
n'est plus un calcul simple comme celui que l'on a à faire dans le cas
de l'onde rectangulaire Je n'entrerai pas dans le détail de ces calculs
dans lesquels il faut faire intervenir le calcul intégral et le calcul diffé-
rentiel.
Nous retiendrons seulement les notions générales suivantes : une
onde électrique est caractérisée quand on en connaît la durée, Informe
et les quantités a électricité et d'énergie
On peut donc étudier l'excitation électrique des nerfs et des muscles
avec des ondes de n'importe quelle forme, pourvu qu'on en connaisse
tous les éléments.
Pratiquement, pour exciter un nerf ou un muscle avec une onde
électrique isolée, nous employons les ondes suivantes (je laisse de
côté l'excitation par les ondes répétées, les séries il ondes : il laul
LA CHHOAAXIE 443
alors faire intervenir la période ou le rythme de ces ondes dites pério-
diques) :
1° L'onde rectangulaire, de beaucoup la plus simple et la plus facile
à connaître dans tous ses éléments (voir fig. 1;.
2° Des ondes de forme logarithmique, représentées par l'onde d'ou-
verture du chariot d'induction, et par les ondes de décharges de con-
densateurs dans un circuit sans self (voir fig. 2 et fig. 5).
3° Des ondes d'intensité constante, mais à établissement ou rupture
progressifs, qui ont donc une période d intensité constante, précédée
ou suivie d'une période d'intensité variable : On les réalise de diffé-
rentes manières, avec des rhéostats, avec des selfs introduites en série
dans le circuit, avec des condensateurs en dérivation. Un exemple de
courant à établissement progressif est donné par la forme du courant
inducteur qui s'établit progressivement à cause de la self de la bobine
primaire (voir fig. 2).
Dans le cas des selfs en série et des condensateurs en dérivation, des
formules mathématiques permettent de calculer le temps de la phase
variable du courant. On peut aussi réaliser de telles ondes avec les
appareils connus en électrothérapie sous le nom d'onduleurs.
II. Loi de Dubois-Reymond. — Dubois-Reymond, dans les
expériences qu'il a faites pour établir sa loi, s'est servi des ondes rec-
tangulaires et des ondes d intensité constante établies ou rompues
progressivement. Il s'est servi des ondes induites dans certaines
recherches, puisqu'il a construit le chariot qui porte son nom et dont
nos chariots actuels ne sont que des modifications, mais il ne s'en est
pas servi pour l'étude de la loi d'excitation.
Avec sa technique, Dubois-Reymond pouvait faire varier l'intensité
de l'onde rectangulaire par fractions de milliampère depuis 0 jusqu'à
un nombre de milliampères suffisant pour détruire les tissus parélectro-
lyse ; mais le temps pendant lequel il pouvait faire passer le courant
ne pouvait pas être inférieur au temps le plus court dans lequel on peut
exécuter le double mouvement d'appuyer sur la clef pour fermer le
circuit et de la lâcher pour l'ouvrir: or l'expérience a montré que le
temps de passage de courant le plus court que l'on puisse ainsi réaliser
est d environ de seconde.
1000
Dubois-Reymond n'a donc pu étudier que les durées [de passage du
mrant comprises entre -
temps avec un métronome.
courant comprises entre — ■ de seconde et l'infini. Il mesurait le
1 1000
1 1 1
a. notin.i n; \o,\
Ses expériences ont porté sur un seul muscle, le gastrocnémien de
la grenouille, excité directement ou par le n.erf sciatique.
Les expériences de Dubois-Reymond peuvent se résumer de la façon
suivante :
1 L'excitation ne se produit qu'à la fermeture età l'ouverture du cou-
rant, pourvu que l'intensité soit suffisante. Pendant le passage du cou-
rant d'intensité constante, il ne se produit aucune excitation.
2° Si, pendant qu'un courant constant passe, on en augmente ou
Courant a ëta6//ssemen( ôrusçue
Fig. 3 — Efficacité décroissante des ondes établies progressivement : 1 intensité est celle
du seuil. — A la pente limite, aucune intensité n est efficace.
diminue brusquement l'intensité, ces variations brusques d'intensité,
agissent respectivement comme une fermeture ou une ouverture de
courant et déterminent l'excitation.
3° Si on établit ou rompt un courant progressivement, il faut employer
une intensité d'autant plus grande que la variation d'intensité est plus
lente. Avec un établissement progressif du courant suffisamment lent,
l'excitation ne se produit plus, quelle que soit l'intensité atteinte : il y a
donc une pente limite d'établissement du courant, au-dessous de
laquelle aucune intensité n'est efficace (voir lig. 3),
De eette première série d'expériences Dubois-Reymond conclut que
ce n'est pas la valeur de l'intensité du courant qui est le facteur de
l'excitation, mais simplement la variation d'intensité, et l'efficacité de
la variation d'intensité est d'autant plus grande qu'elleest plus brusque :
l'intensité la plus petite capable de donner la plus petite contraction
visible ou seuil, est l'intensité du courant établi ou rompu brusque-
ment.
LA CHRONAXIE 445
Dubois-Reymond a complété ces expériences en cherchant si le temps
de passage du courant jouait ou non un rôle dans l'excitation.
Avec les durées de passage du courant qu'il pouvait faire, Dubois-
Reymond a trouvé, cpie l'intensité donnant le seuil pour une fermeture
brusque du courant était la même, quel que soit le temps de passage
du courant. Le temps n'intervient donc pas.
Ce qu'on appelle « Loi de Dubois-Reymond » est simplement un
symbole mathématique que Dubois-Reymond a donné et qui exprime
l'ensemble de ces faits. On peut traduire ce symbole et résumer ces
faits en disant : 1° L'excitation est produite exclusivement par la
variation d'intensité en plus ou en moins et non par la valeur absolue
de l'intensité. 2° La variation d'intensité est d'autant plus efficace
qu'elle est plus rapide ; l'efficacité maxima est réalisée par la ferme-
ture ou l'ouverture instantanées d'un courant constant. 3° Le temps de
passage du courant, et par suite la quantité d'électricité et d'énergie,
n'ont aucun rôle dans le processus de l'excitation.
La mesure d'excitabilité par l'intensité qui donne le seuil avec le
courant galvanique n'est que l'application à l'électrodiagnostic de la loi
de Dubois-Reymond .
III. Découvertes en contradiction avec la loi de Dubois-
Reymond. — Quelques années après les travaux de Dubois-Reymond,
qui datent de 1845 à 1849, dès 1864, Fick essaya de vérifier la loi
de Dubois-Reymond sur des muscles autres que les muscles striés des
vertébrés. Les muscles striés des vertébrés ont une contraction de
durée courte ; ils ont ce qu'on appelle une contraction vive, ou mieux
une contraction rapide. Ils ont reçu le nom de muscles rapides. D'autres
muscles, tels que les muscles lisses des vertébrés, ou les muscles
volontaires de certains invertébrés, tels que les mollusques ou les
crustacés, ont au contraire des contractions de longue durée, ils
ont ce qu'on appelle des contractions lentes. Ces muscles sont appe-
lés « muscles lents ».
En répétant sur des muscles lents et en particulier sur l'adducteur
des valves de l'anodonte, les expériences de Dubois-Reymond, Fick
trouva des résultats contradictoires. S'il confirma le rôle de la variation
d'intensité, il vit que l'établissement ou la rupture progressive pou-
vaient être faits, sans'cesser d'être efficaces, beaucoup plus lente-
ment sur les muscles lents (pie sur les muscles rapides.
Dans l'étude de l'influence du temps de passage du courant, il vit
que pour les temps supérieurs aune certaine valeur, l'intensité don-
I II.
G. Itni H CI IG VOA
iKint le seuil avec une Fermeture brusque ae variait pas, c'est-à-dire
qu'il retrouvait la loi de DuboisiReymond ; au contraire pour les
temps plus courts, il fallait augmenter l'intensité pour obtenir le seuil
/
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Fi(î. 4 — Expérience de Fick sur un muscle lent. — Croissance de l'intensité
donnant le seuil pour les temps de plus en plus courts inférieurs à une certaine
valeur (0"5 dans le cas particulier).
au fur et à mesure qu'on diminuait la durée de passage du courant
(voir fig. 4) : l'intensité donnant le seuil dépendait donc du temps de pas-
sage du courant. La loi de Dubois-Reymond ne s'appliquait plus, et il
fallait faire jouer un rôle dans l'excitation, non seulement à l'intensité,
mais encore à la quantité d'électricité.
Fick chercha alors à étudier les muscles rapides avec des durées de
passage du courant plus petites que celles que Dubois-Reymond avait
réalisées, en substituant aux fermetures et ouvertures du circuit pro-
duites par une clef, des fermetures et ouvertures produites par un
appareil permettant des durées plus courtes que celles que la main peut
réaliser. Il retrouva sur les muscles rapides les mêmes phénomènes
que sur les muscles lents, mais le temps limite à partir duquel la loi de
Dubois-Reymond est exacte était beaucoup plus petit sur les muselés
rapides que sur les muscles lents.
Les résultats de Fick furent contestés en ce qui concerne les muscles
striés, en raison d'objections techniques faites à son appareil. La loi de
Dubois-Reymond continua donc à régner, malgré les expériences île
Fick, confirmées par d'autres auteurs, en particulier par Ilelmholtz et
par Engelmann (1870).
Il faut arriver jusqu'en 1894, aux expériences de Hoorweg ', pour voir
ébranler la loi de Dubois-Reymond.
1. Hoorweo, Archives de physiologie, 1897, page 269. Heaume* dea travaux antérieurs
publiés on allemand.
LA CHRONAXIE
447
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V
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Hoorweg fit ses expériences sur l'homme, dans les conditions de
l'électrodiagnostic, à l'aide des décharges de condensateurs que les
travaux de Chauveau, d'Arsonval, etc., venaient d'introduire dans la
pratique de l'électrophysiologie.
Si on charge un condensateur, en réunissant ses armatures aux deux
pôles d'une source de voltage connu, une batterie de piles ou d'accu-
mulateurs par exemple, le condensateur se charge au môme voltage V
que la source, et l'arma-
ture reliée au pôle positif
se charge positivement et
vice versa. Il se charge
d'une quantité d'électri-
cité qui est proportion-
nelle à la capacité G du
condensateur, et au vol-
tage, c'est-à-dire que la
quantité d'électricité se
mesure par le produit de
la nmritp nir 1p vnltïirfp. • Fi#- 5" ~ °,ndes de décharge dans un circuit de même résis-
ta CapaCltt pai le -\OJtage. tance de deux condensateurs de capacité C et 2 C, chargés
q = CV. Si, le condensa- au même vol,aSe-
teur étant chargé, on cou-
pe la communication avec la source, il reste chargé. Si alors on réunit
l'une à l'autre les deux armatures par un circuit sans self de résistance
R, le condensateur se décharge d'une manière continue, suivant une
loi bien définie. Le sens de l'onde de décharge est tel que l'électricité
chemine dans le circuit extérieur de l'armature chargée positivement à
l'armature chargée négativement. Dès que le circuit de décharge est
fermé, l'onde s'établit instantanément avec une intensité initiale mesu-
V
rée par la loi d'Ohm, c'est-à-dire égale à — ; mais, pendant toute la
ri
durée de la décharge, le voltage, et par suite l'intensité, diminuent
jusqu'à devenir nulles. Cettechute d'intensité^se fait suivant une courbe
(voirfig. 5) qui a une formulelogarithmique.
La durée de l'onde de décharge dépend de deux facteurs, la capacité
du condensateur et la résistance du circuit, et est proportionnelle à ces
deux facteurs, c'est-à-dire à leur produit. La durée de la décharge
dépend donc du produit RG de la résistance par la capacité. Ce
produit RC est ce qu'on appelle la constante de temps du conden-
sateur. Il est facile de comprendre que, avec le môme voltage de charge,
des condensateurs de capacités différentes se chargeant de quantités
1 18 G. uni lit.i a, \<>\
d'électricité proportionnelles à leur capacité, il faudra plus de temps
pour faire écouler, sous le môme voltage, une grande quantité d'élec-
tricité qu'une petite. De même, avec des condensateurs chargés de la
même quantité d'électricité, il faudra plus de temps pour les déchar-
ger à travers une grande résistance qu'à travers une petite.
Si donc nous déchargeons à travers des circuits de résistance égale
des condensateurs de capacités différentes, chargés au même voltage,
la durée de la décharge sera proportionnelle à la capacité (voir lig. 5).
11 était donc facile de vérifier la loi de Dubois- Reymond avec les
condensateurs. La résistance du circuit étant considérée comme cons-
tante, il suffisait d'étudier l'efficacité de condensateurs de capacité
différente chargés au même voltage. La résistance étant la même, l'in-
tensité initiale était la même. Les ondes fournies par ces différents
condensateurs ne di lieraient donc entre elles que par la durée de la
variation d'intensité. D'après la loi de Dubois-Reymond, la rapidité seule
de la variation d'intensité étant enjeu, le condensateur de la plus petite
capacité devait, pour un voltage déterminé, être plus efficace que les
condensateurs de capacité plus grande. Si on avait le seuil avec un
condensateur de 0mf01 par exemple, un condensateur de 0 m' 05 ou
plus ne devait donner aucune contraction. C'est l'expérience que fit
Hoorweg : elle lui donna le résultat opposé à celui que faisait prévoir
la loi de Dubois-Reymond. Donc la loi de Dubois-Reymond est fausse,
et c'est Fick et Engelmann qui ont raison.
IV. Loi de Weiss — En 1901, le professeur Weiss !, avec le
courant continu, a réalisé des ondes rectangulaires de très courte
durée, au moyen d'un pistolet dont la balle, de vitesse connue, coupe
successivement deux fils : la coupure du premier fil placé en dériva-
tion sur le circuit d'utilisation, établit le courant ; la coupure du 2S fil,
placé en série avec le sujet d'expériences, rompt le courant ; le 2e fil
peut être placé plus ou moins loin du 1er (voir lig. 11). La durci' du
courant dépend de la distance des lils et de la vitesse de la balle. A vil-
le pistolet dont je me sers à la Salpèlrière, dont la vitesse de halle est
de 227 mètres à la seconde, le temps de passage du courant est de
0 ,00(1011 pour un centimètre d'écart des lils, et de O0088 pour
2 mètres ; on peut doue étudier avec cet appareil faction des courants
de durées comprises entre ces deux limites
Weiss a étudié le gastroenémien de la grenouille. 11 place de grOS-
1. Weiss, Archives italiennes de Biologie, 1901.
LA CHRONAXIE
4491
ses résistances sans self (100.000 u au moins) en série, de sorte que
les variations de résistance des tissus sont négligeables, et qu'on peut
substituer à la lecture des intensités, rendue impossible pour ces
courtes durées de passage du courant, celle des voltages, toujours
possible. La résistance étant constante, l'intensité est toujours propor-
tionnelle au voltage.
Dans ces conditions, Weiss a confirmé les expériences de Fick et
Engelmann et montré que l'intensité qui donne le seuil diminue quand
on augmente la durée du passage du courant, jusqu'à une intensité
minima qui reste la même, bien qu'on continue à augmenter la durée
de passage du courant.
En portant les temps en abscisses et les intensités donnant le seuil
en ordonnées, Weiss a
établi une courbe qui est
de forme hyperbolique ;
à partir dune certaine
durée de passage du
courant, l'intensité ne
varie plus ; l'hyberbole
se continue donc par
une droite : c'est cette
partie rectiligne de la loi
que Dubois -Reymond
avait trouvée. A cette
hyperbole d'intensité
correspond une droite
de quantité, lorsqu'on Figl
porte en ordonnées les
quantités d ' électricité
qui ont donné le seuil, au lieu des intensités. Ces relations de 1 inten-
sité et de la quantité d'électricité avec le temps de passage du courant,
constituent la loi de Weiss, qui est générale. La droite de quantité et
l'hyperbole d'intensité s'expriment par les équations suivantes :
it = a -\- bt
25456769 OMI
/emps °n '/roooo &e seconde
Loi de Weiss Homme. — Biceps droit (Point moteur).
a =^ 0,0035 b = 39' t = ° = 000009
b
dans lesquelles / représente le temps pendant [lequel le courant a
passé, i l'intensité quia donné le seuil pour le courant de durée /, et a
et b deux constantes, dont l'une, a, est une constante de quantité, et
29
CONFliR. NFX'ROL.
C. liol n i,i n; \i>\
l'autre, 6, une constante d'intensité : a est l'ordonnée à l'origine de la
droite,/) est l'intensité minium à partir du moment où le temps n'in-
2 5 4 'a 6 7 S S t'a, II 12 IS 14 15 16 17 I» 19
à ^ K à Temps .£/? 1/taaûû de seconde
F»g- 7. — Loi de Weiss. — Homme. Extenseur commun des doigts gauche (Point moteur).
a = 0.0185 b - 39- t = £ = 0S00047.
(Nota : les points les plus voisins de l'origine s'infléchissent vers l'origine et n'appartiennent pas
à la droite Ce fait a été démontré par Lapicque.)
tervient plus, c'est le seuil tic Dubois-Reymond, c'est le seuil galvanique
classique. (Voir fig. 6 et 7 )
Ce que je viens de vous dire vous montre qu'on ne peut caractériser
l'excitabilité parla connaissance du seul seuil galvanique.
Dès ses premiers travaux, le professeur Weiss avait dit que la valeur
des constantes a et «6 de la loi d'excitation dépend non seulement de l'exci-
tabilité du tissu étudié, mais aussi des conditions expérimentales telles
que la distance des électrodes, leur surface, leur pression, etc. M;iis.
si, en variant ces conditions expérimentales, les valeurs a et /' trouvées
LA CHRONAXIE
451
pour un même nerf ou un même muscle varient, le rapport — des deux
constantes est invariable etne dépend quede l'excitabilité ;le professeur
Weiss avaitsuggéré que c'était dans la mesure de ce rapport — qu'on
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:
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Vo/taçes
H
1
^;io 10
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i *,
y
Capacités en microfarads
Fig. 8. — Loi de Hoorrwpg. —
a = 1 microcoulomb b.
- Homme. Long supinateur gauche (Point moteur).
37-5 - = 0«"026 t = 0""026 X 0,004 = 0-00010.
devrait chercher la caractéristique de l'excitabilité des nerfs et des
muscles sains ou malades
Hoorweg, dès 1894, avait montré, avec les condensateurs, sur
l'homme, que le voltage nécessaire pour obtenir le seuil diminue au fur
et à mesure qu'on emploie des capacités plus grandes jusqu'à une
valeur minima qui reste la même, quelle que soit la capacité em-
452 G. lioi m,i IGNOb
ployée. Cette variation du voltage en fonction de la capacité a sensi-
blement une forme hyperbolique, comme la variation de l'intensité en
fonction du temps de passage du courant dans la loi de Weiss. De
même, en portant en ordonnées les quantités d'électricité (<j = CV) on
obtient sensiblement Une droite. (Voir fig. 8.)
Cette loi, applicable seulement aux condensateurs, appelée « loi
d'Hoorweg », s'exprime par les équations suivantes :
V = — h b : c'est la loi des voltages
CV — a -f- bc : c'est la loi des quantités.
Dans ces formules V représente le voltage qui a donné le seuil, C la
capacité employée et a et b les deux constantes de la loi.
La constante a est la constante de quantité, comme dans la loi de
Weiss.
La constante b est la constante de voltage et correspond à la cons -
tante d'intensité b de la loi de Weiss. Les deux lois sont donc superpo-
sables, mais la loi d'Hoorweg est moins exacte que celle de Weiss et
n'est pas générale, tandis que celle de Weiss est générale. Le rapport
y , en condensateurs, est donc une capacité au lieu d'un t emps ; mais
nous avons vu que lorsque la résistance est constante, le temps de la
décharge du condensateur est proportionnel à sa capacité.
V. La chronaxie. — Partant de ces données, le professeur La-
... . a . . ,
picque ', par une étude svstematique, a montre que le rapport — était le
b
seul élément constant pour un muscle ou un nerf déterminés. Lorsqu'on
fait une série de déterminations sur un même muscle ou un même
nerf en changeant les conditions expérimentales, on trouve autant
d'hyperboles d'intensité et autant de droites de quantités qu'on a em-
ployé de dispositions expérimentales différentes (surface des élec-
trodes, distance des électrodes, etc.) ; mais toutes les hyperboles sont
parallèles, et toutes les droites convergent en un même point (voir
1. On trouvera les travaux du Pr Lapicque et de M",e Lapicquesur l'excitabilité dans
les publications suivantes :
k) lievue générale des sciences, 15 février 1910.
b) Mm° Lapicqi e. Thèse de la Faculté des sciences, 1905.
c) Journal de l'hysiologie cl de Pathologie générales, domptes rendus de l'Académie
des sciences. Société de Biologie 1906 à 191-1 .
LA CHRONAXIE
453
fig. 9) : elles se rencontrent au point où elles coupentl'axe des abscisses
du côté négatif lorsqu'on les prolonge. Il y a donc une longueur d'abs-
cisse, c'est-à-dire un temps de passage du courant, constants pour un
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J io*oa
_r- O "* ooo/2_
- 7 -, - y
Fig. 9. — Deux lois de Weiss obtenues sur le même muscle pour deux situations diffé-
rentes de l'électrode active. — Hcmme. Long supinateur gauche.
organe donné : c'est ce temps qui en caractérise l'excitabilité, c'est lui
([ue Lapicque appelle « chronaxie ». Or ce point de convergence des
droites est celui où q = o. Le calcul montre que précisément lorsque
q = o, t = — — . Si nous cherchons, du côté positif, quelle est
b
l'intensité qui donne le seuil, lorsque le temps de passage du
courant est égal à- , c'est-à-dire à la chronaxie, il est facile devoir
b
que c'est lorsque l'intensité est égale à 2 b. En effet, si, dans la formule
de Weiss, nous prenons :
454 G. BOURGUIG \<>\
t — t, la formule i = + b
b t
- - ab = />
devient : i = h 4- b. Or a = -
l b °
donc i==b-\-b = 2b.
Le professeur Lapicque donne à la constante b (seuil galvanique) le
nom de «Rhéobase » ou « seuil fondamental ».
Dès lors, on peut donner, comme l'a fait le professeur Lapicque, une
définition empirique de la rhéobase et de la chronaxie indépendante de
toute considération théorique sur la loi d'excitation :
La « Rhéobase » est l'intensité nécessaire pour obtenir le seuil de la con-
traction avec une fermeture de courant prolongé (seuil galvanique clas-
sique)
La « Chronaxie » est le temps de passage du courant nécessaire pour
obtenir le seuil de la contraction avec une intensité double de la Rhéo-
base.
Pour connaître la chronaxie, il suffît donc de chercher le seuil de
fermeture galvanique avec une clef, puis de doubler le voltage corres-
pondant, et de chercher le temps de passage du courant nécessaire pour
obtenir le seuil avec le voltage double de celui de la rhéobase. {\o\v
lig. 6, 7, et 9.)
Pour mesurer le temps de passage du courant on peut employer un
appareil donnant des ondes rectangulaires de durée connue, comme
le pistolet de Weiss 1 .
Mais on peut aussi employer les décharges de condensateurs. Pour
cela, il suffit, comme l'a fait Lapicque, de constituer un circuit de
telle manière que la résistance du circuit soit indépendante de celle du
tissu ou du sujet en expérience. On réalise un tel circuit en mettant une
résistance en série avec le sujet, une résistance en dérivation sur ce
système et une résistance en série avant la bifurcation du circuit.
En physiologie animale, dans les expériences sur les nerfs et les
muscles isolés de l'organisme, Lapicque met 7.000 u en série dans le
circuit général, 3.000 <■» en dérivation, et 10.000 t» en série clans la
branche de bifurcation dans laquelle se trouve le tissu en expé-
rience.
1. Depuis cette leçon, le professeur agrégé Strtihl a présenté un appareil appelé
« égersimétre ». qui remplace avantageusement le pistolet »l«' Weiss parce qu'il sst d uai
manœuvre plus rapide.
LA CHRONAXIE 455
Ce circuit a une résistance constante à -- près de 10.000 « quelle
que soit la résistance du tissu mis dans le circuit. Le temps de la dé-
charge est donc proportionnel exclusivement à la capacité. On cherche
donc la capacité qui donne le seuil avec le voltage double de celui qui
a donné le seuil avec le courant galvanique. Cette capacité correspond
à la chronaxie, que Lapicque désigne dans les formules par la lettre x :
je l'appelle donc C~. On peut donc, si on connaît préalablement la
chronaxie mesurée en temps avec le pistolet de Weiss, poser :
- = RCt K, K étant une constante.
Lapicque a trouvé cette constante égale à 0,37. On peut donc calculer
la chronaxie par la formule :
- = RCt X 0,37.
En étudiant la chronaxie dans la série animale, soit avec les conden-
sateurs, soit avec le pistolet de Weiss ou d'autres appareils basés sur
le même principe, Lapicque a donné une série de lois de physiologie
générale qu'on peut résumer ainsi :
1" La chronaxie caractérise l'excitabilité et ne varie pas avec les
conditions expérimentales, sauf la température.
2° Un muscle et son nerf moteur ont la même chronaxie : c'est la loi
de Yisochronisme du nerf moteur et du muscle.
3° Lorsque la chronaxie de l'un des deux organes varie seule, il y a
inexcitabilité par le nerf lorsque le rapport des chronaxies du nerf et
du muscle dépasse 2.
Ainsi le curare modifie la chronaxie du muscle sans changer celle du
nerf : la curarisation est complète, c'est-à-dire qu'il y a inexci-
tabilité par le nerf lorsque la chronaxie du muscle a doublé. Au
contraire, la strychnine fait varier la chronaxie du nerf sans
modifier celle du muscle. Sous l'influence de la strychnine, la
chronaxie du nerf diminue: il y a inexcitabilité par le nerf lorsque la
chronaxie du nerf est arrivée à la moitié de sa valeur L'excitation du
muscle par le nerf exige, en quelque sorte, la résonance des deux
organes, hlsochronisme est la condition de leur fonctionnement, qui
n'est compatible qu'avec un hétérochronisme ou une discordance,
légers.
Cette découverte est capitale Elle nous montre qu'il faut distinguer,
en pathologie, deux sortes d'inexcitabilité parle nerf: 1° l'inexcitabi-
lité réelle, qui correspond à la mort du cylindraxe, comme il arrive
après section au bout de quelques jours ; 2° l'inexcitabilité apparente
du nerf, qui traduit seulement l'hétérocbronisme du nerf et du muscle.
156 G. BOUnr,UIG.M)\
Le seul procédé (|iii permettrait de distinguer ces deux inexcitabi-
lités du iierl serait la recherche de la variation négative du nerf: le
nerf réellement inexcitable ne donne plus de variation négative, tandis
que dans l'inexcitabilité par hétérochronisme la variation négative
persiste. Malheureusement nous n'avons encore aucun moyen pratique
défaire cette recherche sur un sujet entier. Aussi je m'abstiens toujours
de dire : « Le nerf est inexcitable », mais je dis : « Le muscle est inexcitable
par l'intermédiaire du nerf» . Espérons que les progrès de la science
nous permettront un jour d'aller plus loin.
Quoi qu'il en soit, ces faits doivent nous mettre en garde contre des
jugements hâtifs et nous ne devons tirer de conclusions diagnostiques
et pronostiques de l'inexcitabilité du muscle par le nerf qu'avec la plus
grande réserve et en tenant compte de toutes les conditions cliniques
et autres dans lesquelles cette inexcitabilité par le nerf est observée.
4° La chronaxie classe les muscles des divers animaux comme les .
classe la durée de leur contraction, mais avec beaucoup plus de préci-
sion.
Voici quelques exemples de la classification des muscles par la
chronaxie et, pour quelques-uns, par la durée de la contraction, en
physiologie comparée, d'après Lapicque : ce tableau nous montre
l'étendue de l'échelle des variations de la chronaxie dans la série animale.
MUSCLES (IirtOXAXIE OCRÉE DE LA CONTRACTION
Gastrocnémien de grenouille vulgaire. . . 0"0003 ()s15 à 0S3
- crapaud — . . . 0-0009
Muscle du pied de l'escargot 0S0048
Cœur de tortue 0»0082
Pince du crabe 0S03 3S
Estomac de grenouille ls 153 à 20~
ô" Non seulement la chronaxie varie avec la durée de la contraction,
mais elle varie dans le même sens que le temps perdu et en sens inverse
du rythme du tétanos. C'est dire que la chronaxie exprime toutes les
propriétés fonctionnelles du nerf et du muscle.
VI. La chronaxie en physiologie et pathologie humaines.
1° Technique.
M'appuyant sur les travaux et les beaux résultats de Lapicque,
confirmés par les travaux de Keith Lucas, j'ai cherché à introduire
en médecine la mesure de l'excitabilité par la chronaxie, en utilisant
les décharges de condensateurs, dont la manœuvre est beaucoup
plus facile et plus rapide que celle des appareils utilisables avec le
courant galvanique, tels que le pistolet de Weiss, appareils qu'on
LA CHRONAXIE
457
désigne du nom de « Rhéotomes balistiques ». Quelques tentatives
avaient été faites par Doumer et Cluzet avec les condensateurs, mais
n'avaient pas donné de résultats incontestables. Rien de nouveau
n'était sorti de ces premières recherches.
Dès le début de mes recherches, il m'apparut que les conditions dans
lesquelles se plaçaient Doumer et Cluzet, comme Hoorweg d'ailleurs,
c'est-à-dire les conditions ordinaires de l'électrodiagnostic, étaient mau-
vaises à cause des variations de résistance du sujet, déterminées à la
A Condensateur a mF mf\
capacité variaùle(0,0Jë50
110OOu
ou
6000UJ Sujet et
E Lee t rode s
Fig. 10. — Schéma de montage pour la mesure de la chronaxie avec les décharges de
coudensateurs chez l'hotnme. — Commutateur à deux directions : Position A de la fiche
(représentée sur la figure) ; fermeture et ouverture du courant continu. Position B : charge
et décharge des condensateurs
fois par la valeur de l'intensité et parle temps du passage du courant.
J'ai donc commencé par chercher à étudier la résistance du sujet, et
j'ai vu que toutes lesjmesures de résistance à l'aide du courant galva-
nique étaient illusoires et ne pouvaient servir pour les ondes brèves ' .
Aussi je suis arrivé à rechercher, non la manière de connaître cette
chose insaisissable qu'on appelle d'un très mauvais mot, la résistance
du sujet, mais la manière de l'éliminer.
J'ai employé le montage de Lapicque, en modifiant simplement la
valeur des résistances. Je constitue un circuit dérivé en mettant
1. G. Bourguignon, Soc. de Biologie avec la collaboration de Barré). 17 octobre 1914.
Journal de Radiologie et Electrologie, mai 1915. Acad. des sciences, 14 février 1910.
158 G. BOX Iti.l K, VO \
H).(HH) w dans l'une des branches de la dérivation, le sujet et 1 l.(KK) <-) en
série avec lui dans l'autre branche de la dérivation, et 4.000 w en série
dans le circuit général (voir 6g. 10.) ' avant la bifurcation. La résis-
tance en série avec le sujet peut être abaissée à 0 000 W quand le seuil
galvanique est trop élevé ; mais c'est la valeur minima compatible
avec une précision suffi santé.
Le circuit ainsi constitué a une résistance sensiblement constante,
quels (pie soit le sujet ou la région examinés : sa valeur moyenne est de
10.500 m. Le voltage dont il faut disposer est plus élevé que dans les
procédés classiques. Il faut au moins disposer d'une source de 200 v.
Je me sers d'électrodes impolarisables2.
La mesure de la chronaxie est des plus simples. On cherche le seuil
galvanique, en volts : on a ainsi la rhéobase. On double le voltage
rhéobasique et on cherche la capacité qui donne le seuil avec le voltage
rhéobasique doublé. On connaît ainsi la capacité C" qui correspond à
la chronaxie.
Pour calculer la chronaxie en fraction de secondes, on peut employer
une formule plus simple que celle de Lapicque. En effet, la résistance
R étant constante, on peut se contenter de multiplier la capacité chro-
naxique par un coefficient bien choisi. En exprimant la capacité en
microfarads au lieu de l'exprimer en farads, on voit, en appliquant la
formule de Lapicque, que 1 microfarad correspond à une chronaxie de
0*004.
: = RC: X 0,37
t = l<«f x 10500 >■> X 0,37 = 0*004
On peut donc simplifier la formule de Lapicque et écrire :
- = C- 0*004
Si le seuil galvanique est trop élevé, dans certains cas pathologiques,
pour qu'on puisse doubler le voltage, on cherche la capacité qui donne
le seuil avec le voltage maximum dont on dispose, soit 200 v, et on cal-
cule la capacité chronaxique par la loi d'Hoorweg.
En effet, Ct
II
b
De CY — a -|- bc on tire
a = CV - bC = C (V -
., . a C (V - />)
(1 OU . = j '-
b b
b)
I
1. (i. BoORGDIGNOM, Soc Bioloyic, 90 avril 1921.
-. ti. Bourguignon, Soc. d'Electnthirapw, juin 1913 R$vat N«urologiqa», juin 1913.
LA CHBOXAXIE
45£
Ayant établi cette technique de mesure de la chronaxie avec les
condensateurs chez l'homme, j'en ai vérifié l'exactitude en collaboration
avec H. Laugier ' au moyen du pistolet de Weiss.
Nous avons employé le montage de Weiss, mais en ne mettant que
des résistances de 10.000 to
(voir fig. 11) au lieu de plu-
sieurs centaines de mille ohms.
2oov
WWW
Nous avons trouvé avec le
pistolet exactement les mêmes
chronaxies pour les muscles
normaux que celles que j avais
trouvées avec les condensateurs
en employant la formule - =
Ox 0 004. Nous avons donc
vérifié, non seulement les ré-
sultats que j'avais obtenus,
mais encore l'exactitude du
coefficient.
2° Physiologie normale.
En étudiant la chronaxie des
muscles normaux de l'homme,
au point moteur, par le nerf, et
par excitation longitudinale j'ai
trouvé qu'elle est la même pour
un muscle donné, au point
moteur, par le nerf et par exci-
tation longitudinale, Ce qui est Fig. 11. — Schéma du montage pour l'application du.
d» l i î • j i», pistolet de Weiss à l'homme:
accord avec la loi de 1 iso- ab: v fil coupé par la i«iie.
chronisme du nerf moteur et £D . 2- m coupé par la balle.
AL et Dr : conducteurs le long desquels on peut
du muscle de Lapicque. déplacer le 2- fil.
Non seulement j'ai ainsi éta-
bli des valeurs étalons qui servent de comparaison pour juger des
variations pathologiques, mais encore j'ai découvert que la chronaxie
classe les muscles normaux suivant leurs fonctions.
Au membre supérieur, les lois de la distribution de la chronaxie sont
les suivantes :
1° Dans un même segment, la chronaxie est la même pour tous les
muscles synergiques d'une même fonction.
— Vvaj~~nA/\A--
1. G. Bourguignon et H. Laugier. Soc. Biologie, 5 mars 1921.
160 G. BOl i;i,i n. \<»\
2° Les fléchisseurs ont une chronaxie plus petite que les extenseurs
dans le rapport tle 1 à 2.
'A° Dans une même fonction, les muselés du segment proximal ont
une chronaxie plus petite que ceux du segment distal dans le rapport
de 1 à 2, 5.
4" Les muscles extenseurs doivent être divisés en deux groupes -a les
extenseurs proprement dits, qui ont une chronaxie double des fléchis-
seurs ; b) les synergiques de la flexion qui ont la même chronaxie que les
fléchisseurs.
C'est par l'étude du triceps brachial et des radiaux que j'ai découvert
cette dernière loi.
Dans le triceps, le vaste interne a la même chronaxie que le biceps,
tandis que le vaste externe et la longue portion ont une chronaxie
double.
A l'avant-bras, les radiaux ont la même chronaxie que le médian et
le cubital, tandis que les extenseurs ont une chronaxie double.
Or la contraction des radiaux fixant le poignet est nécessaire pour
fléchir les doigts. De même on constate facilement sur soi-même que,
dans une flexion légère de l'avant-bras, seul le vaste interne se con-
tracte. C'est le rôle attribué aux antagonistes par Duchenne de Bou-
logne. C'est par cette hypothèse que j'ai expliqué l'égalité de chronaxie
de quelques faisceaux extenseurs et des fléchisseurs.
Dans mes premières publications, ayant laissé de côté le triceps et
les radiaux, j'avais cru que la chronaxie classait les muscles suivant
leurs origines radiculaires '. L'étude du tricepsetdes radiaux2m'a mon-
tré que cette distribution de la chronaxie suivant les origines radicu-
laires n'était que contingente, et qu'en réalité la distribution de la
chronaxie est fonctionnelle.
La distribution analomique est contingente.
La distribution fonctionnelle est nécessaire.
La preuve, c'est qu'il va des variations individuelles dans la distri-
bution radiculaire ; il n'y a pas de variations individuelles dans la distri-
bution de la chronaxie.
Les mêmes lois se retrouvent au membre inférieur3, à condition de ne
pas parler de flexion et extension, mais de plan antérieur et postérieur,
à cause de l'orientation inverse du pli de flexion du genou et du coude.
Tous ces faits ressortant des deux tableaux suivants,
1. G. Bourguignon, Acad. >/<■* sciences, 17 juillet 1916. Soc. Biologie, l,r juillet lillt»
2. G. Bourguignon, Acad. i/*j.s sciences, 29 janvier 1917, Revue Neurologique, juillet 1917,
;î. G. Bourguignon, Aoad. des sciences, 29 mai 1917.
CLASSIFICATION RADICULAIRE ET FONCTIONNELLE
DES MUSCLES PAR LA CHRONAXIE
CHRONAXIES NORMALES DES MUSCLES DU MEMBRE SUPERIEUR DE L'HOMME
ORIGINES
RADICULAIRES
C5,C6
C6, C 7
C8, D 1
l Deltoïde 3 port.
Biceps.
{ Long supinateur,
I
Vaste interne .
Vaste externe .
Long triceps. .
Radiaux . . .
Grand palmaire. .
Fléch. superf.
Eminence thén. .
Cubital antér.
Fléchiss. prof.
V Interosseux .
Extens. comm.
Long ext. pouce,
Court ext pouce
Cubital post.
CHRONAXIE
MOYENNE
SECONDES
GROUPEMENT PAR LA CHRONAXIE
0,00015
0.00011 J
0,00011 f
0,00011 1
y
0,00020 !
0,00022 }
0,00023 '
0,00027 I
0,00027 f
0 00029
0,00027
0 00024
0,00029
0 00062
0,00070 /
0,00063 i N°
o.ooooo y
N» 1
N» 2
N" 3
CHRONAXIE
MOYENNE
DU GROUPE ;
EN SECONDES
0,00012
0,00021
0,00027
0,00055
FONCTION
Flexion
et
antagonistes
Extension
Flexion
et
antagonistes
Extension
II. - CHRONAXIES NORMALES DES MUSCLES DU MEMBRE INFERIEUR DE L'HOMME
ORIGINES
RADICULAIRES
L2, L3, L4
Grand fessier .
Grand adduct .
Couturier. .
Droit interne. .
Vaste interne. .
Droit antér.
Vaste externe. .
Moyen adduct.
Jambier antér.
\ Long péron. lat.
L 4, L 5, S \) Extens. comm.
; Pédieux. .
L 5, S 1, S 2
CHRONAXIE
MOYENNE
EN-
SECONDES
Biceps crural. .
Demi-membran. ,
Jumeau interne.
Jumeau externe. ,
Fléch. comm. .
Adduct. gros orteil
0,00010
0.00011
0.00014
0,00014
0,00012
0,00010
0,00017
0 00018
0,00025
0,00027
0,00033
0,00037
0,00055
0,00050
0,00060
0.00055
0,00060
0,00066
GROUPEMENT PAR LA CHRONAXIE
CHRONAXIE
GROUPE
MOYENNE
DU GROUPE
EN SECONDES
FONCTION
Mouvements
d arrière
N° 1
0.00014
> en avant :
Cuisse -f- 1 ant.
Jambe
j Pied
N° 2
0,00035
Mouvement
d'arrière en avl
1 Pied
J Mouvements
N» 3
0,00058
d av' en arrière
Cuisse
1 Jambe
j Pied
ic-j c. iun iii.i a, \o\
Récemment, avec la collaboration deG. Banu ei de H. Laugier ', j'ai
étudié la chronaxie des points moteurs chez les nouveau-nés. Nous
avons constaté que, à la naissance, la chronaxie est plus grande que
chez l'adulte pour tous les muscles. Celait est d'accord avec les recher-
ches de Westphal, F. Meyer, Soltman, (1. Weiss, etc., qui ont montré
que la contraction a une durée plus longue chez le nouveau-né que
chez l'adulte. A Westphal avait de plus trouvé de l'hypo-excitahilité
faradique chez le nouveau-né ; mais, la mesure de l'excitabilité parle
courant faradique n'est ni assez précise ni assez sensible, pour suivre
l'évolution, comme j'ai pu le faire ensuite avec G. Banu.
A la naissance, les muscles qui seront les plus différenciés chez
l'adulte le sont le moins, de sorte que les plus grandes chronaxies se
trouvent justement dans les muscles qui ont, chez l'adulte, les chronaxies
les plus petites. En voici quelques exemples :
MUSCLES NOUVEAU-NÉ ADULTE
1" Membre supérieur.
Deltoïde O00110. . . .
Biceps. . . 0,00110. . ! ! ! ! 0*00008 à 0*00016
Vaste externe du triceps 0 00100 .... 0,00020 à 0,00025
Fléchisseur profond des doigts. . . . 0,00030 0.00020 à 0,00035
Extenseur commun des doigts. . . . 0,00070 0,00043 à 0,00065
2° Membre inférieur.
Vaste interne du quadriceps crural. . . 0*00150 04)0010 à 000016
Jumeau interne 0,00400 0,00050 à 0.00070
Long péronier latéral 0.00070 0,00028 à 0,00035
En suivant l'évolution de la chronaxie des nerfs et des muscles du
membre supérieur -, nous avons vu que les muscles du segment
proximal, qui ont à la naissance des chronaxies plus grandes que
celles des muscles du segment distal, contrairement à ce qui
existe chez l'adulte, évoluent plus longtemps que ceux des muscles
.du segment distal. La figure ci-jointe (voir lig. 12) montre cette
évolution : la courbe d'un extenseur et celle d'un fléchisseur au même
segment ne se rencontrent jamais ; mais les courbes du segment
proximal coupent les courbes du segment distal entre le 4e et le
7e mois. Les muscles du segment distal ont acquis les chronaxies tic
l'adulte entre le 5e et le 7° mois, tandis que ce n'est que vers le 16* mois
que ceux du segment proximal ont terminé leur évolution.
Par contre, les nerfs évoluent beaucoup plus vile et ont les chronaxies
1 (•. Banc, (1. Bourguignon et H. Lauqxrr. -Soc. Mologie, 11 juin 1921,
2. (i. Banu et (i. Bourguigmon, SoC. deBiologi», 16 juillet 1921.
LA CHBOXAXIE
463
de l'adulte dès le 2e mois, Ce fait est encore en accord avec les recher-
ches histologiques de A. Westphal ' quia montré que la myélinisation
des nerfs est sensiblement complète entre la 6e et la 8U semaine.
Là encore, chez le nouveau-né, nous vérifions la loi du rapport de la
chronaxie avec la durée de la contraction et avec la valeur fonction-
-g 0,0008 ..,_
R 0,0007
* Q0005
■S? 0,0004
t; 0,0003
G
1
s
\
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\
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•—
|
Extenseurs
des doigts
Fléchisseurs
des doigts
Vaste externe
Biceps
MOIS: 0 1
10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
B
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0
u
1)
«a
t
0,0007
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"•—«■—4— _._.... — _._,,
K,m
| Nerf Rjdiel
(Seuil des Extenseurs
à l'avant -liras )
Nerr Médian
MOIS:0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16
Fig. 12. — Evolution de la chronaxie des nouveau nés.
A. Chionaxies des points moteurs des muscles.
B. Chronaiies des nerfs Médian et Radial.
nelle des nerfs et des muscles. Le nouveau-né remue beaucoup plus les
doigts et la main que l'avant-bras et le bras, et c'est au moment où les
chronaxies atteignent les valeurs de l'adulte que l'enfant fait ses pre-
miers essais de se mettre debout et de marcher.
5° Quand on étudie 1 attitude que prend le membre supérieur aban-
donné à lui-même, au repos, on voit une demi flexion des doigts sur la
1. A, Westphal, Archiv. fin- Psychiatrie und Neroenkrankenheiten, XXVI Band. 1894.
464 G. liOUnGUIGNON
main, de la main sur l'avant-bras, de l'avant-bras sur l'épaule. Cette
attitude est due à la prédominance du tonus des muscles fléchisseurs
sur celui des muscles extenseurs. Or les muscles antérieurs ont une
chronaxie plus petite que les muscles postérieurs, c'est-à-dire qu'ils
sont plus excitables. 11 y a donc un rapport entre le tonus des muscles
normaux et la valeur de la chronaxie. Je ne veux pas dire que la chro-
naxie donne toute l'explication du lonus, mais il me semble qu'elle en
est un des facteurs : cette hypothèse reçoit d'ailleurs une confirmation
de l'étude des muscles hypertoniques dans certains états pathologiques,
comme nous allons le voir.
Telles sont les lois de physiologie générale du système nerveux que
l'étude de la chronaxie normale de l'homme m'a permis de découvrir.
3° Physiologie pathologique.
L'étude des variations de la chronaxie en pathologie se montre aussi
féconde que celle de la chronaxie normale. Cette étude est en cours;
mais de ce que j'ai étudié actuellement, je puis tirer quelques lois gé-
nérales, précieuses pour nous guider au milieu de l'infinie variété des
processus pathologiques.
Avant tout, l'étude de la chronaxie doit nous faire rectifier la manière
déconsidérer les résultats fournis par l'électrodiagnostic. Les auteurs
classiques, depuis Erb, ont cherché à établir un rapport entre 1 état
anatomique des nerfs et des muscles et les réactions électriques. Ce point
de vue doit être radicalement abandonné. L'excitabilité, aussi bien que
la forme de la contraction, sont des propriétés exclusivement physiolo-
giques. Une faut donc tirer des réactions électriques cpie des conclusions
physiologiques. Ce n'est que secondairement, en faisant entrer en ligne
décompte les circonstances dans lesquelles on a observé les modifi-
cations des réactions électriques, l'étiologie, l'évolution, en un mot
toutes les données fournies par la clinique, que l'on pourra remonter
delà physiologie pathologique à l'anatomie pathologique.
En électro-neurologie, comme dans toutes les branches de la méde-
cine d'ailleurs, mais à un plus haut degré peut-être, il devient nécessaire
de substituer à la pensée anatomique la pensée physiologique.
Comment et sous quelles influences se modifie donc la chronaxie en
pathologie nerveuse ?
Vous savez, que tous les troubles de la motilité se divisent eu deux
grands groupes, suivant que la lésion causale siège sur le neurone
moteur périphérique, y compris le muscle, ou en dehors de- ce neurone
moteur périphérique, dans les voies motrices centrales, cérébrales,
cérébelleuses ou extrapyramidales (corps opto-striés)
LA CHRONAXIE 465
En règle générale, mais ce n'estpas absolu, les écarts entre la chro-
naxie pathologique et la chronaxie normale sont beaucoup plus grands
dans les lésions du neurone moteur périphériqne que dans les lésions
centrales.
1° Lésions du neurone moteur périphérique et des muscles.
Au point de vue anatomo-pathologique, on distingue la dégénérescence
wallérienne, dans laquelle les lésions musculaires sont secondaires à
une lésion du neurone moteur périphérique (cellule motrice de la corne
antérieure de la moelle, racine antérieure, plexus, trajet des nerfs péri-
phériques) et les lésions musculaires primitives, sans lésion du sys-
tème nerveux qu'on rencontre dans les myopathies et la maladie de
Thomsen.
Déjà, en découvrant que les myopathies présentent toujours soit la
réaction myotonique, comme les thomséniens, soit la contraction
galvanotonique, comme la dégénérescence .wallérienne, j'avais montré
que les modifications de la forme de la contraction sont les mêmes dans
toutes ces affections et qu'elles traduisent un même complexus ana-
tomo-physiologique '.
La chronaxie confirme d'une manière tellement éclatante cette syn-
thèse de la pathologie musculaire, qu'il est impossible d'étudier les
modifications de la chronaxie .dans l'une de ces affections sans le faire
en même temps dans les autres.
En même temps, la pathologie nous apporte, comme l'étude de la
chronaxie normale de l'adulte, comme celle de la chronaxie des nou-
veau-nés, une confirmation de la loi du rapport de la chronaxie avec
la durée de la contraction d'une part, avec la fonction d'autre part.
Lorsque la fibre musculaire s'altère, elle s'altère toujours d'une
manière très uniforme. La striation transversale s'atténue, puis dis-
paraît ; les noyaux et le sarcoplasma se multiplient.
Parallè lement, la forme et la durée de la contraction se modifient.
(Voir fig. 13.) Au degré le plus léger, on constate simplement un léger
ralentissement de la décontraction (fig. 13, IIJ. A un degré plus accen-
tué, on voit apparaître une contraction tonique du muscle pendant le
passage du courant, mais la mise en contraction reste rapide ; c'est à
cette contraction tonique que j'ai proposé de donner le nom de contrac-
tion galvanotonique ou de galvanotonus 2 (fig. 13, III), en reprenant
1. G. Bourguignon. Archives d'électricité médicale et de physiothérapie, 10 juillet 1910.
2. Id. La contraction galvanotonique dans la réaction de dégénérescence. Soc.
d'Electrothérapie, juin 1913.
CONFÉR. NEUROL. 30
166
G. Uni BGl IG VO S
uni' vieille expression de Remak, à
la place du terme extrêmement mau-
vais de « tétanos galvanique » sous
lequel on désignait ce phénomène,
Il ne peut être en effet question de
tétanos, puisque le tétanos est pro-
duit par une série d'excitations fu-
sionnées, et quici il s agit dune ex-
citation unique prolongée.
Ce degré, le galvanotonus, se
trouve à la fois dans la dégénéres-
cence, la myopathie et le Thomsen ',
ainsi que je l'ai démontré en colla-
boration avec E. Huet.
Ensuite, on voit se ralentir la
mise en contraction : c'est alors la
contraction lente, accompagnée ou
non de galvanotonus (fig. 13, IV et
V). Quand la contraction lente se
prolonge longtemps après le pas-
sage du courant, elle prend le nom
de contraction myotonique (fig. 13,
VI) : on la rencontre avec son maxi-
mum de développement dans la ma-
ladie de Thomsen ; maison la trouve
aussi, d'une manière à peu prèseons-
tante, dans la myopathie, et même
dans la dégénérescence.
Ces altérations des fibres muscu-
laires peuvent être étendues à toutes
lesfihres composant un mus-
cle, ou à une partie seule-
ment de ses fibres. Le pre-
mier cas ne se réalise que
dans une seule condition '■ la
1. E. Huet et G. Bourguignon,
Congrèt international de médecine
de Londres, S) août 1913, et (i- Bour-
guignon, Archives à" Electricité mé-
dicale, 25 septembre 1916.
I. Secousse normale.
III. Galvanotonus à début brusque.
Y Siiiiusse tante.
Fig. 13. — Lu mvsum loiiMis ii
LA CHRONAXIE
467
II. Secousse avec ralentissement de la décontraction.
IV. Galvanotonns à début lent.
VI Contraction myotonique.
CONTRACTION NORMALE ET PATHOLOGIQUE
lésion globale de
tous les cylindraxes
innervant un mus-
cle, car à chaque
cylindraxe corres-
pond une seule fibre
musculaire. Ce cas
n'existe donc que
dans ce qu'on ap-
pelle la « dégéné-
rescence totale ».
Dans tous les au-
tres Cas, une partie
seulement des fi-
bres du muscle ma-
lade est atteinte.
C'est le cas de la
« dégénérescence
partielle ». de là
myopathie et du
Thomsen Or, dans
ces cas-là, les fibres
saines restent exci-
tables par le nerf,
tandis que les fibres
malades ne le sont
plus. En excitant le
point moteur, nous
exciterons, suivant
les cas, les fibres
saines ou les au-
tres ; mais par ex-
citation longitudi-
nale, nous excite-
rons toujours, élec-
tivement, les fibres
musculaires ; et
comme le seuil gal-
vanique des fibres
malades est tou-
168 <:. BOURGUIGNON
jours plus petit que celui des fibres saines dans l'excitation longi-
tudinale (hyperexcitabilité longitudinale des classiques), ce sont les
libres altérées que nous exciterons électivenient par ce procédé. C'est
donc par excitation longitudinale que nous devons étudier la cbronaxie
des libres musculaires altérées.
Or, dans ces conditions, la cbronaxie n'établit aucune différence
entre la dégénérescence wallèrienne, la myopathie et la maladie de
Thomsen ', mais se montre liée exclusivement à la forme de la contrac-
tion. Ce que nous trouvons, ce n'est donc pas la cbronaxie de la dégé-
nérescence, de la myopatbie ou du Thomsen', mais la cbronaxie du
ralentissement de la décontraction, du gai vanotonus à début brusque,
de la contraction lente avec galvanotonus ou sans galvanotonus, delà
contraction myotonique, et le degré de l'altération sera exactement
mesuré par la cbronaxie, de sorte que la cbronaxie permettra de voir
des différences entre deux faisceaux ayant la même forme de contrac-
tion.
Voici les limites de la variation de chronaxie en fonction de la forme
de la contraction :
FORME DE Là CONTRACTION. CHRONAXIE.
Contraction restée vive dans tous ses éléments. . De la normale à 10 fois la normale
Ralentissement de la décontraction 10 à 15 fois la chronaxie normale.
Galvanotonus à début brusque De 15 fois la normale à 0S009.
Contraction lente avec galvanotonus 0S009 à 0S0'2.
Contraction lente sans galvanotonus et contraction
myotonique 0»01 à 0*07.
Dans les lésions légères, on ne peut exprimer la variation de la
chronaxie qu'en fonction de la valeur normale. Une chronaxie de
0 s. 0003 est une cbronaxie pathologique pourun biceps et une chronaxie
normale pour un fléchisseur des doigts. Au fur et à mesure que les
lésions sont plus graves, et les cbronaxies plus éloignées de la nor-
male, les différences entre les différents muselés s effacent : la patho-
logie fait disparaître les différenciations musculaires qu'on trouve en
physiologie, de sorte que les plus grandes valeurs de la chronaxie
sont les mêmes sur tous les muselés, quelle que soit leur chronaxie
normale. C'est pour cette raison que j'exprime les ebronaxies patholo-
giques, par leur rapport avec la normale, pour les lésions les plus
légères, et par une valeur absolue, sans rapport avec la valeur normale
de la chronaxie des différents muscles pourles Usions plus graves.
1. (i. Bourguignon. Académie des Sciences, 50 mai 1931 . ReotU nturologîqae, avril
1920. Soc. d'Electrothérapie, juin 1921.
LA CHRONAXIE 469
Au niveau des nerfs, ce n'est qu'exceptionnellement que la chronaxie
s'écarte beaucoup de la normale : pour le nerf, de deux choses Tune : ou
il y a encore des fibres musculaires excitables par le nerf, et la chro-
naxie ne dépasse guère 5à6 fois la normale, ou il n'y a plus de fibres
musculaires excitables par le nerf, et l'excitation du nerf est inef-
ficace.
Au point moteur, les phénomènes sont très complexes, et, en général,
on n'excite pas les mêmes fibres avec le courant prolongé qu'avec les
ondes brèves, de sorte que la chronaxie du point moteur n'est pas une
vraie chronaxie, mais une sorte de moyenne entre les chronaxies les
plus petites et les plus grandes : suivant qu'il y a plus ou moins de
fibres encore saines ou de fibres malades, la chronaxie du point moteur
se rapproche plus de celle du nerf ou de celle de l'excitation longitu-
dinale.
Nous pouvons donc dire que le muscle sain est homogène et qu'il
n'a qu'une chronaxie, qui est la même sur le nerf, le point moteur et
l'excitation longitudinale, tandis que le muscle pathologique est hété-
rogène et présente au moins deux chronaxies, une petite qu'on trouve
par l'excitation du nerf et une grande qu'on trouve par excitation
longitudinale.
Un seul cas pathologique ramène l'homogénéité : c'est celui de la
dégénérescence totale, mais c'est le cas le plus rare. Encore toutes les
fibres sont-elles rarement exactement au même degré de dégénérescence
en même temps, de sorte que, même dans ce cas, on trouve des
chronaxies différentes en modifiant le mode d'exploration : seulement
les différences sont moindres que dans tous les autres cas.
La chronaxie nous permet donc de dire :
1° La synthèse des lésions musculaires (dégénérescence, myopathie,
Thomsen) que j'avais tentée par l'étude de la seule forme de la contrac-
tion, est confirmée parla chronaxie.
2° Le terme de dégénérescence partielle doit s'entendre dans le sens
de répartition du processus pathologique à une partie seulement des
fibres musculaires et non dans celui de degré de la dégénérescence. La
chronaxie donne raison à Vernicke et tort à Erb. Le degré de la dégé-
nérescence est révélé seulement par la valeur de la chronaxie.
3° A Y homogénéité du muscle normal, la pathologie substitue V hété-
rogénéité. On pourrait d'ailleurs en dire autant de la pathologie de tous
les organes ; mais le muscle est l'organe sur lequel l'exploration directe
met le plus facilement ce fait en évidence.
4° L'évolution delà chronaxie nous permet de suivre de très près celle
170
(,. uni m;ri<;.\<>.x
des processus pathologiques et d'en construire la courbe, comme nous
avons pu construire celle du développement neuro-musculaire chez le
nouveau-né. Je n'ai pas eu, jusqu'à présent, l'occasion de suivre l'évo-
lution (rime dégénérescence, d'une myopathie ou d'un Thomsen ; mais
j'ai pu suivre la régénération d'un nerf médian sectionné complètement
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Fig 14. — Evolution de !a chronaxie pendant la régénération d'un nerf médian suturé au poignet.
et suturé au poignet, pendant 15 mois : cette observation a été publiée
en détail à la Société de neurologie *, je vous présente ici la courbe de
l'évolution de la chronaxie au point moteur, sur le nerf et par exci-
tation longitudinale, avec l'indication du moment OU sont apparus
d'obord les fourmillements, puis les mouvements volontaires (voir
fig. 14). Vous y voyez (pie dès le premier mois après l'opération, alors
qu'on est encore en pleine dégénérescence totale, avec inexcitabilité
parle nerf, la chronaxie commence à diminuer, ce qui ma permis de
(î. Bourguignon et Ch. Drium u. Revue neurologiqut, janvier 1921.
LA CHRONAXIE 471
porter un pronostic favorable très précoce, pronostic que les événe-
ments ont confirmé, puisqu'au moment où j'ai cessé de pouvoir suivre
le malade, la restauration clinique motrice et sensitive était complète,
et les chronaxies très voisines de la normale.
Très précieuse au point de vue du diagnostic, la chronaxie l'est peut-
être encore plus au point de vue du pi'onostic et des indications thé-
rapeutiques.
2° Variations de la chronaxie, sans lésion des muscles ni du neurone
moteur périphérique.
Dans cette classe d'altération de la chronaxie, les variations sont
beaucoup plus légères, sauf quelques cas exceptionnels. Si, dans
l'étude de la dégénérescence, la chronaxie a surtout apporté des pré-
cisions à des faits connus déjà, au moins en partie, ici, tout ce que la
chronaxie me donne est nouveau.
En effet, ces variations légères d'excitabilité échappent complète-
ment aux procédés classiques d'investigation : le seuil galvanique ne
donne rien, et le seuil faradique varie avec tant de facteurs étrangers
à l'excitabilité qu'on ne peut tenir compte que des variations énormes,
comme celles que l'on constate dans la dégénérescence.
Les premiers faits de cet ordre que j'ai découverts sont les réper-
cussions des blessures d'un nerf d'un côté sur la chronaxie des points
moteurs du côté opposé. Ces variations sont légères et se font tantôt en
plus et tantôt en moins. La loi générale, c'est que la réaction se montre
toujours d'abord dans les muscles innervés par des nerfs de même
chronaxie que le nerf blessé. Cette réaction ne fait jamais défaut. Elle
peut s'accompagner de variations de la chronaxie des antagonistes des
muscles innervés par le nerf blessé, mais le fait n'est pas constant.
Les cas dans lesquels on a décrit, exceptionnellement, de la réaction
de dégénérescence classique dans les nerfs et muscles symétriques du
côté opposé au côté blessé ne sont qu'un cas extrême et rare de la loi
générale que la chronaxie m'a permis de découvrir K
Les atrophies réflexes s'accompagnent aussi de variation de la chro-
naxie de même ordre.
Les altérations de la chronaxie dans ces deux ordres de fait, sont
dues certainement au même mécanisme et il faut étendre le sens du
terme « troubles réflexes ».
En dehors de ces faits de réaction de la lésion d'un nerf mixte sur le
côté opposé, et de la lésion d'une articulation (j'y ajouterais aussi d'un
1. (j. Bourguignon. Académie des sciences, 29 août 1921.
I l G. BOURGUIGNON
os) sur la chronaxie des nerfs et muscles correspondants, j'ai vu qu'il y
a des altérations de la chronaxie du nerf moteur et du muscle dans
tous les cas où une lésion siège sur un neurone central en rapport
fonctionnel avec le neurone moteur périphérique.
La seule catégorie de faits de cet ordre (pie j'aie pu étudier complè-
tement jusqu'ici concerne les syndromes parkinsoniens, dans la maladie
de Parkinson classique et dans les syndromes porkinsoniens post-
encéphalitiques ' ; mais ce que j'ai vu dans quelques cas de lésions du
faisceau pyramidal, soit dans la moelle, soit dans l'encéphale, me
permet de poser les lois générales suivantes :
1° Toute lésion d'un neurone en rapport fonctionnel avec le neurone
moteur périphérique retentit sur la chronaxie du point moteur du
muscle, et souvent du nerf lui-même.
2° Tout muscle hypertonique ou contracture a une chronaxie plus
petite que la normale. Tout muscle hypotonique a une chronaxie plus
grande que la normale. L'attitude des divers segments des membres
dépend du rapport de la chronaxie des muscles antérieurs et posté-
rieurs.
3° La chronaxie du nerf varie, en général, en sens inverse de celle du
point moteur ; mais souvent elle reste normale.
Je ne puis m'étendre davantage sur ce sujet, qui est encore à l'étude.
J'ai tenu cependant à vous montrer où j'étais arrivé actuellement.
J'espère que, de cette leçon, dans laquelle je m'excuse d'avoir dû
parler un langage encore peu familier, vous tirerez cependant les
enseignements suivants :
Il n'y a qu'une mesure réelle de l'excitabilité, c'est la chronaxie.
La chronaxie a permis de mettre en lumière des lois importantes de
physiologie normale et pathologique qui éclairent le fonctionnement du
s\Tstème nerveux, expliquent les attitudes, normales et pathologiques
des divers segments des membres au repos révèlent et précisent les
relations fonctionnelles entre les divers muscles et groupes de muscles
et nous font entrevoir la possibilité d'un rapport entre le tonus et
l'excitabilité.
Au point de vue pratique, la chronaxie nous donne une mesure
précise de la valeur fonctionnelle des nerfs et des muscles.
Elle nous permet de suivre de très près l'évolution des processus
pathologiques. Elle nous permet de juger de l'eflicucité d'une thérapeu-
1. H. Claude et G. Boukguiunon. Revue neurologique. juin ici L921, G. BoUROUIONOS
et Laignel-Lavastine. Réunion neurologique annuelle, juin 1921. G. BOURGUIGNON,
Réunion neurologique annuelle, juin 1921.
LA CHRONAXIE 473
tique. Si elle ajoute relativement peu de chose au diagnostic, elle est
indispensable à connaître pour porter un pronostic, juger d'une évo-
lution, poser avec précision les indications thérapeutiques.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce qu'est la « chronaxie » que nous
ont donnée les recherches de G. Weiss et de Lapicque. Voilà ce que
j'ai essayé d'en tirerau point de vue de la physiologie, de la pathologie
et de la thérapeutique du système nerveux de l'homme.
DIX-HUITIÈME CONFÉRENCE
M. le D' P. BEHAGUE
Chef de clinique adjoint à la Faculté de Médecine de Paris.
CARACTÉRISTIQUES ET TRAITEMENT DE L'ÉPILEPSIE
TRAUMATIQUE
Messieurs,
L'épilepsie traumatique constitue un sujet d'étude tellement vaste,
qu'il m'est impossible de le traiter complètement en un temps aussi
bref que celui dont je dispose. Je m'en excuse ; mais je crois plus utile
d'essayer de tirer de l'étude des caractéristiques de l'Epilepsie trauma-
tique les indications de la variété de traitement à instituer dans chacun
des cas particuliers que vous pouvez rencontrer.
C'est qu'en effet, sous le nom d'Epilepsie traumatique, se groupent
une foule de phénomènes qui n'ont de commun que la crise convulsive.
Celle-ci éclate tantôt immédiatement, tantôt très tardivement après
le traumatisme, les accès en sont très rapprochés, souvent même
existe un véritable état de mal : ces faits caractérisent l'Epilepsie aiguë
correspondant à une irritation de l'Encéphale par un processus en
évolution.
D'autres fois le premier accès n'éclate qu'après un certain temps de
latence, l'évolution et la marche des accès sont semblables à celles du
mal comitial : il s'agit alors d'Epilepsie durable relevant de cicatrices
méningées ou cérébrales chroniques. C est l'étude de cette variété que
nous allons entreprendre en commençant par ses causes.
Lésions causales. — Les traumatismes qui engendrent l'Epilepsie
durable sont de toute nature et de toute intensité : depuis la transfixion
du crâne et dé son contenu, jusqu'à la simple commotion par éclate-
ment d'obus dans le voisinage.
Les lésions encéphaliques causées par les traumatismes ne sont cepen-
dant pas comparables. D'une part, il n'y a pas atteinte directe de l'encé-
phale, qui reste toujours séparé des plaies visibles par l'intégrité de la
476 P- BÉHAi.l /.
table interne du crâne. Nous réunissons ces blessures sous le nom de
traumatismes non pénétrants, y comprenant les commotions à distance,
les contusions du cuir chevelu, et même les embarrures osseuses de la
table externe du crâne. Depuis les travaux de Logre et de Bouttier, il
faut en effet considérer contusionnés et commotionnés comme atteints
des mêmes troubles encéphaliques relevant du même mécanisme. Ces
lésions, nous les connaissons du reste : MM. Mairet, Durante et de-
nombreux auteurs ne nous ont-ils pas montré les petites hémorragies
fines, disséminées dans tout le système nerveux de chiens sacrifiés après
commotions? Ces désordres anatomiquessont en tout point comparables
à ceux décrits par MM. Pierre Marie et Couvelaire chez les nouveau-
nés dont le cerveau avait été pressuré lors de l'accouchement. Ces au-
teurs pensaient que lorsque l'enfant résistait, il devenait épileptique, et
nous avons souvent entendu notre Maître, dansdes cours sur l'épilepsie,
recommander de chercher la cause du mal comitial dans les circons-
tances pathologiques de l'accouchement. Rien d'étonnant alors à ce que
des manifestations comparables au « morbus sacer » éclatent après les
contusions ou les commotions du crâne ; à une seule condition toutefois,
c'est que ces dernières soient véritables, et l'on sait combien, pendant
la iïuerre, furent confondus commotionnés et émotionnés.
Les traumatismes de l'encéphale sont souvent bien plus grossiers,
mais aussi plus localisés, car sans cela le blessé n'y survivrait pas.
Leurs traces restent marquées dans l'encéphale par la persistance de
cicatrices macroscopiques : ce sont les traumatismes pénétrants ayant
fracturé la table interne du crâne. Parmi eux, nous citerons les cals
osseux, bombant à l'intérieur du crâne, et toutes les plaies des méninges
et de l'encéphale laissant en séquelles des cicatrices volumineuses. Les
manœuvres chirurgicales, telles que la réduction d'une hernie céré
brale, une mauvaise plastic après trépanation, entrent dans cette caté-
gorie, car en irritant la corticalité cérébrale et en réduisant le volume
de la boîte crânienne, elles entraînent l'épilepsie.
Traumatismes non pénétrants et traumatismes pénétrants ne sont
pas cependant, Messieurs, toujours aussi distincts que je viens de vous
l'exposer. En effet, la cicatrice méningo-encéphalique grossière con-
sécutive aux seconds, s'accompagne toujours de lésions fines, piquetant
tout l'encéphale, comparables aux désordres dus aux traumatismes
non pénétrants. Peut-être est-ce l'importance de ces différentes
Usions les unes par rapport aux autres qui entraine de l'épilepsie
généralisée ou jacksonienne?Mais ceci est du domaine de l'hypothèse
et nous n'y pénétrerons pas.
L'ÉPILEPSIE TBAUMATIQUE 477
Fréquence. — Bien plus certaine, hélas, est la fréquence de l'épi -
lepsie consécutive aux traumatismes de tout ordre ; plus de douze pour
cent des blessés de tête en sont atteints '.
Causes favorisant son éclosion. — Lorsque les traumatismes
réunissent certaines conditions, les risques d'épilepsie sont bien plus
considérables. Le siège de la lésion encéphalique, les caractères du
corps vulnérant, les antécédents pathologiques du blessé ont grande
importance.
Situation de la plaie. — Les plaies pariétales sont responsables de 1/2
des cas d'épilepsie constatés, alors que des plaies frontales, occipitales
et temporales ne dépendent respectivement que de 1/4. 1/8 et 1/16 des
observations que nous avons recueillies 2.
Les plaies du cervelet ne semblent pas épileptogènes. Sans doute,
avons- nous pu constater des phénomènes épileptiques chez des blessés
cérébelleux ; mais toujours existaient chez eux des signes évidents de
l'atteinte d'une autre partie de l'encéphale, et il ne nous a pas été donné
d'observer l'épilépsie à la suite de l'atteinte isolée du cervelet. Par
contre, les blessures des lobes temporo-occipitaux et orbitaires sont
certainement épileptogènes, et nombreux sont les cas d'épilepsie con-
sécutive aux fractures de la base du crâne, qui les irritent.
Caractères du corps vulnérant. — Quelle que soit la situation de la
plaie cérébrale, plus la cicatrice qui la suit est volumineuse, plus les
risques d'épilepsie sont considérables. Les grandes dimensions du
projectile, sa moindre vitesse, son plus long parcours, la suppuration
consécutive, sont causes aggravantes.
C'est pourquoi l'éclat d'obus, volumineux, lent, arrachant et dila-
cérant l'encéphale sur une large surface, souvent chargé de terre ou de
débris de coiffures, occasionne des plaies plus souvent épileptogènes
que celles dues aux balles de fusil, petites, rapides, perforantes,
beaucoup moins septiques.
C'est pourquoi encore, les transfixions du crâne et les projectiles
intra-cérébraux entraînent si fréquemment l'épilépsie.
Pour ces derniers, il est juste de dire que les dégâts encéphaliques
sont souvent notablement augmentés par les tentatives d'extraction qui
1. Exactement : 12,11 pour 100.
2. Sur 100 épileptiques par traumatismes pénétrants du crâne :
55,20 sont blessés dans la région pariétale, soit sensiblement 1|2
25,93 — frontale — 1|4
10,53 occipitale 1|8
8,33 temporale — 1|16
478 P. BÊHAGUE
d'ordinaire ont été pratiquées, quelquefois même à plusieurs reprises.
Sans doute, dans les mois suivant l'opération, 1 épilepsie disparaissait,
et l'on pouvait crier victoire ! Mais la cicatrice lentement se créait,
d'autant plus longue à se constituer qu'elle était plus volumineuse ; et
un an, un an et demi après l'intervention chirurgicale, les crises re-
paraissaient plus intenses et plus Fréquentes encore qu'auparavant. Vers
la fin de la guerre, M. le professeur Lecène avait systématiquement
renoncé à extraire les corps étrangers encéphaliques bien tolérés. Il
abaissa ainsi très notablement parmi les blessés de cet ordre le pour-
centage d'épileptiques qui de 2«i 0,0 passa à 10 0 0.
Antécédents du blessé. — Le terrain pbysio-patbologique du blesse
influe notablement sur l'éclosion consécutive de phénomènes épilep-
tiques. La syphilis et l'alcoolisme sont causes aggravantes, et nous
avons pu remarquer combien l'épilepsie traumatique était plus fré-
quente chez les coloniaux de carrière, souvent porteurs de ces
tares. Il est classique de citer ce mineur du Nord devenu épileptique
après un coup de pic sur le crâne et qui n'avait de crises que le jour
suivant ceux consacrés au culte excessif de Gambrinus. Enfin, plu-
sieursfois, en soignant activement la syphilis, nous avons pu améliorer
et même fait disparaître l'épilepsie.
L'intensité des troubles subjectifs que M. Pierre Marie a décrits chez
les trépanés, la plus ou moins grande durée de la perte de connais-
sance après le traumatisme, ne semblent nullement influer sur les
crises consécutives,
Par contre, le mal comitial fruste, préexistant au traumatisme, est
toujours très aggravé par lui. Nombreux sont les jeunes gens qui
n'avaient de temps à autre que quelques vertiges passagers, si légers
qu'ils avaient été incorporés, et qui, après une plaie de tète parfois
minime, eurent plusieurs crises convulsives par semaine! C'est pour-
quoi il est toujours dangereux de trépaner un malade épileptique sans
qu'il y ait de formelles indications à le faire. Lue trépanation cons-
titue non seulement un traumatisme perforant, mais encore par les
vibrations, les chocs, les heurts qu'elle nécessite, elle entraîne une
violente commotion de l'encéphale qui, déjà lèse, n'en est que plus
grièvement atteint.
Mais nous voici loin de l'épilepsie purement traumatique. Reve-
nons y.
Temps de latence. — Nous avons vu (pie le premier accès d'épi-
lepsie durable ni' survenait que lorsqu'un certain temps de latence
s'est écoulé, d'ordinaire entre trois et dix mois. Mais cette « incubation »
L'ÉPILEPSIE TRAUMATIQUE 479
est très variable, et nombreux sont les cas où le temps de latence est
inférieur à trois mois ou supérieur à dix mois. Cependant, moins de
quatre pour mille blessés de tête n'ont leur premier accès d'épilepsie
qu'un an 1/2 ou plus après la blessure. On peut donc dire pratique-
ment qu'un blessé qui n'a pas eu de manifestations épileptiques un an
et demi après sa blessure n'en aura vraisemblablement pas.
Causes. — Quelles sont les causes de plus ou moins grande longueur
du temps de latence ? C'est la durée de la cicatrisation et la situation
de la plaie encéphalique. Toutes les raisons de retard de la cicatri-
sation (profondeur, étendue, suppuration) sont facteurs d'allongement
du temps de latence. De même l'éclosion des accès est d'autant plus
retardée que la plaie est plus éloignée des zones de projection du
cerveau.
Conséquences. — La durée du temps de latence influe-t-elle sur la
marche de l'Epilepsie consécutive? Il ne le semble pas. Cependant
l'incubation paraît être plus courte pour les phénomènes jacksoniens
que pour les phénomènes généraux.
Qualité de l'Epilepsie. — L'Epilepsie traumatique, en effet, n'est
pas, comme on l'a cru longtemps, synonyme d'Epilepsie jacksonienne.
Bien au contraire, les accès généralisés sont, chez elle, plus fréquents
que les phénomènes localisés et l'on compte 2/3 des premiers pour 1/3
des seconds.
Dans ces derniers sont cependant compris tous les équivalents
sensoriels ou moteurs localisés (cécité brusque, paralysie partielle
transitoire), alors que nous avons compté parmi les phénomènes
généraux les vertiges et les céphalées.
Causes. — De quelles causes dépend donc la qualité de l'épilepsie
engendrée par une plaie cérébrale ? Plus les cicatrices sont volumi-
neuses, ou fines mais parsemant tout le cerveau, plus il est vraisem-
blable que l'épilepsie engendrée sera généralisée. II en sera de même
lorsque la plaie siège dans une zone neutre du cerveau, alors que les.
lésions des zones de projection sont suivies le plus souvent de phé-
nomènes jacksoniens '.
1. Sur 100 épilep. par plaie pariétale : 49 0/0 accès jacksoniens ; 51 0/0 généralisés.
Sur 100 — — occipitale : 30.22 69,77
Sur 100 — — temporale : 27.27 — 72,72
Sur 100 — — frontale : 14,14 — 85.84
Sur ~m — — du crâne : 120.65 ~279,83
1 2 , ,
Soit sensiblement : — d'accès jacksoniens, — généralises.
3 ■»
180 P. m'illAGUE
Ces causes de la qualité de l'épilepsie engendrée sont comparables
à celles île la durée du temps de latence. On peut les réunir en une
sorte de schéma : Aux plaies multiples cl profondes des zones neutres du
cerveau, entraînant d'ordinaire de l'Epilepsie généralisée après un long
temps de latence, s'oppose la plaie unique, corticale, d'une zone de pro-
jection, suivie d'Epilepsie jacksonienne après un temps de latence géné-
ralement plus bref.
Phénomènes propres à l'Epilepsie traumatique. — Il est
convenu, Messieurs, que je ne vous parlerai que des caractères de la
seule épilepsie traumatique. Aussi, ne vous dirai-je rien de l'aura,
des accès, des équivalences, des phénomènes d'épuisement post-paro-
xystique, qui sont en tout point comparables à leurs homologues du
mal comitial.
Les Equivalents localisés. — Je vous signale toutefois, a propos des
équivalents, la fréquence toute particulière avec laquelle on rencontre
dans l'Epilepsie traumatique des phénomènes d'inhibition ou d'exci-
tation d'une ou de plusieurs fonctions cérébrales ne durant que quel-
ques instants. C'est ainsi qu'on relève fréquemment les hyperesthésies
ou au contraire les anesthésies transitoires consécutives aux blessures
du lobe pariétal ; les scotomes scintillants ou les cécités temporaires
-après lésions occipitales ; les perceptions musicales ou les surdités
passagères après atteinte du lobe temporal ; les troubles du langage
de type dysarthrique ou dysphasique suivant la situation de la plaie
encéphalique dans l'une ou l'autre des zones décrites par M. le profes-
seur Pierre Marie. Quant aux parésies localisées brusques et transi-
toires, elles constituent des équivalents au même titre qu'une crise
convulsive localisée après blessure de la frontale ascendante et sont
suivies des mêmes phénomènes d'épuisement post-paroxystique. Ceux-
ci, du reste, que la crise soit généralisée ou localisée, sont toujours
plus prononcés d'un côté, ce qui prouve bien qu'entre ces deux mani-
festations épileptiques, il n'existe pas une différence aussi nette qu'on
a bien voulu le dire.
Les Prodromes. — Vous ave/, dû remarquer, Messieurs, que lorsque
j'énumérais la série des phénomènes épileptiques communs au mal
comitial et à l'épilepsie traumatique, les prodromes de la crise n y
figuraient pas. Cet oubli était volontaire : c'est que certains des signes
précurseurs de l'accès ont été décrits à propos des crises consécutives
aux plaies de tète.
Si tous les prodromes subjectifs de la crise comitiale ont pu être
relevés dans l'Epilepsie traiiiuatique, certains signes précurseurs oh-
VÉPILEPSIE TBAUMATIQUE 48 ï
jectifs appartiennent en propre à cette dernière. Je veux parler de la
tension anormale de la cicatrice et de l'inégalité pnpillaire temporaire.
Un temps variable avant l'accès : de un jour et demi à un quart
d'heure, le blessé ressent autour de sa brèche crânienne de légers
chatouillements, qui bientôt font place à un agacement comparable à
celui d'une mouche courant autour de la plaie. Puis, lorsque cette
sensation est devenue plus douloureuse, et pour peu que l'épicrâne
fût assez souple, on peut constater la disparition de l'impulsion et du
battement delà cicatrice. Bientôt celle-ci se tend, et de creuse quelle
était devient au contraire bombée et saillante au dehors. Vient-on à
soustraire du liquide céphalo-rachidien par la ponction lombaire ? la
surélévation cicatricielle persiste, ce qui prouve bien qu'il s'agit d'une
véritable dilatation du cerveau. Tension et douleurs augmentent ; le
blessé, en proie à de violents maux de tête, reste prostré ; et c'est
lorsque cette hernie cérébrale est tendue au maximum que la crise
éclate brusquement.
Beaucoup plus rare est l'inégalité pupillaire temporaire, qui appa-
raît, elle aussi, un temps très variable avant le début de la crise.
Tantôt la pupille la plus grande est homolatérale à la plaie cérébrale,
tantôt au contraire elle est située du côté opposé, sans que nous ayons
pu trouver de règle fixe à cet égard.
La constatation de ces prodromes objectifs a la plus grande valeur
et nous verrons tout l'intérêt qu'elle présente au point de vue du trai-
tement. De toute manière, il est toujours utile d'attirer sur eux l'atten-
tion du blessé, qui sera averti de l'imminence de l'accès. L'un d'eux,
dans ce but, ne palpait-il pas tous les matins sa cicatrice qu'il appe-
lait son « baromètre à crises »? C'est qu'en effet, lorsque les prodromes
existent, ils apparaissent avant chaque accès ; bien plus, leur modalité
indique souvent la violence de la crise qui se prépare. Nous avons
connu des blessés qui partaient en promenade alors que certains
prodromes les avertissaient qu'un équivalent épileptique allait se
dérouler ; ces mêmes blessés restaient au lit lorsque d'autres prodromes
annonçaient l'imminence d'une crise convulsive.
Traitement des Epilepsies traumatiques. — Voici, Messieurs, les
principales caractéristiques de l'Epilepsie traumatique, tout au moins
celles qui donnent des indications sur la modalité du traitement à
appliquer.
Epilepsie aiguë. — A ce point de vue, reprenons, si vous le voulez
bien, les causes les plus fréquentes de I'Epilepsie aiguë.
Traitement chirurgical. — Qu'il s'agisse d'hématome péridural,
COSFÉR. NEUUOL. 31
182 P. BÉHAGUE
d'abcès méningé ou cérébral, d'esquille ou de corps étranger irritant la
COrticalité : toutes ces causes sont localisées ci évacuables ; c'est dire
que le traitement chirurgical est le seul indiqué quand bien même par
la suite il entraînerait des cicatrices méningO- encéphaliques devant
entraîner plus tard de l'Epilepsie durable.
Traitement médical. — L'épilepsie aiguë peut encore relever d'irri-
tations encéphaliques diffuses ou profondes : l'hémorragie intra-ventri-
culaire, les méningites diffuses, l'encéphalite aiguë non suppurée. Ces
lésions ne sont pas accessibles chirurgicalement, c'est dire que le
traitement médical s'impose. Autant que possible, celui ci doit être
causal, et négliger le symptôme épilepsie pour atteindre sa source.
Epilepsie durable. - Ces remarques peuvent s'appliquer au trai-
tement de TEpilepsie durable. Seules, les crises relevant de trau-
matismes pénétrants, n'ayant pas lésé la dure-mère, doivent être
soignées chirurgicalement.
Traitement chirurgical. — Autrement dit, il n'y aura indication opé-
ratoire que lorsque la radiographie du crâne aura décelé d'une manière
précise l'existence d'un cal exubérant de la table interne du crâne (par-
fois dû à une mauvaise plastie), ou un corps étranger compris entre l'os
et la dure-mère intacte.
Traitements médicaux. — Il est compréhensible que toutes les autres
causes de l'Epilepsie durable étant des cicatrices méningées ou encépha-
liques indestructibles chirurgicalement, indiquent la nécessité d'un trai-
tement uniquement médical, malheureusement encore sgmptomatique .
On améliorera l'Epilepsie, on cherchera à diminuer le nombre des
accès ou la violence des crises, mais on ne pourra lutter directement,
contre ses causes, qui, nous le répétons, sont, non point les plaies
méningo-encéphaliques,mais les cicatrices qui les comblent.
Tous les traitements médicaux appliqués au mal comitial ont été
mis en œuvre pour lutter contre l'Epilepsie traumatique.
Pratiquement on peut réunir les médications les plus usitées en
trois groupes ; celui des bromures, celui des composés bores et celui
des Uréides.
Les Bromures. — Vous connaissez certainement, Messieurs, la poso-
logie des Bromures, réunis entre eux ou isolés, administrés ou non
suivant la méthode de Toulouse et Ricliet. Aussi me bornerai-je à
vous rappeler les inconvénients de Cette médication : bromides si elle
est trop prolongée, affaissement intellectuel constant particulièrement
pénible pour les blessés épileptiques condamnés à un emploi de
bureau.
VÉPILEPS1E TRAUMATIQUE 483
Le Bore. — La Médication borée, outre l'acide borique peu usagé,
compte deux principaux représentants. Le biborate de soude (alias :
borate, borax, orthoborate) est d'un usage ancien. Nous avons pu le
prescrire en cachets, mieux supportés (pie les solutions où l'adjonction
de glycérine est obligatoire. Le tartrate borico-potassique vient d'être
récemment révélé comme anti-épileptique par mes Maîtres : MM. Pierre
Marie et Crouzon, et mon collègue et ami Bouttier qui vous en don-
nera tout à l'heure les caractéristiques bien mieux que je ne saurais le
faire" moi-même. La médication borée a l'avantage de n'avoir aucune
action déprimante sur les fonctions psychiques de l'individu ; en outre,
elle est d'un emploi pratique et n'expose àaucuneintoxication. Malheu-
reusement, ses représentants ont une action inconstante dans l'Epi -
lepsie traumatique, et nous verrons combien sont raines les cas où ils
peuvent être utilisés.
Les Uréides. — La médication par les Uréides est assez récente. Ses
représentants dérivent des somnifères connus ivéronal et dial (diethyl-
et diallyl — malonylurée). Vient-on à remplacer l'un des radicaux
« éthyl » du véronal par un radical « phényl » ? ou bien adjoint-on au
dial un radical « phényl » ? on obtient deux puissants anli-épileptiques
peu somnifères : le luminal (ou Gardénal) et la dialacétine. Ces deux
produits donnent les meilleurs résultats dans le traitement de l'épi—
lepsie traumatique. Ne déprimant pas le psychisme du blessé, ne lésant
pas le rein même après un emploi prolongé, on ne peut reprocher aux
Uréides que l'obligation de les employer continuellement. Dès que
l'on cesse d'en administrer, les crises en effet reparaissent plus nom-
breuses que jamais.
Voici, Messieurs, les principales médications anti-épileptiques les
plus communément prescrites à l'heure actuelle. Lesquelles emploie-
rons-nous dans l'Epilepsie traumatique durable? Reprenons encore
une fois ses causes et ses lésions.
Choix du médicament. — I. S'agit-il de petites lésions fines, disséminées,
occasionnées par un traumaslisme non pénétrant ? Comme dans l'Epi-
lepsie maladie, la médication borée donne de bons résultats. Prescrivez
3 à A grammes de tartrate borico-potassique, à prendre quotidiennement,
en plusieurs prises, et vous verrez disparaître les manifestations épi-
leptiques dans la proportion de 3 sur 4. Si, cependant, celles-ci sont
encore trop fréquentes, donnez, outre le tartrate, dix ou vingt centi-
grammes de gardénal. Grâce à cette association, vous supprimerez
environ dix crises sur onze.
IL Par contre, il est inutile de prescrire le tartrate borico-potassique
i-i /'. béuac.i •/•:
lorsqu'il s'agit il'Epilepsie relevant d'une volumineuse cicatrice méningée
ou encéphalique. Donnez du gardénal, d'abord trente centigrammes
quotidiennement, puis diminuez peu à peu cette dose jusqu'à l'obtention
d'un seuil au-dessous duquel les crises réapparaissent. De temps à
autre, cessez cette ration quotidienne, mais avec les pins grandes
précautions. Parfois, rarement il est vrai, vous aurez l'heureuse sur-
prise de constater la disparition des crises. Mais ne vous hâtez jamais
de parler de guérison ; souvent il ne s'agit que de longues rémissions et,
s'il survient un paroxysme, il peut avoir des conséquences d'autant
plus terribles qu'il est plus inattendu.
III. Car vous n'userez de ces médications continues que lorsque les
accès ne sont pas annoncés par des prodromes. Si ces signes précurseurs
existent d'une manière nette, vous tenterez d'employer un autre mode
de traitement. Celui-ci consiste adonner journellement une médication
continue à très (et même trop) faibles doses ; exemple: un gramme de
bromure, ou un gramme de tartrate borico-potassique, ou encore dix
centigrammes de gardénal. Mais le blessé sera toujours porteur de 5
grammes de bromure dissous dans 15 centimètres cubes d'eau, ou
encore de 5 cachets de un gramme de biborate de soude, ou bien encore
de trente centigrammes de gardénal. Dès l'apparition des prodromes
il avalera cette forte médication anti-épileptique et son accès avortera
sept fois sur huit environ. Parfois vous pourrez ne pas donnerai! blessé
de traitement quotidien, le simple fait d'avaler sa provision portative
arrêtera l'évolution des accès.
Cette méthode a l'avantage de ne pas soumettre le rein à une fatigue
continuelle, qui, si minime soit-elle, a tout de même des inconvénients.
Voici, Messieurs, les principales caractéristiques et les causes de
l'Epilepsie traumatique. En regard des lésions, vous trouverez dans le
tableau ci-contre l'indication du traitement à opposer à leurs consé-
quences.
Ces règles, vous les appliquerez, hélas ! trop souvent, étant donné le
nombre si important des blesses de tête laisses par la guérie et celui
toujours croissant relevant de la trépidante vie moderne. Mais n'ou-
bliez jamais, Messieurs, que lorsqu'il s'agit de soigner des epileptiques,
quels qu'ils fussent, à côté du traitement médicamenteux, vous deves
toujours instituer une véritable cure morale. Un îles devoirs primor-
diaux du médecin, dansée cas, est de rassurer les pauvres blesses, el
de les soutenir dans leur vie tout entière dominée par la perpétuelle
anxiété de la survenue d'une crise.
UÉPILEPSIE TRAUMATIQUE 485
CAUSES : LÉSIONS : TRAITEMENT :
Corps étrangers superficiels.^
Hématome méningé. ' Localisées ) n
D-u . v «i . . . „. ° > .. ,| t Chirurgical.
ebnt 1 Abcès méninge. » extirpables. )
très Ahpps pprértral
W très . Abcès cérébral.
3
S l [ Méningite aseptique diffuse. x.
< I \ Méningite aiguë diffuse. 1
] f Dffuses
m ( [ Hémorragie tardive intraven- ou ' Médical de l'affection causale.
ÏP ] l triculaire. \ profondes. ;
y I 1 Encéphalite aiguë non sup-
«J I Début ' purée
S F très (
m ' tardif, j Hémorragie tardive péi i-N
durale. ' Localisées ) r
Abcès méningé tardif. > superficielles .] ^H1RURGICAL-
Abcès cérébral tardif.
-, / ' Corps étranger extra-encé- ',
CQ I \ Cal exubérant de la table ,• 11 ! Chirurgical après radiographie.
< Plaie l interne. V «t.rpables. j
* 1 péné- Mauvaise plastie.
trante.
Cicatrice méningée. "i Luminal \
Cicatrice encéphalique. au
Corps et ranger de l encéphale. Profondes^ MÉDICAL ) Bromure. Siprodr ornes
' ,- I \ instituer
CL,
W I pl;„ / r .:„_ i symptomati-
( Commotion. / ™«- S S1M1"UMA"" )T , , , i traiteme
. ) Plaie du cuir chevelu. \ Pables' QLE" / Tartrale b M spécial
£j \ péné- ) Embarrure table externe du ! l , "° ,
non
péné-
[ trante.
DIX-NEUVIÈME CONFÉRENCE
PAR
M. le D' Henri BOUTTIER
chef de clinique à la Faculté de médecine de Paris.
L'ÉTAT DE MAL ÉPILEPTIQUE
Messieurs,
L'épilepsie dite essentielle a suscité et suscite chaque jour tant de
travaux qu'on aborde avec timidité un si vaste sujet et si plein de
mystère encore ... Les auteurs les plus importants ont attaché leur nom
à l'étude du mal comitial. Aussi la bibliographie même élémentaire
de la question suffirait-elle à occuper le temps qui nous est
aujourd'hui réservé.
Nous nous excusons donc par avance de ne faire délibérément aucune
place aux indications bibliographiques ; notre intention est en effet
tout autre.
Nous avons eu depuis deux années, sous la direction immédiate de
notre Maître Monsieur le Professeur Pierre Marie et suivant ses con-
seils, le privilège d'examiner un grand nombre de malades épileptiques
aussi bien dans le service de Clinique des Maladies du Système Ner-
veux qu'à la Consultation externe de la Salpêtrière. Aussi nous a-t-il
paru intéressant de vous apporter ici le résultat de quelques-unes de
nos recherches cliniques, biologiques et thérapeutiques.
Certaines d'entre elles ont abouti déjà à des conclusions positives ;
les autres ont la valeur de documents d'attente. Ces documents peu-
vent en tout cas servir à des travaux ultérieurs, et c'est à ce titre que
nous croyons utile de vous les communiquer avec quelques détails,
en dépit de leurs caractères parfois négatifs.
Nous nous appuierons donc d'une façon exclusive sur des observa-
tions personnelles et le plus souvent inédites.
Dans les manifestations diverses du mal comitial la simple obser-
188 Hi:.\l<l BOUTTJER
vation des faits, tojours si délicate en médecine, est particulière-
ment difficile.
Cela tient avant tout à la fugacité des symptômes et à la brusquerie
de leur apparition. Au lieu d'être fixés pendant quelques jours ou quel-
ques mois dans une immobilité propice à l'étude, ils apparaissent en
quelques secondes et disparaissent souvent en quelques minutes ; or
c'est cette évolution dont il faut saisir les phases, si l'on veut faire une
étude exacte des phénomènes cliniques.
D'ailleurs chaque épileptique réagit, pour des raisons encore incon-
nues, suivant un mode qui lui est propre ; il n'y a pas, suivant un mot
classique, deux épileptiques qui se ressemblent. Et tout l'intérêt du
problème consiste à dissocier, dans le fond commun à toute l'épilepsic,
les caractères morbides propres à chaque épileptique. Cette étude n'a
pas seulement un intérêt théorique, elle peut conduire aussi à des con-
clusions d'une portée plus générale, relatives en particulier au traite-
ment.
L'objet principal, sinon exclusif, de cette leçon sera l'état de mal épi-
leptique. La raison de ce choix est la suivante : dans l'état de mal, les
manifestations cliniques de l'épilepsic sont en quelque sorte portées à
leur plus haut degré : si des investigations d'ordre humoral ont quelque
chance de donner des résultats positifs, c'est bien, semble-t-il, dans cet
état paroxystique où les troubles nerveux et viscéraux ont une intensité
et une durée beaucoup plus grandes que dans la crise isolée. Si, au con-
traire, la plupart des recherches biologiques sont ici négatives, cette
constatation n'en sera que plus intéressante.
Ainsi l'état de mal épileptique, par les conditions d'étude qu'il
offre, nous semble digne de retenir d'une façon toute particulière l'at-
tention des cliniciens et des biologistes.
Il ne semble pas d'ailleurs qu'il ait été décrit parles anciens.
C'est Calmeil qui, en 1824, écrivit : « il y a des cas où. un accès à
peine fini, un autre recommence et successivement, coup sur coup, si
bien qu'on peut compter 40, 60 accès sans interruption ; c'est ce que
les malades appellent entre eux l'Etat de mal. »
Herpin donnait à ces accidents le nom de « paroxysmes » et en
connaissait la gravité pronostique.
Mais c'est surtout depuis les travaux de Bourneville en particulier
(pie l'état de mal est mieux connu.
Il faut d'ailleurs remarquer que nos malades diffèrent sensiblement
des malades d'asile dont l'histoire a servi à faire létude clinique île
l'état de mal. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner des quelques diver-
L'ÉTAT DE MAL ÉP1LEPTIQUE 489
gences qu'il peut y avoir entre nos observations et celles des auteurs
classiques.
L'état de mal épileptique est caractérisé essentiellement parle fait sui-
vant : le malade a des crises convulsives fréquentes, parfois même sub-
intrantes : leur nombre peut atteindre et même dépasser cent en vingt-
quatre heures.
Entre les crises, et c'est là un fait beaucoup plus important que le
nombre même des crises, le malade ne reprend pas connaissance, ou
tout au moins son état mental ne lui permet pas de participer à la vie
extérieure. Il y a donc un trouble grave des fonctions de conscience le
plus souvent abolies, toujours très diminuées.
L'état général du malade est sérieux et l'évolution se fait assez sou-
vent vers la mort avec hyperthermie terminale.
Tels sont les principaux éléments symptomatiques qui nous permet-
tront de faire le diagnostic positif de l'état de mal épileptique.
h'étiologie de l'état de mal comporte des conclusions pratiques, et
c'est pourquoi nous nous y arrêterons un peu.
La question d'âge ne nous a pas paru très importante : dans nos
observations nous trouvons aussi bien des individus jeunes (22 ans) que
des individus âgés de 50 ou même de 60 ans.
Toutefois l'enquête étiologique relative à la cause de l'épilepsie devra
être faite, vous le verrez, avec d'autant plus de soin qu'on sera en pré-
sence d'une épilepsie tardive ou d'une épilepsie sénile. Vous savez, en
effet, l'importance que le Professeur Pierre Marie attache en clinique
à la notion de l'âge auquel surviennent les maladies.
L'absence de médication ou la suspension du traitement semblent avoir
une influence incontestable sur l'apparition des accidents : une de nos
malades entre en état de mal le 8 décembre 1919 : elle a des crises
convulsives nombreuses presque subintrantes jusqu'au 12 décembre.
Finalement elle guérit et n'a plus de crises: elle demande à aller en
congé dans sa famille. En dépit de toutes les recommandations, elle
ne suit pas, ou mal, son traitement. Le 3 mars 1920, elle a 9 crises en
24 heures, tombe à nouveau en état de mal et elle meurt le 9 mars 1920.
Une autre malade a 15 crises dans la nuit du 14 au 15 septembre 1920
avec état de mal ; elle ne se soigne pas. malgré ce grave avertisse-
ment, et le 13 octobre 1920 elle a, dans la journée, des crises subin-
trantes incomptables, avec état de mal typique.
Dans un autre cas il s'agissait d'une malade qui n'avait pas de crises
depuis fort longtemps : le 29 janvier 1921 elle entre en état de mal et y
reste pendant plusieurs mois.
■l'.tti HENRI nui TTIER
Vous voyez que la suspension du traitement paraît avoir une
influence sur l'apparition des accidents graves de l'épilepsie. Est-ce à
dire que la mauvaise application du traitement suffît à expliquer réclu-
sion de ces accidents ? Nous ne le pensons pas.
Au cours de nos recherches sur la médication borée dans l'épilepsie
laites en collaboration avec MM. Pierre Marie et Crouzon, nous avons
été amenés à étudier l'effet de la suspension du traitement chez quelques
épileptiques. Nous avons vu que la suspension du traitement était en
général suivie d'une recrudescence du nombre des crises et dés vertiges >
puisque telle malade, qui n'avait eu aucun accident le mois précédent,
lorsqu'elle était soumise au traitement, avait 10 à 20 crises par jour dès
qu'on supprimait la médication. Mais aucune de ces malades, choisies
pourtant parmi nos épileptiques les plus atteintes, n'a réagi suivant le
mode de l'état de mal à la suspension de la médication.
On a beaucoup plutôt l'impression, quand on interroge les malades,
que certains d'entre eux ont en quelque sorte l'habitude de faire des
états de mal : il semble que ce soit là leur mode de réaction, tandis
que d'autres épileptiques passeront leur vie, fort gênés par des crises
fréquentes, mais sans quecelles-ci prennent jamais un caractère subin-
trant. Plusieurs de nos observations sont à cet égard très caractéris-
tiques. Que l'état de mal dure 5 heures, 4 jours ou plusieurs semaines,
le tableau clinique est très comparable: ce sont des sujets qui font plus
ou moins brusquement une décharge de crises subintrantes avec sup-
pression totale des fonctions de conscience ; s'ils guérissent, ils peu-
vent rester longtemps sans avoir même une crise et mènent alors une
vie sensiblement normale.
Enfin la période menstruelle joue souvent, vous le savez, Messieurs,
un rôle dans l'apparition des crises d'épilepsie. C'est là une notion
classique importante à connaître, que nous avons eu mainte fois l'occa-
sion de vérifier. La même remarque s'applique à l'état de mal. Qu il
s'agisse du début des accidents ou de leur recrudescence, lorsqu'ils
durent pendant plusieurs mois, il n'est pas douteux que la menstruation
a sur l'augmentation du nombre des crises et des vertiges au cours de
l'état demal une influence incontestable.
Vous pouvez, d'ailleurs, vous en convaincre en jetant les yeux sur la
courbe n° 9.
Nous laissons de côté l'état de mal syniptoniatique d'un traumatisme
ou d'une tumeur cérébrale par exemple, car l'étiologie et le traitement
en sont absolument différents.
De ces remarques on peut conclure dès maintenant qu'il o'ya pasde
Fig. 1. — Cas Pic. . Etat de mal épileptique. Mode
de début des crises.
Fig 3. - Cas H... Etat de mal épileptique.
Mode de début.
?\a. 2. — Cas Aug. Etat de mal épileptique.
Mode de début des crises et des vertiges.
Les crises sont représentées en trait plein.
Les vertiges sont représentés en traits
pointillés.
Fig 4 —Cas H... Etat de mal épileptique.
192 II lî.Xlil liOlTTlER
rapport entre le nombre de crises qu'a eues le malade clans le mois
précédent et l'apparition chez lui d'un état de mal. Il va des malades
plus prédisposés que d'autres à réagir suivant le mode de l'état de mal,
tel est le fait d'observation. Pour quelle raison? Je ne saurais vous le
dire. Jusqu'à présent les recherches biologiques ne semblentpas appor-
ter d'éclaircissement à ce problème dont l'importance est grande au
point de vue de la pathologie générale.
Le l'ait n'en est pas moins intéressant : il montre que même dans les pé-
riodes de calme absolu il faut toujours réserver le pronostic chezun ma-
lade qui a déjà présenté une ou plusieurs fois les symptômes de l'étatde
mal.
C est surtout au moment des règles que chez les épileptiques femmes
vous redoublerez de vigilance thérapeutique, en raison de l'influence
fâcheuse qu'exerce la menstruation sur l'apparition des accidents graves.
Le mode de début de l'état de mal, d'après notre expérience, est en
général assez brusque : c'est d'ailleurs un fait paradoxal que la période
antérieure à l'état de mal soit souvent calme et que les convulsions
subintrantes apparaissent soudainement.
Ce n'est pas à dire qu'il n'y ait pas des nuances dans le mode de
début des accidents.
C'est parfois à la suite d'une phase un peu agitée qu'on les voit sur-
venir, ainsi qu'en témoigne le graphique Aug., fig. 1. D'autres fois, le
début est un peu plus brusque. Ainsi que vous pouvez le voir d'après
les graphiques 2 et 3.
Voici encore un cas qui répond sensiblement au même type : le
29 janvier, à 20 heures, cette malade, qui n'avait eu aucun accident comi-
tial depuis 14 mois, pousse un cri : «Je suis perdue » ; la surveillante
ouvre la porte, et elle trouve la malade debout, les yeux fixes, complète-
ment égarée ; on la reconduit dans la salle, on la fait recoucher. Dans
la nuit du 29 au 30, la malade a deux crises consécutives, huit crises du
30 au 31. Elle entre alors dans un état confusionnel : les crises et les
vertiges vont en augmentant ; elle perd complètement conscience ; elle
est alors en état de mal, bien que le nombre des crises ne dépasse pas
25 dans la période de 24 heures.
En opposition avec ces cas où le début se fait en un laps de temps
variant entre 24 et 48 heures, il faut mettre ceux où le débuta un carac-
tère en quelque sorte foudroyant. (Voyez le graphique 4.)
Une de nos malades n'avait eu aucun accident comitial dans les
jours précédents : elle se portait fort bien le matin en si- réveillant et
personne n'avait rien remarqué de suspect dans sou attitude. A
L'ÉTAT DE MAL ÉPILEPTIQUE 493
10 heures 45 du matin, elle tombe en crise : d'emblée ces crises devien-
nent subintrantes, la malade ne reprend pas conscience, l'état général
est très grave, la température dépasse 41° en quelques heures. Tel est le
mode de début foudroyant de l'état de mal épileptique.
Vous voyez quels renseignements précieux peut vous fournir l'étude
du mode de début de l'état de mal sur lequel nous avons cru utile d'in-
sister avant d'aborder l'analyse des principaux symptômes cliniques
que vous observerez au cours de ces accidents. Les plus importants
d'entre eux sont représentés par
L'ÉTAT MENTAL
Le plus souvent, le malade est plongé dans un état d'inconscience
absolue, ne fait aucune réponse aux questions, les yeux sont mi-clos et
ne suivent pas l'interlocuteur. Vient-on à pincer fortement les téguments.
on entend parfois une plainte ou un soupir qui témoignent seuls de
l'impression douloureuse mal perçue, mal localisée, le malade faisant
seulement un retrait global des membres inférieurs si l'excitation a
porté sur les téguments des jambes par exemple. Il y a enfin des malades
qui ne réagissent à aucun mode d'excitation sensitive périphérique.
D'ailleurs il ne faudrait pas croire que l'état mental reste absolument
le même pendant toute la durée de l'état de mal.
Dans un premier groupe de faits, vous observerez le coma complet
avec inconscience absolue et absence de réaction aux excitations dou-
loureuses périphériques. Ces faits correspondent parfois, mais non tou-
jours, au cas où les crises ont un caractère subintrant.
Dans un deuxième groupe, on peut ranger les cas où le malade est
manifestement plus atteint dans l'ordre mental à la suite de chaque
crise convulsive que dans l'intervalle de deux crises. Dans les minutes
ou le quart d'heure qui suivent la crise, c'est le coma complet avec
inconscience absolue ; puis lorsque les crises s'espacent, de petites
améliorations de l'état psychique peuvent être notées ; le malade
suit parfois des yeux l'interlocuteur lorsque celui-ci se déplace autour
du lit. et bien qu'il ne puisse répondre à aucune question, on a l'im-
pression, d'après l'aspect du visage, que la conscience élémentaire est
moins complètement abolie que dans le cas précédent. Puis le malade
a une nouvelle crise convulsive et retombe dans le coma complet.
Vous pourrez observer enfin, et c'est un troisième groupe de faits,
des cas où les malades sont simplement obnubilés, incapables de
prendre part aux actes de la vie extérieure, de répondre aux questions
104 HENRI BOUTTIEIi
autrement que par des gestes de la tète ou de la main. Leur visage
exprime souvent une très grande fatigue ; mais lorsqu'on arrive à un
moment favorable et qu'on leur pose des questions simples et souvent
répétées, on peut parfois se faire comprendre d'eux.
Ces modifications de l'état mental que nous vous exposons ici d'une
façon très sommaire et sans aucune prétention à l'analyse psychologi-
que fine, ont une grande importance clinique : en effet, l'état psychique
se modifie profondément au cours de l'épilepsie grave, non pas seule-
ment dans l'espace d'une même journée, mais encore d'un jour à l'autre ;
et lorsque vous verrez l'état mental s'aggraver progressivement et abou-
tir au coma complet, vous aurez soin de réserver votre pronostic. Au
contraire l'amélioration des troubles psychiques est un symptôme favo-
rable et de grande valeur. Vous assisterez alors à une reprise des
fonctions de conscience, entrecoupée encore par des phases confusion-
nelles de plus ou moins longue durée.
Ainsi l'étude minutieuse et quotidienne de l'état mental fournit, vous
le voyez, au cours de l'état de mal des éléments très fins d'informa-
tion.
Les crises convulsiues sont, par leur fréquence même, un des symptô-
mes primordiaux de l'état de mal épileptique. Mais cette fréquence est
elle-même variable. Elles sont parfois subintrantes, séparées à peine
par un intervalle de quelques minutes.
La malade est alors secouée par des convulsions cloniques ou toniques
à peu près incessantes ; d'autres fois le nombre des crises est moins
grand, il est de 25 à 30 dans les 24 heures par exemple ; mais cependant
entre les crises, les malades restent dans un état d'obnubilation intel-
lectuelle très accentuée.
Nous n'insisterons pas ici sur les caractères cliniques de la crise
convulsive comitiale ; ils sont classiques et vous les connaissez. Néan-
moins il importe de préciser le caractère de ces crises pour chaque
malade en particulier. C'est en effet une chose digne de remarque que
même dans l'épilepsie généralisée, chaque malade ait très souvent sa
crise exactement de la même façon. Dans un de nos cas, notre
malade tournait toujours la tête d'abord vers la gauche avec") ou () se-
cousses COnVulsives, puis la tète était tournée vers la droite pendant
la plus grande partie de la crise ; à la lin, la tète était toujours sur la
ligne médiane. De même il est fréquent d'observer dans l'Epi-
lepsie essentielle, le début des phénomènes eonvulsifs toujours par le
même membre, la généralisation des convulsions ne si- faisant que
secondairement.
VÉTAT DE MAL ÉPILEPTIQUE 495
Ces faits se comprennent très bien, lorsqu'il s'agit d'Epilepsie
Jacksonienne. Ils sont déjà d'une interprétation plus difficile dans la
crise isolée d'Epilepsie dite essentielle, ils deviennent très difficiles à
expliquer dans l'état de mal épileptique, où, en dépit du caractère
subintrant des crises, le rythme de chacune d'elles semble rester
absolument fixe ; cette remarque clinique pose des problèmes fort
intéressants d'ordre physiologique sur lesquels malheureusement nous
ne pouvons vous apporter de documents plus complets.
Uintensité des crises est loin d'être toujours la même : on a d'ailleurs
souvent l'impression que l'amplitude des secousses convulsives est
heureusement modifiée par les agents thérapeutiques. Il est très fré-
quent d'observer deux ou trois cri ses relativement plus faibles mais qui
sont suivies, au bout d'un temps variable, d'une crise plus forte, plus
longue et qui laisse à sa suite la malade plus fatiguée. Cette notion a
une importance pronostique, et la qualité des crises dans l'observation
journalière d'un Epileptique en état de mal doit être notée avec autant
de soin que leur quantité, si l'on veut modifier d'une façon opportune,
suivant les moments, les méthodes de traitement.
A la suite de chaque crise, en dehors des troubles circulatoires et res-
piratoires sur lesquels nous reviendrons, on observe généralement des
phénomènes sympathiques qui ne sont pas toujours aussi généralisés
qu'on pourrait le supposer. Sans doute la vaso-dilatation est toujours
très marquée, la sudation est abondante, mais il arrive qu'on observe,
par exemple, comme dans l'un de nos cas,- un larmoiement localisé à
un seul œil : ce fait était constant et a été noté souvent chez cette
malade par M. le Professeur Pierre Marie et par nous-même. Il nous
est impossible actuellement d'en préciser la signification, mais l'étude
méthodique de ces troubles sympathiques objectifs (nous reviendrons
plus loin sur les phénomènes sympathiques provoqués) doit toujours
être faite avec grand soin.
A la suite de la crise convulsive, la malade retombe dans un état de
torpeur dont l'intensité varie, comme nous l'avons vu, selon les cas et
suivant la période de révolution de la maladie.
D'ailleurs dans l'état de mal on ne note pas seulement des crises
convulsives. Vous observerez aussi des absences.
Quand on examine une épileptique en état de mal et qu'on reste
auprès d'elle pendant quelque temps pour préciser l'allure clinique des
accidents, on remarque que, même pendant la période de torpeur, il y
a des degrésthms l'intensité des troubles de conscience et on peut numé-
rer, non seulement les crises convulsives, mais encore les absences.
196 HENRI ni >l TTIER
Une de nos malades était à cet égard très caractéristique, et les acci-
dents qu'elle présentait et qui ont duré pendant plusieurs mois, avaient
toujours très exactement le même aspect clinique.
Les phénomènes débutaient par des troubles vaso-moteurs (pâleur
delà face), l'expression du visage devenait hagarde, les globes oculaires
se déviaient en haut et à gauche, puis en haut et adroite, pour revenir
lentement, enfin, à la position normale ; la respiration était très superfi-
cielle, on entendait un léger grincement de dents, quelques plaintes
suivies de petits mouvements automatiques de déglutition ; puis la
face devenait rouge, l'inspiration profonde, la respiration de plus en
plus rapide et plus ample, on ne notait pas de convulsions générali-
sées et la malade retombait progressivement dans l'état de torpeur
où elle resta pendant plusieurs mois.
Ainsi, vous observerez chez vos malades ou bien seulement des crises
convulsives, ou des crises entrecoupées d'absences sans convulsions
avec prédominance des phénomènes sympathiques.
LES RÉFLEXES TENDINEUX ET CUTANÉS
Leur étude est très importante : ils ont dans l'état de mal un carac-
tère fondamental, c'est leur variabilité d'un moment à l'autre, et aussi
selon la phase de l'évolution delà maladie.
Ceux qu'on recherche le plus souvent sont évidemment les réflexes
rotuliens et les réflexes acbilléens. Or un exemple montre bien la varia-
bilité dont nous parlons :
Une de nos malades en état de mal à 10 heures 1/2 du matin, a une
abolition des réflexes rotulien etachilléen, incontestable; à 10 h. 45, nous
revoyons la malade, toujours avec M. Pierre Marie : les réflexes rotulien
etachilléen ont réapparu très nettement. Il faut noter que ces modifica-
tions des réflexes n'étaient pas liées à un état pathologique de la toni-
cité musculaire, qui était restée sensiblement la même d'un moment à
l'autre.
D'une façon générale, aussitôt après la crise, les réflexes tendineux
sont vifs.
Quant au réflexe radial, il nous a paru particulièrement fragile au
cours de l'état de mal épileptique ; il est souvent impossible de l'ob-
tenir, alors que les réflexes rotulien et achilléen existent très nette-
ment ; même lorsque ce réflexe radial est vif nous ne l'avons jamais vu
subsister dans la supination, contrairement à ce qu'on observe sou«
vent lorsqu'il s'agit de troubles réflectifs d'ordre pyramidal.
L'ÉTAT DE MAL ÉPILEPTIQUE 497
Une de nos observations montre bien la variabilité des réflexes ten-
dineux à la suite de la crise d'Epilepsie.
Aussitôt après les phénomènes convulsifs, les réflexes rotulien et
aeliilléen sont très vifs : une minute après, on ne les obtient qu'avec
les plus grandes difficultés, et très faibles ; deux minutes plus tard
(trois minutes par conséquent après la fin de la crise) on les obtient très
facilement. Il semble donc qu'il y ait bien eu dans ce cas un phéno-
mène d'épuisement passager qui s'est produit au moment optimum,
c'est-à-dire une minute environ après la fin des phénomènes convul-
sifs.
Jusqu'à présent, nous n'avons eu en vue que des troubles passagers
de la réflectivité tendineuse. Lorsque ces troubles deviennent perma-
nents, nous pensons qu'il y a lieu de réserver beaucoup le pronostic.
Que les crises deviennent ou non subintrantes, on observe en effet à
la période terminale de l'état de mal une abolition complète ou une
extrême faiblesse des réflexes tendineux ; ce symptôme, qui précède
quelquefois de 24 heures l'issue fatale, paraît donc avoir une significa-
tion pronostique des plus fâcheuses et traduit un état d'épuisement
complet des centres nerveux.
LES RÉFLEXES CUTANÉS
Le plus important et le plus fréquemment recherché est le réflexe
eulané plantaire : nos conclusions confirment celles de M. Crouzon
qui avait montré la fréquence avec laquelle on observe l'extension
plantaire immédiatement après la crise d'Epilepsie. Ces conclusions
s'appliquent aussi à l'état de mal. Toutefois, dans ce cas particulier,
un fait nous a beaucoup frappé : c'est l'extrême variabilité du réflexe
cutané plantaire suivant le moment. Un de nos malades, vu avec
M. Pierre Marie, présente une flexion plantaire très nette le vendredi ;
le lendemain samedi, l'extension plantaire bilatérale est indiscutable,
alors qu'aucun symptôme de localisation n'est apparu depuis le jour
précédent. Le dimanche, l'excitation cutanée plantaire ne produit
aucune réponse, les réflexes tendineux sont d'ailleurs abolis et le
malade meurt à 1 heure de l'après-midi.
Ce qu'on observe fréquemment aussi à la suite de la crise convulsive,
c'est, lorsqu'on excite la plante du pied, uni' réponse très vive dans le
tenseur .du fascia lata et un mouvement de retrait en niasse du membre
inférieur. Nous n'avons pas observé en général de clonus du pied,
mais la flexion forcée des orteils produisait fréquemment le phénomène
des raccourcisseurs de Pierre Marie et Foix.
CONFÉH. Mil IROL. 32
198
/// \l!l BOUT! 1ER
On voit par là, l'intérêt qui s'attache à l' examen méthodique des
réflexes tendineux et cutanés au cours de l'évolution de l'état de mal
épileptique et les précieux renseignements que l'on peut tirer de leur
étude.
LES SIGNES GÉNÉRAUX
L'étude de la courbe thermique a dans l'état de mal une grande
valeur pronostique :
Le plus souvent, au début, la température est intermédiaire à 37 et à
' /)_. M<
irs 1920
4
5 6 7
Temp. 1
■
|
41°
x
40°
i
39° ±
38° dp
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5i
37°
Heures
7
11.50
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\2X
520
16
17
Tempèr.
41°
40°
39°
38°
37°
' I !
i
/
/
|
/
/
Fig. 5. — Etat de mal épilep-
tique, courbe thermique.
Evolution vers la mort.
Eig. 6. — Cas R. — Etat de mal épilep-
tique, courbe thermique
38 degrés : si l'état de mal dure, elle peut rester pendant quelques jours
entre .'58° et 39°5 ; quand l'état général s'aggrave, l'hyperthermie
augmente et certains de nos malades ont atteint 40°5, 41°, 41"3. Il con-
vient d'ailleurs de remarquer que cette hyperthermie ne s'accompagne
pas toujours d'une augmentation parallèle des crises convulsives.
(Courbe 5 )
D'autres fois l'hyperthermie est d'emblée considérable : il suffit de se
reporter à la courbe 6 pour constater que la température a, chei
cette malade, atteint en 4 heures 4 1 ' «S . Et cependant le lendemain l'étal
de mal avait pris lin et la malade avait 37°5.
Enfin dans le troisième groupe de laits on peut ranger les cas où la
température ne dépasse jamais 38°, en dépit de la persistance de l'état de
L'ÉTAT DE MAL ÉPILEPTIOUE
499
mal, lequel, dans l'une de nos observations, s'est prolongé pendant
5 mois (courbe 7).
Nous conclurons donc que la température a une importance considé-
rable au point de vue du pronostic : lorsque, en dépit du traitement, elle
s'élève progressivement et atteint au bout de quelques jours ou dépasse
40°, il faut faire|de sérieuses réserves en ce qui concerne le pronostic
vital. Celui-ci nous a paru au contraire moins grave lorsque la tempé-
rature monte d'emblée à un chiffre considérable, et la constatation d'une
Temp
41°
40°
39°
38°
37°
36°
4 5 6 7 8
^iiii^i^ïgiiip^i^gi
Fi<,'. 7. — Cas. P. — Courbe thermique. — Etat de mal épileptjque
Forme prolongée. — La température n'a jamais dépassé 38°.
température de 40 ou 41°, survenant brusquement, ne comporte pas,
d'après notre expérience, et contrairement à ce qu'on pourrait penser,
un pronostic fatal.
Enfin, quand la température ne dépasse jamais 38°, quels que
soient le nombre et l'intensité des crises, nous avons l'impression
qu'en général le pronostic est favorable. C'est là un point sur lequel
je tiens à insister devant vous, sur les conseils de M. Pierre
Marie lui-même.
TROUBLES CARDIO-VASCULAIRES
Ils ont- été très étudiés au cours de l'Epilepsie ; et dans un article
récent M. Hartenberg est revenu sur ce sujet en apportant "ses consta-
tations personnelles.
D'après notre expérience, nous avons constaté ;iu cours de l'état de
mal une tendance très nette à l'hypotension artérielle : cela a une
500
HE Mil BOl TTIER
grosse importance, en ce qui concerne en particulier le diagnostic avec
les convulsions urémiques.
Autant qu'on peut le dire en raison des difficultés techniques, nous
avons l'impression qu'il y a avant la crise comitiale une hypertension
passagère dont une de nos courbes rend très bien compte.
Fig. 8 — Cas. P. — Elut de mal êpileptique.
Ktude comparée de tension niaxima et minima et de la fréquence du
pouls Après une injection de 1 milligr d'adrénaline.
La courbe supérieure — en plein — représente la tension msxima.
la courbe intérieure — en plein — représente la tension minima.
La courbe en pointillé représente le nombre des pulsations.
Pour mettre ce phénomène en évidence, nous avons dans un de nos
cas avec M. René Mathieu, fait à la malade une injection d'un milli-
gramme d'adrénaline. Or, la crise êpileptique se produisit (H) minutes
après l'injection : la pression svslolique passa de 1.*} à 14°; au bout de
50 minutes elle était à 15° et juste avant la crise êpileptique elle était à
18 pour retomber 10 minutes après à 13. Quant à la pression diasto-
lique elle était passée aussitôt avant la crise de 10 à 12, pour retomber,
aussitôt après, à 10 (Voir courbe figure 8. 1
On voit donc que dans ce cas, où peut-être d ailleurs l'injection
d'adrénaline a permis de mieux mettre en évidence les phénomènes, la
VÉTAT DE MAL ÉP1LEPTI0UE 501
crise convulsive a été précédée d'une hypertension artérielle très
notable.
Cette hypertension, dans la plupart des cas, parait tout à fait passa-
gère : le malade étant, comme nous l'avons vu, plutôt hypotendu dans
l'intervalle des crises.
Nous voulons insister surtout sur l'intérêt cpii s'attache à l'étude des
phénomènes oscillométriques au cours de l'état de mal.
OSCILLOMÉTRIE
On sait les renseignements que peut donner un examen méthodique
de la courbe oscillométrique. Les travaux de Delaunay, de Barré, de
Billard, de Jeanneney en particulier ont montré les renseignements
qu'on peut tirer de son étude en ce qui concerne l'état vaso-tonique de
la paroi artérielle. Nous-mème, en collaboration avec notre Maître
M. le Professeur Lecène et notre ami Logre, avons appliqué ces
méthodes à l'étude des troubles vasculaires dans leurs rapports avec
les traumatismes crâniens. C'est un sujet que nous ne pouvons donc
développer ici. Nous voulons simplement présenter 4 courbes qui
montrent bien, à notre avis, le rapport qui peut exister entre les phéno-
mènes convulsifs de l'état de mal et l'état oscillométrique des vais-
seaux périphériques (voir courbe Huet).
La courbe n° 1 vous représente un graphique oscillométrique pris
aussitôt après une crise convulsive :vous y noterez l'amplitude considé-
rable des oscillations, qui atteint presque 5, et la persistance jusqu'au 0
des oscillations infra-minimales.
Voyez maintenant la courbe n° 2 : c'est un graphique oscillomé-
trique pris sur la même malade 10 minutes après la crise convulsive et
5 minutes après la ponction lombaire. Vous noterez que la tension
artérielle n'est que faiblement modifiée par rapport à la courbe précé-
dente: au contraire, l'amplitude oscillométrique est beaucoup moindre.
Il n'y a plus d'oscillation infra-minimale et la forme des deux courbes
est aussi différente que possible.
Il semble vraiment difficile de ne pas établir un rapport entre les
troubles convulsifs d'une part et les modifications de la courbe oscillo-
métrique et delà ponction lombaire d'autre part.
Toutefois, pour éliminer l'influence de la ponction lombaire sur
l'allure de la courbe, nous avons répété une deuxième fois l'expérience
sur la même malade. La courbe n° «J a été prise aussitôt après une
crise convulsive; elle vous montre, encore une fois, la grande amplitude
502
HENRI BOX TTIER
Cas 11.
Courbe* oscillométriques
Courbe I.
Aussitôt après une crise
convulsive
Noter l'amplitude des oscil-
lations fa persistance jus-
qu'au 0 des oscillations
infra-minimales.
Courbe II.
10 minutes après la crise
convulsive et 5 minutes
après la ponction lom-
baire.
Noter : l'amplitude des oscil-
lations a beaucoup dimi-
nué Les oscillations infra-
minimales disparaissent
beaucoup plus vite.
Courbe III.
Aussitôt après une 2 crise
convulsive.
Noter : l'amplitude des oscil-
lations la persistance dos
oscillations infra-minima-
les jusqu'au 0.
CoubelV.
10 minutes après la 2
crise convulsive.
Noter : la forme de la
courbe est très différente
des oscillations infra-mini
maies qui ne persistent
plus jusqu'au 0.
des oscillations, l'hypotension artérielle et la persistance jusqu'au 0
des oscillations infra-minimales.
Voici, au contraire, lé graphique q°4, pris 10 minutes après la
L'ÉTAT DE MAL ÉP1LEPTIQUE 503
i
crise : vous voyez combien la forme en est différente et surtout com-
bien les oscillations infra-minimales sont vite supprimées, au lieu de
persister jusqu'au 0.
Nous ne voulons pas dire qu'il soit fréquent d'observer les phéno-
mènes d'une façon aussi schématique que dans ce cas-là. Celui-ci ne
nous en paraît que plus intéressant, il montre à quel point le système
vasculaire peut réagir aux influences nerveuses d'origine centrale.
Alors que les modifications de la tension artérielle ont souvent une
importance secondaire, au contraire l'oscillométrie peut donner des
renseignements précis C'est une question que nous avons développée
longuement ailleurs à propos de traumatismes cérébraux, en insistant
sur la nécessité d'une méthode très rigoureuse basée sur l'étude compa-
rée des graphiques oseillométriques chez un même sujet, suivant les
phases de sa maladie. Il y a des modifications objectives, dont, en
dehors de toute idée théorique, il est légitime de tenir compte En
particulier, la persistance des oscillations infra-minimales jusqu'au 0
mesure surtout, sans doute, les modifications du tonus de la paroi arté-
rielle, et il n'est pas étonnant qu'il puisse être particulièrement atteint,
après la crise convulsive, au cours de l'état de mal épileptique.
Le rythme du pouls est naturellement très modifié par la crise
comitiale ; c'est là un fait bien connu. Le graphique Pic montre
que le nombre des pulsations à la minute peut atteindre presque
130 au moment de la crise comitiale, pour tomber à 70 dix minutes
après, et subir dans les minutes suivantes une nouvelle ascension
jusqu'à 110. S'agit-il là encore d'une sorte de phénomène d'épuise-
ment comparable à ceux que l'on observe pour les troubles réflectifs
à la suite de crises convulsives graves et prolongées ? C'est très
possible.
Ces remarques sur les modifications du pouls au cours de l'état de
mal montrent une fois de plus que le système vasculaire participe là
encore au phénomène de variabilité qui domine toute la question de
l'Epilepsie.
Cette remarque s'applique aussi à .'étude des réflexes oculo-cardiaque
et oculo-vaso-moteur.
Des recherches que nous avons faites à ce propos sur un grand
nombre de malades, nous ne pouvons pas tirer de loi fixe. Ce réflexe
oculo-cardiaque nous a paru souvent très vif au cours de l'état de
mal. Il passait chez un de nos malades de 56 à 26 pulsations à la
demi minute; mais cette recherche ne nous a pas paru apporter d élé-
ment décisif au diagnostic ni surtout au pronostic Tout récemment ,
,04 HENRI BOUTTIER
M Roubinovitch vient de signaler, chez les épileptiques, la persistance
de la bradycardie après la cessation de la compression oculaire : c'est
là 1111 fait intéressant, mais que nous n'avons pas eu encore le temps
d'étudier chez, nos malades.
Le système respiratoire participe aux perturbations générales dans l'état
de mal. En dehors des modifications bien connues cpii suivent la crise
convulsive, nous voulons signaler qu'on observe souvent un rythme très
irrégulier, rappelant d'assez près le rythme de Cheyne-Stokes, et dans
un cas où nous avons observé très souvent le phénomène chez la même
malade, avec M. le Professeur Pierre Marie, révolution s'est laite néan-
moins vers la guérison. Ajoutons d'ailleurs qu'il n'y avait pas d'hypera-
zotémie et que le trouble respiratoire avait par conséquent, malgré ses
analogies avec le rythme de Cheyne-Stokes, une pathogénie sans doute
fort différente. Cette constatation pose d'ailleurs des problèmes de
physiologie pathologique d'un certain intérêt et montre aussi que la cons-
tatation d'un trouble du rythme respiratoire qui rappelle le rythme de
Cheyne-Stokes, ne doit pas suffire à faire porter, dans l'état de mal, un
pronostic vital très grave.
En présence de troubles aussi importants de l'état général et des
diverses fonctions organiques, on est amené à penser qu'il existe aussi
des perturbations d'ordre humoral susceptibles d'apporter au diagnostic
et au pronostic des éléments très sérieux d'information.
Vous savez qu'un grand nombre d'auteurs ont déjà poursuivi des
recherches dans ce sens. Vous en trouverez l'indication dans un livre
récent et très documenté de M. Barbé ; nous avons cru néanmoins utile de
les reprendre, à propos de nos malades, pour compléter leurs observa-
tions cliniques, et aussi parce que les progrès des techniques modernes
ont mis parfois à notre disposition des procédés d'investigation —
chimiques en particulier — plus délicats (pie ceux dont on se servait
il y a encore quelques années. C'est le résultat de ces recherches per-
sonnelles que nous voulons maintenant résumer brièvementdevant vous.
LIQUIDE CÉPHALO-RACHIDIEN. EXAMEN CYTO-CHIMIQUE
Le plus souvent on n'observe aucune- altération cyto-ehimique du
liquide céphalo-rachidien dans l'état de*mal comitial. C'est ainsi que
chez une de nos malades, nous notons les chiffres de Ogr. 31 en pleine
période de crises subintrantes, de 0 gr. 27 cinq jours après lu fin de Pétai
de mal. On ne peut vraiment pasétablir un rapport entre une aussi petite
différence et l'allure tout à lait opposée du tableau clinique dans
les deux cas. Trois moisplus lard la malade retombe en état de mal et le
L'ÉTAT DE MAL ÉPILEPTIOLE 505
dosage de l'albumine céphalo-rachidienne n'indique que 0 gr. 36 centi-
grammes !
Chez un autre de nos malades où la ponction lombaire est faite en
pleines crises subintrantes il n'y avait que 0 gr. 20 d'albumine.
C'est encore le même résultat que nous avons obtenu dans un autre cas
d'état de mal confirmé où la ponction lombaire fut faite aussitôt après
une crise convulsive, le 7 février 1921. L'examen cyto-chimique complet
que nous devons à l'obligeance du D1 Mestrezat a donné les résultats
suivants :
Albumine normale.
Chlorure de sodium : normal (7 gr. 33).
Légère hyperglycosie.
Acétone, o.
L'augmentation du taux du sucre est également notée dans une autre
de nos observations où le chiffre du sucre s'élève à 1 gramme 40, ce qui
est très supérieur au taux normal.
Dans un autre cas d'état de mal, 0 heures avant la mort, le taux de
l'albumine n'était encore que de 0 gr. 30.
Voici encore un dosage que nous devons à l'amabilité de M. le Dr Mes-
trezat. Il porte sur un liquide céphalo-rachidien prélevé, aussitôt uprès
la crise convulsive, chez une de nos épileptiques en état de mal :
4 mars 192 / — Liquide céphalo rachidien :
Urée
Hypobromite 0 gr. 16
Méthode de Fosse 0 gr. 15
Chlorures 6 gr. 59
Albumine 0 gr. 14
Sucre 0 gi. 80
Acétone 0 00
Vous voyez que ces chiffres, si on en excepte unv légère hypergly-
cosie, sont normaux.
Ce fait montre qu'au cours de l'état de mal, l'examen cyto-chimique du
liquide céphalo-rachidien donne les mêmes résultats qu'à la suite delà
crise d'épilepsic isolée : voici en effet, à titre documentaire, les chiffres
que nous avons obtenus dans six cas où le liquide a été prélevé aussitôt
après la crise d épilepsie isolée :
Aud 0 gr. IN
Heid 0 gr. 31
Goub 0 gr. 17
Tred 0 gr. 33
Sal 0 gr. 1S
Barb 0 gr 28
506 m N /;/ n(" TTIER
Ces chiffres vous montrent que l'état de mal n'a pas plus d'influence
sur le liquide' céphalo-rachidien que la crise d'épilepsie vulgaire et
isolée. Ils concordent (railleurs avec les chiffres indiqués par les auteurs
qui se sont également occupés de la question. Ou en trouvera une
bibliographie assez complète dans un article récent d'Hartênberg.
En opposition avec les résultats négatifs que donnent les recherches
cyto-chimiques clans l'Épilepsie dite essentielle, il faut mettre les
résultats positifs obtenus lorsque l'état de mal est symptomatique
d'une affection diffuse des centres m en ingo-ericéphaliques. Une de nos
malades, quia présenté un état de mal, avait une réaction méningée très
forte (0 gr. 90 d'albumine, 25 lymphocytes par centimètre cube à la cellule
de Nageotte, et la réaction de Wassermann était positive dans le liquide
céphalo-rachidien). Il s'agissait évidemment d'une Epilepsie symp-
tomatique d'une syphilis cérébrale. Or rien ne permettait eliniquement
de faire, en dehors de la ponction lombaire, ce diagnostic étiologique. Il
ne semble d'ailleurs pas que la formule eyto-chimique ait pour le
traitement même de l'état de mal une importance décisive : en effet, cette
malade a guéri de son état de mal en quelques heures, avant qu'on ait pu
savoir les résultats de l'examen du liquide céphalo-rachidien, et instituer
par conséquent le traitement spécifique. Par contre, cette constatation
a eu une valeur considérable pour l'établissement du traitement ulté-
rieur.
LES VARIATIONS DU TAUX DE L'URÉE
DANS L'ETAT DE MAL ÉPILEPTIQUE
Au cours des recherches (pie nous avons faites en collaboration avec
le Dr Rodrigue/, (de Barcelone) sur les variations du taux de l'urée dans
l'Épilepsie, nous avons été amené a étudier comment se comporte le taux
de ï'azotémie dans l'état de mal épileptique.
L'étude des variations biologiques de l'urée envisagée dans ses rapports
avec les crises d'Épilepsie, a fait l'objet denombreux travaux Nous cite-
rons surtout le mémoire de Krainsky, ceux d'Allers et Rohde, et surtout
un important travail d'Ohregia et l'iechia. Depuis lors, MM Dufour et
Semelaigne ont étudié, dans une intéressante observation clinique, l'n/.o-
témie qui précéda chez une de leurs malades la crise épileptique. M.Sicard
n'a pasobservéune augmentation t\u taux de l'a/otemie dans lesjOUTSOU
les heures qui précèdentl'éclosiondela crise convulsive, Signalons encore
que pour MM. Laurès etGascard la rétention de I urée dans le liquide
céphalo-rachidien serait un élément de diagnostic entre l'Epilepsie et
TU vstéric.
L'ÉTAT DE MAL ÉPILEPTIQUE 507
Les conclusions de nos recherches avec M. Rodriguez ne nous per-
mettent pas de confirmer cette manière de voir, et à cet égard il est inté-
ressant de comparer les résultats obtenus à la suite de la crise d'Épilepsie
banale ou dans l'état de mal épileptique .
Pour permettre de comparer les faits, nous empruntons au mémoire
précité le tableau des pages 508 et 509.
Voici maintenant les résultats de nos recherches dans un cas d'état de
mal épileptique avant évolué une fois vers la guérison et la seconde fois
vers la mort.
Les conclusions que nous avions adoptées avec le Dr Belarmino
Rodriguez sont résumées dans le tableau de la page 510.
La première ponction lombaire a été faite alors que la malade avait
depuis 24 heures des crises subintrantes ; nous avons observé alors une
rétention très notable de produits azotés dans le sang avec une dissociation
évidente entre les résultats par les deux méthodes de dosage (1 gr. 31,
0 gr. 52).
Dans le liquide céphalo-rachidien, la rétention a été moins marquée, et
la différence beaucoup plus faible entre les produits azotés d'une part et
l'urée d'autre part.
En même temps, l'élimination uréique urinaire était importante.
Lorsque cette malade évolua vers la guérison, nous avons vu diminuer
progressivement le taux des corps azotés dans le liquide céphalo-rachi-
dien, et lors de la troisième ponction le chiffre en était normal.
Par contre, dans le sérum sanguin, la rétention azotée a persisté plus
longtemps, et même lors du dernier examen la prédominance du taux des
corps azotés sur celui de l'urée existait toujours dans des proportions
anormales (0 gr. 43).
Ces études en série montrent que dans l'état de mal étudié par nous
la formule de la rétention uréique est différente de celle que nous avons
observée dans l'épilepsie vulgaire, puisqu'il y a, dans notre cas d'état
de mal, rétention de produits azotés dans divers liquides de l'organisme.
D'autre part, il y a prédominance de la rétention dans le sérum sanguin
et non pas dans le liquide céphalo-rachidien.
Lorsque l'évolution se fait vers l'atténuation des signes cliniques, la
disparition de l'azotémie céphalo-rachidienne estassez rapide, tandis que
persiste uneazotémie sanguine notable avec dissociation entre le taux de
l'urée et des produits azotés non uréiques.
Il est évident que ces faits s Opposent à tout ce que nous a révélé, au
point de vue de la rétention azotée, l'étude des crises d'épilepsie vulgaires
et espacées.
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VÉTAT DE MAL ÉPILEPTIOUE
511
Il nous reste à signaler les résultats des examens en série pratiqués
chez la même malade (cas Hu.) quand l'évolution s'est faite vers la mort.
Malheureusement, en raison des difficultés techniques, nos analyses
ne sont pas aussi nombreuses ni aussi complètes que dans la série pré-
cédente.
Toutefois, il est intéressant de constater que lors du premier examen,
la malade étant en état de mal, le chiffre des produits azotés fut légère-
ment supérieur à la normale.
Lorsque 1 état s'est aggravé, la rétention azotée a augmenté dans le
sérum sanguin sans toutefois atteindre un taux considérable.
Par contre, la rétention azotée dans le liquide céphalo-rachidien a
atteint un chiffre plus élevé (pie lors de tous les examens précédents : il
y a donc eu, dans ce cas terminal, une prédominance très nette de
la rétention azotée dans le liquide céphalo-rachidien au détriment de la
rétention des mêmes produits dans le sérum sanguin.
L'opposition est évidente avec les chiffres obtenus chez la même
malade quand révolution s'est faite vers la guérison.
A la rétention azotée maxima dans le liquide céphalo-rachidien a
correspondu l'évolution fatale : ce fait est à rapprocher de l'autre cas
d'état de mal rapporté plus haut.
Dans un autre cas observé avec M. Mestrezat le résultat des dosages
de l'urée nous a donné les résultats que voici :
Dosage des produits azotés dans un cas d'état de mal épileptique.
Urée du C. R. (Hypobr.)
Urée du sérum (Hypobr.)
Différence du sérum et C. R.
Différence : Hypob. et Fosse (C. R ).
Différence : Hypob. et Fosse (sérum).
13 octobre
14 octobre
21 octobre
Grande
Période
Etat
de mal
amélioration
intercalaire
0,33
1,04
0,29
0,44
1,42
0,20
+
0,11
+
0,38
+
0,0
+
0.10
+
0,25
»
+
0,12
+
0,32
+
0,16
Nos conclusions ont été les suivantes : pendant la phase aiguë de
l'état de mal, le taux de l'urée dans le liquide céphalo-rachidien et dans
le sang n'a pas atteint 0 gr. 50 centigrammes. On ne peut donc pas dire
qu'il y ait eu alors hyperazotémie.
Le lendemain, alors que les crises convulsives avaient cesséet (pie
l'amélioration était considérable (0 = 37°tS), l'hyperazolémie était par
512 m \/''/ BOVTTIER
contre1 liés notable, plus marquée dans le sérum sanguin que dans Le li
quide céphalo-rachidien, avec- une notable différence entre 1rs dosages
par l'hypobromite et par le procédé de Fosse, ce dernier ne dosant que
l'urée à l'exclusion des corps azotés non uréiques. Sept jours plus
tard, en l'absence de toute crise convulsive pendant la période inter-
calaire, le taux de l'urée était redevenu normal dans les humeurs, égal
dans le sang et dans le liquide céphalo-rachidien, et la différence plus
faible que lors du dosage précédent entre les résultats fournis par la
méthode de l'hypobromite et parla technique de Fosse.
Nous n'avons pas l'impression qu'il faille attacher une grande impor-
tance à ces azotémies observées parfois dans l'état demal épileptique.
D'abord, ce sont des azotémies dont létaux n'est jamais bien considé-
rable: il'est'beaucoup plus faible que celui qu'on observe au cours des
accidents épileptoïdes des néphrites urémigènes, par exemple.
D'autre part, pendant l'état de mal lui-même, nous avons vu (pie le
taux de l'urée est parfois normal dans le sérum sanguin. C'est seule-
ment le lendemain qu'il augmente, alors (pie les accidents convulsifs
ont pourtant disparu.
Ce fait montre qu'il faut être très réservé dans l'appréciation des trou-
bles du métabolisme azoté au cours de l'état de mal.
Les conditions dynamiques de l'état de mal, les modifications du
régime alimentaire, la déshydratation, la fatigue, l'épuisement muscu-
laire lié aux crises convulsives subintrantes, toutes ces causes apportent
sans nul doute au métabolisme de l'urée de telles perturbations qu'on
est plutôt surpris de ne pas observer un taux plus élevé de l'azotémie
à la suite de ces accidents. Et nous avons plutôt, avec M. Rodrigue/,
avec M. Mestrezat, l'impression (pie les azotémies passagères rappor-
tées plus haut sont beaucoup plutôt /</ conséquence (pie la cause des
signes cliniques de l'état de mal épileptique .
Ces recherches n en conservent pas moins, nous le verrons, une
haute valeur diagnostique.
Vous noterez enfin (pie, dans les dosages faits par M. Mestrezat. on n'a
pas observé non plus la présence de l'acétone dans le liquide céphalo-
rachidien
TOXICITÉ DU LIQUIDE CÉPHALO RACHIDIEN
Cette question a été l'objet de très nombreux travaux el les résultats
des auteurs sont souvent contradictoires.
Certains prétendent que le liquide céphalo-rachidien des cpileptiqucs
est toxique lorsqu'il a été prélevé aussitôt après la crise ■ c'est ce qui
L'ÉTAT DE MAL ÉPILEPTIQUE 513
nous engage à relater une série d'expériences que nous avons faites
avec mon collègue et ami René Mathieu sur ce sujet.
Nous avons prélevé immédiatement après une crise convulsive du
liquide céphalo-rachidien d'une de nos épileptiques en état de mal, et
nous lavons injecté aseptiquement dans le cerveau d'un cobaye.
Nous avons recommencé 1 expérience à plusieurs reprises sur trois
cobayes différents que nous vous présentons aujourd'hui : ils n'ont eu
à la suite de cette injection aucun accident grave, etenparticulier ils
n'ont présenté aucune crise convulsive : leur état est aujourd hui nor-
mal, et cependant l'injection remonte à un temps variant de 2 à 3 mois.
Nous avions injecté très lentement 1 centimètre cube de liquide cépha-
lo-rachidien dans le cerveau des cobayes. Ce fait démontre qu'il peut y
avoir état de malépileptique sans que ce liquide céphalo-rachidien, pré-
levé aussitôt après une crise, soit toxique pour le cobaye, quand il est
introduit directement dans le cerveau. :
EXAMENS HÊMATOLOGIQUES
Vous savez, Messieurs, quel intérêt les travaux récents de M. Widol
et de son école, relatifs à l'hémoclasie, ont donné aux recherches
hématologiques. Il n'est pas étonnant qu'on ait appliqué à l'épilepsie
ces méthodes d'investigation. Vous trouverez le résumé de ces travaux
dans un article récent de M. Pagniez, dans un rapport de M.Courot,
dans la thèse de M. Chwatt et dans celle de M. Brillet.
Je voudrais seulement vous apporter, à titre documentaire, le résul-
tat des examens que M. René Mathieu a pratiqués chez une de nos
épileptiques en état de mal.
Cas Pic. — Elat de mal épileptique.
Hémoglobine, 95 0/0 valeur globulaire.
Globules rouges, 4.000.000.
Très légère anisocytose.
Globules blancs 18 200
Pourcentage
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Polynucléaires éosinophiles i" 1 %
Formes de transition , • 1 %
Lymphocytes. ) ..... 42 %
Monos Moyens. ) ' ■
On voit qu'il va seulement une leucocytose modérée avec prédomi-
nance des éléments mononucléés, mais que cette formule, dans son
ensemble, n'a rien que de très banal. De plus, l'examen du sérum san-
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COXFEH. NEUROL. 0<J
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guin de cette malade a montré qu'il se comportait d'une façon nor-
male à l'égard de globules rouges d'individus normaux et de sujets
épileptiqucs. Enfin la résistance globulaire chez cette malade était nor-
male.
La malade avait eu 5 crises dans la journée, mais, le soir, à 4 h. 15,
elle était en assez bon état, et consciente.
A 4 h. 30, elle a une crise très violente d'épilepsie généralisée, à
4 h. 51, une nouvelle crise, à 5 heures, une grande crise avec cyanose
très marquée du visage. A 5 h. 09, à 5 h. 20, nouvelles crises, puis les
crises se succèdent sans interruption ; on peut en compter une douzaine
en une demi-heure.
Pendant 2 heures, l'observation a porté sur le nombre des leucocytes
dans le sang, sur la tension artérielle, sur le nombre des pulsations,
sur la température.
Nombre des leucocytes :
Les numérations ont été, au début, pratiquées de 5 en 5 minutes,
pendant les crises et durant leur intervalle. Puis, les numérations ont
été faites, en cherchant à saisir le début même des crises.
Il convient de remarquer combien sont grandes les difficultés tech-
niques de ces examens : en effet, la malade a des crises de cyanose
très marquée, il est donc vraisemblable que le nombre des globules
rouges et blancs doit varier, par le fait même de cet accès passager,
dans tous les capillaires périphériques.
Dans l'intervalle des crises, la respiration est superficielle, la ma-
lade est pâle et la circulation dans les capillaires périphériques subit
des modifications inverses de celles qui accompagnent l'état de crise.
Cette remarque préalable étant faite, voici les résultats obtenus :
Au début de la période initiale, la malade étant en état de contrac-
ture tonique, avec visage cyanose.
Nombre de globules blancs : 9.200.
5 minutes après, malade dans la phase stertoreuse.
Nombre des globules blancs : 10.600.
5 minutes, crise terminée.
Globules blancs : 10.200.
5 minutes après, inconscience absolue, mais pas (Je irises.
Globules blancs : 7.200.
4 h. 51. On fait le prélèvement tout à fait au début de la crise, au
moment où apparaissent les signes précurseurs. (Rotation îles yeux
en haut et à droite.)
Globules blancs : 0 200.
L'ÉTAT DE MAL ÉPILEPTIQUE 515
5 h. 06. Après la fin d'une crise.
Globules blancs : 9000.
5 h. 20. Examen pratiqué tout à fait au début d'une grande crise.
Globules blancs : 11.000.
L'examen de la tension artérielle, fait en se mettant dans les con-
ditions techniques les moins défavorables, montre qu'au cours de la
crise comitiale, on observe une augmentation de la tension qui retombe
bientôt à son chiffre normal ; dans le cas particulier, la tension était
passée de 15 à 21 et était retombée à 15 après la fin de la crise convul-
sive.
Vous retiendrez de ces faits, Messieurs, que dans un de nos cas
d'état de mal les plus longuement étudiés, les modifications héma-
tologiques ont été minimes ou nulles.
Ces résultats négatifs n'ont qu'une valeur documentaire, c'est à ce
titre que nous avons cru utile de vous les signaler. Bien loin de nous
la pensée d'en tirer des conclusions d'une portée générale.
Il est seulement intéressant de souligner l'opposition qui existe,
dans l'état de mal, entre la gravité des phénomènes cliniques et le
résultat très modeste — presque nul à la vérité — des examens bio-
logiques.
On peut donc se demander si les phénomènes sympathiques dont
l'étude est actuellement à l'ordre du jour ne jouent pas un rôle impor-
tant dans la production de ces accidents graves. Cette question mé-
rite d'autant plus de retenir l'attention que la notion de répercussi-
vité sympathique a été introduite récemment par M. André Thomas.
PHÉNOMÈNES SYMPATHIQUES
Nous avons déjà vu plus haut, à propos des troubles vasculaires,
l'intérêt qui s'attache à l'étude des courbes oscillométriques. Je vous
ai signalé aussi la variabilité des réflexes oculo-cardiaque et oculo-
vaso-moteur.
Le réflexe pilo-moteur nous a toujours paru vif au cours de l'état de
mal. Les injections de pilocarpine que nous avons souvent pratiquées
chez ces malades ont produit en général une sudation et une salivation
abondantes, alors qu'elles avaient une action peu marquée sur l'oscillo-
métrie et sur le réflexe oculo-artériel en particulier.
Dans une série de recherches encore inédites faites en collaboration
avec M. J. Robert Pierre, Interne du service de la clinique, nous nous
sommes demandés s'il n'était pas possible de modifier les vertiges et les
absences par l'introduction dans l'économie de substances vago ou svm-
m vRi 801 i i mu
pathicotoniques, et au début, pour le commodité des expériences,
^ous nous sommes servis de pilocarpine et d'«. rén» ...... Nous avons
"Cpressiori très nétté que l'étude du labyrinthe de, ep.lept.ques pourra
nou fournir des renseignements très intéressants et que ce. -tain ^mala-
des réagissent dWfeçôntoutàfeitanormaleà acuonde !.. puocn
pLetderadrénaline on particulier. Le détail de ces fats sera da.l-
leurs rapporté ultérieurement par M. S .-Robert Pierre.
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L'ÉTAT DE MAL ÉPILEPTIQUE
517
Il semble donc que l'étude provoquée des réactions sympathiques
puisse, au moins chez certains épileptiques, conduire à des conclusions
fort intéressantes au point de vue de la pathologie générale de ce syn-
drome.
ÉVOLUTION CLINIQUE
Le résultat négatif de la plupart des recherches biologiques dans
l'état de mal rend d'autant plus intéressante l'étude simplement clinique
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de ce grand syndrome. C'est on définitive à la clinique, comme nous le
conseille souvent le Professeur Pierre Marie, qu'il faut vous reporter
pour essayer de faire le pronostic de l'état de mal.
Rien n'est curieux à cet égard comme l'évolution tout à fait différente
de l'état de mal suivant les cas. On pourrait dire qu'il n'y a pas en cli-
nique deux états de mal qui se ressemblent, et décrire par conséquent
autant de formes cliniques qu'il y a de malades : ce serait faire œuvre
stérile.
Nous dirons seulement qu'il y a des formes à début foudroyant, telles
(pie le malade est terrassé en quelques minutes par des crises subin-
trantes ; des formes abortives telles que, peut-être sous l'influence du
traitement ou de toute autre cause que nous ignorons, la maladie tourne
court au bout de quelques heures, des formes hyperthermiques dans les-
quelles la température s'élève d'emblée à 41°, et qui ne comportent pas
toujours un pronostic grave; des formes à hyperthermie progressive et
terminale : ce sont de beaucoup les plus sévères : il s'agit alors de
malades chez qui la température monte au bout de quelques jours à
39°-39°5 et chez lesquels, en dépit du traitement, on ne peut obtenir
aucune rémission, même si le nombre des crises s'atténue.
Au contraire, l'évolution peut se faire vers la guérison : d'ordinaire
c'est au bout de 3 ou 4 jours que les crises s'atténuent, que la
conscience revient progressivement et que la malade, très asthénique
d'ailleurs, entre en convalescence.
Elle peut, nous l'avons vu, rester pendant plusieurs semaines, plu-
sieurs mois ou même plusieurs années sans présenter à nouveau de
manifestations aussi graves.
Mais nous voulons insister surtout sur une forme vraiment très spé-
ciale : c'est lu forme prolongée de l'état de mal épileptique. Veuillez jeter
les yeux sur le tableau des crises et des vertiges qui se sont succède d'une
façon ininterrompue pendant 5 mois chez une de nos malades (fig. 9).
C'est vraiment un des phénomènes les plus curieux que l'état de ces
malades plongés pendant plusieurs mois dans une inconscience absolue
ou relative, incapables de subvenir à leurs besoins ou de prendre part
aux manifestations élémentaires de la vie extérieure, secoues plusieurs
lois dans la journée par des crises convulsives d'intensité variée et chez
lesquels néanmoins les fonctions de la vie organique se font d'une façon
sensiblement normale.
Pas d'élévation thermique au-dessus de 38°; les investigations biolo-
giques sont, nous l'avons vu, dans l'état actuel de nos connaissances, pra-
tiquement négatives, et cependant les malades restent dans le même état
VÉTAT DE MAL ÉPILEPTIQUE 519
et soumises pendant plusieurs mois aux mêmes excitations convulsives
et aux vertiges.
Puis elles reviennent progressivement à elles, fatiguées, anémiées,
voient disparaître peu à peu les crises et les vertiges, mais la conva-
lescence dans ces cas est particulièrement longue et difficile.
C'est là une des modalités cliniques de l'état de mal qu'il importe,
vous le voyez, de bien connaître.
DIAGNOSTIC
Vous nous permettrez d'être très bref à cet égard. Lorsque vous savez
qu'une malade est atteinte d'épilepsie et que vous êtes appelé auprès
d'elle pour un état de mal, le diagnostic différentiel ne présente aucune
difficulté.
Au contraire, lorsqu'on voit une malade pour la première fois il faut
éliminer en particulier le diagnostic d'urémie convulsive qui peut dans
certains cas se poser.
C'est alors qu'en dehors même des commémoratifs toutes les recher-
ches biologiques prennent une grosse importance.
La recherche de l'azotémie sanguine et céphalo-rachidienne, le carac-
tère normal du liquide céphalo-rachidien, l'absence de bruit de galop,
l'hypotension artérielle sont des éléments de diagnostic d'une très
haute valeur entre ces deux états.
Le caractère négatif des constatations biologiques sur lesquelles nous
avons insisté longuement permet d'établir le diagnostic d'épilepsie
essentielle.
Lorsque vous aurez des doutes relativement au diagnostic de
l'état de mal, vous ferez toujours la ponction lombaire : d'abord c'est
un bon moyen de traitement, et surtout l'examen du liquide céphalo-
rachidien vous permettra d'éliminer les causes si nombreuses de con-
vulsions généralisées, que vous connaissez bien. Par lui, vous saurez
si vous avez affaire à une épilepsie dite« essentielle » on an contraire
à une épilepsie symptomatique : le pronostic et le traitement diffèrent
dans l'un et l'autre cas.
A cet égard, l'un des diagnostics les plus importants est celui de ménin-
gite chronique syphilitique. Nous en avons observé un cas dont nous
vous avons rapporté l'histoire plus haut : rien ne permettait cliniquement
pendant l'état de mal de faire le départ entre une Épilepsie essentielle
et une Épilepsie symptomatiqued'une syphilis cérébrale en évolution.
Mais la ponction lombaire, en montrant une lymphocytose abondante
520 HKNM BOUTTIEli
avec hvperalbuminose et réaction de Wassermann positive, a permis
de lever tous les doutes et d'instituer ensuite un traitement spécifique.
Malheureusement, dans leeas de méningite tuberculeuse, le diagnostic
n'aura pas la même utilité pratique.
Nous avons observé, en effet, avec notre collègue M, André-Pierre
Marie, Interne du service de la clinique, d'une façon tout à t'ait termi-
nale, un état de mal épileptique lié vraisemblablement à une ménin-
gite tuberculeuse (les coupes histologiques ne sont pas encore termi-
nées) chez un malade porteur de cavernes pulmonaires au niveau des
sommets.
Notons d ailleurs que, dans ce cas, l'injection du liquide céphalo-
rachidien faite dans le cerveau du cobaye a provoqué chez celui-ci des
secousses convulsives et une mort rapide.
C'est encore la ponction lombaire qui permettra de faire le diagnostic
étiologique dans le cas où on a affaire à des hémorrhagies méningées
d'intensité variable, symptomatiques ou essentielles, et qui sont capa-
bles d'être la cause ou le témoin des manifestations convulsives à type
d'état de mal.
L'une de nos malades avait une formule céphalo-rachidienne dont
l'interprétation est assez délicate.
Liquide clair.
Pas de bacilles de Koch.
Pas de microbes à l'examen direct.
Réaction cellulaire notable, 14 éléments par millimètre cube à la
cellule de Nageotte.
Pourcentage : polynucléaires... 75 %
lymphocytes... 25 %
Assez nombreux globules rouges.
Néanmoins la proportion des éléments cellulaires est trop considé-
rable pour qu'on puisse incriminer seulement la présence du sang.
Albumine 0 g. 20 centigr.
Sucre 1 g. 40.
Ensemencements et réaction de Wassermann négatifs.
On voit qu'il s'agit là d une formule très particulière, liée vraisem-
blablement à une petite hémorrhagie méningée histologique, avec légère
réaction méningée : les phénomènes congestifs. en l'absence d'hyperal-
buminose céphalo-rachidienne, l'emportant de beaucoup sur les trou-
bles inflammatoires.
L'ÉTAT DE MAL ÉPILEPTIQUE 521
Nous n'avons pu dans ce cas avoir la vérification anatomique, mais il
nous paraissait néanmoins intéressant de vous signaler cette formule
céphalo-rachidienne très particulière au point de vue étiologique,
puisque nous ne l'avons pas rencontrée dans les autres cas d'état de mal
dit essentiel.
Il est enfin une variété étiologique d'état de mal fort intéressante.
C'est celle qui est en rapport avec une tumeur cérébrale susceptible,
après avoir produit des manifestations jacksoniennes, de déterminer
tardivement l'état de mal épileptique.
Ici, 1 examen méthodique du malade, la recherche des symptômes
jacksoniens, les modifications persistantes des réflexes d'un côté par
rapport à l'autre, les parésies localisées consécutives aux crises
jacksoniennes, l'examen du fond de l'œil, l'intensité de la céphalée,
parfois les vomissements vous permettront de faire le diagnostic.
Il ne faut négliger aucun de ces éléments, car les chirurgiens et en
particulier M. Lenormant ont récemment encore beaucoup insisté sur
les résultats heureux dans ce cas de la trépanation décompressive, et
nous-même en avons observé en collaboration avec MM. Roux-Berger
et Bollack un bel exemple dont nous avons publié l'histoire dans le
Bulletin de la Société de Chirurgie.
Tous ces faits montrent, et c'est cela que vous devez reteniravant tout,
qu'on a le droit de faire le diagnostic d'état de mal en rapport avec
une Epilepsic essentielle seulement lorsque toutes les conditions re-
quises (antécédents, âge, histoire clinique, constatations objectives)
concordent et lorsque toutes les investigations biologiques sont prati-
quement négatives.
Le problème étiologique constitue à notre avis le point le .plus inté-
ressant du diagnostic de l'état de mal épileptique, et c'est sur lui
qu'il convient de faire porter tout votre effort.
PRONOSTIC
Vous avez pu vous convaincre que nous n'avons pas actuellement
de procédés biologiques qui nous permettent de faire le pronostic de
l'état de mal. Il faut donc nous en tenir aux seules données de la cli-
nique. D'après notre expérience, ce n'est pas tant le nombre des crises
que la température qui a une signification pronostique de premier
ordre. Nous avons vu plus haut quelle fâcheuse signification a une
température qui s'élève en dépit de l'atténuation des crises convulsives,
qu'il s'agisse ou non d'un phénomène d'épuisement. Il faut encore
522 HENRI BOUTTIER
attacher une signification importante à L'état clos réflexes, leur abolition
permanente étant toujours d'un mauvais augure. De plus, il y a des cas
où vous aurez l'impression que l'a thérapeutique agit sur tel ou tel
symptôme, sur le nombre et l'intensité des crises en particulier, alors
qu'elle n'a aucune influence sur l'état mental ni sur les phénomènes
généraux II vous faudra tenir compte de toutes ces nuances.
Il convient donc, dans ce syndrome grave, de lutter jusqu'au bout par
tous les moyens do traitement qu'il nous faut maintenant envisa-
ger.
TRAITEMENT
Dans tous les cas il doit être symptomatique d'abord, et si vous
connaissez la cause de l'état de mal, autant que possible, étiolo-
gique.
En présence d'une malade en état de mal, nous vous conseillons
d'abord de faire une saignée : elle peut être d'emblée assez abondante
(300-400 grammes); d'autres fois, lorsque l'état de la malade paraît assez
précaire, nous nous sommes trouvés bien de faire des émissions san-
guines moins abondantes (100-150 grammes répétées au besoin tous les
deux jours).
La ponction lombaire ne nous a pas paru avoir d'inconvénients, à
condition bien entendu qu'elle soit faite en position couchée et que
l'on retire lentement une quantité moyenne de liquide céphalo-rachi-
dien (10-12 centimètres cubes par exemple). Nous avons eu l'impres-
sion que dans quelques cas cette petite intervention a ete suivie d'une
certaine atténuation des crises convulsives.
Traitement des crises convulsives. — Trois médicaments ont
une action certaine sur l'élément comitial, l'un est très anciennement
connu : c'est le bromure. Vous connaissez son mode d'administration
et les travaux classiques de Richet et Toulouse sur la déchloruration
associée à la bromuration ; nous n'y reviendrons pas. Cette méthode
est exposée aussi dans une thèse récente de Lucchini ; les deux autres
médicaments sont d'application beaucoup plus récente : c'est le
Luminal ou le Gavdcnal et enfin le tartraté borico-polassique.
En raison de la gravité des symptômes et surtout de l'intérêt qui
s'attache à les atténuer dans le plus bref délai, nous vous conseillons
une médication d'attaque fort énergique et comprise par exemple de la
façon suivante :
Dans une période de 24 heures donner 3 à I grammes de ta solution
L'ÉTAT DE MAL ÉPILEPTIQUE 523
des 3 bromures, 20 à 30 centigrammes de Luminal et 6 à 8 grammes de
tartrate borico-potassique.
Il est évident que ces médicaments ne doivent pas être absorbés
simultanément ; vous espacerez les prises dans la période de
24 heures. Vous vous trouverez bien, après avoir fait un grand lavage
intestinal, de faire donner à vos malades un petit lavement de
chloral. Il est inutile et même nuisible de purger ces malades. M. Si-
card recommande aussi une injection sous-cutanée de 1 à 2 dixièmes
de milligramme de scopolamine et au besoin l'inhalation sur une com-
presse de quelques gouttes de chloroforme.
Il convient d ailleurs de surveiller de très près l'état du foie et du
rein, l'état des réflexes, du cœur, delà tension artérielle et de modifier
les doses au jour le jour, suivant le résultat thérapeutique obtenu et la
tolérance de l'organisme.
Si le malade réagit bien au traitement et sort assez vite de l'état
de mal, vous vous garderez bien néanmoins d'interrompre tout de suite
la médication anti-épileptique, mais vous diminuerez progressivement
les doses. On peut ainsi voir à quelle médication le malade réagit de
la façon la plus favorable et maintenir celle-ci d'une manière prédo-
minante.
Il est souhaitable de ne pas avoir à donner longtemps de grosses
doses de bromure, en raison de la dépression générale causée sou-
vent par ce médicament. Au contraire, le tartrate borico-potassique
donné à la dose de 4 à 6 grammes par jour et dont nous avons montré,
dans une série de travaux en collaboration avec MM. Pierre
Marie et Crouzon, toute la valeur thérapeutique, n'exerce sur l'état
général aucune influence défavorable : il constitue seul ou associé à
d'autres produits, du gardénal en particulier donné à la dose de 10 à
20 centigrammes par jour, une excellente médication de fond de l'épi-
lepsie dite essentielle. C'est aussi la conclusion de la thèse récente de
M. Bénard.
Cette remarque a d'autant plus d'importance qu'une phase de
dépression générale fait souvent suite à l'état de mal et qu'il convient
de ne pas en augmenter les effets par l'emploi trop prolongé des bro-
mures. L'autohémothérapie, l'hyposulfite de soude dont René Ma-
thieu a montré les heureux effets dans d'autres affections, ne nous ont
pas donné ici de résultat appréciable.
Traitement général et diététique. — I! a une importance
considérable. Il ne faut pas oublier, en effet, que les sujets en
,;i HENRI BOUTTJER
état de mal ont un métabolisme profondément trouble', que surtout
ils ne peuvent pas s'alimenter et qu'ils subissent une déshydrata-
tion intense. Pour rétablir l'équilibre dans un organisme dont les
conditions d'existence sont à ce point modifiées, vous alimenterez
artificiellement ces malades, vous introduirez, grâce au tube de Fau-
cher, des liquides dans l'estomac et vous lutterez ainsi le mieux
possible contre la déshydratation aiguë à laquelle vos malades
sont soumis
On peut taire aussi avec avantage des injections sous-cutanées de
sérum glucose. Dans tous les cas il faut surveiller le cœur et le toni-
fier, en particulier par la spartéine. s'il vient à faiblir sous l'influence
des crises eonvulsives.
Enfin, qu'il s'agisse de formes prolongées ou de malades évoluant vers
la guérison d'une façon plus rapide, il convient de soutenir dès qu'on le
peut les forces du sujet en le soumettant à une alimentation légère sans
doute, mais aussi normale que possible. C'est le meilleur moyen de
lutter contre l'asthénie profonde et prolongée qu'on observe si souvent
à la suite de l'état de mal.
Je vais vous dire un simple mot du traitement chirurgical de l'état
de mal. C'est une question fort importante à laquelle M. Souques a
déjà, en 1910, consacré une partie de son rapport sur le « Traitement
des épilepsies symptomatiques par la trépanation crânienne ». Elle a
fait récemment encore l'objet de nombreux travaux et rapports à la
Société de chirurgie. Vous devrez discuter l'indication opératoire
toutes les fois où vous serez en présence d'un état de mal sympto-
matique d'une tumeur ou d'une lésion traumatique, ancienne ou
récente, de l'encéphale. C'est donc une indication qu'il faut pour
l'instant réserver aux cas graves, rebelles et qui se distinguent par
l'existence de symptômes en foyer. Vous pourrez alors rendre à vos
malades de grands services sur lesquels M. Lenormant, M. Robert
Picqué, M. Roux Berger, Bollack et nous-même avons insisté, en appor-
tant chacun une ou plusieurs observations démonstratives. Mais vous
n'oublierez pas (pie si l'épilepsie est un syndrome et non une maladie,
l'état de mal épileptique est lui aussi un syndrome qui Comprend
des laits très disparates. Nous nous sommes efforcé de vous montrer
comment il faut les dissocier, si l'on veut appliquer à chaque cas parti-
culier, suivant les résultats de l'empiète étiologique, une médication
rationnelle.
Enfin, lorsque votre malade sera sortie de l'état de mal. VOUS aurez
garde de ne pas l'abandonner à elle-même. Vous instituerez un traite-
L'ÉTAT DE MAL ÉPILEPTIOUE 525-
ment de fond de l'épilepsie, en évitant, grâce à l'emploi du tartrate
borico-potassique, du luminal en particulier, l'usage prolongé et
exclusif des bromures.
Vous varierez ces médications, selon les résultats obtenus ;
d'autres fois, au contraire, vous pourrez laisser vos malades au
même traitement pendant plusieurs mois de suite, lorsque celui-ci
sera bien efficace et toléré. C'est souvent le cas, en particulier, pour le
tartrate borico-potassique, puisque nous avons, avec MM. Pierre Marie
et Crouzon, des malades de la clinique qui suivent, avec avantage et
sans intolérance, ce traitement depuis plus de 18 mois, Et surtout vous
montrerez à vos malades l'importance qu'il y a à ne pas suspendre la
médication, à ne pas en modifier les doses, sans avis préalable.
Vous pourrez ainsi, par ce traitement préventif, éviter dans beau-
coup de cas l'apparition des accidents de l'état de mal dont vous avez
apprécié, par les exemples que nous vous avons donnés, la gravité
clinique et souvent pronostique.
VINGTIÈME CONFÉRENCE
M. le Professeur PIERRE MARIE
EXISTE-T-ILCHEZ L'HOMME, DES CENTRES PRÉFORMÉS
OU INNÉS DU LANGAGE ?
(Conférence recueillie par M. André-Pierre Marie,
Interne des Hôpitaux .
Messieurs,
Dans une précédente leçon je vous ai présenté, en série, des malades
qui offraient un tableau très net de différents troubles du
langage appartenant à l'Aphasie, ou considérés comme-tels.
Vous vous souvenez que nous avons pu classer ces malades en trois
catégories parfaitement distinctes les unes des autres.
A. — Ceux qui parlent sans trouble notable de l'articulation et sou-
vent même avec une certaine abondance, mais avec un vocabulaire
extrêmement restreint, et en employant parfois des mots impropres,
incorrects ou incompréhensibles. •
— Ils comprennent mal et exécutent incomplètement les ordres qui
leur sont donnés verbalement.
— Us ne peuvent plus lire.
— Ils ne peuvent plus écrire.
Ce sont les Aphasiques typiques.
B. — Ceux qui ne parlent qu'avec une difficulté extrême d'articu-
lation, parfois seulement par monosyllabes, mais qui :
— Comprennent et exécutent très bien les ordres donnés verba-
lement ;
— Exécutent très bien les ordres qui leur sont donnés par écrit.
— Ils peuvent écrire, mais de la main gauche, car ils sont hémiplé-
giques à droite.
Ce ne sont pas là des Aphasiques, ce sont simplement des Auar-
ihriques.
PIERRE MARIE
C. — (-eux. qui :
— Ne parlent pas OU répètent tout au plus quelques syllabes sans
signification ;
— Ne comprennent pas et n'exécutent pas les ordres qui leur sont
donnés verbalement ;
— Ne peuvent pas lire ;
— Ne peuvent pas écrire, même de la main gauche, étant donné
qu'ils sont hémiplégiques à droite.
Ce sont les Aphasiques de Broca.
Après vous avoir présenté ces malades, je vous ai montré sur l'écran
les projections photographiques des lésions cérébrales qui donnent lieu
à ces différents états cliniques.
Pour la catégorie A — les Aphasiques typiques :
Lésion : du pli courbe :
du pied des deux premières temporales
et parfois aussi du gyrus supramarginalis.
Pour la catégorie B — les Anarthriques :
Lésion dans un segment du cerveau limité en avant par un plan
vertical passant au-devant de la circonvolution antérieure de l'insula
et en arrière par un plan vertical passant derrière la circonvolution
postérieure de l'insula. — La 3°- circonvolution frontale étant mainte-
nue en dehors de ce segment que j'ai appelé « quadrilatère de l'Anar-
thrie ».
Pour la catégorie C — les Aphasiques de Broca :
Lésion des mêmes territoires que dans l'Aphasie typique, c'est-à-
dire :
Lésion : du pli courbe ;
du pied des deux premières temporales,
parfois aussi du gyrussupramarginaiis.
Et en outre, lésion du même territoire que dans l'Anarthrie% c'est-à-
dire :
Lésion dans le quadrilatère de l'Anarthrie.
En un mot l'Aphasie de Broca n'est autre chose qu'une combinaison
de l'Aphasie typique avec l'Anarthrie.
Je n'ignore pas, Messieurs, que celte Doctrine que j'ai établie et
développée il v a une quinzaine d'années est tout l'opposé de la
Doctrine Classique, mais j'ai tout lieu de penser qu'elle est beaucoup
plus près de la vérité que cette dernière. Je vais chercher à vous
démontrer, dans cette Leçon, combien fragiles sont les bases sur les-
quelles repose la Doctrine Classique .
EXISTE-T-IL DES CENTRES PRÉFORMÉS OU INNÉS DU LANGAGE 529
Vous savez tous, Messieurs, que c'est à Paul Broca que l'on doit
d'avoir, en 18(51 pour la première fois, bien étudié et décrit l'Aphasie.
Il lui assigna comme cause une lésion de la IIIe circonvolution fron-
tale. Son œuvre fut toute de Clinique et d'Anatomie Pathologique.
Fig. 1. — Coup» horizontale de l'hémisphère gauche du cerveau. Le quadrilatère compris entre les
lignes A et B représente le quadrilatère de l'Anarthrie. On remarquera que la III" frontale qui est
en avant de la ligne A se trouve tout à fait en dehors de ce quadrilatère. — En I se trouve l'Isthme
de substance blanche qui relie le quadrilatère de l'Anarthrie avec la zone de Wernicke.
Un autre élément n'allait pas tarder à dominer l'étude de l'Aphasie
et à la faire dévier de laméthode anatomo-clinique d'Observation pure ;
cet élément fut l'Elément Théorique. Il semble bien qu'une fois de plus
un « Pourquoi » prématuré ait nui à la recherche un peu plus terre à
terre mais combien plus sûre du « Comment ».
C'est Wernicke, l'un des meilleurs neuro-psychiatres allemands de
la seconde moitié du XIXe siècle qui ouvrit l'ère des théories, et il
l'ouvrit brillamment.
En effet, en 1879, Wernicke montrait qu'il existe une autre Aphasie
CONFÉR, NEDROL, 34
530 PIERRE VARIE
que l'Aphasie de Broca, une Aphasie dans laquelle les troubles
« moteurs » de la parole faisaient défaut. Il appela cette Aphasie nou-
velle Aphasie sensorielle.
Cette dénomination contenait toute une théorie.
Pour Wernicke et bientôtaprès pour Kussmaul, qui développa avec
talent les mêmes idées, l'écorce cérébrale renferme, en certains terri-
toires, des « Centres Sensoriels » servant de lieu de réception, d'em-
magasinement, et au besoin d'élaboration aux « Images » recueillies par
les appareils des sens (appareils sensoriels). Donc, pour ce qui a trait
au langage, l'écorce cérébrale contiendrait un centre d'images auditives
et un centre d'images visuelles du langage.
Si, par une lésion quelconque, ces centres viennent à être détruits, le
malade privé de ses Images auditives devient incapable de comprendre
ce qu'on lui dit et de parler de façon normale, il est atteint de Surdité
Verbale. — Est-il privé, par une autre lésion, de ses Images visuelles,
il devient incapable de lire et d'écrire, il est atteint de Cécité Verbale.
Ce sont là : Surdité Verbale et Cécité Verbale, les deux éléments
constituants de l'Aphasie Sensorielle de Wernicke.
On pensait alors, en 1874, que le Centre Visuel siège au Pli Courbe ou
dans son voisinage ; — que le Centre Auditif, d'après Meynert, siège
dans la région postéro-moyenne de la Pe Circonvolution Temporale.
Or c'est précisément au niveau du Pli Courbe et de la lie Circonvo-
lution Temporale que se trouvaient les lésions, chez les malades atteints
de la Nouvelle forme d'Aphasie que Wernicke venait de faire con-
naître.
Le Psychiatre allemand, en décrivant ce qu'il croyait être une nou-
velle forme d'Aphasie, admettait d'ailleurs, sans conteste, l'existence et
la localisation de l'Aphasie Classique décrite par Broca, mais il en
donnait une interprétation physio-pathologique particulière. — Pour
lui, l'Aphasie de Broca était une Aphasie Matrice et non pas Sensorielle.
Il n'émettait d'ailleurs aucun doute sur la spécificité de la lit Frontale
en tant que centre du langage, mais c'était là un « Centre Moteur» du
langage tout à fait différent des « Centres Sensoriels » constituant la
base de sa doctrine, et, chez les Aphasiques de Broca, c'était la lésion
de ce Centre Moteur du langage qui déterminait les troubles méca-
niques de la parole et l'Aphasie.
La théorie de Wernicke était extrêmement séduisante, et au moment
où elle fut émise, tout semblait concorder pour en démontrer le bien
fondé. Depuis lors les choses ont beaucoup changé.
En effet, un grand nombre d'auteurs pensaient en 1874 que le centre
EXISTE-T-IL DES CENTRES PRÉFORMÉS OU INNÉS DU LANGAGE 531
cortical de la vision siège sur la face convexe de l'hémisphère, au niveau
du Pli Courbe. Les travaux ultérieurs ont montré qu'en réalité le centre
de la vision siège sur la l'ace interne de l'hémisphère, dans les circon-
volutions juxta-calcarines. — Voilà pour le soi-disant Centre Sensoriel
Visuel au niveau du Pli Courbe.
Quant au Centre Auditif, si tant est qu'il existe un Centre Cortical de
l'Audition, son siège est loin d'être connu d'une manière certaine,
malgré de nombreux travaux, y compris le remarquable volume con-
sacré récemment à ce sujet par le professeur Henschen, de Stockholm.
En réalité, nous sommes fondés à nous demander s'il existe dans 1 Ecorce
Cérébrale un Centre de l'Audition. — Et si un pareil centre existe, rien
encore ne nous autorise cliniquement à lui'assigner un siège déterminé.
Pour la IIIe Circonvolution Frontale considérée comme centre du
langage parlé, nous verrons dans le cours de cette Leçon ce qu'il en
faut penser. Qu'il me suffise actuellement de rappeler qu'un certain
nombre de cas ont été publiés dans lesquels une lésion manifeste de la
IIIe Frontale ne s'accompagnait pas d'Aphasie.
Voilà trois catégories d'arguments qui auraient dû, sans doute, faire
réfléchir les adeptes de la théorie de Wernicke.
Mais l'élan était donné, de toutes parts les Neurologistes se précipi-
taient pourdécrire dans ces Centres Sensoriels quelques centres plus
spéciaux, par exemple ceux des lettres de l'alphabet, ou de la musique,
etc., ou encore pour établir ^des connexions plus ou moins compli-
quéesentre les différents Centres sensoriels, de même qu'entre ceux-ci
et le Centre moteur du langage.
On pourrait, en toute vérité, donner à cette époque de l'Histoire de
l'Aphasie le nom de Phase Géométrique, car on ne tarda pas à voir les
Neurologistes travailler, bien moins d'après les malades eux-mêmes,
que d'après des Epures de leur invention.
Le médecin allemand Lichtheim semble avoir été l'introducteur du
premier schéma sur l'Aphasie, et on sait avec quel succès !
Ce fut à qui inventerait et décrirait à l'avance telle ou telle forme
d'Aphasie, ou même prédirait la possibilité de l'observer cliniquement
suivant que tels ou tels centres seraient isolément ou conjointement
lésés, ou suivant que la lésion porterait sur telle ou telle des connexions
par lesquelles ces centres étaient réputés reliés entre eux. Et on
a vu surgir des Aphasies Corticales, Souscorticales, Transcorti-
cales, etc., etc.
Mon Maître Charcot. lui-même, se laissa gagner par l'enthousiasme
général. Le Professeur Grasset, de Montpellier, fut et demeura l'un
532
PIERRE MARIE
des plus chauds et des plus brillants partisans de la Géométrie Poly-
gonale pour l'étude de l'Aphasie, comme pour celle des processus
psychologiques les plus délicats.
Fig. 2. — Epure représentant d'après Lichtheim-Kussmaul les connexions des différents centres du
langage et leurs voies afférentes et effèrentes. I. centre intellectuel. A, centre auditif. O. centre visuel.
M, centre moteur du langage. E, centre de l'écriture.
En résumé, pour établir la Doctrine Classique de l'Aphasie, on est
parti d'une hypothèse non démontrée et on a érigé sur cette hypothèse
tout un édifice qu'il a fallu ensuite démolir. Je m'y suis employé de
mon mieux.
Je ne crois pas qu'aucune démonstration vous lasse mieux comprendre
l'inanité des soi-disant Centres Sensoriels du langage que celle qui
ressort de l'étude de I'Evolution du langage échit.
C est une bien longue histoire que celle de l'Ecriture, je dis à dessein
« écriture » et non pas « langage écrit », car vous allez voir que ces
deux mots sont loin d'être synonymes.
Il semble légitime de considérer comme une l'orme d'« écriture » cer-
tains documents ethnographiques, émanant de peuplades sauvages,
qui donnent une représentation réelle et directe île certains objets ou
de certains faits sur lesquels l'auteur du dessin très primitif sans
doute, vent appeler l'attention de ses compagnons demeurés loin de lui.
Parfois encore ces représentations graphiques ont pour but de fixer
EXISTE-T-IL DES CENTRES PRÉFORMÉS OU INNÉS DU LANGAGE 533
dans la mémoire des membres de la tribu le souvenir de telle ou telle
expédition, de tel ou tel haut fait. Elles rappellent, par des sortes de
dessins rétrospectifs et explicatifs, comment l'expédition a eu lieu dans
le temps ou dans l'espace ; par exemple en figurant le nombre de
bateaux qui out pris part à l'expédition, le nombre de jours (images
alternées du soleil, de la lune), pendant, lesquels il a fallu marcher ou
naviguer pour joindre l'ennemi, etc., etc.
C'est là l'Ecriture Représentative. Il est évident qu'elle n'a rien à faire
avec le langage écrit, bien que, comme celui-ci, elle puisse être conser-
vatrice de souvenirs etévocatrice d'idées.
Pour constituer le « Langage Ecrit » il faut quelque chose de plus, il
faut qu'il y ait traduction graphique du langage parlé, il faut que le
« mot » passe sur la pierre ou sur le papier.
Mais ne croyez pas, Messieurs, que ce soit par la simple mise en
œuvre de son prétendu centre visuel du langage que l'homme soit arrivé
à ce progrès mémorable de la matérialisation de la parole.
Les faits sont tout autres. Il a fallu des milliers d'années et d'innom-
brables générations successives d'hommes évoluant dans une civilisa-
tion déjà assez raffinée, pour parvenir à transformer la parole en signes
écrits.
Rien n'est plus curieux et plus suggestif qu'un coup d'oeil sur la suc-
cession des phases si diverses qu'a subies la conquête du langage écrit.
C'est surtout aux travaux des Egyptologues et des Sinologues que nous
devons de les connaître. Parmi ceux-ci je vous signalerai les ouvrages
de M. de Rougé et de M. Berger auxquels sont empruntés les éléments
de la démonstration que je désire faire devant vous.
La vénérable Egypte, berceau de la plupart des civilisations méditer-
ranéennes, va nous fournir tous les documents nécessaires.
On peut distinguer dans l'évolution de l'Ecriture, sur les monuments
Egyptiens, les périodes suivantes :
A. — Une première Période, celle des Idéogrammes, pendant laquelle
les hiéroglyphes sont déjà des signes nettement conventionnels mais
dérivés vraisemblablement d'une période préhistorique de Représen-
tations graphiques directes, telles que celles dont il a été question plus
haut dans certaines peuplades sauvages.
C'est-à-dire que ces Idéogrammes qui ont, de par une convention
déjà plus ou moins ancienne, une signification précise et désignent soit
un objet, soit une idée simple, ne sont autre chose qu'un vestige parfois
méconnaissable et tout à fait schématique de la représentation même
de l'objet qu'ils désignent.
■ :i
PIERRE MARIE
C'est une Montagne, une Fleur, un Œil, le Ciel. — Tous ces signes
sont d'un dessin simplifié, schématique, conventionnel. — Mais ce qui,
Fig. 3. — Hiéroglyphe de l'eeî
Fig. 4. — Hiéroglyphe du ciel.
au point de vue de l'évolution de l'Ecriture, constitue un progrès con-
sidérable sur les Représentations graphiques pures et simples, c'est que
plus ces hiéroglyphes se schématisent linéairement, plus leur signifi-
cation et les idées qu'elles indiquent se multiplient et se compliquent.
Prenons par exemple l'hiéroglyphe du Ciel : nous le voyons acquérir
l'équivalence non pas seulement de « plafond », mais de toute une
série d'idées abstraites qui, dans le domaine figuré, sont venues se
greffer sur l'idée de hauteur du Ciel, par exemple l'idée de « supério-
rité », d' « élévation ».
A un point de vue un peu moins abstrait et plus voisin des Repré-
sentations Graphiques simples, une Etoile attachée au Ciel (fig. 5) indi-
T
Fig 5. — Hiéroglyphe du ciel auquel est ap-
pendue une étoile, représentation de la nuit,
de l'obscurité.
Fig. 6 - Hiéroglyphe du ciel auquel sont ap-
pendus de petits tourbillons, signifie pluie,
orages.
quera l'idée de « Nuit », d' « Obscurité ». — Si au lieu d'une Etoile ce
sont de petits tourbillons qui descendent du Ciel, on aura l'idée de
« Pluie », de « Nuages », d'Orage » (fig. 6).
Ces Idéogrammes avaient fini par se prêter même à la représentation
de l'idée de « Mouvement », ainsi qu'en témoignent les deux hiéroglyphes
reproduits ici (fig. 7) où l'on voit, d'après la position d'un serpent
dans un Enclos, ou une Maison, la figuration de l'idée d' « entrer »
et de l'idée de « sortir ». Quant à l'idée de « Négation », elle était tra-
duite dune façon très avisée par l'hiéroglyphe représentant deux mains
ig. 7 Deux hiéroglyphes indiquant l'idée
de mouvement, celui de gauc-Se l:iele d'en-
trer, celui de droite l'acte de sortir.
Fig. 8. — Hiéroglyphe de la négation : ileux
mains tournées en sens opposé.
EX1STE-T-1L DES CENTRES PBÉFORMÉS OU INNÉS DU LANGAGE 535
dirigées en sens contraire, comme pour rejeter la chose en question
(fig.8).
On voit que, dans cette période, l'Ecriture Hiéroglyphique n'est
presque plus directement représentative d'objets, elle est devenue
surtout indicatrice et évocatrice d'idées, même d'idées abstraites. —
Et cependant elle n'a encore en réalité, avec le langage parlé, aucune
connexion.
B. — Il faut arriver à une deuxième Période, d'une antiquité beau-
coup moins reculée, pour voir se produire l'un des plus grands progrès
qu'ait faits l'Humanité dans son perpétuel « devenir ».
0
Fig. 9. — Hiéroglyphe du soleil « ra » qui plus Fig. 10. — Hiéroglyphe du pain tf ta » qui plus
tard représenta phonétiquement la syllabe tard représenta phonétiquement la syllabe
« ra ». « ta » puis la lettre « t ».
L'Ecriture va contracter d'intimes rapports avec le Langage Parlé :
elle va devenir Phonétique. Au lieu de reproduire, par des signes sché-
matiques, des objets ou des idées liées à ces objets, l'Ecriture repro-
duira désormais les sons mêmes du langage parlé. Voici comment :
A force de désigner, de générations en générations, les objets et les
idées par leur hiéroglyphe figuratif, les Egyptiens avaient fini par relier
si intimement, dans leur esprit, le nom de l'objet et son hiéroglyphe
que, pour les noms qui étaient monosyllabiques, ils en arrivèrent à
identifier la syllabe représentative de l'objet et son hiéroglyphe. C'est
ainsi que le nom du « Soleil » étant ra (fig. 9), l'hiéroglyphe du
« Soleil » désigna la syllabe ra. — Le « pain » se disant ta (fig. 10),
Thiérogljqjhe du « pain » désigna la syllabe ta. — La « Bouche » s'ap-
pelant rou (fig. ll),l'hiérogl3Tphe delà « bouche » désigna la syllabe rou.
Fig. 11. — Hiéroglyphe de la bouche « rou » qui plus tard phonétiquement
représenta la syllabe « rou », puis la lettre t r ».
Peu à peu l'habitude fut prise également, pour certains noms poly-
syllabiques d'objets, de désigner par l'hiéroglyphe de ces objets la
première syllabe de leur nom. — C'est ainsi que grâce à ces différentes
syllabes, représentées chacune par un hiéroglyphe particulier, on
arriva à constituer une Ecriture Phonétique Syllabique. Dès ce
pi eu m: m au ii-:
moment les sons étaient fixés et reproduits par l'écriture, la base du
système phonétique actuel était acquise.
Un nouveau progrès restait à réaliser ; il fallait, pour traduire toutes
les linesses de la parole, que l'Ecriture ne demeurât pas phonétique
syllabique, mais put traduire par une série de lettres, avec leurs com-
binaisons multiples presque infinies, tous les sons différents du lan-
gage parlé. Il fallait, en un mot, que l'Ecriture devint une Eckiture
Phonétique Alphabétique. Cette fois encore aucune trouvaille de génie
n'intervint, c'est le flux et le reflux des générations successives cpii, par
une sorte de lente érosion, détacha les lettres d'avec les syllabes. En effet,
peu à peu le son par lequel commençait une syllabe fut isolé et consti-
tua une lettre représentée par l'hiéroglyphe même de la syllabe, c'est
ainsi que l'hiéroglyphe du « pain », la (fig. 7), devint la lettre /, que
l'hiéroglyphe de la « bouche » rou, devint la lettre r (fig. 8), et ainsi
de suite. — L'Ecriture Phonétique Alphabétique était enfin créée.
On sait l'usage qu'en ont fait les civilisations ultérieures. Cette Ecri-
ture est le merveilleux instrument qui nous permet de traduire, avec
toute la souplesse phonétique possible, nos pensées et notre langage,
et qui relie d'une façon si intime et si féconde, celui-ci et celles-là
J'en ai fini, Messieurs, avec cette digression, un peu longue peut-être,
sur l'Evolution du Langage écrit. Nous allons chercher maintenant à
tirer quelques conclusions des notions que je viens d'exposer devant
vous, et qui, vous vous en convaincrez facilement vous-mêmes, sont
loin d'être un hors-d'œuvre dans l'étude de la fonction du langage et
des troubles qu'elle peut présenter.
La première Conclusion qui me semble s'imposer est la suivante :
Dans la formation du langage écrit, il faut avouer que l'Homme, en tant
qu'Unité ou parcelle de Société, a joué un rôle bien effacé. On pourrait,
sans paradoxe, soutenir que ce n'est pas l'Homme qui a inventé le lan-
gage écrit, ce n'est pas une Idée qui a déterminé la formation de celui-
ci. Le grand, l'admirable Monument s'est élevé sans plan, sans archi-
tecte, comme au hasard. Seul le Temps, ouvrier lent et sûr, s'est chargé
de dégrossir l'amas informe, et il l'a poli, comme nos grands glaciers
tant de fois millénaires savent polir le roc sur lequel leurs vagues
immobiles glissent inlassablement.
Si j'insiste sur le rôle effacé de l'homme dans la formation du Langage
Ecrit, c'est pour en tirer un argument lorsque, dans la suite de cette
Leçon, je chercherai à vous démontrer l'inanité de l'opinion classique
qui a peuplé de centres innés du langage la COrticalité du CCI -veau
humain.
EX1STE-T-IL DES CENTRES PRÉFORMÉS OU INNÉS DU LANGAGE 537
En effet, vous pensez bien, Messieurs, que l'usage de tout centre
existant dès la naissance dans le cerveau humain correspond à une
fonction qui s'exécute aisément, naturellement, et comme d'elle-même.
S'il existait, ainsi qu'on l'a enseigné, dans le cerveau humain, des cen-
tres innés pour l'écriture et pour la lecture, soyez assurés que
l'Homme n'aurait pas attendu tant de milliers d'années pour être en
état de traduire son langage oral en langage écrit.
Soit, diront les partisans des centres cérébraux pour la lecture et
pour l'écriture, il est possible qu'à l'aube de ses obscures origines
l'homme primitif n'ait pas eu dans son cerveau de centres spéciaux
pour le langage écrit, mais depuis tant de siècles qu'il y a des hommes,
et qui lisent, ces centres spéciaux se sont peu à peu formés par un de
ces lents processus d'adaptation dont Darwin et ses élèves ont cité de
si curieux exemples.
Eh bien, Messieurs, même ainsi modifiée, la doctrine de l'existence
de centres du langage écrit, se transmettant par hérédité, n'est pas sou-
tenable. Pour s'en convaincre il suffit de réfléchir un instant. Comment
une pareille transmission héréditaire aurait-elle pu se produire ? Certes
le langage écrit phonétique est connu depuis au moins deux ou trois mille
ans, mais il faut noter ce fait capital qu'à ce langage écrit les élites seules
ont eu part. Pendant tout le Moyen Age il fut surtout l'apanage des
prêtres et des moines qui le transmettaient à leurs élèves, donc aucun
lien de parenté n'existait entre ceux-ci et les maîtres ; dans ces condi-
tions aucune influence héréditaire ne saurait être invoquée. Considérez
maintenant nos Sociétés actuelles, combien de leurs membres trouve-
riez-vous pouvant affirmer que le père de leur trisaïeul savait lire ou
écrire ?
N'oubliez pas, Messieurs, que par une loi inéluctable les élites dis-
paraissent et ne laissent guère de progéniture. Incessamment leurplace
vide est prise par ce que l'on a appelé si justement « les nouvelles
couches » ; or les ascendants de ces nouveaux venus ne savaient ni lire
ni écrire et n'ont pu, par conséquent, transmettre à leurs descendants
des centres pour la lecture et l'écriture, puisqu'ils en étaient eux-mêmes
dépourvus. Est-ce donc en trois ou quatre générations que de tels
centres seraient en état de se former pour être ensuite transmis
héréditairement ? Qui pourrait le penser un seul instant ?
J'arrive maintenant au Langage Parlé. — Trocède-t-il de centres
innés ? — Quels seraient ces centres ?
PIERRE MARIE
Je ne vous cacherai pas, Messieurs, que cette partie de ma tâche sera
de beaucoup la plus ardue, non pas à cause des faits, objectivement ils
sont patents, lumineusement évidents ; — ce qui crée la difficulté de ma
tâche, c'est qu'ici je vais me heurter à un parti pris formel de croire
quand même et malgré tous les arguments, de croire pour croire, non
seulement parce que « le Maître l'a dit », mais parce que des générations
de Maîtres et d'Elèves l'ont répété, de croire en un mot parce qu'il y a,
même dans le domaine scientifique, des dogmes qu'il n'est pas permis
d'ébranler et dont la foule ignorante, mais d'autant plus croyante, prend
instinctivement la défense.
Ici nous sommes en présence du Dogme de la IIIe frontale, et je sais
ce qu'il en coûte de s'y attaquer.
En 1906, après une consciencieuse étude préalable d'une dizaine
d'années, j'avais eu l'imprudence de dire ce que je pensais, sur la réalité
des fonctions de la IIIe frontale. J'avais exposé mon opinion que cette
troisième circonvolution n'avait rien à faire avec la fonction du lan-
gage. Hélas ! le ban et Tarrière-ban desNeurologistesetdes Psychiatres,
surtout à l'étranger, se dressèrent contre moi, et les anathèmes de
pleuvoir, je passe sur les injures.
Je dus livrer un assez dur combat pour soutenir mes idées, mais je
parvins à dire ce que j'avais à dire. C'était tout ce que je demandais.
Depuis lors je me suis tu, attendant que l'évolution se fasse, elle s'est
faite ou plutôt elle est en train de se faire, mais avec quels tâtonne-
ments ! avec quelles hésitations! surtout lorsqu'il s'agit de la IIIe fron-
tale ! — Devant ce dogme une horreur sacrée s'empare des auteurs,
même les mieux intentionnés, il semble que la crainte d'un sacrilège
continue à les hanter.
J'aurais volontiers continué à garder le silence, car il est générale-
ment assez fastidieux de revenir sur un sujet qu'on a déjà traité, mais il
se trouve que mes idées sur la fonction du langage ont un peu évolué,
je suis actuellement convaincu que dans le cerveau humain il n'existe pas
pins de centres innés pour le langage parlé que pour le langage écrit. Et
c'est là la thèse que, pour la première fois, j'ai voulu exposer aujour-
d'hui devant vous.
Après ce préambule indispensable pour vous prémunir contre tout
réflexe de dogmatophilie exagérée, nous allons envisager ce qui a trait
à la IIIe frontale et au Langage Parlé.
J'ai eu déjà l'occasion de vous dire, au début de cette Conférence,
qu'au point de vue anatomo-pathologiquc les arguments les plus sérieux
militent contre l'opinion classique qui place dans la IIP Circonvolu-
EXISTE-T-IL DES CENTRES PRÉFORMÉS OU INNÉS DU LAN GA GE 539
tion frontale gauche la fonction du Langage Articulé : cas de lésion
de la IIIe frontale gauche sans Aphasie — et d'autre part observations
très nombreuses d'Aphasie (dite Motrice) sans lésion de la IIIe Fron-
tale. — Il s'agit là dune série de faits dont rénumération ne pourrait
trouver place dans une Conférence telle que celle-ci. Ceux d'entre vous
qui désireraient se documenter plus amplement sur ces faits anato-
miques n'auront qu'à se reporter à la remarquable Thèse de mon ancien
interne M. le Dr F. Moutier1 qui contient une véritable mine de docu-
ments sur la question de l'Aphasie. Depuis cette thèse d'autres observa-
tions ont été publiées, notamment celle de M. René Sand (de Bruxelles)
dans laquelle une lésion incontestable de la IIIe frontale gauche exis-
tait sans Aphasie.
Plus récemment, une nouvelle et hélas trop nombreuse série de dé-
monstrations directes s'est offerte à nous à l'occasion des examens que
nous avons dû faire de milliers de blessés du crâne recueillis dans le
gouvernement militaire de Paris. Nous avons, avec mon collègue
M. Ch. Foix, étudié spécialement les troubles du langage consécutifs à
ces blessures du crâne et du cerveau. Pour chacun des cas la topogra-
phie de la blessure a été soigneusement relevée. Nous pouvons affirmer
que, dans aucun cas, nous n'avons constaté l'Aphasie par blessure loca-
lisée à la région de la IIIe frontale, et qu'au contraire c'étaient les bles-
sures de la région temporo-pariétale gauche situées en arrière du sillon
de Rolandoqui s'accompagnaient d'Aphasie bien caractérisée.
Mais je ne veux pas insister plus longtemps sur ces arguments ana-
tomo-pathologiques, quelle que soit leur valeur objective incontestable,
car la possibilité vous manquerait d'en faire ici la critique et de les
discuter à un un. Vous seriez obligés d'accepter purement et simple-
ment mes affirmations, et c'est justement ce que je tiens à éviter. Mon
désir le plus vif est que vous vous formiez vous-mêmes une opinion,
grâce à l'exposé que je vais vous faire de l'historique de la question, et
que de vous-mêmes, par un travail personnel d'appréciation et de
jugement, vous parveniez à une notion nette de l'inanité du dogme de
la IIIe frontale.
L'Etude de l'évolution Historique du langage écrit vient de nous
montrer qu'on ne saurait logiquement admettre l'existence de centres
innés pour le Langage Ecrit. Je suis convaincu que l'étude de l'évolu-
tion Historique de la localisation du langage articulé dans la IIIe fron-
1. François Moutier. — L'Aphasie de Iiroca, Thèse de Paris, 1908.
540
PIERRE MARIR
taie vous démontrera non inoins nettement que rien n'autorise à
admettre l'existence d'une pareille Localisation.
J'utiliserai, à cet effet, quelques passages d'un article sur l'Histo-
rique de l'Aphasie (pie j'ai publié en 1906 dans la Presse Médicale.
Quelle curieuse histoire en effet, que celle de la localisation du Lan-
gage dans la IIIe Circonvolution frontale !
Fig. 12 Planche C de l'Atlas de Gall. Crâne vu par sa face antérieure. On remarque en L, au niveau
du rebord intérieur de l'orbite, le siège de la « bosse du langage » (d'où yeux proéminents, yeux,
pochetés de Gall). — Les chiffres romains inscrits sur les différentes « bosses » désignent le siège
des différentes facultés ou « des penchants de l'âme ».
C'est à Gall qu'il faut en l'aire remonter sinon la paternité réelle,
tout au moins la plus grande part de responsabilité.
Vous savez, Messieurs, que Gall, dans les toutes premières années du
xixe siècle, ayant quitté le pays de Bade, dont il éhiit originaire, était
venu comme tant d'autres chercher fortune à Paris. Maigri- l'opposi-
tion formelle de Laënnec et de Cuvier, deux esprits trop grands pour
être dupes, il y avait presque réussi. — C'est que, malgré la chute de la
Royauté, malgré le Drame Révolutionnaire et l'Epopée Napoléonienne,
Paris était resté le Paris de Mesmer et de Cagliostro, toujours prêt à
EXISTE-T-IL DES CENTRES PRÉFORMÉS OU INNÉS DU LANGAGE 541
accueillir les aventuriers ou les songe-creux quels qu'ils fussent,
pourvu qu'ils eussent un nom et un accent étrangers.
Sous le nom de Phrénologie l, Gall professait une singulière doctrine
d'après laquelle chacune des facultés et même chacun des « penchants
de l'âme » doit se trouver représenté par une bosse crânienne spéciale,
indice d'un développement particulier de la région sous-jacente du cer-
veau dans laquelle étaient sensés siéger cette faculté ou ce penchant. —
Palper le crâne d'un homme suffisait donc pour connaître à fond son,
caractère. — Il convient de remarquer, que ces prétendus sièges de
telle ou telle faculté étaient déterminés de la manière la plus arbitraire
et ne relevaient que de l'imagination de l'auteur. On en jugera par le
passage suivant que je vous cite textuellement d'après le texte même de
Gall dans son grand ouvrage sur les Fonctions du Cerveau :
« De chez mon oncle, mon jeune camarade et moi nous allâmes à
Bade, près de Rastadt. Deux de mes nouveaux condisciples surpas-
saient même mon ancien camarade par leur facilité à apprendre par
cœur. Comme l'un et l'autre avaient de très grands yeux à fleur de tête,
nous leur donnâmes le sobriquet « yeux de bœuf ». — Après trois ans,
nous allâmes à Bruchsal, là encore quelques écoliers à « yeux de bœuf »
me donnèrent du chagrin lorsqu'il était question d'apprendre par cœur.
Deux ans plus tard j'allai à Strasbourg, et je continuai de remarquer
que les élèves qui apprenaient par cœur avec le plus de facilité étaient
ceux qui avaient de grands yeux à fleur de tête, et que quelques-
uns d'entre eux n'étaient, pour tout le reste, que des sujets très mé-
diocres.
« Quoique je n'eusse aucune espèce de connaissances préliminaires
(Gall était alors âgé de 14 ans !), je dus tomber sur Vidée que des yeux
ainsi conformés sont la marque d'une excellente mémoire. Ce ne fut que
plus tard que je me dis, comme je l'ai rapporté dans l'Introduction du
premier volume : Si la Mémoire se manifeste par un caractère extérieur,
pourquoi les autres facultés n'auraient-elles pas aussi leur caractère
visible au dehors ?■ — Et c'est là ce qui me donna la première impulsion
pour toutes mes recherches, et ce qui fut l'occasion de toutes mes décou-
vertes ».
D'après Gall « les personnes qui ont les yeux pochetés possèdent non
seulement une mémoire des mots excellente, mais elles se sentent une
1. Il convient de remarquer que la Phrénologie de Gall était, jusqu'à un certain point,
la continuation de la Physiognomonie de Lavater. Ce dernier appartenait à la généra-
tion précédente et ses publications avaient déjà mis à la mode ce jeu d'esprit qui con-
siste à découvrir le caractère des gens par l'examen de certains traits de leur visage.
542
l'iiiun: \i\mi:
disposition particulière pour l'étude des langues, pour la critique, en
généra] pour tout ce quia trait à la littérature ».
Ci- fameux rentre du langage — avant la lettre pourrait-on dire, — où
Gall le plaçait-il donc ?
Fig. 13. Planche IV de l'Atlas de Gall. Face inférieure du cerveau. On voit en L le centre du langage
daprès Gall. On remarquera que c'est sur 1 hémisphère droit que (iall a désigné, dans cette tigure.
la délimitation du centre du langage entre les points xv et 39.
La nomenclature des circonvolutions était alors très peu avancer,
aussi est-ce surtout aux ligures qui accompagnent l'Œuvre île (iall
qu'il faut se rapporter pour se faire une idée du point de l'Ecorce
Cérébrale où il localise la faculté du langage. Il est aise tic se rendre
compte que c'est dans la région de la face inférieure du lobe frontal, an
niveau de la partie postérieure du lobule orbilaire. dette portion tin cer-
veau étant, d'après lui, 1res développée chez les individus qui jouissent
EXISTE-T-IL DES CENTRES PBÉFORMÉS OU INNÉS DU LANGAGE 543
d'une grande mémoire des mots, repousserait en avant la partie posté-
rieure de l'orbite et déterminerait la saillie des yeux, ces « yeux de
bœuf » qui ont si fort attiré l'attention de Gall, puisqu'il en a fait la base
de son « Système »-
4
Fig. 14. Planche XI de l'Atlas de Gall. On voit en L le centre du langage d'après cet auteur.
Il fut dès lors entendu, pour tous les adeptes de la doctrine de Gall,
et ils étaient nombreux, que « la faculté du langage siège dans les ré-
gions antérieures du cerveau ».
En 1825, Bouillaud, qui avait connu Gall (celui-ci mourut seulement
en 1828 à Paris), publiait un Mémoire pour « démontrer que la perte
de la parole correspond à la lésion des lobules antérieurs du cerveau,
et confirmer l'opinion de M. Gall sur le siège de l'organe du langage
articulé ».
Chose curieuse, ni Gall, ni Bouillaud n'avaient la moindre idée que
la fonction du langage fût localisée dans l'hémisphère gauche. Broca
lui-même, en 1861 et jusqu'en 1863, après une communication de Dax
fils, ignorait tout de cette particularité.
C'est en 1861 que Paul Broca, jeune chirurgien des Hôpitaux, qui
venait d'être nommé à Bicètre, entreprit, grâce aux nombreuses autop-
544
rii:i{RE MARIE
sus qu'un chef de service a l'occasion de faire dans cet admirable
centre de travail, de vérifier si la doctrine de Gall et de Bouillaud
riait fondée, et si réellement la perte de la faculté du langage corres-
pond à une lésion des lobes antérieurs du cerveau.
Le premier cas d'Aphasie dont il eut, dans son service, l'occasion de
Faire l'autopsie, au point de vue qui le préoccupait, fut le cas d'un
nommé Leborgne cpii cliniquement offrait, de la façon la plus nette, le
type d'Aphasie qu'on a très justement depuis appelé « Aphasie de
Broca ». Ce malade avait été apporté dans le Service de Chirurgie, pour
Fig 15. Schéma des lésions de l'hémisphère gauche du cerveau de Leborgne, autopsie princeps de Broca.
Ce schéma a été relevé directement sur le cerveau de Leborgne conservé au Musée Dupuytren. On
constatera qu'en outre de la 3e frontale la plus grande partie du territoire cortical de l'artère syl-
vienne, y compris la zone de Wernicke, est atteinte.
un phlegmon diffus du membre inférieur dont il mourut au bout de six
jours. L'autopsie faite par Broca montra un ramollissement étendu à
une grande partie du territoire de la Sylvienne gauche avec prédomi-
nance au niveau de la portion antérieure de la Scissure de Sylvius, et
englobant par conséquent le pied de la 3e frontale et aussi la moitié an-
térieure de la l'° temporale. En réalité, quand on examine cette pièce
« princeps » actuellement encore conservée dans un bocal d'alcool an
Musée Dupuytren, on constate qu'il s'agit d'un Ramollissement très an-
cien et très étendu ayant amené une rétraction et une atrophie asse/
prononcées de tout l'hémisphère gauche. Le Ramollissement s'étend
dans tonte l'étendue antéro-postérieure de la Sylvienne, il a donc dé-
terminé, outre la destruction de F3 dans sa moitié postérieure, la des-
truction des Circonvolutions Uolandiqnes dans leur moitié Inférieure,
EXISTE-T-IL DES CENTRES PRÉFORMÉS OU INNÉS DU LANGAGE 545
la destruction de T1 dans la plus grande partie de son étendue, la des-
truction d'une notable partie du Gyrus Supramarginalis.
Ici les faits sont patents, il suffit d'examiner le cerveau de Leborgne
pour constater l'étendue des lésions et la multiplicité des circonvolu-
tions détruites par le ramollissement.
Comment d'une lésion aussi étendue, aussi complexe, Broca a-t-il pu
conclure à la localisation de la faculté du langage dans le pied de la
3e frontale ? La réponse à cette question est très simple : — En 1861 les
connaissances anatomo-pathologiques, sur le système nerveux, étaient
encore extrêmement rudimentaires. A cette époque on croyait, et
Broca le croyait comme tout le monde, que le ramollissement cérébral
est une sorte de lésion inflammatoire à tendance progressive, débutant
en un point du cerveau et s'étendant de là aux parties voisines, comme
une tache d'huile, comme une plaque de gangrène, et cela pendant des
années et des années, « le mal se propageant, dit Broca, de proche en
proche, à d'autres circonvolutions, au lobe de l'Insula, etc.. » — Voici
d'ailleurs, en propres termes, comment Broca explique que, dans le cas
Leborgne, malgré la présence de lésions corticales multiples, il ait
attribué à l'altération de la seule 3e frontale le rôle capital dans la pro-
duction de l'Aphasie :
« Sachant qu'au début de la maladie, et pendant une longue période
de 10 ans, le malade avait perdu uniquement la faculté d'articuler les
mots... j'ai été conduit à penser que la perle de la parole avait été la con-
séquence dune lésion primitivement assez circonscrite, et que V organe cen-
tral du langage articulé était probablement celui dans lequel cette lésion
avait débuté ; pour découvrir cet organe parmi tous ceux qui étaient
lésés au moment de la mort, j'ai chekché quel était le point ou l'al-
TÉKATION PARAISSAIT LA PLUS ANCIENNE, ET j'Ai TROUVÉ QUE, SELON TOUTE
PROBABILITÉ, LA TROISIÈME CIRCONVOLUTION FRONTALE, PEUT-ÊTRE AUSSI
LA SECONDE, AVAIENT DU ÊTRE LE POINT DE DÉPART DU RAMOLLIS-
SEMENT. »
En résumé, il s'agissait dune oblitération en bloc de la Sylvienne ;
toutes les circonvolutions marginales de cette artère étaient atteintes
par le ramollissement, aussi bien celles de la Zone de Wernicke ou
Zone de l'Aphasie proprement dite (Gyrus Supramarginalis, pli courbe,
lre temporale) que la 3' frontale. Mais, sous l'influence des doctrines
de Gall, les esprits étaient prévenus, la seule question qui intéressai
Broca et Auburtin, gendre de Bouillaud, présent à l'autopsie, était
celle-ci : — trouverons-nous une lésion dans le « lobe antérieur du cer-
veau »? — Et comme il existait en effet, parmi tant d'autres, une lésion
COKFÉR. NEUROL. 35
546 PIERRE \l.\HIE
de la .'> frontale, et que celte circonvolution fait partie du lobe frontal,
ce lut la seule lésion à laquelle Broca attacha de l'importance.
La question était tranchée : la perte de la parole correspondait bien,
comme le disait Bouillaud, à la lésion des lobes antérieurs du cerveau.
L'autopsie fut publiée, (iall triomphait. Les adeptes de ses théories, et
j'ai dit qu'ils étaient nombreux, s'emparèrent de cette autopsie de
Broca comme d'un argument capital. Le dogme de la 3e frontale était
désormais établi sur quelles bases erronées, vous venez de le voir.
Je pense vous avoir démontré, Messieurs, d'une manière irréfutable,
au début de cette Leçon, qu'on ne saurait admettre l'existence de centres
innés pour le langage écrit (lecture, écriture). Je crois vous avoir dé-
montré également que la 3e frontale ne peut être considérée comme le
centre du langage parlé. Je voudrais examiner maintenant avec vous la
question suivante :
Existe-t-il un centre inné pour le langage parlé ? C'est-à-dire, existe-
t-il, dès la naissance, en un point quelconque de l'encéphale, un centre
dont la fonction propre et unique soit le langage parlé (disons, pour
simplifier, la parole) ?
Force m'est de vous dire, de prime abord, que je ne le crois pas.
Ma conviction est qu'il n'y a pas plus de centre inné, préformé, de la
parole, qu'il n'y a de centre inné delà lecture ou de l'écriture.
Je vais, Messieurs, vous donner les raisons de cette manière de voir,
les arguments sur lesquels elle est fondée.
Tout d'abord un argument anatomique qui, sans être péremptoire,
n'en a pas moins une réelle valeur :
Depuis que les progrès des techniques anatomo-pathologiques ont
permis de suivre dans l'Encéphale des dégénérations secondaires de
faisceaux de libres, on s'est ingénié de différents côtés à découvrir chez
les aphasiques la dégénération d'un faisceau de la parole. On n'y est jamais
parvenu. Tous les faisceaux de la parole (pie nous verrez ligures dans
vos livres tirent uniquement leur origine de l'imagination des auteurs.
— On n'a jusqu'à présent jamais constaté objectivement, que je s;iclu\
l'existence d'un faisceau de la parole qui, partant d'un centre cortical,
viendrait dans la protubérance et le bulbe innerver les groupes de cel-
lules nerveuses tenant sous leur dépendance les organes d'exécution de
la parole : langue, lèvres, palais, etc. Il est donc évident qu'il n'existe
pas un « faisceau de libres delà parole ». — Mais comment admettre
EXISTE-T-ILDES CENTRES PRÉFORMÉS OU INNÉS DU LANGAGE 547
que, s'il existait un centre inné de la parole, ce centre soit dépourvu
d'une voie anatomique d'exécution ? Les circonvolutions motrices qui,
elles, sont des centres innés, ont leur voie d'exécution : le faisceau pyra-
midal.— Pourquoi, si la parole avait un centre inné, serait-elle dé-
pourvue d'une voie de ce genre?
D'ailleurs, Flechsig, il y a bien des années déjà, par ses beaux tra-
vaux sur l'Anatomie générale du système nerveux, n'a-t-il pas montré
que toute la région que nous considérons actuellement comme la région
de l'Aphasie (Gyrus Supramarginalis, pli courbe, lres temporales) est
purement une région où n'existent que des fibres d'association sans
fibres de projection. Or l'Aphasie est par excellence un trouble des
Associations Psychiques et des phénomènes de la Mémoire.
Un autre argument qui doit faire douter qu'il y ait un centre inné de
la parole est le suivant : Les centres innés que nous connaissons (et ils
ne sont pas nombreux) sont toujours bilatéraux et môme très nettement
symétriques. Les centres moteurs des membres, — les centres de la
vision ont leur siège dans chacun des 2 hémisphères et dans des régions
symétriques. Pour le langage parlé il en est tout autrement, puisque
nous savons que c'est seulement dans l'hémisphère gauche qu'une
lésion delà zone de Wernicke donnera l'Aphasie ; la même lésion dans
la zone symétrique de l'hémisphère droit ne produira aucun trouble
évident du langage intérieur. Comment admettre l'existence d'un
centre inné de la parole qui ne serait ni bilatéral * ni symétrique ?
Outre ces arguments d'ordre anatomique et physiologique, il
est, au point de vue clinique, certaines considérations qui, elles aussi,
militent fortement contre l'hypothèse d'un centre inné du langage
parlé.
Observons ce qui se passe pour les Sourds-Muets. Us ne parlent pas
parce qu'ils sont sourds, tout le monde est d'accord sur ce point. On
comprend en effet que les mots étant en somme le résultat d'une pure
convention, ces malades, que leur infirmité ne laisse pas participer à
cette convention, ne sont pas en état de parler telle ou telle langue
usuelle.
Mais s'il existait un centre inné de la parole, les Sourds-Muets de-
vraient, en dehors de toute rééducation, être capables d'un langage
parlé, incompréhensible il est vrai, puisqu'il serait en dehors des lan-
1. On remarquera que tout ce qui est dit ici vise un centre psychique (le la parole,
mais, pour ce qui est du mécanisme de l'articulation, on doit admettre qu'il peut
être troublé par une lésion siégeant dans l'un ou l'autre hémisphère au niveau de la
région du « quadrilatère ».
,48 PIERRE-MARIE
gages conventionnels, mais un langage tout de même, comportant de
véritables paroles ayant « forme humaine ».
On sait qu'il n'en est rien et que ces infortunés n'émettent spontané-
ment qu'une série de sons discordants et informes qui n'ont même pas
la valeur significative des grognements si variés émis par nos chiens fami-
liers pour nous faire part de leurs diverses émotions. Le sourd-muet peut
apprendre à parler, mais il faut qu'il soit éduqué de toutes pièces à la
parole. S il jouissait d'un centre inné de la parole, on n'aurait, pour qu'il
parlât, qu'à l'initier à la valeur conventionnelle de nos paroles : dés
qu'il connaîtrait cette valeur conventionnelle, grâce à son centre inné
de la parole il devrait parler. — Les choses se passent tout autrement,
parce qu'en réalité il n'y a pas de centre inné delà parole. On sait à
quel long apprentisssge doit être soumis ce malheureux sourd-muet,
par quels détours on arrive à lui faire émettre des sons qui aient quel-
que apparence humaine, et avec quelle difficulté on parvient à le faire
réellement parler. Ici rien d'inné ne se manifeste, tout le résultat
obtenu est dû à la seule éducation, à un véritable dressage.
Envisageons maintenant, un autre côté de la question et regardons ce
qui se passe, au point de vue du langage, pour YEnfant au berceau.
Son incapacité absolue de parler avait si vivement frappé nos ancê-
tres latins qu'ils en ont fait la caractéristique de cet âge, et de cette
caractéristique ont tiré la dénomination d'infans, o celui qui ne parle
pas ».
Observez-le, ce petit être humain, alors qu'il est âgé de 12 à 15 mois:
— il se tient déjà sur ses jambes, il commence à marcher, il sait tendre
les bras à sa mère, et de ses petites mains presser le sein qui l'a
nourri, il peut téter, il peut crier et pleurer ; en un mot, il peut déjà, à
cet âge, exercer librement toutes les fonctions auxquelles président ses
centres réellement innés... — Mais à part quelques syllabes redoublées
péniblement apprises (papa, maman, lolo, etc.), il ne peut pas « parler »;
— il est toujours Vin/ans, et cela uniquement parce qu'il ne possède pas
de centre inné pour le langage parlé.
Si. quittant le terrain de l'Etat Physiologique, nous nous tournons
maintenant vers celui de la Pathologie de l'Enfant, un nouvel argument
va nous être fourni par l'étude de l'Hémiplégie Infantile.
Tous les auteurs, qu'ils soient neurologistes ou pédiatres, sont d'ac-
cord sur ce fait cpie les enfants atteints d'hémiplégie droite ne présen-
tent jamais d'Aphasie, à la condition que cette hémiplégie se soit pro-
duite dans les toutes premières années qui suivent la naissance, Ou
a proposé pour ce fait différentes explications. - La plus naturelle, la
EXISTE-T-IL DES CENTRES PRÉFORMÉS OU INNÉS DU LANGAGE 549
plus légitime, n'est-elle pas de reconnaître que, puisqu'il n'existe pas de
centre inné du langage, celui-ci n'a pu être détruit par la lésion cérébrale
cause de l'Hémiplégie ? Et comme cette lésion est survenue à un âge
trop tendre pour que Tentant ait eu le temps d'adapter la région pariéto-
temporale de son hémisphère gauche à la fonction de la parole, il s'en-
suit que cette région a pu être détruite par la lésion sans que, plus tard,
cet enfant ait présenté d'Aphasie, il lui a suffi d'adapter, dans son cer-
veau, à la fonction du langage, une autre région voisine restée saine, et
d'en faire usage pour parler.
Je considère cet argunient, basé sur un fait universellement admis,
comme ayant une très grande importance.
Telles sont, Messieurs, les raisons pour lesquelles je pense que nous
ne devons plus admettre l'existence, dans le cerveau humain, d'aucun
centre préformé, d'aucun centre inné du langage, qu'il s'agisse de
langage écrit ou de langage parlé.
Mais, me dira-t-on, vous nous avez vous-même, au début de cette
Leçon, enseigné qu'il existe au niveau du gyrus, du pli courbe, et des
1res temporales, une région dont la lésion détermine l'Aphasie, une
Aphasie complexe, portant aussi bien sur le langage écrit que sur le
langage entendu et parlé.
En effet, le fait n'est pas niable, il existe bien, dans l'hémisphère gauche
du cerveau, une zone dont l'altération entraîne une Aphasie d'autant
plus marquée que cette altération est plus profonde et plus étendue.
Mais cette zone ne répond pas à un centre préformé dès avant la nais-
sance, et c'est là la notion que, par des arguments de tout ordre, j'ai
cherché à établir aujourd'hui devant vous. — Cette zone ne constitue
pas un centre préformé, mais seulement un centre adapté. De même
les différents sports (escrime, boxe, tennis, etc.), procèdent de « centres
adaptés » * ; de même le jeu des différents instruments de musique,
l'usage des différentes langues procèdent de « centres adaptés ». Il
semble, d'après ce que nous avons vu dans l'Hémiplégie infantile, que
lorsque la zone dans laquelle se fait généralement cette « adaptation »
a été le siège d'une lésion, l'enfant, dans la suite de son développe-
ment intellectuel, soit apte à utiliser une autre région de son cer-
veau pour y « adapter » son centre du langage. En résumé, loin de pos-
1. Le mot de cenlre n'est employé ici que pour la commodité de l'exposition, car il
serait impossible de supposer qu'il s'agisse dans ces cas de véritables centres suivant
l'ancienne conception de ce mot. On est purement et simplement en présence de grou-
pements associatifs souvent fort éloignés les uns des autres dans l'axe encéphalo-
médullaire.
PIERRE MARIE
séder, en naissant, un centre de la parole, chaque individu doit, par
son effort propre, s'en constituer un de toutes pièces, et c'est dans la
zone pariéto-teinporale gauche (pie celui-ci s'établit. — Pourquoi ? —
Peut-être simplement parce que, les éléments nerveux de l'hémisphère
gauche se développant un peu avant ceux de l'hémisphère droit, les
premiers processus intellectuels commencent à se produire dans l'hé-
misphère gauche et forment, pour ainsi dire, un centre de cristallisation
et une base pour les associations d'idées qu'ils provoquent. Ainsi s'éta-
blirait dans l'hémisphère gauche un substratum associatif qui se spécia-
liserait dans une certaine mesure, et vers lequel notre cerveau aiguille-
rait, de lui-même, une très importante partie de son activité psy-
chique.
Il faut absolument nous dégager des anciennes conceptions qui ten-
daient à admettre, pour certains processus psychiques, notamment
pour ceux du langage, des centres aussi étroits que pour les fonctions
motrices. On sait que, pour ces dernières, le point de départ semble
bien être dans certains groupes cellulaires d'où naissent des fibres de
projection qui transmettront aux organes moteurs périphériques les
excitations et les injonctions nécessaires. — Pour les processus psy-
chiques il en est tout autrement, ceux-ci prendraient naissance par une
sorte de vibration des éléments nerveux, et ces vibrations se propage-
raient, par une série de réactions élaboratrices, à un très grand nom-
bre de cellules qui seraient ainsi mises en action par l'excitation ini-
tiale volontaire ou réflexe. — Ce serait notamment une erreur de penser,
comme on l'a fait autrefois, que telle ou telle cellule ou tel ou tel groupe
cellulaire constitue un centre pour une des parties du discours : subs-
tantifs, adjectifs, verbes, etc .., ou même pour la syntaxe qui régit
l'emploi de ces différentes parties.
Tout au contraire, de même que dix chiffres suffisent aux mathémati-
ciens pour écrire les nombres les plus énormes et pour effectuer les
calculs les plus compliqués, de même les différentes cellules des régions
du cerveau, dans lesquelles s'élaborent les processus psychiques, sont
susceptibles de prendre une part plus ou moins grande dans les diverses
combinaisons de vibrations dont l'ensemble constitue ces processus
psychiques. De telle sorte qu'une même cellule peut être sollicitée par
une infinité de vibrations différentes et participer ainsi à un grand nom-
bre de processus psychiques différents.
Mais je viens de me laisser entraîner sur un terrain bien peu sur.
('(•pendant, dans cette Leçon, je m'étais proposé tout autre chose que
de développer devant vous des hypothèses ! Mon but a été «le vous
EXISTE-T-1L DES CENTRES PRÉFORMÉS OU INNÉSDU LANGAGE 551
démontrer, par des arguments que je crois irréfutables, la fragilité,
pour ne pas dire l'inanité de la doctrine des Centres innés du Langage.
Puisse ma conviction, Messieurs, avoir entraîné la vôtre. C'est là
tout mon désir.
Colliers. — Société française d'Imjiriuien
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